Sept - 15 kills

Notes de l’auteur : J’ai compris que dans la vie il ne faut pas courir après les gens, car ceux qui nous aiment vraiment ne partiront jamais…
Jean-Jacques Rousseau

Les Gavillet avaient rendez-vous chez les Sherwood vers quatorze heures pour une énième après-midi jeux. Enfin, ça, c’est ce que pensaient Maëlys et Coralie, parce que Sélène en était enchantée. La sonnette résonna dans la fraîcheur de l’air de ce 11 novembre, presque immédiatement suivie des aboiements de Gipsy. Ces petites choses anodines firent sourire Sélène. Elles signifiaient la proximité prochaine de son « ami », de Léo. C’est en tous cas ce qu’elle dit lorsque sa mère lui demanda pourquoi elle souriait.

Jusque vers six heures, l’après-midi ne fut pas extraordinaire. Le goûter se résuma à une délicieuse tarte celtique et des oranges, parce que Gipsy avait englouti la tarte meringuée (en laissant soigneusement la pâte brisée) que Corine avait préparée. Sélène apprit à jouer à Amun-re, un jeu   égyptien que faisaient les adultes, parce qu’elle s’ennuyait un peu malgré la présence de Léo.

Vers dix-sept heures, justement, Corine demanda aux quatre aînés d’aller promener le chien. Une fois  prêts, ils sortirent et se dirigèrent vers la plage. Comme ils n’avaient pas le choix d’animer la conversation, Sélène et Léo parlèrent des sujets habituels, malgré la certaine monotonie qui s’installait. Heureusement, au bout d’une demi-heure, Mathéo et Coralie prirent la relève, en ayant plus qu’assez de ces mondanités. Les blagues de Toto nulles, le foot, l’école, le foot et encore l’école.

Tout le long de la balade, Sélène essaya tant bien que mal de se rapprocher de Léo. Peut-être que ce serait comme dans les films et les livres, où le garçon prend la main de la fille, puis lui déclare son amour et l’embrasse sous la pluie. Peut-être qu’ils pourraient se balader main dans la main, comme tous les couples. Peut-être qu’elle, elle réussirait à lui avouer son amour. Sélène n’avait pas pris la lettre avec, mais elle pourrait toujours le lui dire de vive voix. Au lieu de ça, les sujets de conversation barbants continuèrent d’exister, et la distance minimale que Sélène mit entre elle et Léo se résumait à un mètre cinquante. Quel exploit ironique ! Il était déjà arrivé à Sélène de le frôler dans le bus ou à l’école.

Une fois rentrés, les quatre aînés mirent la table. Il était déjà dix-huit heures passé ! Sélène ne s’était pas rendu compte du temps qui s’était écoulé. En compagnie de Léo, c’était comme si une bulle se créait autour d’eux, que plus rien n’existait. Après avoir effectué cette corvée, ils décidèrent de jouer à cache-cache, emmenant les petits avec eux. Enfin, petits, Maëlys avait déjà huit ans, et Bruno une année et demie de moins. Léo et Sélène rigolaient bien, malgré leurs quatorze ans. Ça faisait longtemps qu’ils avaient mis cette « tradition » en place, cache-cache étant un jeu simple et drôle qu’il est possible de faire à tout âge. Souvent, leurs parents en profitaient pour commencer l’apéro, parce que les enfants ne se trouvaient pas là pour se goinfrer du délicieux saucisson habituel.

La fin de soirée se passa comme toutes les autres. Des plateaux de fromages et de charcuterie, un dip de légumes, une succulente tresse aux lardons et le reste de tarte celtique pour le souper. Rien de plus simple, et pourtant si bon ! Puis la date de la prochaine après-midi jeux avait été fixée, le samedi 6 avril de l’année suivante. Au malheur de Sélène, ils n’avaient pas trouvé d’autres dates plus proches, la saison des matchs de foot recommençant les samedis et Noël approchant à grand pas.

<3

Le 5 avril arriva à grands pas, même si Sélène les trouvait trop petits. Ce jour-là, le collège organisait les quinze kilomètres, comme chaque année. Cet évènement, que presque tous les élèves détestaient, faisait au contraire le bonheur de la plupart des profs, surtout ceux de sport. Les 6e et 5e ne couraient que cinq kilomètres, mais ils se mettaient par trois pour courir les « quinze » kill. Les 4e couraient 7500 mètres et les 3e pouvaient choisir de faire les quinze kill seuls, en marchant ou en courant, suivant leur envie. Sélène courait avec Alya et Audrey, chacune 5 kilomètres. Sélène commença à courir la première, puis ce serait au tour d’Audrey et enfin d’Alya. Elle courut avec Amélie, tout du long, une amie qu’elle avait rencontrée à son entrée au collège. Sur les 500 derniers mètres, qu’elle ne fut pas leur surprise de voir Chloé revenir les chercher.

Chloé avait su courir avant de marcher. Du moins c’est l’impression qui en ressortait. Elle ADORAIT courir, c’était toute sa vie. Et visiblement, Chloé n’avait pas été satisfaite de son excellente performance. Elle trouvait toujours quelque chose à se reprocher, surtout à la course. Un autre exemple ? Ses cheveux. Elle les maintenait toujours en une queue de cheval haute parfaite. Chloé n’était aussi pas très grande, tout comme Sélène. Ce jour-là, le 5 avril 2015, c’était le premier jour d’une véritable amitié entre Chloé et Sélène, qui débuta avec ce geste si anodin ; revenir la chercher sur les 500 derniers mètres. Chloé était arrivée en larmes à cause de l’effort physique intensif qu’elle avait fourni, mais à peine cinq minutes plus tard, elle avait déjà changé d’avis en pensant que sa « performance » n’avait rien d’extraordinaire.

 Alors Chloé était revenue les chercher, Sélène et Amélie. Démontrant une incroyable force d’âme, elle plût immédiatement à Sélène. Pourtant, Chloé appartenait à cette catégorie de personnes populaires, hautaines. Celles qui n’avaient rien à faire de l’insignifiante Sélène. Mais Chloé, elle, sortait du lot. C’était une fille extraordinaire, avec un mental et une personnalité tellement forts ! Quand Sélène arriva au bout, essoufflée et toute suante, elle donna son dossard à Alya et alla chercher de l’eau. Une bonne bouteille d’eau, bien fraîche et un peu mentholée.

Une fois que le première vague d’élèves de 5e et quelques 6e fut arrivée, le temps paru long à Sélène. Les amis qu’elle voulait soutenir étaient soit déjà arrivés, soit pas encore partis. La jeune fille s’immisça alors dans une discussion entre Jonathan et Léo, qui étaient entourés de deux ou trois personne, plus Sélène.

- J’ai essayé de suivre Chloé, mais c’est impossible ! J’ai vomi dans une bouche d’égout tellement c’était physique, disait Jonathan.

Cela fit sourire Sélène. C’était vrai, bien sûr. Enfin, sauf peut-être la deuxième phrase. Jonathan exagérait souvent les choses.

- Mais qu’est-ce qui fout, bordel ! Ça fait bientôt une heure qu’il est parti ! Je vais finir par l’étrangler…

Léo venait d’exploser de colère contre leur troisième équipier. Il courait vite, normalement, et il n’aurait pas dû faire aussi long. Le mélange de la voix grave de Léo habituellement calme et posée et de sa colère donnait un curieux résultat, mais la certitude de Sélène en ce moment précis était qu’elle ne voudrait jamais être la cause de sa colère. Jamais, pour rien au monde.

- Et toi, Sélène, pourquoi souris-tu ? Ça n’a rien de drôle ! demanda Jonathan, qui venait de remarquer sa présence, et visiblement son sourire.

- Pour rien, pourquoi ?

- Laisse tomber.

En réalité, leur coéquipier n’avait voulu se donner aucun mal, et avait marché tout du long. C’est ce qu’ils apprirent une demi-heure après cette discussion. Chloé s’y était jointe et Jonathan l’avait félicitée pour sa rapidité, à sa manière. C’est-à-dire qu’il se plaignit d’être incapable de la suivre, ce qui flatta Chloé. Jonathan restait malheureusement un être un peu égocentrique. D’ailleurs, c’est pour ça qu’Audrey l’avait quitté en mars. Elle n’en pouvait plus de sans cesse entendre parler de hockey, le sport que pratiquait Jonathan.

Le dossard n° 56, celui de Sélène, Alya et Audrey, arriva treizième des filles, un exploit, même si celui de Léo et ses coéquipiers avait mis moins de temps. Elles étaient contentes de leur résultat, très contentes même.

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