Neuf - Bague maudite

Notes de l’auteur : Nous avons tous un ange-gardien qui nous relève lorsque nous tombons.
Isabelle Sarter-Tisne

La cérémonie du baptême était passée bien plus vite que ce à quoi Sélène s’était attendue. En ce dimanche 14 avril 2015, Sélène avait fait son entrée dans le monde de l’imaginaire, dans celui de la croyance. Mais pour elle, ce n’était pas le monde de Dieu. Un seul Dieu n’avait pas de sens à ses yeux. C’était juste… une façon de se montrer au monde surnaturel, même si elle n’y croyait pas spécialement. Aussi, bien qu’elle ne l’admettrait jamais, Sélène avait tenu à se baptiser pour la cérémonie.

Debout à côté de sa sœur, Sélène se sentait très légèrement mal à l’aise, une soixantaine d’yeux étant tournés vers elles, au centre de l’attention. Toutes les deux en robes blanches, elles ressemblaient à deux anges descendus du ciel. La sienne lui descendait un peu au-dessus des genoux, tombant droite et raide. En revanche, le haut de sa robe était clairsemé de dentelle, sans pour autant qu’une grande séparation ne marqua la jupe de sa partie supérieure. Les manches n’étaient qu’en dentelle. Simple, cette robe n’attirait pas vraiment l’attention dans une cérémonie comme celle-ci, mais sur Sélène, elle possédait quelque chose de magique… comme un petit plus qu’une fée lui aurait apporté. Ce côté bohème donnait à Sélène l’impression d’être une princesse de conte de fée moderne. Impression hélas quelque peu atténuée par sa soudaine timidité provoquée par tous ces yeux rivés sur elle.

Au contraire de Sélène, Coralie portait une robe bouffante, la transformant en mini-mariée. Sélène la trouvait horrible, mais elle savait pertinemment que sa sœur n’y était pour rien. Philomène l’avait obligée à porter cette robe affreuse, et Coralie avait accepté sans se poser de question, parce qu’elle l’adorait aussi. Le tulle s’accumulait sur plusieurs couches superposées les unes sur les autres. Mais bon, après tout, ce n’était pas son choix. Elle n’avait rien à redire.

Entourée ainsi de sa famille et leurs amis, Sélène se sentait si fragile face à leurs regards pénétrants ! Heureusement qu’il y eut du mouvement de la part de ses parents, qui posèrent leurs cadeaux aux pieds des deux sœurs, bientôt suivis par les autres invités. A l’exception des Sherwood, qui ne déposèrent aucun présent, tous placèrent un ou plusieurs paquets par terre, à leurs pieds. Sélène et Coralie ouvrirent un à un tous les cadeaux : il y avait là une quantité phénoménale de livres sur le christianisme, sur Jésus, des prières, sur Dieu et deux bibles, ainsi que quelques bijoux et leur boîte. Sans vraiment savoir pourquoi, Sélène caressa du bout des doigts son collier d’Agate Abricot. Elle avait l’incroyable impression que cette pierre c’était imprégnée… de la magie. Dieu, les anges, Jésus… Très étrange. Comme si elle allait la protéger, en quelque sorte. La rassurer.

Sélène ne s’attarda toutefois pas sur sa pierre, parce que Mathéo s’était approché de sa sœur ; il tenait un écrin blanc sur sa paume ouverte.

- Coralie ? C’est pour toi. Que Dieu te protège.

L’assemblée éclata de rire, sa famille en premier. Sélène en déduisit qu’il avait dû répéter son texte en cachette un million de fois devant un miroir, probablement espionné par son grand frère. Le plus drôle, c’était que ses paroles avaient été prononcées sur un ton totalement dénué d’expression. Coralie pris délicatement la boîte et l’ouvrit : un bracelet et son pendentif en forme de soleil occupaient tout l’espace. Il était magnifique, ce que Coralie ne manqua pas de faire remarquer :

- Merci beaucoup, Mat, il est merveilleux ! Tu peux m’aider à l’enfiler ?

Il s’exécuta en rougissant légèrement, mal à l’aise lui aussi. Mais c’était peut-être à cause de la proximité de Coralie : Sélène le soupçonnait secrètement d’adorer sa petite sœur plus que nécessaire, comme elle avec Léo. Après tout, elle n’avait à pas à le juger, elle-même en proie à l’amour. Sélène n’en avait jamais parlé à sa sœur ; elle avait d’autres préoccupations pour l’instant. Surtout en ce moment précis, parce qu’un raclement de gorge l’avait tirée de ses pensées...

Léo

J’en étais sûr, qu’elle allait trouver un autre moyen de nous rapprocher. Ou au moins essayer. Fichue maman ! J’aurais dû m’en douter. Prévoir ce qui allait s’ensuivre. Une bague. Non mais rien que ça. J’aimerais tellement que ce ne soit pas à moi de la lui offrir. Et puis d’ailleurs, merde. Je recommence à écrire en pensée. A qui ? Voilà une question à laquelle je n’ai pas encore répondu. Ma marraine ? Un ami ? A Norelia ? Une fille ? Un prof ? Ça commence à devenir louche. Heureusement que ce n’est pas quelque chose que j’ai crié sur tous les toits. On m’aurait pris pour un délinquant. Surtout à cause de la frénésie dont je fais preuve. Ecrire en pensée fait du bien, même si c’est un peu con. Bon. Je n’ai pas le choix. Autant en finir avec cette bague maudite.

<3

Léo s’approchait d’elle d’un pas raide, exprimant son aversion de la situation. Sélène aussi trouvait ça gênant, d’autant plus qu’elle connaissait chacun des invités personnellement. Cramoisi à cause, supposait-elle, des regards fixés sur eux, Léo la fixa elle dans les yeux.

- Sélène. Tous nos vœux de bonheur et d’amour pour cette journée particulière et pour ta vie future accompagnée de Dieu. Bien à toi.

Léo avait lui aussi appris son discours par cœur, visiblement. Mais un détail perturbait Sélène : il avait prononcé le mot « amour » comme s’il lui avait fait du mal en personne. Pire. Comme si on était en train de l’égorger. Le garçon s’approcha d’elle, paume ouverte sur un écrin identique à celui de sa sœur, à ceci près qu’il était bien plus petit.

En prenant le paquet, elle effleura vaguement de ses doigts la paume de celui qu’elle aimait. Oups. Il avait remarqué son tressaillement. Tant pis. Un coup d’œil dans ses yeux bruns la détourna de ses pensées. Sélène restait obnubilée par son regard, mais cette fois-ci, elle se laissa faire. Elle se laissa submerger par son amour, ce qu’elle avait systématiquement refusé d’admettre avant, pas crainte qu’il ne découvre la vérité. Une vérité qu’elle n’était plus en mesure de dissimuler, désormais.

Elle ouvrit l’écrin, et avant qu’elle puisse observer plus avant la bague qui s’y trouvait, Léo la prit et la passa à son doigt. C’était exactement la bonne grandeur ; la bague ne pouvait pas glisser. Tout semblait parfait : ça ressemblait à un mariage, robe blanche et alliance. Tout semblait parfait… hormis les mots qu’il prononça en chuchotant. Des mots glaçants.

- Sélène, il faut que je te dise quelque chose.

Il n’attendit pas qu’elle opine pour continuer.

- Ce n’est pas une bague offerte avec amour. Au contraire, même. C’est Maman qui voulait que je te la donne. Elle veut… elle t’aime bien, tu sais ? Bon. Comme ça, tu ne te feras pas des idées. De toute façon, ça m’étonnerait que tu m’aimes, n’est-ce pas ?

Cette fois, il attendait une réponse. Avait-elle laissé passer trop de détails qui prouvaient son amour ?

- Non. Tu ne m’intéresses pas.

Quel mensonge ! Le plus gros de son existence. Même si elle avait décidé de lui avouer ses sentiments, sur le moment, elle ne pensait pas que c’était le lieu idéal, devant autant de témoin. Mieux valait attendre, le faire en privé. Et… elle ne se sentait pas prête. Pas tout à fait prête.

Malgré ses mots, Léo n’avait pas l’air de lui en vouloir si par hasard elle l’aimait. Il semblait… neutre. Sélène, même si elle avait été quelque peu refroidie, restait sûre d’elle. Même si la confiance en soi lui manquait souvent, ce n’était pas le cas en ce moment. Elle avait l’impression qu’il lui appartenait. Que le destin les mettrait ensemble, quoi qu’il se passe. Sélène ne doutait pas que Léo l’aimerait un jour. La bague en était la preuve. Il l’aimerait, même s’il ne s’en rendait pas encore compte.

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