Dix - Miroir

Notes de l’auteur : L’ennui, c’est que les humains ont un don pour désirer ce qui leur fait le plus de mal.
Albus Dumbledore (J.K.Rowling)

La pièce était extrêmement obscure mais je ne pus m’empêcher d’approcher… Ce que je vis à l’intérieur du miroir, cela restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Il faisait beau, le ciel était limpide, pas un nuage à l’horizon, pourtant le fond restait froid, presque glacé. Mon regard dérivait sur la baie de Saint-Malo, cet insignifiant fragment de l’Atlantique. Accoudée à la balustrade de mon balcon, le vent me fouettait le visage, faisant virevolter mes longs cheveux couleur de miel qui cascadaient habituellement sur mes épaules. Ma robe blanche tombante, aussi simple que ravissante, me donnait le sentiment d’être une déesse. Le chant des vagues berçant l’air frais me remontait toujours le moral, car à mes oreilles, c’était le bruit le plus doux qui puisse exister. La joie et la nostalgie s’entrelaçaient avec tant de ferveur au fond de moi que même mon cœur semblait incapable de les différencier. Depuis toute petite, je me suis toujours sentie proche de l’océan, et quand je le retrouvais après une longue absence, c’était comme si je retrouvais un vieil ami que je connaissais depuis toujours. Rien ne me faisait plus rêver qu’un coucher de soleil sur la mer durant mon enfance. Pour certains, l’océan demeurait dangereux, imprévisible, ravageur. Mais tous ces mots me brisaient le cœur, car cette beauté irradiant tel les rayons du soleil aurait dû stupéfier le monde entier, et pas uniquement moi.

A mes pieds s’étendaient les hortensias, les roses trémières et les volets bleus si caractéristiques de la Bretagne. Sur ma gauche, la forêt de Brocéliande s’étendait sur des kilomètres. Ses habitants semblaient m’épier : fées, elfes, nains, trolls, gnomes et korrigans mais aussi Arthur, Merlin ou Viviane, ainsi qu’une multitude d’autres créatures.

A l’intérieur de notre adorable maison côtière, nos deux enfants, Agatha et Gaël, se poursuivaient en criant. Ça se comprenait : ils allaient tous les deux, pour la première fois, assister à un fest-noz animé par Trisk, le groupe de leurs parents. Dans sa robe bleue marine à bretelles, Agatha contrastait avec le style nonchalant de Gaël, son grand frère, en jean et tee-shirt rayé. Il avait enfin réussi à dompter ses cheveux en épis de blé. Lui ressemblait à son père, tandis que sa sœur était le portrait craché de sa mère. Réglisse et Christmas se chamaillaient à coups de pattes et de museaux pour s’approprier le panier. Réglisse, un chaton noir, devait son nom à sa couleur, et Christmas, un jeune mais imposant Golden Retriever, avait été recueilli à l’âge de trois mois. Comme chien et chat, l’expression convenait très bien. Au-dessus du piano à queue, les prix reçus pour mes divers livres, et à côté, une étagère remplie de bouquins, débordant presque, renfermaient nos romans préférés, à lui et moi : Le Cycle de l’Héritage, A la Croisée des Mondes, le Seigneur des Anneaux, la Trilogie de la Poussière, les Chroniques de Spiderwick… et bien sûr, la Passe-Miroir.

Enfin, mon âme sœur, l’homme de ma vie, se tenait à deux pas de moi. Si grand qu’il aurait pu caresser les étoiles, cheveux noirs de jais, des yeux d’un brun trop foncé pour être qualifiés de noisettes, n’importe qui aurait pensé à quelqu’un de froid. Mais tout le monde se trompait, car sinon, il n’aurait pas réussi à conquérir mon cœur il y a tant d’années. D’après mes yeux, il était le plus beau, galant, doux, intelligent, gentil, courageux de tout le collège, et j’en passe. Lui m’avait guidée sans le savoir bien plus d’une année. Je l’avais aimé dans l’ombre, sans que personne ne soit au courant.

Jusqu’à cette soirée, par un mois de février d’une froideur ardente, où la chance avait enfin tourné. Durant cette période oscillant entre l’hiver et le printemps, un fest-noz avait lieu chaque année à Lorient, cette grande ville de l’Ouest de la France. Nous y allions à chaque fois avec ma famille, car nous adorions danser. Cette année-là, il tombait pile le 14 février, la Saint-Valentin. Le nombre d’entrées avait battu un record : des grands, des petits, des jeunes, des vieux, des enfants, des adolescents, des jeunes, des amoureux… Ceux-ci en particulier. Tous s’étaient donné rendez-vous là-bas, y compris… sa famille. Lui, ses parents, ses frères. Ce n’était pas une coïncidence du tout, étant donné que le groupe qui animait la soirée n’était autre que… le groupe dans lequel jouait sa marraine ! En effet, celle que mon homme avait surnommée « marraine la bonne fée » jouait de la harpe. Lors d’une valse où cette harpe s’était fait tout particulièrement remarquer, il m’avait invitée à danser. Sans blague. Ça faisait plus d’une année que je rêvais de ce moment si magique à mes yeux. Et il ne m’avait pas invitée à danser pour éviter d’être ridicule à rester planter tel un poireau. Non, il l’avait fait pour m’avouer qu’il m’aimait, qu’il m’avait toujours aimée. Là, j’avais fondu en larmes. De soulagement.

Bref. Maintenant, nous retournions danser au son des vagues et d’une harpe que nous ne connaissions que trop bien… Quinze ans, quinze années qu’il m’avait ouvert son cœur, quinze ans, qu’on s’aimait, à deux.

Ce miroir était indubitablement magique, mais aussi dangereux. Il me montra non seulement mon désir le plus cher, mais aussi comment j’y étais parvenue. Toutes les étapes que j’avais traversées pour arriver à ce point-là de mon histoire, j’en avais conscience. C’était comme si, une fraction de seconde durant, je m’étais retrouvée à la place de la Sélène du miroir. Je ne m’attardai guère ici, car j’entendais des voix provenant du couloir, mais aussi parce que ce miroir avait le pouvoir de me faire sombrer dans la folie. 

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Extrait du carnet créatif de Sélène,

Miroir du Riséd, écrit pour Léo

<3

La semaine de vacances après le baptême passa à une vitesse folle. Sélène commença dès le lundi à faire ses devoirs, surtout un texte du Carnet Créatif que Mme Gasser leur avait demandé d’écrire. Elle prenait goût à l’écriture, même si elle avait toujours détesté ça avant. Petit à petit, mot après mot, Sélène se rendait compte que le fait d’écrire l’aidait à canaliser ses émotions, surtout l’amour. Elle ne parlait jamais à personne de son point de vue, parce qu’au XXIème siècle, l’écriture était réservée aux intellos. Un cliché, bien sûr, mais si elle voulait prendre soin de son apparence, il ne fallait pas qu’elle le crie haut et fort sur les toits.

Mme Gasser leur avait demandé de faire un texte dans lequel ils diraient ce qu’ils verraient dans le Miroir du Riséd, dans Harry Potter. Ils devaient imaginer cette situation, puis répondre à la question, en sachant que ce miroir était capable de vous montrer votre vœu le plus cher. La rédaction devait commencer par : « La pièce était extrêmement obscure, mais je ne pus m’empêcher d’approcher… » Sélène n’avait pas dû réfléchir longtemps pour trouver ce qu’elle voulait de plus au monde. Léo. Son amour était assez puissant pour qu’elle l’assume pleinement, maintenant. Elle regrettait ce qu’elle lui avait dit lors de son baptême, mais elle ne pouvait pas revenir sur le passé.

Les Gavillet partirent deux jours dans la banlieue de Nantes, chez leurs grands-parents. Elle prit son Carnet Créatif avec afin de terminer son texte. Le trajet jusque là-bas durait environ deux heures. Deux heures durant lesquelles Sélène avait eu tout le temps de réfléchir. Et elle avait établi un plan.

Il avait vu le jour alors qu’ils franchissaient un pont. Un peu plus tôt, sa sœur s’était interrogée sur l’expression « de l’eau a coulé sous les ponts » :

- Maman ! Dans mon livre, c’est écrit « de l’eau est passée sous les ponts ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

- C’est une expression qui signifie que du temps s’est écoulé, et que ce n’est plus pareil maintenant. Ça marche ?

- Oui !!! Merci !

Et Maëlys était retournée à sa lecture. Mais il avait fallu à Sélène plus d’une demi-heure pour comprendre ce que cela voulait réellement dire : le temps passait, et elle n’aurait pas toute la vie pour lui dire « je t’aime ». Alors, seule idée sous la main, Sélène s’était dit qu’elle pourrait faire une photocopie de son texte et la lui donner.

Ce fut comme ça que naquit son plan. En cours d’éthique le jeudi matin, elle se trouvait dans sa classe. Elle n’aurait qu’à glisser une enveloppe dans son bureau. Ni vu, ni connu.

C’était la première d’une longue série de bêtise…

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