Chapitre 15, Le Nom

Par Melau

Ils avaient besoin d’aide.

Désormais, Magalie en était consciente.

Son intuition était la bonne, Rice avait quelque chose à voir avec la disparition de Sindy. Parce que désormais, le lieutenant s’en persuadait : il n’y avait pas de meurtre, il n’y en avait jamais eu, et jamais il n’y aurait de risque pour la vie de Sindy. Elle était planquée quelque part, le tout était de découvrir où.

Sur un coin de son carnet, Magalie notait ses idées, ses hypothèses, ses intuitions. Tantôt elle écrivait, tantôt elle rayait. Et si la Terre n’était qu’une fausse piste, encore une fois ? Et si Rice n’était pas réellement le professeur de Sindy mais un maître-chanteur ? Et si… Il y avait beaucoup de possibilités, tous comptes faits. Et avec des « si » on aurait bien refait le monde, non ?

Le lieutenant commençait à prendre conscience de ses erreurs. Non seulement, prendre Richard dans l’équipe n’avait servi à rien : il était un boulet plus qu’autre chose, même Léopold avait plus d’utilité que lui. Ensuite, elle ne s’y était pas prise comme elle l’aurait dû. Désormais, les choses devenaient un peu plus claires dans son esprit. Qu’aurait fait un bon enquêteur à sa place ? Qu’aurait fait Gaston Francis ? Qu’aurait fait son père ? Interroger les amis et la famille, sans laisser le choix de le réponse. La famille, Maggie avait bien tenté le coup. Ils étaient bornés têtus. Leur disque était rayé, entre les « Sindy est morte » et les « Nous sommes certains qu’elle est vivante quelque part », il y avait un problème. En bref, Magalie ne trouverait aucune réponse du côté des Grassier. Le petit-ami ? On pouvait l’oublier aussi. A part suivre son père et obéir au doigt et à l’œil comme un bon toutou à ses ex-futurs beaux-parents, Kyle ne savait rien faire par lui-même. Quelque part, Magalie s’étonnait de la relation entre Kyle et Sindy. Elle jugeait la jeune femme bien plus intelligente que cela.

Et si Kyle n’était qu’une façade ? Et si cette relation était fausse, du moins du point de vue de la princesse ?

Non.

« On avait dit stop avec les « si », grommela le lieutenant. »

Il ne restait donc qu’une seule source d’aide possible : les amis et collègues de Sindy Grassier, toutes ces personnes qui ne se doutaient peut-être même pas de la véritable identité princière de la disparue. Magalie se devait de creuser cette piste. Et si quelqu’un savait quelque chose ? Et si Sindy avait déjà parlé de Kyle ? Ou encore mieux, de Rice ?

Stop avec les « Et si ».

Magalie venait de se décider. Los Angeles n’avait rien donné ? Eh bien tant pis, direction Chicago !

« Eh, Richard ! héla le lieutenant depuis la passerelle du vaisseau, on mange chez vous ce soir ! »

Et ce n’était vraiment pas une question.

 

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« Qui veut des lasagnes ? »

Bizarrement, lorsque Jenna eut posé le plat, aucune voix ne s’éleva pour avoir la première part. Bon. Pour une fois, ce n’était pas cramé, mais ça ne sentait pas franchement bon. De là où il se trouvait, Léopold pouvait même voir les grumeaux de farine dans la béchamel. Il était hors de question d’avaler ne serait-ce qu’une bouchée de cette chose !

« Allez, mon Richie, tu adores ça d’habitude ! »

L’intéressé grimaça. Il n’avait pas le choix, il devait lui faire plaisir. L’homme savait d’ores et déjà ce que sa gentillesse allait lui coûter : une nuit de crampes d’estomac, de nausées, et un mauvais goût qui resterait dans la bouche même s’il se lavait les dents trois fois.

« Bien sûr, et une grosse part. »

Magalie le regarda se sacrifier pour toute l’équipe. Quant à elle, pour éviter de subir les affres de la cuisine de Jenna, elle avait parlé à la femme de son consultant plus tôt dans la soirée. Prétextant avoir ses « problèmes féminins » qui lui coupaient l’appétit, le lieutenant venait de s’offrir la meilleure porte de sortie possible : celle qui donnait sur la vie. Léopold et Grégoire, eux, n’eurent pas sa chance. Jenna leur servit une grosse plâtrée de lasagnes – ou de béton ? – chacun. Elle remplit son assiette en dernier en y mettant une demie-part. Sous le regard inquisiteur de ses hôtes, elle se justifia :

« C’est pour la ligne. Je suis mannequin, vous savez… »

La voix de la femme était bien trop aigüe. Beaucoup trop aigüe. Elle cassait les oreilles, insupportable.

Après le repas, Jenna atteignit le plateau jaune pisse que détestait Richard, cinq tasses, cinq cuillères et le sucrier qui trônait bien au centre. A deux reprises, Jenna faillit renverser le plateau, heureusement les tasses étaient vides. Le café chauffait encore dans la cafetière. Richard tenta bien de lui prendre le plateau des mains, mais elle refusa. Têtue, elle voulait réussir à tout porter jusqu’à la table. Elle finit par y parvenir.

« Assieds-toi. »

Richard ne laissait pas le choix à sa femme. Il ne voulait pas que quiconque fusse ébouillanté. Et puis, aller chercher le café, ça lui permettrait de souffler un bon coup. L’architecte, qui avait enfin pu enfiler des vêtements qui lui appartenaient, sorti sur le perron. A quelques mètres de lui, dans la cuisine, la cafetière faisait son travail. Elle fumait. Richard sorti un paquet de Camel de sa poche. Il en extirpa une cigarette qu’il porta à ses lèvres. Il l’alluma. La fumée emplit ses poumons.

Il se souvint alors de tout ce qui s’était passé ces dernières semaines. Et dire qu’il se trouvait derrière cette porte vitrée, en caleçon avec un vieux t-shirt, lorsque le vaisseau s’était posé dans le jardin. La chaise en plastique renversée l’attestait d’ailleurs. Jenna ne l’avait pas redressée, et Richard n’eût pas la volonté de se déplacer jusqu’à l’autre bout de leur petit terrain. La chaise attendrait le lendemain. Ou le mois suivant. Ou lorsque ses enfants joueraient là. L’architecte ricana à cette simple idée : des enfants ? Avec Jenna ? Et puis quoi encore, le Père Noël en été ? La chaise resterait là un bon moment, ça, il pouvait le jurer.

La cafetière arrêta de fumer. Richard écrasa le mégot de sa cigarette sous sa semelle, dans l’herbe bien trop haute. Depuis combien de temps n’avait-il pas tondu la pelouse ? Sans y réfléchir plus que cela, Richard rentra dans la maison, laissant derrière lui la chaise en plastique et les souvenirs. Il arracha la cafetière de son socle et l’amena à table. Il servit patiemment tout le monde, Jenna, Grégoire, Léopold, lui-même. Il ne restait plus que Magalie. Richard prit la dernière tasse, la remplit à ras-bord de café et la posa devant le lieutenant. Ensuite, il saisit la pince à sucre, souleva le couvercle bleu et blanc orné de fleurs rouges du sucrier, et attrapa deux morceaux blancs. Il plongea le premier directement dans la tasse de Maggie puis déposa le second sur la cuillère à côté. Personne n’y fit attention. Le lieutenant remercia Richard.

Chacun but son café dans le silence. Ils étaient tous fatigués. La journée avait été longue, le repas difficile à avaler, il était grand temps de dormir.

 

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Les rideaux en cotonnade blanche filtraient les premiers rayons du soleil. Les gazouillements tendres des oiseaux caressaient l’oreille de Magalie. Les draps étaient doux, chauds, confortables. Elle serait bien restée encore des heures au fond du lit. La chambre était douillette. La décoration se faisait vieillotte et la pièce sentait un peu le renfermé, mais en dehors de cela on n’était pas loin du palace. En tous cas, c’était toujours mieux qu’un minuscule appartement qui flottait au beau milieu de l’espace. L’espace d’une nuit, et pour la première fois depuis bien longtemps, Magalie avait bien dormi. Pas de sensation d’étouffement, pas d’impression de chute continuelle, non, pas de doute : elle se trouvait dans une véritable maison de banlieue sur Terre. Depuis combien d’années n’avait-elle pas posé les pieds sur sa planète natale ? Bien trop, manifestement.

La jeune femme sortit les jambes du lit. Ses doigts de pieds s’enfoncèrent dans la moquette bleue pâle, délavée à cause du soleil. Une fois debout, un peignoir serré autour de la taille, elle s’approcha de la fenêtre. Elle ne se souvenait pas l’avoir entrouverte au soir, la brise chatouillait pourtant ses jambes dénudées. Elle hésita un moment avant d’ouvrir totalement le battant. Le soleil lui réchauffait le visage, ses cheveux virevoltaient dans son dos. Magalie les attacha en une tresse rapide. Son regard se portait sur l’extérieur. Là, dans le jardin, une table avait été installées. Les chaises étaient toutes rassemblées, sur leurs quatre pieds. Des effluves de pancakes et de confiture montaient jusqu’aux narines de la jeune femme. Son estomac grogna. Visiblement, ce n’était pas Jenna qui avait cuisiné, et tant mieux : Maggie avait une véritable faim de loup ! Alors, après avoir enfilé un pantalon de flanelle et une paire de pantoufles, Magalie sortit de sa chambre. Elle descendit quelques volées de marches. En un clin d’œil, elle se retrouva assise sur une chaise de jardin devant une immense assiettes de pancakes surmontés d’un gros filet de sirop d’érable.

« Tenez lieutenant. »

Magalie releva la tête vers Richard. Elle attrapa volontiers la bombe de chantilly qu’il lui tendait. Elle en aspergea le dessus de son assiette jusqu’à dissimulation complète des pancakes. Richard, qui avait bien caché ses talents de cuisinier et qui venait à l’instant de finir une fournées de cookies à la demande de Léopold, posa une tasse de café et deux sucres devant Magalie. Elle le remercia d’un mouvement de la tête.

Les deux garçons qui avaient dormi dans le vaisseau apparurent sur le pas de la porte. Personne ne demanda où se trouvait Jenna, devinant qu’elle était certainement partie au travail ou qu’elle restait enfermée dans la chambre conjugale. Magalie ne fit pas non plus de remarque sur les bruits étouffés qui l’avaient réveillée au milieu de la nuit. Etait-ce pour cela qu’elle avait ouvert la fenêtre ? Elle avait certainement préféré le bruit du vent entre les branches aux gémissements impromptus de Jenna.

Ils dévorèrent en silence le petit-déjeuner préparé par l’architecte. Vers onze heures, une fois que tout le monde fut prêt, Richard emmena la petite équipe dans son endroit préféré sur Terre : la T&RCorporation. S’il y avait quelqu’un qui se souviendrait de Sindy, ce serait bien Tristan. Pour l’occasion, Richard revêtit son blouson de cuir. Il y rangea un paquet de Camel et, clé en main, se dirigea vers sa voiture, un bon vieux 4x4 d’une grosse marque, signe d’un homme qui préférait dépenser tout son fric dans une bagnole que dans un voyage avec son épouse – ou quoi que ce fut concernant son épouse, par ailleurs.

 

Les locaux de la T&RCorporation se trouvaient dans un building en forme d’obus, référence à une époque bien lointaine. Il semblait être entièrement en verre fumé, l’acier qui le retenait jouait à cache-cache. Le soleil frappait le bâtiment. Il en devenait éblouissant. Et dire que cette aventure avait débuté dans une vieille cabane, quatre planches servaient de murs, murs branlants, porte grinçante… Richard sourit à ce souvenir. Il fit se réunir ses nouveaux amis au bas de la tour. Fier du bâtiment qu’il avait imaginé avec Tristan, Richie expliqua de long en large l’histoire de cet endroit. Il apprit au lieutenant qu’il n’avait pas toujours été si riche. En débutant ses études, il était réservé, ne criant pas haut et fort ses origines de classe moyenne. Aujourd’hui, il ne s’en souciait plus. Son statut social ne le définissait pas, même si beaucoup pensaient toujours ainsi.

« En réalité, si nous avons choisi la forme d’obus, cette forme en pointe, pratiquement comme une fusée, c’est pour une raison toute simple, expliqua Richard. Nous voulions un bâtiment qui nous représente, qui représente nos origines et tout ce que nous avions dû traverser avant d’en arriver là. L’obus, c’était pour montrer que nous avions dû nous battre. Le verre, c’était pour montrer qu’à tout instant nos rêves peuvent se briser. L’acier, finalement, représente notre relation avec Tristan : quoi qu’il arrive, nous serons liés par ce combat face au monde qui nous a conduit à devenir des architectes de renom. »

Personne ne pipa mot suite à ce discours. Richard haussa les épaules. Sa veste en cuir posée nonchalamment sur son épaule, sa chemise entrouverte au troisième bouton laissait entrevoir le torse velu, couleur poivre et sel, comme ses cheveux en bataille. Les yeux de Magalie se perdirent un instant sur la peau légèrement halée qu’elle entrapercevait alors. Richie remarqua bien le regard du lieutenant, il ne dit rien. Il lui fit simplement un sourire carnassier, les lunettes de soleil redescendues sur son nez. Ils entrèrent.

A l’accueil, une jeune femme habillée d’un tailleur chic bleu marine les accueillit. Ses cheveux attachés en une haute queue de cheval blonde fouettaient l’air à chacun de ses pas. Elle s’exclama :

« Monsieur MacHolland, bonjour ! »

Richard ignora l’hôtesse d’accueil bien cordialement,  lui tendit sa veste sans un regard. Il fit signe à sa petite troupe de le suivre. Du haut de ses vingt-huit étages, la T&RCorporation était l’un des cabinet d’architecture les plus grands de toute la galaxie. Richard en était fier, même s’il ne l’avouait pas. Ils prirent l’ascenseur et furent emmenés tout en haut de la tour à une vitesse phénoménale. Les parois en verre laissaient voir tout ce qui se passait dans la tour. Magalie sentit la nausée monter. Elle s’accrocha tant bien que mal à la barre de sécurité et ferma les yeux. Léopold était comme un gamin dans un parc d’attraction. Il tenait la manche de Grégoire et tirait dessus à chaque fois qu’il voyait quelque chose – soit toutes les secondes. Ce fut à peine si, une fois arrivés à destination, le brigadier ne redemanda pas à faire un tour.

Tout en haut, il n’y avait que deux bureaux dans un espace immense. Les murs qui séparaient les deux pièces étaient en verre, on pouvait tout voir. Richard expliqua, en sortant de l’ascenseur, que les autres étages n’étaient que des openspace. Ils souhaitaient privilégier la bonne cohésion du groupe à une intimité toute relative au travail. Cette partie de la tour était bien différente, donc. Les patrons s’étaient accordé ce privilège d’être tout en haut. Magalie se fit la réflexion que la vue, d’ici, devait être à couper le souffle.

Alors qu’ils n’avaient fait que quelques pas sur le parquet sombre, un homme s’avança vers eux. Un immense sourire lui mangeait le visage. Il était un peu plus petit que Richard et assez rondouillet. De petites lunettes bleues protégeaient ses yeux verts.

« Richard !

- Tristan ! répondit l’autre, sur le même ton. »

Les deux hommes se prirent dans les bras. Une fois séparé de son ami, mais le tenant toujours par les épaules, Richard se retourna vers Magalie, Léopold et Grégoire qui attendaient toujours dans l’entrée.

« Je vous présente mon ami et collaborateur Tristan ! Le fameux « T » de T&RCorporation !

- Ravie de vous rencontrer, Tristan, fit Magalie en s’avançant vers le rouquin. Je suis le lieutenant Magalie Pierce.

- C’est donc vous qui m’avez enlevé Richie !

- Je m’avoue coupable, c’est bien vrai.

- Vous êtes toute pardonnée lieutenant. Je suis enchanté également de faire votre rencontre. »

Les présentations ne s’éternisèrent pas. Richard était bien trop pressé. Et Maggie aussi.

Les bureaux des deux hommes occupaient la moitié droite de l’étage. La moitié gauche était également divisée en deux : d’un côté, une salle de réunion – qui, visiblement, n’était pas beaucoup utilisée à en croire la couche de poussière recouvrant la table – et un espace de discussion. Richard les emmena donc vers ce dernier endroit. Il s’agissait pratiquement d’un petit salon. Magalie et Léopold s’assirent sur un canapé en velours vert foncé posé dans la diagonale de la pièce. Les deux architectes prirent place dans deux fauteuil. L’un était en cuir caramel tandis que le second était une sorte de grosse bulle transparente avec deux coussins jaunes. Grégoire, lui, resta debout à observer l’extérieur par la baie vitrée.

« Ecoute, Tristan, le lieutenant aurait quelques questions à te poser, commença Richard, puis, voyant le regard intrigué de son ami, il enchaina. C’est à propos d’une jeune femme qui travaillait ici, en stage. Je ne me souviens pas d’elle, je ne t’apprends rien. Le lieutenant et moi-même espérons que toi, tu te souviendras de quelque chose la concernant. »

Pour toute réponse, Tristan hocha la tête. Richie fit signe à Magalie. Elle pouvait lui poser ses questions. Elle ouvrit la sacoche qu’elle trimballait partout avec elle et en extirpa un porte-document. Le lieutenant posa deux photos sur la table basse qui opposait le canapé aux fauteuils. Sur la première, on y voyait Sindy dans ses habits princiers. Une longue robe pourpre l’habillait. Elle était coiffée de son diadème argenté. Sur la seconde, la jeune fille affichait un grand sourire. Ses cheveux n’avaient pas encore été teintés de violet. La photo datait de son arrivée sur Terre. On la voyait debout, devant un immense bâtiment. Elle portait un t-shirt aux couleurs de sa faculté, un jean troué aux genoux et une paire de Converses montantes zébrées. Une casquette aplatissait sa chevelure.

« La reconnaissez-vous ?

- Je ne suis pas sûr. Qui est-elle ?

- Sindy Grassier. Elle est l’héritière du trône martien. Ses parents sont à sa recherche. Nous n’avons pas réussi à la retrouver sur sa planète d’origine et sa famille a été incapable de nous aider. La Terre est notre dernière chance.

- Que pensez-vous qu’il lui soit arrivé ?

- Honnêtement, Tristan, nous n’en avons aucune idée.

- Et vous dîtes que je devrais la reconnaître ?

- Oui. Elle faisait un stage ici, dans votre entreprise. Elle était étudiante en architecture.

- Je suis désolé, je…

- Tristan, le coupa Richard. Concentre-toi. Je sais que tu vas te souvenir d’elle. Des cheveux violets, d’une taille moyenne.

- Violets, tu dis ? Hum. Oui, je crois que je me souviens d’elle. Attendez un instant. »

Tristan se leva et se dirigea vers son bureau. Il en sortit quelques instants plus tard, une pochette dans la main droite. Il l’ouvrit tout en s’asseyant dans son fauteuil. Il tourna les pages jusqu’à trouver ce qu’il cherchait.

« Voilà ! »

Il montra à Richard la feuille. Ce dernier hocha la tête. Magalie les observa sans comprendre.

« De quoi s’agit-il ?

- Eh bien, lieutenant, je garde ici les fiches personnelles de tous nos stagiaires méritants. Celle que vous appelez Sindy faisait partie de ceux-là. Elle avait beaucoup de potentiel.

- Pardon, pourquoi « celle que j’appelle Sindy » ?

- Personnellement, je ne la connaissais pas sous ce nom. Regardez par vous-même. »

Tristan lui tendit la feuille. Magalie l’attrapa sans perdre un instant. En haut à droite, il y avait une photo en noir et blanc de la jeune femme. Aucun doute, à ces yeux un peu trop écartés, à ce nez long et fin, à cette bouche minuscule, on ne pouvait que reconnaître que Sindy. Or, en lisant les informations données par la jeune femme, Magalie fronça les sourcils.

« Je dois avouer que ça explique pourquoi vous ne la reconnaissiez pas, Richard. Elle a beaucoup changé. Et ce nom… »

Richard haussa les épaules. Après un dernier regard sur la feuille, Magalie la rangea dans son porte-document. Elle se leva, mit sa sacoche en bandoulière et remercia Tristan pour son aide. Elle lui promit de tout faire pour lui ramener ce petit prodige de l’architecture, mais cette fois-ci sous son véritable nom.

« Je serai ravi de rencontrer Sindy, donc. »

Lorsqu’ils furent de retour dans la voiture de Richard, Magalie n’hésita pas bien longtemps quant à la suite des évènements. Elle se tourna vers les garçons. Léopold et Grégoire se trouvaient à l’arrière.

« Richard va vous déposer devant l’appartement de Sindy. Une équipe est déjà passée, mais désormais vous cherchez tous les papiers qui sont à ce nom, fit-elle en leur montrant la feuille. C’est d’accord ?

- Bien sûr lieutenant.

- Parfait.

- Et nous ? demanda Richard. Je suppose que nous n’allons pas rester à les attendre sans rien faire.

- Non, effectivement. Nous allons faire un petit tour à l’université. Vous y avez-vous-même fait vos études, non ? Vous devriez donc nous permettre plus facilement de rencontrer la doyenne. »

Richard se révéla être l’homme de la situation une fois qu’ils furent arrivés à destination. L’immeuble dans lequel vivait Sindy n’était qu’à trois minutes en voiture de l’université. A peine Richard eût-il mis un pied dehors que, déjà, un attroupement se formait autour de lui. Des adolescentes aux jupes bien courtes se collaient à lui et lui donnaient de petits bouts de papiers sur lesquels leur numéro de téléphone était inscrit. Sûrement espéraient-elles obtenir un stage de cette manière… Richard les écarta tant bien que mal. Il promit de les recontacter plus tard, chacune. Quelques mètres plus loin, il balança les morceaux de papier dans une poubelle. Magalie, qui s’était tournée vers le petit groupe les suivant de loin, vit une brunette manquer de s’évanouir en voyant cela. Le lieutenant ne put retenir un rire.

« Vous êtes une véritable star ici, Richard.

- Parfois, je m’en passerai bien, avoua l’architecte. Mais bon, ce n’est pas désagréable non plus. »

L’homme faisait directement référence aux poitrines gonflées comme des fruits bien mûrs qui s’étaient collées à lui quelques minutes plus tôt. Magalie secoua la tête. Richard resterait Richard, c’était certain.

A l’entrée du bâtiment, Richard ne prit pas la peine de demander son chemin. L’endroit ne pouvait pas avoir tant changé que cela en quinze ans. Il emmena donc Magalie à peine de souvenirs jusqu’au secrétariat principal, là où se trouvait le bureau de la doyenne. Un homme au crâne dégarni les accueillit.

« Bienvenue. Avez-vous rendez-vous avec Madame la Doyenne Mirton ?

- Nous n’a…

- Vous ne me reconnaissez pas ? demanda Richard, coupant la parole à Magalie. Je pense que la Doyenne Mirton sera au contraire bien contente qu’une personne telle que moi se décide à rendre une petite visite à son université.

- Je… Je… Si bien sûr, je me souviens de vous, monsieur…

- MacHolland. Par pitié, arrêtez de patiner dans la semoule comme ça. Vous êtes ridicule. Mirton est-elle présente ?

- Euh… je… Oui. Oui, elle est dans son bureau. Je vais juste l’avertir que…

- Pas la peine. »

Sans remercier son interlocuteur, Richard contourna le bureau d’accueil. Il tapa du poing deux coups secs sur la porte, juste en-dessous de la plaque dorée sur laquelle on lisait, en lettre noires : « Doyenne Elena Mirton ». Une petite femme leur ouvrit la porte. Elle ne paraissait pas étonnée de voir un lieutenant de la police interstellaire accompagné de l’architecte Richard MacHolland à la porte de son bureau. Ses cheveux gris étaient coiffés en un haut chignon rond sur le haut de son crâne. Une paire de lunettes rondes pendouillaient sur sa poitrine. Sans même leur demander ce qu’ils voulaient, Mirton leur fit signe d’entrer. Magalie ferma la porte derrière elle. Personne n’eut ne serait-ce qu’un malheureux regard en direction de l’homme bientôt chauve…

Les minuscules talons des chaussures de la doyenne résonnaient sur le carrelage. Elle se déplaçait lentement, le dos arqué, penchée vers l’avant sans s’en rendre compte, probablement. Elle prit place dans son fauteuil en faisant signe à ses visiteurs de s’asseoir face à elle. Les chaises n’étaient pas confortables, mais Magalie s’en fichait un peu. Richard, lui, imaginait milles et une façon de modifier l’allure du bâtiment pour le rendre plus moderne. Il méritait une bonne rénovation !

« Monsieur MacHolland, je suis ravie de vous voir. Que me vaut l’honneur de cette visite ?

- Vous vous connaissez déjà ? demanda le lieutenant.

- Bien sûr. J’étais déjà en poste quand il a été conçu ! Ses parents ont fait leurs études ici même. A ce propos, comment se porte votre mère ?

- Très bien.

- Vous lui passerez donc le bonjour !

- Bien sûr, madame la Doyenne.

- Pardonnez-moi d’interrompre ce moment, glissa Maggie, mais nous ne sommes pas ici pour parler famille.

- Evidemment, mademoiselle ! Oh, fit Mirton après avoir plissé les yeux, excusez-moi. Lieutenant Pierce.

- Aucun souci. Nous sommes à la recherche d’une étudiante de votre université et…

- Vous n’êtes plus dans l’architecture Richard ? C’est bien dommage.

- Je suis toujours à la tête de la T&RCorporation, madame. Je suis simplement consultant sur l’enquête du lieutenant Pierce. La jeune femme effectuait son stage chez nous.

- Oh ! Me voilà rassurée.

- Ecoutez, madame Mirton…

- Madame la Doyenne, corrigea l’autre. »

Magalie soupira. Quelle était cette manie de toujours la corriger lorsqu’elle parlait ? Cette bonne femme lui faisait penser à Opalina Grassier – et ce n’était pas du tout un compliment.

« Madame la Doyenne, donc, reprit-elle fermement. Pourriez-vous nous fournir les informations que vous détenez à propos de cette étudiante ?

- Que souhaitez-vous savoir ?

- Tout. Ses options, ses cours, si elle faisait partie d’une association, où elle a fait ses anciens stages. Je veux tout avoir. Elle a disparu depuis plusieurs semaines maintenant, j’ai peur de ne plus avoir beaucoup de temps pour la retrouver vivante.

- Les statistiques sont bien contre vous alors, lieutenant.

- Là n’est pas la question. Je vous prie de me fournir le dossier de Sindy Grassier. »

Mirton soupira. Elle mit ses petites lunettes sur son nez tout aplati et tapota sur son clavier avec ses gros doigts bouffis. Après quelques minutes de recherche et beaucoup de soupirs, la Doyenne finit par hausser les épaules.

« Je n’ai aucune étudiante inscrite à ce nom dans toute l’université. Encore moins en deuxième cycle d’architecture.

- Essayez donc avec ce nom. »

Magalie tendit la feuille subtilisée à Tristan en direction de la Doyenne. Celle-ci effectua une nouvelle recherche sans broncher. Quelques clics plus tard et des talons cliquetant sur le carrelage, Mirton ramena un dossier bien épais. Elle le posa devant le lieutenant qui la remercia.

Richard et Magalie quittèrent la Doyenne Mirton et quittèrent l’université. Une fois de retour dans la voiture, Magalie ouvrit le dossier.

Sur la première page était inscrit le nom de l’étudiante.

Un nouveau nom pour une nouvelle vie, visiblement. Elle pouvait se trouver n’importe où désormais.

 

Mais où es-tu, Sindy Grassier ? Ou plutôt, devrais-je t’appeler Luna Peyton ? As-tu d’autres secrets ? Un autre nom ?

Qui es-tu ?

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haroldthelord
Posté le 03/06/2021
Salut tu nous as fait encore un très bon chapitre mais rien n’est parfait alors voilà quelques petites observations :
Coquille : de la réponse au lieu de le réponse paragraphe 1.
Magalie sent la nausée montée à cause d’un ascenseur mais tout va bien dans un vaisseau spatiale, ça n’est pas logique.
Ta doyenne a plus de cent ans et elle continue de bosser, elle connaît pas la retraite je veux bien qu'elle soit là pour les études de MacHolland mais pas aussi pour ses parents.
A très bientôt.
Melau
Posté le 03/06/2021
Salut ! Merci pour ton commentaire !
Je vais rapidement corriger la coquille, merci ! Pour les deux autres indications je le savais pertinemment en postant le chapitre je t’avoue ! Ce seront des petites choses à corriger en réécriture :)
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