Chapitre 16, Les Amis

Par Melau

Alors que les étudiants quittaient les salles de classe, Magalie et Richard campaient devant une porte. Ils se firent bousculer à plusieurs reprises, eurent à peine le droit à des excuses. Bientôt, le calme se fit dans les couloirs. Le professeur après qui ils attendaient faisait visiblement des heures supplémentaires.

« Quelqu’un devrait lui dire qu’il ne sera pas payé plus pour autant, fit remarquer Richard. »

Au même moment, la porte s’ouvrit et Richard manqua de se prendre un étudiant faisant bien une tête de plus que lui qui sortait de la salle. Magalie empêcha le garçon de partir. Elle fit rentrer tout le monde dans la salle. En réalité, ce ne fut pas bien compliqué : encore une fois, ils étaient tous admiratifs devant la personne de Richard. L’architecte s’avança au-devant de la classe. Magalie le laissa se mettre en avant. Lui, il serait écouté.

Le professeur haussait les sourcils d’étonnement depuis qu’ils étaient entrés. Maggie s’avança vers lui et lui glissa quelques mots alors que l’architecte se présentait à la classe.

« Écoutez, je suis le Lieutenant Pierce de la police interstellaire. J’enquête actuellement sur une étudiante qui suivait vos cours. Je vais vous demander de me fournir votre relevé d’assiduité des étudiants. Nous allons désormais simplement poser quelques questions à la classe. »

De son côté, Richard était harcelé de questions. Il n’avait même pas encore évoqué la raison de leur présence dans cette salle de classe. Magalie vint alors se mettre aux côtés de l’architecte. Elle se racla la gorge. Visiblement, l’insigne reluisant sur sa poitrine fit taire les jeunes gens.

Ils étaient une vingtaine dans la classe, sur vingt-sept inscrits. La plupart d’entre eux étaient des garçons. Magalie n’était nullement impressionnée : malgré l’ouverture des forces de l’ordre aux femmes, elles n’avaient été que deux à passer le concours la même année que Maggie. Sur les trois, le lieutenant Pierce était la seule à avoir persévéré et à être restée dans le métier. Ces étudiantes qui s’installaient souvent à l’avant de la classe, au pire dans les rangs médians, n’étaient pas si différentes qu’elle. Toutes se battaient pour obtenir une place dans un milieu essentiellement masculin depuis la nuit des temps. Le lieutenant comprit qu’elle devait s’adresser à ces jeunes filles en particulier. De toute manière, les garçons de cet âge-là étaient parfois encore trop immatures… Beaucoup refuseraient de répondre, une grande partie ne se souviendrait pas de Sindy-Luna.

Ils étaient tous attentifs.

« Je suis le Lieutenant Magalie Pierce. Je travaille dans la police interstellaire, se présenta-t-elle. Monsieur MacHolland que vous connaissiez déjà certainement est mon consultant particulier sur mon affaire. »

Un étudiant au fond de la classe leva le bras. C’était le garçon qui avait failli percuter Richard. Magalie lui laissa la parole.

« Oui ?

- Quelle est votre affaire ? En quoi des jeunes peuvent vous aider ? Vous enquêtez sur la manière dont les architectes font de plus en plus de la merde ? »

Piqué au vif par cette remarque, Richard s’avança. Il ouvrit la bouche pour parler, mais Magalie l’en empêcha d’un mouvement sec de la main. L’architecte la regarda, étonné de cette autorité si soudaine.

« Écoutez, monsieur … ?

- Ferri. Paul.

- Bien, monsieur Ferri. Comme je le disais avant que vous ne m’interrompiez, je suis Lieutenant de la police interstellaire et je travaille sur une grosse affaire. Ainsi, si vous reprenez ainsi la parole de la sorte, je serai en droit de vous arrêter pour obstruction à l’enquête. Vous ne voudriez pas avoir un casier judiciaire de la sorte, n’est-ce pas ? »

Un mouvement de la tête de l’étudiant et des railleries de ses voisins de table indiquèrent à Magalie qu’elle pouvait reprendre là où elle en était avant interruption.

« Donc, fit-elle le plus fermement possible. Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce qu’une étudiante suivant cette option, et qui suivait une grande partie de ses cours avec plusieurs d’entre vous, a disparu. Tenez, faites passer la photo dans les rangs s’il vous plaît, monsieur. »

Pierce tendit le portrait de Sindy au jeune qui se trouvait face à elle.

« Nous sommes donc à la recherche de Sindy Grassier. Il s’agit de la princesse martienne, future héritière du trône. Nous devons absolument la retrouver et vous, vous tous, pouvez nous y aider. Vous la connaissez certainement sous le nom de Luna Peyton.

- Luna, vous dites ? demanda une étudiante au troisième rang. »

Le lieutenant acquiesça. Richard demanda :

« Vous la connaissiez ?

- Oui, enfin je crois. Est-ce que je peux avoir la photo ? demanda l’étudiante qui l’obtint par ses camarades quelques secondes plus tard. »

Le portrait de la disparue semble alors redonner mémoire à l’étudiante du nom de Maïwenn.

« Je ne la connais pas beaucoup, mais nous suivions nos cours de spécialité ensemble. Je… J’avoue que je n’avais même pas remarqué ses absences…

- Il n’y a rien de grave à cela, mademoiselle. Sauriez-vous avec qui elle était amie ? Ou si elle voyait quelqu’un en dehors des cours ?

- Non, je suis désolée. Je ne la connais pas vraiment… Vous pensez qu’elle est toujours en vie ? Elle a disparu depuis longtemps non ?

- Nous faisons tout notre possible pour retrouver mademoiselle Grassier, répondit sobrement le lieutenant. Quelqu’un d’autre se souvient de quelque chose ? »

Les étudiants gardèrent le silence. Maïwenn baissa la tête. Personne n’avait plus rien à dire. Magalie récupéra une photocopie du relevé de présences tenu par le professeur tandis que Richard signait quelques autographes et prenait des CV. Une grande partie des étudiants avait alors quitté les locaux.

« Luna, ou Sindy, peu importe son nom, amorça le professeur avant de partir à son tour, était une étudiante brillante. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé.

- Nous l’espérons également. Merci de votre coopération, ajouta Magalie. »

Le professeur hocha la tête et s’éclipsa à l’autre bout du couloir. Une fois les derniers étudiants disparus, Richard rejoignit Magalie qui l’attendait à l’entrée de la classe. Elle relisait le dossier de Sindy.

« « Brillante », c’est un mot faible pour décrire ses capacités, releva-t-elle. Elle est incroyable. Regardez-moi ça Richard, pas une seule note en dessous de 16 depuis son arrivée en premier cycle. Elle aurait obtenu son diplôme avec les félicitations si elle avait continué ainsi… À ce rythme-là, elle ne terminera jamais ses études, réalisa le lieutenant.

- Ce n’est pas notre problème, fit remarquer Richard.

- Non, vous avez raison, mais…

- Mais le fait que nous n’avançons quasiment pas vous inquiète, c’est cela ? »

Magalie fit signe que « oui ». Elle soupira.

« Nous ne savons rien de son enlèvement pour l’instant. Ni même s’il s’agit d’un enlèvement, d’ailleurs. Parlons donc de la disparition de cette jeune femme qui souhaitait brouiller les pistes la reliant à sa famille. N’est-ce pas là quelque chose à creuser ? Et puis, vous vous souvenez de ce mot de ce Harold ? Il doit avoir un lien avec tout cela, n’est-ce pas ?

- Oui, je sais bien, Richard.

- N’abandonnez pas maintenant, les Grassier comptent sur vous. Je… Richard soupira. Je compte sur vous. Tristan aussi, ajouta-t-il bien vite, et tous les professeurs de Sindy. »

Magalie haussa les épaules. Encore un flop, aujourd’hui, pour changer. Étonnant. Elle décida de changer de sujet :

« Léopold et Grégoire doivent nous attendre.

- D’ailleurs, lieutenant, pourquoi Grégoire nous suit comme ça ? »

La remarque eut l’effet escompté : un léger sourire du lieutenant, une absence de réponse. Richard entraîna Magalie à l’extérieur. La nuit tombait.

« Un verre, ça vous dit ?

- Par pitié, oui ! »

Et ça tombait bien : Richard connaissait l’endroit parfait pour ça.

Ainsi, après avoir récupéré le brigadier et le pilote du vaisseau, le petit groupe prit la route en direction du bar favori de Richard. Les fins de journées à Chicago étant synonyme de bouchons interminables, ils mirent près d’une heure à faire le petit kilomètre qui les séparait du bar depuis l’appartement de Sindy. Même Léopold finit par ronchonner :

« On aurait peut-être dû y aller à pied. Est-ce qu’on va arriver un jour au moins ? »

Mais l’architecte ne se laissa pas atteindre. Il était certain que tout le monde apprécierait le bar.

« Vous devriez peut-être inviter Jenna à se joindre à nous ? demanda Magalie par pur respect.

- Ouais. Peut-être. »

En clair, c’était absolument hors de question.

Le bar était bondé. On était jeudi soir. Des petits groupes d’étudiants, gobelet rempli de bière à la main, se formaient sur les trottoirs et à l’intérieur. Quelques trentenaires célibataires sortant du boulot venaient ici se détendre. Personne ne les attendait à la maison. Il devait bien y avoir un ou deux mecs comme Richard qui traînait, mais ils ne se montraient pas.

L’intérieur était sobre, tout en bois, pas très grand. Le bar prenait place dans la longueur du bâtiment. De petites guirlandes de lumières étaient accrochées sur les murs, et quelques spots éclairaient le sol. L’endroit était plutôt sombre. Ici, pas de banquettes. Des tables et des tabourets en bois étaient dispersés dans toute la salle. Il devait y avoir une petite trentaine de places assises, sans compter la dizaine de sièges faisant face au bar. À l’extérieur, sur le trottoir, une terrasse éphémère apparaissait à l’été. Elle avait été retirée quelques semaines auparavant.

L’un des barmans de service ce soir reconnut l’architecte. Il l’accueillit.

« Yoooo ! Richie ! Ca faisait un bail qu’on t’avait pas vu dans le coin !

- Salut Mitch ! On s’installe à une table. »

La discussion entre les deux hommes ne s’étala pas. Richard n’avait qu’une hâte : faire goûter au lieutenant le merveilleux rhum qu’on servait ici. Alors, comme il venait de le dire, Richie se fraya un chemin à travers les groupes de jeunes, les dragueurs et les dragués, jusqu’à trouver une table de libre. Ils prirent tous les quatre place autour. Grégoire fut obligé d’aider Léopold à s’installer. Le benêt n’arrivait pas à lever son cul suffisamment haut pour s’asseoir.

« Bon ! Qu’est-ce qu’on boit ? demanda Richard, prêt à prendre les commandes de chacun.

- Tu nous conseilles quoi ? demanda Grégoire, réveillé par l’appel de la cuite à venir.

- Rhum, pardi !

- Alors va pour un rhum, accepta le pilote.

- Deux, parvint à dire Léopold entre deux respirations sifflantes.

- Et vous, lieutenant ? Un rhum aussi ?

- Eh bien, pourquoi pas, oui ?

- Parfait ! Quatre rhums pour la flicaille ! »

Alors que Richard partait chercher les commandes, que Magalie se perdait dans ses pensées et que le brigadier peinait à reprendre son souffle, Grégoire décida de se balade un peu. Bloqué toute la journée avec Léopold ou assis dans le vaisseau, il n’avait pas eu beaucoup l’occasion de se dégourdir les jambes. Il se leva et déambula dans la salle. Il passa à côté de deux hommes qui se bécotaient dans un coin puis derrière Richard qui discutait avec Mitch le barman. Finalement, Grégoire sortit prendre l’air. Une fois dehors, il s’arrêta un instant. Le ciel était noir, mais scintillait par toutes les étoiles qui le parsemaient. C’était bien différent, dans l’espace. D’ici, Greg se sentait minuscule. De là-haut, il avait un sentiment de toute-puissance. Une envie de fumer le pris à la gorge. Lui qui ne s’en grillait une que les jours d’inspection, il supposa que le fait d’être sur Terre était une grande source de stress. Quelque part, il comprenait mieux pourquoi tant de personnes, surtout tant de jeunes, fumaient et buvaient plus que ceux qui vivaient dans l’espace. Sur Terre, ils n’étaient que de minuscules fourmis que l’on pouvait écraser avec le pied.

Grégoire marcha un peu dans la rue. Un groupe de trentenaires s’était formé à quelques mètres de l’entrée. Certains fumaient de bonnes cigarettes – à en juger l’odeur. Le pilote s’avança vers eux. Il osa :

« Excusez-moi de vous déranger, est-ce que l’un d’entre vous aurait une cigarette à me dépanner ?

- Bien sûr ! Tiens, fit un homme aux cheveux noirs de jais en lui tendant une roulée. Tu veux te joindre à nous ? »

Grégoire remercia l’homme et déclina sa proposition, ayant ses amis à rejoindre à l’intérieur. Il ne partit cependant pas tout de suite, récupérant avant tout le numéro de téléphone de monsieur-aux-cheveux-plus-noirs-que-la-nuit et d’avoir salué ses amis. En se retournant, Grégoire manqua de bousculer un couple. Il s’excusa. L’homme lui fit un signe de main, montrant que ce n’était rien de grave, et entraîna sa conquête aux cheveux colorés jusqu’à un taxi.

Lorsqu’il revint à table, Léopold sifflait-soufflait encore, et Magalie regardait toujours dans le vague. Richard, lui, revenait à peine avec un plateau. Chacun prit son verre. Dans le sien, Richard ajouta trois glaçons. Léopold l’imita, ainsi que Grégoire. Maggie, qui venait seulement de revenir à elle, n’en fit rien. Richard leva son verre.

« À nous !

- À nous ! reprirent les trois autres en chœur, sans trop savoir ce à quoi Richard faisait référence. Au flop de leur enquête ? À la probable mort de Sindy par leur faute ? Au futur chômage de Magalie Pierce ?

- Eh ! Doucement lieutenant. »

Maggie venait d’avaler la moitié de son verre en une gorgée. Elle toussa un peu, l’alcool lui brûlant l’œsophage. N’avait-elle pas dit avoir besoin d’un verre ?

Les verres défilèrent sur la table. Richard ne se dévoua plus pour aller les chercher. Mitch le barman vint les servir au fur et à mesure que les verres se vidaient. Plus la soirée passait, plus ça allait vite. Ils évitèrent tant que possible le sujet de l’enquête. Si Richard avait proposé de venir ici, c’était principalement pour se vider l’esprit – et aussi pour se faire plaisir aux yeux. Vers minuit, Mitch leur annonça qu’ils fermaient bientôt. Il changea les verres de rhum pour quatre bières bien fraîches. Encore une fois, Richard fit trinquer ses amis.

« Et après ?

- Quoi « après » ? demanda Maggie.

- Vous voulez faire quoi ? répondit Richard.

- Dormir ! souffla Léopold qui, s’il buvait deux gorgées de plus, allait tout régurgiter.

- Par pitié, on ne va pas en boîte après hein !

- Mais non, aucun risque lieutenant ! s’exclama Richard, se souvenant parfaitement de l’expérience… interstellaire, vécue quelques jours plus tôt.

- Eh bien quoi ?

- Chicago de nuit, c’est très beau vous savez. »

L’architecte avait repris son sérieux. Un sourire flottait sur ses lèvres – impossible de savoir s’il était dû à l’alcool ou aux yeux pétillants de Magalie. Cette dernière ne répondit pas. Elle plongea les yeux dans sa bière qu’elle vida en cul-sec. Elle la reposa violemment sur la table, manqua de renverser la canette, et pencha la tête en observant MacHolland.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Il n’y avait plus qu’eux désormais dans le bar. Grégoire faisait prendre l’air à Léopold. Mitch le barman déblayait les tables et le bar, ses collègues étaient tous partis. Richard et Maggie, donc, étaient pratiquement seuls au monde.

« Rien.

- Ah oui ? Pourquoi vous me regardez comme ça, alors ?

- Pourquoi pas ? »

Richard commençait à comprendre où voulait en venir le lieutenant : absolument nulle part.

« Vous vous sentez bien lieutenant ?

- Parfaitement ! cria-t-elle en butant sur chaque syllabe. Je me sens su-per bien ! »

Elle appuyait sur chaque mot, soufflait entre deux. A plusieurs reprises, elle porta la canette de bière à sa bouche, oubliant qu’elle l’avait vidée. Richard fit glisser la sienne jusqu’à elle.

« Ça donne soif de parler autant ?

- Ne vous moquez pas ! »

Elle leva le doigt en signe de représailles. Richard ne put retenir son rire.

« Nous devrions partir, le bar va fermer, lui rappela-t-il.

- Hum, hum. »

Magalie vida la bière de Richard puis tenta de se lever du tabouret. Sa tête tournait. Elle se laissa retomber en arrière.

« Besoin d’aide, lieutenant ? »

Plus inquiet que moqueur, l’architecte se leva. Habitué à l’alcool, et particulièrement aux cuites à la bière les soirs où Jenna cuisinait afin d’anesthésier ses papilles gustatives, ça ne tournait pas pour lui. Il s’approcha de Magalie et lui tendit la main. Ce geste anodin fit plaisir au lieutenant qui ne gérait plus très bien ses émotions.

« Vous savez, bafouilla-t-elle, j’vous aime bien vous ! »

Elle attrapa la main de Richard et s’y accrocha. L’architecte l’attira vers lui doucement pour l’aider à rester debout. Il plaça son autre main dans le dos de la femme. Ils n’étaient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Ce fut un peu comme dans un film : leurs souffles se mêlaient, les paupières de Magalie se fermaient, leurs têtes se rapprochaient comme deux aimants. Mais le film était étranges : le souffle du lieutenant était empli d’effluves doucereuses de rhum et de bière, ses yeux se fermaient de fatigue, et sa tête se rapprochait de Richard parce qu’elle tanguait et manquait de tomber à chaque seconde. Beaucoup moins romantique, pensa l’architecte.

Un instant, il pensa à l’embrasser.

« Eh ! Excusez-moi, vous êtes Richard MacHolland, non ? Et vous, vous êtes le lieutenant… Pear je crois ?

- Pierce, corrigea l’architecte. C’est exact. Comment le savez-vous ? »

Le cerveau de Magalie était totalement déconnecté, hors service. Elle ne réagit même pas à l’écoute de son nom.

« Vous êtes venus tout à l’heure dans ma classe, vous vous souvenez ?

- Oui.

- Je… J’aurai peut-être quelque chose à vous dire à propos de Luna. Enfin, de Sindy, si c’est son vrai nom. »

Richard écarquilla les yeux. Même s’il tenait debout, son cerveau fonctionnait au ralenti. Il fit signe à l’étudiante de s’asseoir à la table. Mitch le barman, qui s’apprêtait à fermer, souffla de mécontentement en les voyant tous se rasseoir. Doublement lorsque Grégoire et Léopold pénétrèrent à l’intérieur du bar et s’assirent à leur tour, obligeant le pilote à prendre une chaise d’une autre table.

« Je vous écoute, fit Richard. »

Soudain, il prenait les choses en main. Il n’avait pas trop le choix : Magalie et Léopold étaient hors-jeu et Grégoire… eh bien, c’était Grégoire.

« En fait, j’ai un peu menti tout à l’heure.

- À quel propos ?

- Quand je disais que je ne connaissais pas beaucoup Luna. Les autres… Les autres se seraient moqués de moi. Elle était vue un peu comme l’intello rasoir qui passe ses soirées à réviser. C’était un peu le cas, mais en fait elle était hyper gentille. On se suivait depuis la première année, vous savez ? Au fil du temps on est devenues amies, même si on ne se voyait pas souvent en dehors de la fac.

- Vous pouvez me rappeler votre prénom ? »

Richard, entre temps, avait atteint le dossier qui se trouvait dans le sac de Magalie. Cette dernière commençait à s’endormir, les bras croisés sur la table, la tête dessus. Il nota « Maïwenn » au dos d’une feuille. Il espérait simplement qu’on pourrait le relire le lendemain matin.

« Vous avez dit tout à l’heure que vous sauriez peut-être quelque chose à propos de Sindy ? Qu’est-ce que c’est ? »

Mitch le barman apporta des tasses remplies de café noir fumant. Richard demanda deux sucres et une cuillère. Son ami lui rapporta aussitôt. Ainsi, tout en discutant et notant ce que lui disait l’étudiante, Richard plongea un sucre dans une tasse, mélangea, et réveilla Magalie en lui tendant le tout. Elle attrapa le sucre restant, l’avala, et bu sa tasse de café qui eut l’effet d’un véritable coup de fouet. Elle se réveilla subitement, reprenant peu à peu ses esprits.

« Vous étiez amies à quel point ? Elle vous avait déjà parlé de sa véritable identité ?

- Elle ne m’avait jamais dit être héritière du trône martien, mais je savais qu’elle voyait quelqu’un qui venait de Mars.

- Vous vous souviendriez de son nom ? Un certain Kyle peut-être ?

- Je… Je ne crois pas. Je ne sais plus. Elle m’avait dit qu’il était un peu plus vieux qu’elle et que ses parents l’adoraient. Je ne me souviens pas de son prénom…

- Ce n’est pas grave, cette fois-ci, c’était Magalie qui parlait. Vous sauriez si elle avait des amis avec qui elle sortait ? Ou est-ce qu’elle vous avait parlé d’un projet… je ne sais pas, de vacances par exemple ? D’un endroit qu’elle aurait voulu visiter, ou d’un endroit sur Chicago qu’elle appréciait ? »

Maïwenn secoua la tête. Elle balbutia de nouveau quelques excuses et, prétextant l’heure tardive, dit qu’elle devait partir.

« Nous comprenons, la rassura Maggie. Je vous remercie pour votre honnêteté. Et si jamais quelque chose vous revient dans les prochains jours, n’hésitez pas à m’appeler. Voici ma carte. »

L’étudiante attrapa le morceau de carton et sortit du bar en vitesse. Richard partit s’excuser auprès de Mitch qui attendait assis à une table, plus loin. Ensuite, soutenant toujours Magalie, il fit sortir le groupe. Léopold et Grégoire les suivaient.

« Vous voyez, lieutenant, on avance un peu.

- Hum.

- On a même appris quelque chose, non ? renchérit l’architecte alors qu’il ouvrait la voiture. On sait que non seulement Sindy n’utilisait pas sa véritable identité sur Terre, mais qu’en plus elle trompait certainement Kyle.

- Hum, hum. »

Le trajet du retour se fit dans le silence. Arrivés dans la banlieue où vivait Richard, les garçons partirent se reposer dans le vaisseau. Richard proposa à Magalie de prendre un café en entrant dans la maison, ce qu’elle accepta aussitôt.

À l’intérieur, toutes les lumières étaient éteintes. Jenna dormait depuis longtemps, après avoir compris que son mari ne rentrerait peut-être pas avant le lever du soleil. Sans l’avoir vu de la journée. Richard bouscula un meuble. Les rires étouffés du lieutenant et de l’architecte parvinrent aux oreilles du mannequin dormant à l’étage. Réveillée, elle décida de ne pas faire de bruit et de ne pas se lever.

Richard fit signe à Maggie d’allumer le téléviseur pendant qu’il faisait le café. Elle s’affala dans le canapé, se débarrassa de ses chaussures sans en défaire les lacets et attrapa la télécommande. Elle appuya sur le bouton « power ». Le son jaillit immédiatement du téléviseur. Richard passa la tête par la porte de la cuisine pour lui dire de baisser le son.

« J’aimerais pas réveiller Jenna, expliqua-t-il devant la face hilare du lieutenant. »

Magalie obtempéra alors. Elle zappa plusieurs fois avant de tomber enfin sur un programme qui l’intéressait et qu’elle connaissait par cœur. Un nouvel épisode de la série venait juste de commencer et la musique du générique se répandait dans la pièce. Maggie se mit à chantonner.

« Get Down, Get Down, Get Down… »

Bon. Ce n’étaient pas vraiment des paroles et le lieutenant faisait plus du yaourt qu’autre chose. Toutefois, cela amusa Richard qui apportait deux tasses de café. Magalie attrapa la sienne et tendit la main. L’architecte sortit alors deux sucres et une cuillère de sa poche. Il les lui donna.

« Merci, c’est gentil.

- Ne me remerciez pas lieutenant. Que regardez-vous ?

- Quoi ! Vous ne connaissez pas ? »

Elle se tourna si brusquement vers lui que quelques gouttes de café coulèrent hors de la tasse, sur ses doigts. Elle lécha le liquide sur son index et suçota l’extrémité de son pouce en attendant la réponse de l’architecte.

« Non. C’est grave ?

- Mais c’est la meilleure série du monde !

- Ah oui ? A ce point ?

- Mais bien sûr ! Et ne vous moquez pas, je suis sûre que ça va vous plaire ! En plus, ça tombe bien, c’est la première saison ! »

Le générique de la série se terminait alors. Tout en buvant sa tasse de café, Magalie regardait l’épisode. Richard observait Magalie. Elle riait à toutes les blagues, même les moins drôles. Elle connaissait une grande partie des intrigues par cœur, donnait des petits coups de coude à Richard aux moments importants pour le forcer à regarder.

Ils regardèrent ainsi plusieurs épisodes. Au bout d’un moment, Richard – qui s’était plongé dans l’émission malgré lui – remarqua qu’il n’entendait plus Magalie. Elle s’était endormie à côté de lui. Sans la bousculer, il fit glisser un plaid sur elle. Elle s’installa mieux, se rapprochant de lui et posant sa tête sur son épaule. Richard ne pouvait ainsi plus bouger. Il passa le reste de la nuit à regarder des épisodes de Brooklyn 99, Magalie ronflant dans son oreille. Aux lueurs du jour, il finit par s’endormir alors que la troupe d’amis policiers résolvait une nouvelle affaire.

 

Quelque part, pensa Richard, lui et Magalie ressemblaient un peu à Jake et Amy. Jamais d’accord, mais bons amis. Que leur réservait alors demain ?

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
haroldthelord
Posté le 09/06/2021
Salut dans l’ensemble c’est un bon chapitre, j’ai toutefois quelques observations.

votre relevé d’assiduité des étudiants : ça existe dans une université ?

Wow elle arrêterait quelqu'un juste par ce qu’il l’a interrompu alors qu'il est dans sa salle de cours : vive l’état policier.

Coquille au verbe : Grégoire décida de se balade un peu.
Melau
Posté le 09/06/2021
Coucou !

Oui ça existe totalement, du moins dans ma fac lors des cours qui n’ont pas lieu en amphithéâtre (comme c’est le cas ici) !

Et merci pour la coquille encore une fois ! Surtout, merci pour ton commentaire :)
Vous lisez