Chapitre 14 - Le cinquième pouvoir

Par Keina

« Son monde s’écroulait. Brique par brique, détruit par une tempête venue d’on ne sait où. »

Nem, Angel’s Project

 

Pour la deuxième fois de son existence, Keina s’éveilla dans un lieu qu’elle ne connaissait pas. Alors qu’elle tentait de se redresser, une douleur vive fusa le long de son bras et broya les muscles de son cou. Elle retomba sur son oreiller, grimaçante. La souffrance tordait son estomac et martelait son cerveau. Se faire tirer dessus ressemblait donc à ça ? Elle eût préféré éviter l’expérience ! La respiration pesante, la silfine ferma les yeux et s’efforça d’organiser ses idées.

On ne l’avait pas tuée. Voilà qui, pris d’un certain angle, relevait du positif. Mais pourquoi ?

Elle envoya un ordre mental à son bras gauche, qui remonta pesamment le long de son buste, peu enclin à lui obéir. Elle se sentait plus faible qu’un nouveau-né. Malgré tout, ses doigts fins accrochèrent son épaule et palpèrent maladroitement la blessure. Ils éprouvèrent le contact d’un bandage serré, humide de sa propre transpiration.

Elle grimaça. Non seulement on ne l’avait pas tuée, mais, en prime, on l’avait soignée… Des bribes lui revinrent peu à peu à l’esprit. La balle qui fendait son épiderme, cuisante, mordant la chair comme pour s’en repaître. Ses forces qui l’abandonnaient, son corps entier devenu tourment, traîné sans ménagement jusqu’à une voiture. Les cahots de la route qui avaient manqué de l’achever, et enrobaient ses souvenirs d’un manteau de douleur floue. Puis on l’avait emmenée chez quelqu’un, un docteur sans doute, parce qu’elle se rappelait du contact froid de la table où elle était allongée, et des visages qui balbutiaient d’étranges galimatias au-dessus d’elle. Là, elle supposa qu’on l’avait droguée – pour soulager le mal, peut-être ? – car sa mémoire ne lui livra rien de plus.

Alors qu’elle s’efforçait de rassembler chaque morceau de souvenir, des gonds grincèrent à proximité. Elle sursauta. Dans sa confusion, elle n’avait même pas pris le temps d’examiner son environnement !

La pièce, étroite et rustique, s’apparentait plus à une cellule monastique qu’à une chambre d’hôpital. À l’opposé du lit, un foyer austère, taillé dans un bloc de granit et entouré de deux chaises, la baignait d’une aura pétillante. Sa teinte chaude livrait bataille avec le halo clair de la lune, dont les rayons, à travers une fenêtre à meneaux, soulignaient les ombres épaisses des parois. Sur celle de droite, une étagère supportait plusieurs livres à couverture rigide, chargés de poussière. Le regard éteint de la silfine se posa enfin sur la silhouette menue qui avait ouvert la porte et s’anima aussitôt d’une flamme nouvelle.

— Mary ! Dieu soit loué !

À la vue de la domestique des Richardson, elle s’agita, s’efforçant de se dresser à nouveau, mais retomba lourdement sur son oreiller. Elle tourna néanmoins la tête et sourit faiblement.

— Mary, est-ce que Gaétane et Amy vont bien ? Et les enfants ?

La brunette sembla hésiter sur le seuil, une chandelle vacillante à la main, puis s’avança à pas menus. Finalement, elle prit la parole, lentement, choisissant ses mots avec soin.

— Mademoiselle Nana. Je suis… désolée, profondément désolée. J’ai tenté de vous avertir, mais il était déjà trop tard. Nephir m’envoie à votre chevet. Votre bras…

— Mary ! Que se passe-t-il, enfin ? Que veux-tu…

Keina se mordit une lèvre ; malgré toute la conviction qu’elle y avait mise, son injonction tenait plus du gémissement plaintif. Mais pouvait-elle imaginer que Mary Cooper eût un lien avec Nephir ? Dès son arrivée chez les Richardson, la domestique, alors à peine adulte, s’était solidement ancrée dans son quotidien. Songer seulement qu’elle serait une traîtresse, à la solde de la sorcière ! Impossible… Luni l’aurait démasquée, ou bien Amy, ou ses tuteurs ! Mais tout ceci avait-il encore une importance ? Sa famille d’adoption…

Comme une massue s’écrasant sur son cerveau, la simple mention de Nephir raviva le souvenir cuisant des événements qui l’avaient amenée dans cette chambre, blessée et affaiblie. Disparus, son monde, son foyer, ses amis. Évaporés, métamorphosés en un rêve lointain, merveilleux, inaccessible.

— Mary n’est pas mon vrai nom, mademoiselle, reprit l’ancienne domestique, interrompant les pensées de Keina. Je suis une créature magique, une alfine. Nephir m’a baptisée d’un terme qu’il me coûte de dire à haute voix. J’étais une hamadryade autrefois, attachée à un sorbier du Pays de Galles. Elle m’en a déracinée pour me confier la tâche de vous observer. Pardonnez-moi, mademoiselle Nana… Elle m’a promis de me rendre mon arbre lorsque j’aurais accompli ma mission.

Keina ferma les yeux, s’efforçant de trouver un sens à la conversation, puis les rouvrit, sourcils froncés.

— Pourquoi… pourquoi une alfine ?

— Seuls des imaginaires pouvaient pénétrer dans le monde qu’elle avait forgé pour vous. Nous formions le lien entre la créatrice et la création.

Mary – ou du moins celle qui avait prétendu s’appeler ainsi – s’assit sur une chaise de paille posée près de la tête du lit et, tout en parlant, entreprit de défaire les bandages de la silfine.

— Nous ? rétorqua celle-ci dans un souffle.

Tout ceci dépassait son entendement. Le monde dans lequel elle avait vécu durant vingt ans venait de s’écrouler sous ses yeux, et elle tentait maladroitement de surplomber le précipice qui s’étendait maintenant face à elle. Le vertige la saisit soudain, plus brutalement encore que si l’abîme avait été concret.

(C’était comme tomber soudain d’une falaise sans fond, les yeux grands ouverts, sans comprendre réellement ce qu’il se passait…)

— Madame Georgianna Richardson, elle aussi est une imaginaire. Pas de la meilleure engeance cependant. Une dame rouge, s’il m’en souvient. Elle a séduit votre frère adoptif afin de s’introduire auprès de vous. Dame, dans son cas, Nephir n’a pas eu à la contraindre !

(La jeune fille tombait, tombait, et autour d’elle il n’y avait rien, rien à quoi elle aurait pu se raccrocher, juste le néant…)

— Levez votre bras… Voilà qui est mieux. Vous devrez porter une écharpe lorsque vous vous déplacerez. Souffrez-vous d’autres maux ? Le médecin passera demain pour vous examiner. Je suis moi-même une bien piètre infirmière !

(… que cela finisse, s’il vous plaît.)

Une larme déborda de sa paupière et sillonna le long de sa joue, suivie d’une autre. Bientôt, un torrent se déversa en elle, comprimant sa poitrine et brouillant ses sens. Sans un mot, Mary passa une main derrière sa nuque et l’attira contre son épaule.

— Pardonnez-moi, mademoiselle. Je n’ai pas voulu…

Keina ne répondit rien ; il n’y avait rien à répondre. Quelques minutes s’écoulèrent, puis la créature desserra son étreinte. Doucement, elle se plaça dans son dos pour délacer son corset. Quelques minutes après, elle prit congé en balbutiant des excuses ; Nephir se poserait des questions sur son absence, et la silfine devait être éreintée, assurément. Il se faisait tard. La blessée hocha faiblement la tête et la reposa sur l’oreiller, ses yeux embués fixés sur le plafond lézardé.

Elle ne dormit pas cette nuit-là. De brusques et violentes crises de larmes la tinrent éveillée jusqu’à l’aube grise et pluvieuse qui se levait sur son nouvel univers.

 

*

 

Le lendemain et les jours suivants, elle n’eut comme visiteurs que Mary, qui lui apportait ses repas et l’aidait chaque jour à se changer, se coiffer et remédier à d’autres désagréments féminins, et le docteur, un gringalet au cou tordu qui ne cessait de triturer sa montre à gousset. Celui-ci se montra néanmoins rassurant sur son état : la plaie guérirait vite. La balle avait éraflé l’épaule droite sans occasionner de gros dégâts, et le praticien qui s’était occupé d’elle en premier lieu avait endigué tout risque d’infection. Il lui administra une dose de laudanum et quitta la pièce.

En attendant, Keina rongeait son frein. Dès qu’il lui fut possible de se lever, elle se mit à la recherche d’une issue, mais l’entreprise semblait vouée à l’échec. Son membre impotent lui interdisait la gymnastique, et l’huis était dotée d’un solide cadenas que le docteur et Mary, tout prévenants qu’ils fussent, ne manquaient pas de replacer après chacune de leur visite. Elle songea alors à la fenêtre à meneaux qui, suffisamment large pour accueillir sa taille menue, dévisageait la porte à quelques pieds du sol. Elle déchanta cependant aussitôt que, juchée sur la courtepointe de son lit péniblement déplacé pour l’occasion, elle en découvrit le panorama.

Derrière sa petite cellule grise, le vide la happa avec une telle force qu’elle rejeta sur-le-champ sa tête en arrière et aspira une goulée de l’air confiné de sa prison afin d’apaiser les battements de son cœur. Une fois calmée, elle grimpa de nouveau, tant bien que mal, sur l’épaisseur granitique de la percée, ouvrit l’un des carreaux de la fenêtre et risqua un nouveau regard à l’extérieur. Au bas d’une paroi mangée par le sel et les intempéries, les vagues se jetaient avec fureur contre une pointe rocheuse qui déroulait ses épines en contrebas. Sous le ciel couleur de plomb, une côte tranchait l’horizon. L’œil parvenait à détailler les tâches blanches et ardoise d’un village – anglais ? – accroché aux pentes herbeuses d’une colline. Au pied de celle-ci, la houle berçait mollement les coques bariolées des embarcations qui mouillaient à l’abri d’une petite anse.

Keina avait déjà deviné qu’on la détenait à proximité de l’océan. Le cri rauque des goélands, les effluves de la marée et le sel qu’elle goûtait sans cesse sur ses lèvres ne l’avaient pas trompée. Mais se trouvait-elle sur une île ? Ou bien l’étendue d’eau qu’elle apercevait en contrebas n’était-elle qu’un bras de mer qui la séparait de l’autre rive ? Elle ne découvrit aucun indice pour l’aider à répondre.

Agacée de l’impasse dans laquelle on l’avait mise, elle redescendit de son perchoir, repoussa pesamment son lit contre l’angle de la cellule et alla piocher un livre sur l’étagère d’en face. Dickens y côtoyait Goldsmith, Eliot, Lessing, Radcliffe, Austen, Doyle, Goethe et Lewis. La jeune préceptrice fronça les sourcils et opta finalement pour Middlemarch, de Georg Eliot. Un peu d’évasion lui ferait le plus grand bien…

 

Le sixième jour, à l’heure du thé, Mary entra dans la petite chambre les bras encombrés d’une étoffe que la silfine ne parvint pas à identifier.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, commença-t-elle avec dans sa voix flûtée un soupçon d’embarras. Nephir… Dame Nephir m’envoie vous chercher pour le thé. Elle souhaite instamment votre présence, et vous prie de porter cet ensemble pour l’occasion.

La domestique prononça son discours sur un ton soudain monocorde, comme répété contre sa volonté. Nephir ! Keina fut prise d’un frisson anxieux qui remonta le long de son échine et fusa dans son bras engourdi. De l’autre, elle attrapa l’un des montants du lit et s’y arrima fermement pour ne pas vaciller. Elle allait enfin contempler en face le visage qui l’avait hantée si souvent dans ses rêves.

 

*

 

Une fois convenablement vêtue par les soins de l’alfine, Keina la suivit au-delà de l’univers clos qu’elle connaissait. Elles traversèrent plusieurs galeries délabrées et descendirent un grand nombre d’escaliers dont la vétusté s’amoindrissait d’étage en étage, avant de pénétrer dans un boudoir cossu, aux murs chargés de tableaux anciens. Tout au long du chemin, la silfine observa, nota chaque recoin, chaque issue fermée, chaque fenêtre assez large. Elle devait trouver un moyen de s’échapper.

Une fois dans la pièce, Mary ouvrit une porte à double battant et l’abandonna quelques instants afin de l’annoncer. Du salon qu’elle devinait derrière le seuil s’évada un filet de voix que couvrait le son grave d’un piano. Les entrailles nouées par l’angoisse, son bras droit sagement retenu contre sa poitrine, elle franchit à son tour l’embrasure pour se jeter dans la fosse aux lions.

— Par exemple, voici donc notre convalescente ! retentit un timbre chantant, légèrement railleur. Merci, Digwraidd. Vous pouvez disposer.

Mary s’inclina, soumise. Lorsqu’elle disparut à nouveau dans l’antichambre, Keina sentit son cœur couler au fond de son estomac. Le nom que Nephir avait donné à l’alfine sonnait comme le cri rauque d’un corbeau perché au sommet d’une tour en ruine. Le tranchant de ses syllabes évoquait le froid, la mort, le désespoir. Et celle qui venait de le prononcer l’avait fait avec une telle insouciance, dos tourné à l’entrée, le regard rivé sur ses doigts qui caressaient le clavier !

Keina fit quelques pas dans le salon et le jaugea d’un œil rapide. Une quinzaine de personnes bavassaient tranquillement au milieu d’un luxe douillet. En face, la cheminée accueillait les crépitements d’un feu de tourbe qui tiédissait l’ambiance. Le piano à queue investissait l’angle, au pied de hautes fenêtres gothiques, dont les entrelacs de granit laissaient filtrer la lumière grisâtre de l’hiver.

Quelques têtes s’étaient tournées à son arrivée ; la silfine reconnut les traits hautains de Georgianna, toute vêtue de rouge, ainsi que l’expression narquoise de la géante et de l’autruche, les deux femmes qui l’avaient piégée dans la ruelle. Elle gigota, gênée de l’accoutrement que lui avait attribué Nephir : une somptueuse, mais parfaitement démodée robe d’après-midi en velours rehaussée de fils d’or et de soie, dont le corsage en cœur croisé attira le regard des hommes présents dans la salle et qui lui étaient, pour la plupart, inconnus. Elle émit un sursaut imperceptible, cependant, en avisant le visage rustre et austère, aux sourcils broussailleux, du gentleman qui, debout près du piano, l’écoutait d’un air pénétré.

Esteban. Elle n’avait vu de lui qu’un souvenir évanescent, mais elle le reconnut sans faillir, l’amant maudit, l’être responsable de la folie d’Anna-Maria, celui qui l’avait précipitée vers une mort tragique et prématurée ! Il darda dans sa direction un regard éteint, aussi opaque et gelé que les contours d’un cimetière par une nuit sans lune, une seconde à peine, avant de le baisser à nouveau sur l’épais chignon noir de la pianiste qui, concentrée sur son interprétation, s’était remise à parler.

— Viens près de moi, petit oiseau. Sois la bienvenue dans mon humble demeure ! Là, aimes-tu la robe que je t’ai confiée ? Ma couturière a l’œil sûr pour juger les mensurations d’une jeune fille. J’espère que ton bras ne te cause plus de souffrances. J’ai grondé Caroline, cela ne se reproduira plus. La drôle a cru bon de te priver de tes moyens, alors que je t’avais déjà coupé les ailes. Voilà une curieuse façon de traiter mes amies !

— Je ne suis pas votre amie. Vous avez tué ma mère, mon père, et enlevé ma famille adoptive. Rendez-les-moi, je vous prie.

Les mots s’étaient échappés de ses lèvres comme sous hypnose. À mesure qu’elle s’approchait de la femme qui lui tournait le dos, un froid intense s’empara d’elle, glaçant l’intérieur de ses veines, pétrifiant ses sens et sa raison. Il était là, son iceberg, la Reine des Neiges en personne, qui conversait avec la gaîté d’une petite fille ! L’histoire d’Andersen dansa un instant dans sa mémoire et elle songea à Kay, le garçon retenu prisonnier par la reine maléfique. Soudain, l’assistance du salon lui parut figée dans la glace, statues aux postures grotesques dont les cœurs s’étaient laissé charmer par la sorcière qui déroulait ses arpèges. Allait-elle se faire envoûter à son tour, à l’instar de l’enfant du conte ?

Un rire discret, mélodieux.

— Te rendre ta famille ? Voilà bien une requête qu’il m’est impossible d’accomplir. Connais-tu ce morceau, petit oiseau ?

Après un intermède plus calme, le rythme de la musique s’intensifia tandis que les doigts fins de l’Asiatique avalaient les notes.

Première arabesque de Debussy, récita sans conviction la silfine. Une fort belle œuvre. Gaétane la jouait à la perfection. Où la retenez-vous ? Répondez !

Keina devina plus qu’elle ne discerna le sourire qui se formait sur les lèvres de la pianiste.

— Voyons, petit oiseau, n’as-tu pas encore compris ? La Gaétane que tu connaissais n’a jamais existé ! s’exclama-t-elle avec une pointe de condescendance. Elle était ma création, le fruit du cinquième pouvoir. Mais je constate que tu possèdes une solide éducation musicale, et j’en suis ravie. Les jeunes filles de ce siècle me semblent si peu accomplies ! Travail et rigueur, voilà ce qui leur fait défaut. Et de l’imagination, évidemment. N’es-tu pas d’accord avec moi, petit oiseau ?

La silfine ferma les paupières pour refouler les larmes qu’elle sentait monter en elle. Elle éprouva soudain le besoin de s’asseoir, tout de suite.

— Cessez de m’appeler ainsi.

— Oh, mais je manque à tous mes devoirs ! continua Nephir sans tenir compte de la remarque. Chère cousine, installe-toi où tu le souhaites, je t’en prie. Georgia, s’il te plaît, sonne donc Digwairdd afin qu’elle apporte les gâteaux ! Je suis à vous dans l’instant.

— Elle se dénomme Mary, intervint machinalement la jeune Londonienne alors qu’elle s’asseyait sur l’extrémité d’un fauteuil Louis XVI.

— Je constate que ma belle-sœur ne s’est guère départie de son impertinence.

Le timbre aigre de Georgianna n’avait pas changé. La géante en bloomers gloussa, tandis que des rires plus discrets résonnaient dans la pièce. Keina ne répondit rien, les doigts de sa main gauche crispés sur ses genoux. Après quelques mesures plus solennelles, Nephir déploya la cascade finale en decrescendo, et suspendit le point d’orgue dans l’atmosphère, comme un papillon qu’on épingle sur l’étaloir. Puis elle pivota lentement son buste ceint dans un corsage de mousseline ivoire et posa son regard sur l’orpheline. La trace d’un sourire passa sur ses lèvres.

— Cher petit ange… Ainsi te voilà, réclamant ton dû.

Keina sentit les cheveux de sa nuque se raidir sous la vague glacée qui émanait de la sorcière. Dans un mouvement involontaire, elle se recroquevilla, se maudissant l’instant d’après de la faiblesse dont elle témoignait.

Pourtant, le charisme de Nephir évoquait ces demi-mondaines qui se pâmaient au centre des plus grands salons d’Europe : Liane de Pougy, Cléo de Mérode ou même la belle Otero se seraient éclipsées dans l’ombre de cette authentique beauté eurasienne au teint pâle, à la silhouette longiligne et épurée. Elle se souvenait du portrait qu’elle avait contemplé dans le troisième sous-sol du Royaume. Un visage dur, comme ébréché par la palette de l’artiste : nez fin, lèvres pincées, cou de cygne. Mais ici, dans l’ambiance cotonneuse de la pièce, ces particularités donnaient un air de noblesse à la rebelle bannie. L’ensemble de ses courbes formait une harmonie parfaite. De son chignon d’ébène aux volutes alambiquées, quelques boucles soyeuses retombaient sur ses épaules couvertes d’une riche dentelle de Luxeuil. En parfaite maîtresse de maison, elle souriait aux uns, adressait une remarque aux autres, se leva pour servir le thé, proposa un biscuit à sa prisonnière, et chacun de ses gestes trahissait la vivacité d’une femme habituée à plaire et à commander.

Toutefois, les sens de la silfine ne pouvaient s’y tromper : les paroles de Nephir tranchaient l’air comme autant de stalactites qui se décrochaient de sa langue, et elle se mouvait avec la grâce insidieuse d’un gymnote guettant sa proie dans l’eau noire et glacée des abysses.

— Fiodor t’a-t-il délivré mon message ? demanda-t-elle en s’installant enfin sur une bergère qui semblait lui être destinée.

Comme mu par un automatisme, Esteban quitta son poste près du piano pour se placer derrière sa maîtresse, toujours debout. Son visage fermé, vide de toute expression, se fixa sur les motifs du dossier.

— Un… message ? fit Keina sans comprendre.

Au fond de son inconscient, les paroles muettes de l’adolescent retentirent une fois de plus : Nephir t’attend. Toi et les tiens n’êtes plus en sécurité…

— Il ne s’agissait pas d’un message concret, évidemment. Les Onze en auraient fait une histoire ! S’ils avaient su, les malheureux, que ramener Fiodor au Royaume était exactement ce que j’espérais d’eux… (Elle émit un léger ricanement qui se répercuta dans l’assistance.) Je devais te pousser à t’enfuir du Royaume, petit oiseau, après avoir si durement travaillé à t’y mener. Cela t’étonne ? Pourtant, sais-tu ce que j’ai dit à ta mère avant sa mort ? Veux-tu l’apprendre ? – sans attendre la réponse de la silfine, elle se pencha suffisamment près pour frôler sa joue, et murmura au creux de son oreille, avec les modulations d’un serpent : Il est trop tard pour songer à ta fille, Akrista, car malgré tout ce que tu as accompli pour elle, elle servira mes plans ainsi que je l’ai prévu. Voilà les derniers mots qu’elle a entendus avant de s’effondrer. Évidemment, tout ne s’est pas passé aussi facilement que je l’avais imaginé… Il m’a fallu patienter un peu, mais je suis persévérante, ma chère cousine. N’est-ce là une qualité indispensable pour nous qui vivons si longtemps ? Et te voici devant moi, vingt ans plus tard, comme convenu. Réclamant les chimères que j’ai conçues pour toi. Ne trouves-tu pas cela cocasse ?

Elle battit des mains comme une enfant, puis s’arrêta net et reprit naturellement contenance. Durant un court instant de silence, Keina s’efforça d’assimiler le discours de son ennemie. Elle voulut avaler sa salive, mais sa langue se révéla aussi pesante qu’un morceau de plomb. Un goût de bile reflua dans sa gorge, agrémenté de picotements aigus, comme provoqués par les pointes d’une multitude de couteaux. La tasse de thé et le biscuit reposaient sur la table basse, intacts. Elle sentit l’attention se focaliser sur elle et se força à prononcer un mot.

— Co… comment ?

Une gaîté insupportable s’afficha sur le visage de la sorcière.

— « Comment » ? Tu me vois désappointée, cher ange. Je supposais que tu me demanderais le pourquoi en premier. Mais il se fait tard et la réponse est longue. Nous en reparlerons au dîner, si cela te convient. (Elle se leva, et l’assistance se dressa à son tour.) Digwairdd va te conduire dans ta chambre afin que tu te reposes et que tu te prépares pour la soirée. Je ne souffrirai aucun refus ! Tu es mon invitée, ma très chère cousine.

Keina ne se fit pas prier ; l’envie de vomir la tenaillait plus que jamais. Elle remonta en toute hâte, sans prendre garde aux couloirs et escaliers au travers desquels Mary la guidait. Une fois de retour dans sa cellule, elle rendit dans le pot placé au pied de son lit la totalité de son déjeuner. L’alfine attendit patiemment qu’elle eût fini pour reprendre l’ustensile et la laisser en paix, la porte soigneusement verrouillée.

 

*

 

Lorsque Mary se présenta de nouveau à l’heure du dîner, Keina se sentait mieux. Prisonnière des quatre murs de sa chambre, elle avait repris le contrôle de ses émotions et s’était attelée à la réflexion. Sa fuite avait probablement été remarquée au Royaume Caché, et ses semblables devaient la chercher. Son monde évanoui, où leurs investigations les mèneraient-elles ? Là où Nephir avait été bannie, selon toute évidence. Elle pensait… non, elle savait, au fond d’elle-même, que Luni s’efforçait de la retrouver par tous les moyens, mais allait-elle rester immobile pendant qu’il se démenait ? Certainement pas ! Il lui fallait à tout prix inventer un stratagème pour s’enfuir de sa prison et contacter le Royaume. Peut-être pourrait-elle convaincre l’ancienne domestique des Richardson de l’aider…

Et ta famille ? Et Amy, et Gaétane ?

Son cerveau refusait de s’y attarder pour le moment – trop récent, trop douloureux. Mais il existait une raison pour que Nephir la maintienne en vie, et elle devait savoir laquelle.

Cette fois-ci, après l’avoir soigneusement apprêtée d’une robe de dîner à la coupe moins excentrique, l’alfine l’amena dans une salle de réception lambrissée, où l’assemblée de l’après-midi – vivaient-ils au même endroit ? Étaient-ils d’essence magique, à l’instar de Mary et de Georgianna ? Étaient-ils seulement réels ? – s’enivrait de vin de Champagne en attendant d’être conviée à table. À peine eut-elle posé le pied sur les somptueux tapis d’orient qui ornaient le sol que Nephir l’aperçut et louvoya entre ses hôtes pour l’accueillir.

— Ma chère cousine ! Tu es rayonnante. (C’était faux, bien sûr, les traits pâles de son visage portaient encore la marque de son indisposition et de ses nuits peuplées de cauchemars tandis que son bras blessé se balançait piteusement au creux de son écharpe, mais la sorcière ne parut pas s’en soucier.) Comme tu dois faire chavirer les cœurs au Royaume !

Elle marqua un silence et lança une œillade à Esteban, qui conversait avec un autre homme, dans un coin de la pièce. Il lui répondit par un hochement de tête mécanique. Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres fines de l’Eurasienne et elle reporta son attention sur Keina.

— Mais n’avons-nous pas hérité de la beauté éternelle des elfes ? Nous leur devons tellement… Et pourtant… qui eût cru que l’humanité possédât un pouvoir plus grand encore que la Mémoire ? Mais tout ceci dépasse naturellement ta compréhension, petit oiseau. J’y reviendrai.

Durant plusieurs minutes, Nephir continua à monologuer sans prendre garde, en apparence, à l’hostilité manifeste dont témoignait l’attitude de Keina. Elle lui raconta comment, après avoir été bannie, elle avait fait fortune outre-Atlantique dans la vente de calicots. Elle possédait l’un des plus grands magasins de New York, dont elle avait fini par confier la gérance à ses associés pour retourner en Angleterre. Là, elle avait acquis St Aubyn’s Mount, une petite île de Cornouailles coiffée d’une forteresse dont l’architecture et l’emplacement se révélaient parfaits pour les plans qu’elle avait conçus.

— Les Onze seraient bien surpris de ma réussite, n’est-ce pas ? ironisa-t-elle doucement. Mais tout cela je l’ai accompli pour toi, chère cousine. Je ne pouvais pas renoncer si facilement à mon objectif, comprends-tu, car l’Avaleur de Mémoire avait promis de m’aider à…

Elle s’interrompit, coupée par un domestique qui s’était introduit dans la pièce pour annoncer le dîner.

 

*

 

L’esprit en alerte, Keina suivit sa geôlière dans la salle à manger, où les convives se disposèrent autour d’une table fastueusement dressée. Nephir s’assit à une extrémité, tandis que son amant s’installait à l’autre bout. L’orpheline accepta docilement l’invitation de sa cousine et se plaça à sa gauche, devant un couvert libre. Georgianna, qui lui faisait face, lui adressa un sourire fourbe. Alors qu’une armée de serviteurs apportait les entrées, la maîtresse de maison reprit la parole.

— Sais-tu, petit oiseau, de quoi se compose la magie du Royaume ? Non, évidemment, ceci ne vous est pas enseigné. Les Onze gardent jalousement ce savoir. Voilà contre quoi mon père se battait, et ses semblables l’ont si mal compris ! Chère cousine, ouvre grand tes oreilles et retiens ceci : la Mémoire, ainsi que l’on appelle la magie du Royaume, se décompose en quatre pouvoirs principaux, l’Esprit, le Cœur, les Mains et les Ailes. Ces quatre dénominations symbolisent ce que l’énergie enchantée nous permet d’entreprendre. Cependant, il existe une forme d’énergie qui constitue à elle seule un cinquième pouvoir, plus puissant encore que les quatre autres réunis. Sais-tu ce que c’est, petit oiseau ? Donnes-tu ta langue au chat ? Pourtant, tu le connais : ce n’est autre que l’Imagination, le pouvoir créateur.

— L’imagination ? Voyons, ce n’est pas un pouvoir ! objecta Keina en plongeant sa cuillère dans le velouté aux fruits de mer.

En présence de son ennemie, elle eût préféré s’abstenir de manger, mais son estomac se tordait sous les crampes et réclamait son dû.

— Je te l’accorde, un pouvoir inconscient n’en est pas vraiment un. Pourtant, Keina, nous l’avons hérité de notre ascendance humaine. (C’était la première fois que la sorcière appelait la silfine par son prénom ; cela lui fit l’effet d’un pic à glace qu’on enfonçait dans son cœur.) Nos aïeux elfiques, eux, en étaient dénués, bien sûr. Pour une raison très simple : une facette de la Mémoire repousse l’Imagination, et inversement. Voilà aussi pourquoi nous ne savons user de ce pouvoir au Royaume. Et voilà pourquoi tu t’es littéralement vidée de ton énergie lorsque tu es retournée à Londres, tel que je l’avais prédit.

— Absurde ! La magie est concrète, palpable. Nous avons appris à l’assimiler et à la manipuler. L’imagination n’est qu’une idée abstraite, une qualité humaine, rétorqua la silfine.

Pourtant, quelque part dans son esprit, une petite voix lui murmurait : Tu sais que c’est faux, Keina. Souviens-toi, tu as toujours cru en ce pouvoir…

Comme pour donner raison à sa conscience, Georgianna intervint :

— Cependant, n’encouragiez-vous pas l’imagination de vos élèves, Nana ?

— C’était… c’était différent !

Elle étreignit sa fourchette avec la même force dont elle usait sur la garde de son épée. Comme cette dernière lui manquait en cet instant !

— Georgianna, cesse d’asticoter ma cousine, ordonna calmement Nephir avant de prendre une gorgée de vin. Vous, les imaginaires, êtes convaincus que l’Imagination, contrairement à la Mémoire, est une puissance indomptable, aussi immuable que le temps. Pourtant moi, Nephir ist’Lei Lin, je l’ai apprivoisée. Mieux : je l’ai façonnée à ma convenance ! (Elle se tourna vers Keina.) Que dis-tu de ça, chère cousine ?

— Peuh. On vous a aidé ! fit sa voisine de droite.

— Georgia, je te prie ! Un mot de plus, et je n’hésiterai pas à te renvoyer dans les ténèbres d’où je t’ai sortie !

La voix de la sorcière se fit basse et tranchante comme le fil d’une guillotine. Un murmure étouffé courut le long de la tablée. D’après ce que la silfine pouvait en juger, il était dangereux de contrarier la maîtresse du logis. Georgianna avait rentré les épaules, soudain piteuse, et Keina savoura quelques instants le spectacle. Nephir, qui avait repris contenance, se tut pendant que les serviteurs débarrassaient les assiettes. Puis elle poursuivit d’un ton plus enjoué :

— Certes, il est exact que l’Avaleur de Mémoire a fourni matière à mon petit sortilège. Double sortilège, d’ailleurs, puisqu’il m’a d’abord fallu troubler les esprits du Royaume pour les inciter à t’emmener dans l’univers factice que j’avais fabriqué pour toi. Factice, oui : il ne s’agit hélas que d’une copie. L’original existe bel et bien, et depuis treize ans la véritable Amy Richardson attend qu’on lui envoie sa future fille adoptive, qui ne s’est jamais présentée. Sais-tu pourquoi cela est resté inaperçu ? Elle n’avait aucun moyen de contacter le Royaume. Et, comble de l’ironie, il n’est même pas venu à l’esprit de tes semblables de vérifier l’empreinte imaginaire de ton monde !

Bizarrement, l’évocation d’Amy provoqua une vague de chaleur dans le cœur de Keina. Ainsi, elle vivait encore, quelque part, et sa fille aussi, probablement ! Bien sûr, il ne s’agissait pas de la personne auprès de qui la silfine avait grandi. Malgré tout, l’idée lui apporta un bienheureux réconfort. Amy n’était pas une création de la sorcière.

Rassérénée par cette conviction, elle planta sa fourchette dans un filet d’aiglefin qui venait tout juste de lui être servi.

— Je reconnais ton expression, petit oiseau : tu te dis sans doute que le pouvoir dont j’ai usé était bien limité, s’il s’est contenté de reproduire, et non de créer. Je l’avoue humblement, mes facultés en matière d’imagination ne sont encore que des balbutiements. Mais ce n’était qu’une étape, et j’ai dû me satisfaire de cette mince illusion.

Un ange passa dans la salle, permettant à la silfine de rassembler ses idées.

— Méfie-toi des illusions, murmura-t-elle, comme pour elle-même.

— Que dis-tu, ma chère cousine ?

Nephir s’inclina vers elle, et Keina reprit, plus fort :

— « Méfie-toi des illusions », c’est l’avertissement que m’a adressé Anna-Maria avant de…

Un fracas de vaisselle qui s’entrechoquait lui arracha un sursaut brutal. Elle pivota le menton et constata que toute l’assemblée l’avait imitée. Du côté opposé de la table, Esteban, sans se préoccuper de la fourchette coupable qui gisait dans une marre de sauce, ancra ses yeux noirs droit devant lui. À l’autre bout, celle à qui s’adressait ce regard fronça les sourcils. Quelques mots brefs tombèrent des lèvres sèches du sombre hidalgo.

— Veuillez m’excuser. Une maladresse.

Sans s’intéresser davantage à l’incident, les convives se concentrèrent à nouveau sur leurs assiettes, mais Keina retint son souffle, captivée par l’échange silencieux entre les deux amants. Durant un court instant, au fond des prunelles mortes d’Esteban, elle avait aperçu une flamme vive, brûlante, qui ne demandait qu’à s’échapper de sa prison de glace : de la haine, pure, tenace, aiguë. Comme un poignard dissimulé derrière l’une des tombes du cimetière.

Il la hait. Aussi improbable que cela puisse paraître, sous ses airs soumis, domptés, il la hait plus que n’importe qui au monde.

Nephir s’efforça de soutenir le regard de son compagnon et d’y répondre par une réprobation muette, mais curieusement, son visage se troubla, et elle reporta son attention sur son verre de vin, soudain confuse. À cet instant précis, la révélation fusa comme une comète dans le cœur de la silfine : elle n’était pas la seule à avoir capté le sentiment caché du rebelle. La sorcière le savait. Elle le savait et elle en souffrait.

Cet aveu involontaire lui fit l’effet d’un incendie qui s’embrasait d’un coup dans les ténèbres gelées, au plus profond de son iceberg.

Comme tout le monde, Nephir possédait un point faible.

Le sien s’appelait Esteban.

 

*

 

Par la suite, Nephir cessa de parler de magie et traita avec ses invités des dernières actualités de leur monde. Keina, perdue dans ses pensées, l’écouta d’une oreille vague badiner sur l’inauguration en grande pompe de l’épicerie Elisseïev à Saint-Pétersbourg et les subtilités de cette nouvelle danse nègre venue des Amériques que l’on nommait cakewalk, et qui faisait fureur dans les salons huppés.

L’imagination, un pouvoir ? Y avait-il un soupçon de vérité dans les divagations de la sorcière ? Pour elle ne savait quelle raison, un vieux souvenir remonta à la surface. Elle se revit, une matinée de juillet, dans la bibliothèque du Royaume, fixer ce mystérieux ouvrage écrasé à terre, dont les pages blanches affichaient quatre lettres : IMAG.

Pourquoi nommait-on les alfs des imaginaires ? Elle songea d’abord aux paroles de Dora (Nous sommes nés de la magie pour servir la magie), puis la voix douce de Maria musarda dans sa tête (les Elfes ne savent pas mentir, ni imaginer. Curieux, n’est-ce pas ?). Suivit le murmure vaporeux de ses ancêtres : Plaisanter ? – Nous en avons entendu parler – C’est un acte d’imagination, n’est-ce pas ? – Seuls les hommes en sont capables – Les hommes et les silfes – Et les imaginaires...

Elle frissonna. S’il était possible de s’emparer de ce pouvoir, de l’asservir à ses fins, alors quiconque en usait, à l’instar du comte de Frankenstein, s’appropriait la puissance d’un dieu ! Qu’avait dit Nephir à ce propos ? L’imagination est un pouvoir inconscient. Chaque homme sur Terre était-il donc le dépositaire involontaire de ce savoir divin ? Comme cette nouvelle donnée renversait les préceptes de son éducation anglicane !

Les plats se succédèrent aussi vite que les questions qui se bousculaient dans sa tête. Peu à peu, elle sentit qu’elle se déconnectait de la réalité. Les bruits de la salle à manger ne lui parvenaient plus qu’en sons étouffés, lointains, et la saveur des mets l’indifférait. Était-ce l’effet du vin, dont le parfum capiteux enveloppait le repas d’une brume orgiaque ? Les convives lui parurent soudain plus chimériques que jamais.

À quelques coudées, la femme aux bloomers s’était transformée en une boursouflure argileuse, herbue, garnie de crocs qu’elle planta férocement dans une dorade farcie. En place de son voisin de droite, une nuée de Pillywiggins voletait dans un bourdonnement sourd au-dessus de son siège. De même, l’autruche n’avait jamais si bien porté son surnom, puisque, munie d’un long bec jaune et courbé, elle picorait maintenant les œufs de saumon dispersés sur la garniture, qu’elle disputait âprement avec une Selkie à tête d’otarie. Sans comprendre les images qui s’imprimaient sur sa rétine, Keina coulissa à nouveau son regard et tressaillit. Face à elle, un immense hibou noir aux pupilles rougeoyant comme deux morceaux de braise la fixait. Georgianna… Elle retint sa respiration et dévia son attention vers sa gauche. Du coin de l’œil, elle avisa enfin la silhouette menue de Mary qui attendait près de la porte, droite et résignée dans son uniforme de domestique, sa petite charlotte de dentelle blanche posée comme une coquille de noix sur sa belle chevelure brune où se mêlait le vert feuillage et le rouge des fruits du sorbier, tandis que ses grands yeux tristes revêtaient toutes les teintes de l’écorce…

L’imagination…

Mais qu’est-ce que cela avait à voir avec elle ?

Comme pour répondre à sa question, Nephir repoussa sa soucoupe de crème anglaise et regarda la silfine.

— À présent, Keina, suis-moi. Il est temps que tu saches pourquoi tu es ici.

Aussitôt, les illusions se brouillèrent. Georgianna, Mary et les autres convives reprirent forme humaine. Keina se leva sans un mot et accompagna sa geôlière.

 

*

 

Nephir la mena à travers un somptueux hall puis une série de galeries dont les percées découvraient quelques arpents de lande rocailleuse qui plongeaient dans un océan aux couleurs ternes. Elles s’enfoncèrent dans les profondeurs du château et Keina se sentit aussi démunie et menacée que Johnatan Harker dans l’antre du comte Dracula.

Enfin, les deux cousines débouchèrent dans une vaste salle voûtée dépourvue de fenêtre, et soutenue par d’amples colonnades couronnées d’acanthes. L’espace était imposant, pourtant ce qui l’occupait semblait l’avaler tout entier et capta aussitôt l’attention de la prisonnière, qui béa.

L’installation, tout de verre, de fonte et d’acier, lui évoqua en premier lieu le croisement entre un atelier d’alchimiste gargantuesque et l’intérieur du Crystal Palace. Un entrelacs d’alambics translucides, d’engrenages dentelés et de cuves cuivrées enlaçait une majestueuse bulle de cristal remplie d’une substance verdâtre. Au pied du dispositif s’adossait un étrange habitacle arrondi, de la taille d’une cabine de police. Un relent d’œuf pourri flottait dans l’atmosphère et se mêlait à la moisissure des vieilles pierres. De la magie.

Sa magie.

— Grands dieux ! Je ne comprends pas, murmura la silfine, et sa propre voix, amplifiée par l’écho, glaça son épiderme. Grâce à votre stratagème et à… à l’Imagination, vous m’avez volé l’énergie du Royaume pour la… stocker dans cette sorte de bocal, n’est-ce pas ? Dans quel but ?

Nephir se déplaça avec grâce devant son invention, ne laissant échapper dans le silence sépulcral que le frottement de sa robe sur les dalles de granit. Puis elle déclara, avec une pointe d’évidence :

— Mais, parce que tu es celle qui attire, voyons !

Soudain, Keina réalisa. Pour la première fois, elle se trouvait isolée avec Nephir, et là, devant elle, à une hauteur de bras seulement, la magie qui pourrait l’aider à la vaincre palpitait au creux de sa cellule de verre ! Elle jeta un regard circulaire autour d’elle. Une carafe remplie d’eau et deux chopes reposaient négligemment sur le seul mobilier de la pièce, une table rustique installée près de la porte. Sans réfléchir davantage, elle se précipita dessus, s’empara de l’un des gobelets de terre cuite, en éprouva la lourdeur, et, de son membre valide, le lança de toutes ses forces contre la paroi du réceptacle. Il la heurta dans un bruit mat, rebondit piteusement et se brisa sur le sol. Un rire cristallin secoua la gorge de la sorcière.

— Voyons, qu’espérais-tu ? Ma bulle de Mémoire est à l’épreuve des projectiles. Seule la magie pourrait en venir à bout ; cependant, eh bien, tu en es dépourvue, n’est-ce pas ? Pathétique petite chose.

C’était là les premiers mots ouvertement méprisants qu’elle adressait à sa cousine, et Keina éprouva un soupçon de soulagement à les entendre. Elle préférait les insultes à cet odieux simulacre de sympathie que Nephir avait adopté à son égard.

— Durant longtemps, j’ai cru qu’il me suffirait de te sacrifier pour m’approprier la Mémoire, reprit-elle en se déplaçant d’une démarche chaloupée de part et d’autre de la machine. Mais grâce au cinquième pouvoir, une autre idée m’est venue. Aussi, lorsque tu te vidais, littéralement, dans ce monde que j’avais conçu à ton attention, la bulle ici présente se remplissait ! Le principe des vases communicants, cela te parle-t-il ? Tu le sais, petit oiseau, tes ailes sont liées, ta magie m’appartient. (Une courte pause, puis la sorcière reprit d’une voix dolente :) Hélas, sans toi, rien n’y fait ! Elle m’est imprévisible. Sans doute ai-je manipulé trop longtemps l’imaginaire… C’est pourquoi tu deviendras mon instrument. Il me coûte de l’avouer, mais j’ai besoin de toi, cousine Keina. Tu dois retrouver les fragments de la Pierre pour moi.

— Les quoi ?

Les lèvres de Nephir s’étirèrent et, d’un geste, elle invita la silfine à s’approcher d’elle. Celle-ci s’exécuta avec une moue méfiante, et émit un mouvement de recul lorsque sa geôlière lui prit l’avant-bras pour la guider dans l’étroite cabine aux parois de verre. Elle reprit :

— Je suppose que les dirigeants du Royaume ignorent encore aujourd’hui les buts que je poursuivais à l’époque. S’en sont-ils jamais souciés ? Tellement persuadés qu’ils étaient que j’en avais après le diadème d’Anna-Maria… Quelle farce ! Alors que seule la gemme en son centre m’intéressait !

— La gemme ? répéta Keina dans un soupir.

— L’un des cinq éclats de la Pierre, oui. La principale théorie de mon père, celle qui le poussa à se donner corps et âme au culte de la Briseuse. Négligeant les idées de sa propre fille ! Mais tout ceci n’a pas d’importance, car je serai la Briseuse, ainsi que je l’ai prédit à mon cher papa. L’Avaleur de Mémoire m’en a fait la promesse.

Un claquement sec ponctua le dernier mot : Nephir venait de refermer la porte de l’habitacle. Affolée, Keina plaqua sa main droite sur la paroi translucide et tambourina avec force.

— Hé ! Que comptez-vous faire de moi ? Nephir !

La panique la gagna alors qu’elle éprouvait la solidité de la cloison incurvée. Au-dessus d’elle, les particules magiques bouillonnaient, s’agglutinaient au verre de la bulle, comme prises d’un besoin impérieux de s’en échapper pour retrouver leur maîtresse légitime. Sans s’occuper des gémissements de la silfine, Nephir poursuivit son monologue.

— Où en étais-je ? Ah oui, les fragments de la Pierre. Cinq en tout, un par pouvoir. En dépit de mes efforts, je n’ai pu m’emparer ni de Thaesan, ni de Thanaïa. Le Cœur et l’Esprit, la Blanche et la Noire… J’en ai pris mon parti, sachant qu’il n’était qu’une question de temps avant que je ne pénètre à nouveau au Royaume. Je suis patiente, petit oiseau, te l’ai-je déjà dit ? Cette invention, dont tu es le moteur, nous servira à capturer Saharti et Kansandraï, les Ailes et les Mains. La magie attire la magie, n’est-ce pas ? Reste Eirsaël, la gemme de l’Imagination. L’Avaleur de Mémoire me la donnera, une fois que je lui aurai procuré les quatre premières. Et alors, seulement, il me laissera réparer la Pierre Brisée.

Un silence. Keina avait cessé de s’agiter et contemplait, incrédule, la sorcière en robe de soie perlée reculer vers un levier de fer, son visage félin toujours fixé sur elle.

— Bien, j’ai assez parlé pour ce soir, petite cousine. Il est temps pour toi de gagner ton salaire en ma demeure. Quant à moi, je vais retrouver mes invités.

Elle tira la poignée. Dans un sifflement sinistre, cinq fines aiguilles d’acier, reliées à la bulle de verre par de longs filaments d’or, jaillirent de l’une des parois de la cabine et vinrent se planter dans la nuque de la silfine, qui éructa un hoquet silencieux.

Les yeux grands ouverts, elle observa sa cousine l’abandonner sans un regard tandis que, dans une décharge électrique, son esprit éclatait au cœur de la Mémoire.

 

*

 

Elle se réveilla dans sa chambre, l’esprit confus et la gorge nauséeuse. Une pluie glacée battait contre les carreaux de sa fenêtre, mais le feu qui embrasait l’âtre l’apaisa quelque peu. Elle avait détesté la sensation que lui avait procurée la machine. Au lieu d’investir ses muscles et sa chair, la magie s’était insinuée dans son cerveau, avait manipulé ses sens et ses souvenirs, jusqu’à brouiller entièrement sa perception du monde. Avant de sombrer dans l’inconscience, il lui sembla qu’elle avait voyagé à travers le multivers, à la recherche de… quoi, au juste ? La veille, Nephir avait parlé des gemmes…

Elle n’eut pas le loisir d’y songer plus longtemps, car la porte s’ouvrit sur la silhouette menue de Mary, qui lui apportait le petit déjeuner.

Pendant que la domestique s’affairait sur sa toilette, Keina tenta de la convaincre de l’aider à s’échapper. Elle se sentait incapable de subir encore une fois une rencontre avec la sorcière, et encore moins de se retrouver à nouveau prisonnière de son invention infernale. Mais la petite alfine se défila dans un balbutiement sans fin, et l’ancienne préceptrice comprit que sa faible raison était maintenue dans les rets de Nephir. Lorsque Mary sortit, Keina s’écroula sur son lit, en proie à un insondable découragement. Un seul espoir surnageait dans le marasme de ses idées noires.

Luni… Où es-tu ? Qu’attends-tu pour venir me chercher ?

 

*

 

Lorsque le cadenas de la porte fit à nouveau entendre son cliquetis, la silfine se redressa avec un sursaut d’espoir. Non, il devait s’agir du docteur venu inspecter la plaie, qui se cicatrisait doucement. Ou bien était-ce Mary, revenue sur sa décision ? Mais l’ombre qui se découpa dans la clarté du seuil n’appartenait ni au médecin, ni à la petite domestique.

C’était celle d’Esteban.

Sous le regard médusé de Keina, qui ne réalisait même pas tout ce qu’avait d’inconvenant cette venue impromptue, l’amant maudit s’introduisit dans la chambre et se posa sur l’une des deux chaises qui cernaient le foyer. Puis il leva ses pupilles ténébreuses sur la silfine et parla de sa même voix sèche et abrupte, affublée d’un léger accent castillan, qui s’était élevée durant le dîner de la veille.

— Au Royaume, vous… vous avez vu Anna-Maria. Parlez-moi d’elle.

Pendant quelques secondes, Keina se tut, s’efforçant de comprendre cet homme impénétrable. Avait-il encore des sentiments pour la reine déchue ? Dans ce cas, pourquoi l’avoir trahie ? Pourquoi l’avoir laissée se faire torturer ? La gorge aride, elle se décida à ouvrir la bouche.

— Anna-Maria s’est pendue. Elle s’est lassée de vous attendre.

Pourquoi avait-elle dit ça ? Les mots étaient sortis d’elle sans qu’elle puisse l’en empêcher. Elle se tendit légèrement, guettant la réaction du silfe. Quelques secondes passèrent. Puis, il se leva brutalement et franchit en deux pas l’espace qui les séparait. Cœur battant, Keina se plaqua le long de sa tête de lit, craignant la main puissante de l’Espagnol. Au lieu de cela, il frappa avec courroux l’un des montants à sa droite. Elle émit un sursaut, mais, d’un air de défi, garda ses yeux noisette braqués sur lui, son poing enserrant fébrilement la courtepointe.

— Vous mentez ! tonna-t-il. Vous mentez pour m’atteindre.

— Et à quoi cela me servirait-il ? Je suis à la merci de votre maîtresse. Anna-Maria est morte, c’est la vérité. Nous l’avons enterrée à la fin de l’automne. Elle était terrorisée.

La silfine crut qu’Esteban allait de nouveau s’échauffer, mais il se recroquevilla sur lui-même et poussa un long gémissement plaintif. Son corps, ratatiné sur le parquet, s’agita de sanglots. Keina retint son souffle, un peu gênée, sans savoir que penser.

— Pourquoi pleurez-vous ? Il est trop tard à présent, finit-elle par bredouiller faiblement, le cœur débordant de rage. Vous l’avez trahie, vous vous êtes enfui avec la sorcière. Vous êtes responsable de tout son malheur.

Encore une fois, elle avait parlé avant que son esprit ne lui fasse entendre raison. Le silfe se redressa si brusquement qu’elle ferma les paupières, persuadée d’avoir signé son arrêt de mort.

Elle sentit des bras athlétiques la saisir par les épaules, occasionnant une douleur aiguë au travers de son muscle blessé, et un souffle brûlant effleura son cou. Ses narines captèrent le parfum musqué mâtiné d’épices de l’hidalgo.

— Que savez-vous de mes actes, jeune insolente ? Que savez-vous de moi ? Est-ce que ça vous amuse de condamner les gens en aveugle ? Vous ignorez tout ce que j’ai déjà enduré en expiation de mes faiblesses passées. Savez-vous seulement que j’ai accepté de payer ce prix afin de sauver ma bienaimée ? Non, évidemment, tout ceci dépasse votre petite cervelle de singe embourbée dans le dualisme du Royaume…

Rouvrant les yeux, Keina les planta dans ceux d’Esteban. Ses pensées bouillonnaient, échauffées par ces insultes.

— Vous haïssez Nephir. Soit, commenta-t-elle d’une voix froide, à l’irritation contenue. Pourquoi vous être donné à elle dans ce cas ? Ce que vous dites est vrai : je ne comprends pas.

D’un mouvement aussi brutal que les précédents, il se détourna d’elle et arpenta le parquet de la chambre. Comme ses manières rustres et fiévreuses contrastaient avec les gestes fluides, insidieux de la sorcière ! L’on n’eut pu imaginer un couple plus mal assorti…

Il passa une main dans la masse de ses cheveux sombres, parut hésiter quelques secondes, puis ouvrit la porte, dans l’intention évidente de s’échapper sans répondre aux questions de la silfine.

Au moment où il allait franchir le seuil, Keina prit une inspiration et tenta le tout pour le tout.

— Si je vous parle de votre… bienaimée, m’aiderez-vous à fuir cet endroit ?

Il stoppa net et tourna la tête en direction du lit.

— Pourquoi ? Je n’ai aucune envie d’affronter la colère de Nephir.

 

— Parce que c’est… ce qu’Anna-Maria aurait voulu ? hasarda-t-elle avec un léger tremblement.

 

Il se tint coi quelques secondes, les lèvres pincées, puis repoussa le battant.

— Mon influence ici est limitée. Je ne puis que vous faire quitter l’île. Par la suite, vous devrez vous débrouiller seule.

Keina hocha la tête, étonnée de la facilité avec laquelle elle était arrivée à ses fins, et l’Espagnol reprit sa place auprès du feu.

— Racontez-moi alors… les derniers jours d’Anna.

 

*

 

L’attente… c’était pratiquement ce que Keina détestait le plus dans sa nouvelle condition de prisonnière. Elle avait terminé The Vicar of Wakefield et entamé The Monk, bien que l’illusoire subversion des romans gothiques l’ennuyât profondément.

Esteban avait promis de revenir le lendemain, avant l’aube, en compagnie de Mary, qu’il entendait bien persuader d’être leur alliée. Pour l’heure, la silfine devait donner le change en présence de Nephir, et accepter toutes ses fantaisies. Au simple souvenir de la machine qu’il lui faudrait subir à nouveau, son corps entier s’anima de frissons, mais elle exhorta son esprit à se montrer brave et stoïque devant son destin.

De la même façon que la veille, la sorcière la fit quérir pour le thé, puis pour le dîner. Elle feignit d’écouter ses discours incessants et d’ignorer les regards morts de l’amant maudit qui se posaient parfois sur elle. Lorsqu’à la fin de la soirée, elle accepta sans renâcler de s’introduire dans l’invention de verre, Nephir émit un petit rictus méprisant.

— Dommage, je t’imaginais plus combative, ma chère cousine, dit-elle avant d’abaisser le levier.

Comme la première fois, Keina eut la sensation que la magie aspirait son existence pour l’emporter par-delà le Passage.

 

Plus infime que l’atome, plus évanescente que l’air, elle explorait les eaux, les montagnes, les déserts, les forêts ; chevauchait les tempêtes, glissait sur les marées, crépitait au cœur des volcans… À la poursuite des fragments d’elle-même, des éclats de son âme, de ses morceaux de vie… Certaine qu’elle les reconnaîtrait, car elle était née de la Pierre, tout comme l’Imagination qui avait façonné tous ces mondes, comme l’Avaleur de Mémoire qui dormait pour le moment, ignorant de ce qu’elle comprenait soudain, et qu’à tout prix elle ne devait pas réveiller… Comme le Royaume, les mémorieux, les imaginaires… S’était-elle un jour demandé qui elle était ? Cette nuit, elle le savait, elle était la Mémoire… Et la Mémoire était elle, portant son empreinte, véhiculant sa vie. Elle n’était pas une parenthèse, non, l’Avaleur l’apprendrait bien assez tôt. Pour l’instant ne comptaient que les gemmes, qui refusaient de répondre à son appel…

 

Elle se réveilla en sursaut, nageant dans sa sueur. Comme la dernière fois, on l’avait déshabillée puis alitée. Sa langue n’était plus qu’un désagréable échantillon de carton pâteux, et une douleur aiguë électrisait l’arrière de son crâne. Elle grogna, avant de comprendre ce qui l’avait tirée de son cauchemar évaporé.

Quelqu’un déverrouillait le cadenas de sa porte, lentement, pour ne pas faire de bruit. Elle se débarrassa prestement de ses couvertures et se dressa dans les ténèbres, sa chevelure fine tombant en cascade sur ses épaules couvertes de lin. Esteban pénétra en silence dans la cellule, suivi de Mary, craintive et nerveuse, un bougeoir à la flamme vacillante dans une main, et des vêtements pliés au creux de son bras gauche.

— Vous avez de la chance, le ciel est voilé cette nuit. Il n’est pas question d’emprunter la chaussée, elle est bien trop exposée. Un bateau vous attend dans une petite crique à l’est de l’île, Mary vous y mènera. À deux, vous pourrez facilement gagner la côte, qui se trouve à moins d’un mille. La marée ne va pas tarder à redescendre, il faudra vous hâter. Mary vous a dégotté une livrée de valet. Vous passerez inaperçue ainsi. Pour le reste… je m’en fiche. Je ne fais pas cela pour vous, mais en mémoire d’Anna-Maria. Avez-vous des questions ?

Il avait débité son discours à mi-voix, sans même lui accorder un regard. Keina secoua négativement le menton, décontenancée par la rapidité des événements, et l’observa repasser le seuil, après avoir marmonné un « bonne chance » à peine audible.

Tandis que la petite alfine l’aidait à enfiler son gilet d’homme, elle lui parla doucement. 

— Pourquoi as-tu finalement accepté de m’assister, Mary ? Qu’est-ce qui a changé, depuis hier ?

— Monsieur Esteban, répondit la domestique d’une voix fluette. Il détient un pouvoir sur Nephir, un grand pouvoir. Il m’a promis de faire en sorte qu’elle me rende mon arbre et je… je sais qu’il le fera.

Keina acquiesça brièvement, moins convaincue que son amie. Pouvait-on se fier à cet homme aux actes et aux gestes si désordonnés, si incongrus ? Elle se garda cependant de faire part de ses doutes à Mary, et la suivit dans le dédale des galeries du château fort.

Après une courte pause à l’office, où la domestique procura à la silfine un caban à capuche épaisse pour se prémunir de l’hiver, elles sortirent enfin dans l’obscurité de la nuit. Une bise glacée mêlée d’embruns s’abattit sur les deux silhouettes menues, qui se pelotonnèrent au creux de leurs manteaux. L’air charriait en masse l’odeur de l’océan. Par intervalles, la bruyère morte laissait apercevoir au gré des nuages l’éclat étincelant du givre qui la recouvrait.

Elles cheminèrent entre les rocailles, guidées par le ressac, que le cri enroué d’un goéland accompagnait parfois. Tandis que Keina avançait prudemment, presque à tâtons, Mary sautillait avec grâce, nullement incommodée par l’opacité. L’ombre noire de la forteresse qui se dressait au-dessus d’elles les avalait sans pitié. Le sol prit soudain de l’inclinaison, et la silfine sentit une boule compacte se formait dans sa gorge. Si elle se rompait le cou, là, ce matin, sur cette lande aride, quelle fin pitoyable cela ferait-il ! Mais l’alfine avait fait demi-tour et la guidait patiemment, sa petite main sèche accrochée à la sienne, moite et tremblante. Peu à peu, les ténèbres pâlissaient, et, quelques yards en contrebas, sur leur droite, une crique naturelle laissait deviner la forme concave de la barque qui l’occupait. Jetant un œil alentour, Keina aperçut à sa gauche la chaussée de pierre qu’Esteban les avait dissuadées d’emprunter, et qui reliait St Aubyn’s Mount à la côte.

Soudain, elle tressaillit : un homme à cheval s’y hâtait, suffisamment proche pour distinguer les deux fuyardes. Prise de panique, elle voulut presser le pas pour échapper à sa vue, et sa bottine dérapa sur une roche humide. Elle s’étala entre les ajoncs, rattrapée tant bien que mal par sa complice, et poussa un glapissement aigu alors que son épaule invalide rencontrait la terre dure et glacée. Légèrement sonnée, elle resta quelques instants sans réagir, tandis que Mary à ses côtés la suppliait en silence de se remettre debout. Mais il était déjà trop tard : alertée par le bruit, la silhouette avait sauté au bas de sa monture et, après avoir crié quelques mots à une personne invisible, se dirigeait maintenant vers sa source.

Keina se ratatina, face contre terre, et enjoignit Mary à en faire autant. Son cœur cessa de battre lorsque, levant le menton par curiosité, elle reconnut celui qui s’avançait sur la lande, un pistolet dans une main, la régularité de ses traits soulignée par les premières lueurs de l’aube.

Pierre d’Andresy, meilleur ami et confident de Luni.

Leurs yeux se croisèrent et il s’arrêta brusquement, le visage déformé par une surprise sans nom. Durant un instant il parut indécis. La silfine retint son souffle, le regard toujours braqué sur lui, comme pour lui envoyer une imploration mentale.

S’il te plaît, fais demi-tour, laisse-nous partir. S’il te plaît…

Mais une voix chantante s’éleva derrière lui, se rapprocha peu à peu, et elle sut que la partie était perdue.

— Pierre, mon doux ami ! Où es-tu donc Tout juste de retour après une si longue absence, voilà que mon secrétaire favori disparaît de nouveau, alors que, prévenue par ma femme de chambre, j’ai sauté du lit pour l’accueillir ! À peine ai-je pris le temps d’enfiler ce déshabillé… Qu’as-tu trouvé dans les fourrés ? Un lapin, comme je te l’avais prédit ?

L’homme soupira doucement et rangea le pistolet dans la poche intérieure de sa gabardine. Puis il se tourna vers la nouvelle venue qui caracolait à sa rencontre en souriant, inconsciente du froid qui l’environnait, et opina du chef.

— Plus précisément des lapines, ma chère Nephir, annonça-t-il d’une voix égale. Deux, pour être exact, mais je te laisse le constater par toi-même.

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Dragonwing
Posté le 01/01/2011
... Je me demande bien si Pierre ne serait pas par hasard un espion du Royaume. La réaction de Luni quand Keina lui avait parlé de ses soupçons à son sujet était quand même assez bizarre, et je trouve que ça expliquerait beaucoup de choses...
Au fait, oui, j'ai sauté un chapitre à commenter, mais la fin du précédent était assez perturbante et j'en étais coite d'horreur. Penser que Keina a passé vingt années de sa vie dans une illusion, que cet endroit et cette famille vers lesquels elle voulait plus que tout revenir après ses déconvenues dans le Royaume n'existent pas... C'est vrai que ça soulage de savoir qu'Amy et Gaétane existent vraiment, ailleurs, dans un endroit où elle ne les a jamais rencontrées, mais au final les trois quarts de sa vie sont partis en fumée...
Pourtant pour être honnête, en dehors de cette ruse, le personnage de Nephyr me laisse assez froide. A force de parler d'elle tout bas et de la redouter en permanence, la personne que l'on découvre en fin de compte est presque décevante. En revanche, son trouble devant la rébellion muette d'Esteban lui donne une profondeur intéressante. Et puis bon, elle nous donne tellement d'infos qui nous manquaient depuis treize chapitres que je lui pardonne un peu de bavasser à tort et à travers. XD
Bon, mais pour rebondir sur ma propre hypothèse, si Pierre est un espion et qu'il vend l'échappée belle de Keina, il y a fort à parier que ça annonce une opération de sauvetage prochaine (avec Luni en guest star pour venir chercher sa demoiselle en détresse, non mais). Mais d'un autre côté, c'est peut-être pas un espion, ça peut juste être un salaud et Keina serait alors très très dans la mouise. Mais ça, je ne risque pas de le savoir sans la suite. (Non non, ce n'était pas du tout une allusion discrète et pleine de tact. 8) )
A bientôt, j'espère. :D
Keina
Posté le 01/01/2011
Pour Pierre... réponse bientôt ! ^^
Alors, Nephir te laisse froide ? Bon, bon, j'en prends note. Peut-être est-ce que j'insiste trop sur elle dans les chapitres d'avant... Il faut savoir avant toute chose que le premier trait de caractère de Nephir, dans ma tête, est d'être complètement cinglée. xD Tout le reste de son comportement découle de là. Ceci dit, elle n'est pas cinglée sans raison non plus, hein. Mais elle est givrée, dans tous les sens du terme, voilà. Et amoureuse d'Esteban en plus, ce dont il se passerait bien, ce pauvre bougre.
En tout cas, tu ne vas pas tarder à savoir si ton hypothèse se vérifie... ou pas ! ^^
À bientôt, j'espère aussi ! (si je ne t'ai pas perdue en cours de route...) :) 
vefree
Posté le 14/11/2010
Et voilà ! Je savais qu'il ne fallait pas faire confiance à ce Français ! Rrrraaaaaaaaaaahh, mais c'est pas vrai ! Qu'est-ce que je vais devenir, maintenant ? J'étais crispée tout le long du chapitre. L'histoire m'a mise mal à l'aise tout du long, vivant les souffrances de Keina avec autant d'intensité qu'elle. Et cet imbécile, que dis-je, ce traitre, lui aussi, sous le joug de Néphir, qui la renvoie dans le piège qu'elle tentait de fuir.
MAIS C'EST DEGUEULASSE !!! ......... ahem ! pardon, je m'emporte.
Non, c'est vrai que ce chapitre me laisse particulièrement révoltée par l'emprise et les pouvoirs de cette sorcière qui semble tout maîtriser de l'univers et dont il semble impossible de lui échapper. Alors, si même Pierre fait partie de ses sbires, que reste-t-il comme espoir à Keina de s'en sortir ? ... je suis effondrée. Que va pouvoir faire Luni, si tant est qu'il soit au courant de l'ampleur du drame, pour sauver Keina ? Aura-t-il le cran ? Aura-t-il la force ? Il n'y a plus que lui, maintenant. ooooh, mon dieu, cette histoire ne tient plus qu'à un fil ! J'ai peur !
Et je vais devoir m'armer de patience pour obtenir la suite... Keina, tu sais que ma patience est bien limitée... un petit tour dans une cage froide et humide de nos chères sadiques avec du Nesquik salé m'effleure l'esprit et il se pourrait bien que j'use de ma petit influence pour obtenir la suite de cette histoire ô combien palpitante... Je caresse l'envie de te retrouver coincée à devoir nous pondre ce que désormais j'attends de pied ferme... ainsi, tu es prévenue, ma chère Keina.
Huhu ! Je me fais l'effet d'endosser la peau de Nephir, là...
Je viendrai te rendre visite dans ta cage tous les jours, ne t'en fais pas... mouahahaha !
Biz Vef' 
Keina
Posté le 14/11/2010
Boh, ça y est, tu ne l'aimes plus, mon français... :( D'accord, il l'a cherché, c'est vrai. :) Ce chapitre t'a mise mal à l'aise ? J'en suis désolée, mais je t'avoue que j'ai eu beaucoup de mal à l'écrire moi aussi tant je me sentais mal pour mon héroïne. À charger l'atmosphère, on finit presque par en ressentir les effets... Au fond, je suis assez contente d'avoir réussi à faire en sorte que mes lecteurs ressentent exactement ce que ressent Keina à la fin du chapitre : le désespoir, l'effondrement. Mais que ça a été dur à écrire ! 
Mais ne t'inquiète pas, je te l'ai dit : il y a toujours de la lumière dans mes univers. Tout n'est pas perdu pour Keina, elle peut retrouver l'espoir ! Tout se joue sur Luni, en effet. :)
En tout cas, j'espère que tu comprendras maintenant toutes les souffrances que j'ai traversées auprès de mon héroïne, et que tu seras indulgente avec moi. Pitiééééé ! é_è
Je mets les bouchées doubles en ce moment. Promis, le prochain chapitre sera prêt dans bientôt ! 
Bises 
Seja Administratrice
Posté le 27/08/2010
Noooon, c'est fini :'( Keina, tu peux pas faire ça ! T'as une suite en réserve, hein ? Et tu vas bientôt la mettre en ligne ? Dis moi que c'est le cas :')<br /><br />Ola, nous voilà donc dans l'antre de Nephir. Brrr. La maitresse des lieux est exactement comme je l'imaginais - complètement folle et à la limite du fanatisme quand elle parle de la Pierre Brisée. Enfin, même pas à la limite... Ainsi, elle veut être la Briseuse. Mais la Briseuse, elle fait quoi au juste ? Elle recolle les morceaux de la Pierre Brisée ? (Et Pierre qui s'appelle Pierre, c'est à cause de la Pierre ? :P) Ola, et la petite invention qu'elle teste sur Keina oO <br /><br />Des éclaircissements viennent aussi s'ajouter sur ce qui s'est passé dans le chapitre précédent. Ainsi tout ce que Keina a connu de Londres n'était qu'une illusion oO Mais c'est affreux ça. Et les silfes qui l'ont confiée à cette famille se sont fait avoir comme des bleus... D'ailleurs, j'y pense, les lettres que Gaetane n'a pas reçues de la part de Keina, c'est parce qu'elle les a envoyés dans le void ? Mais du coup, est-ce que c'est possible que ces lettres soient passées dans le vrai Londres et que la Gaetane locale les ait eues sans percuter d'où ça pouvait bien venir ? Ah et je me souviens aussi d'un truc - au Royaume, la personne dont l'image était restée la plus claire était celle de Georgiana. Est-ce que c'est parce que c'était la seule (avec Mary) à ne pas être une illusion ?<br /><br />Mais du coup, pendant la réunion, ils avaient dit que Nephir était surveillée tout le temps. Donc logiquement, ils ont dû voir qu'elle avait Keina, non ? Ils attendent quoi pour intervenir, hein ? Et Luni, il va arriver bientôt, n'est-ce pas ?<br /><br />C'est aussi l'occasion de faire la connaissance d'Esteban, l'amant d'Anna-Maria qui l'a trahie. Le seul point faible de Nephir donc. Encore amoureux de l'ancienne Reine. Intéressant ce personnage, très intéressant. Et il a l'air d'attendre juste une occasion pour trahir Nephir, le brave garçon, en aidant par exemple Keina à s'échapper, sous une livrée de valet (sic).<br /><br />Mais manque de bol... elle tombe sur Pierre. Pierre auquel Luni fait confiance, Pierre qui semble du côté de Nephir oO Non, mais non, quoi. Je commençais à me faire à l'idée qu'il était pas si dangereux que ça... Ou alors, c'est un espion du Royaume qui essaie de s'infiltrer chez Nephir, celui grâce à qui ils savent ce qui se passe sur cette île. Sauf que là, il pouvait pas laisser partir Keina vu que Nephir était dans les parages, histoire de pas griller sa couverture, toussa. Ou alors, c'est juste le salaud de service qui s'est laissé charmer comme tous les autres...<br /><br />Keina ! J'ai plein de questions et aucune réponse ! J'exige la suite !!! :'(
Keina
Posté le 27/08/2010
Bon, ben oui, voilà. À suivre... ^^' 
J'écris la suite... de temps en temps... Pas trop la tête à ça en ce moment mais je vais m'y remettre. :) Il y a plein de choses que j'ai envie d'écrire ! 
Concernant la Briseuse, pour le moment on n'en sait pas plus. Mais Pierre n'est pas appelé ainsi à cause de la Pierre, non. xD Voui, les lettres que Keina a écrit n'ont jamais été reçues, on peut donc se dire qu'elles ont été envoyées dans le void. Après... c'est une théorie intéressante ! ^^ Et, oui, c'était fait exprès que Georgianna soit la seule dont Keina avait le plus de souvenir. Ça n'a pas forcément d'explication "logique", c'était juste pour dispatcher quelques indices pour la suite (indices indétectables, mais c'était histoire de montrer que tout avait été prévu depuis le début ! ^^)
Hum... concernant la surveillance de Nephir, tu as peut-être soulevé une légère contradiction effectivement. Je ne me souviens plus avoir écrit ça. Normalement la surveillance de Nephir s'était relâchée après toutes ces années "calmes". Mais ça n'empêche pas le fait qu'elle était quand même surveillée de loin, et qu'il y a une autre raison (tout à fait prévue) qui fait que les gens du Royaume ne peuvent pas venir la sauver dans l'immédiat, même s'ils savent qu'elle est détenue par Nephir. 
Esteban est un personnage ambiguë. "brave", je ne dirais pas ça comme ça. ^^ Il hait Nephir, mais malgré ça, ce n'est pas sûr qu'il soit prêt à retourner complètement sa veste. Là, il donne juste un "coup de pouce", et encore, sans s'impliquer réellement. Et il fait ça sur une impulsion. Pierre aussi est ambiguë. Il ne faut pas se fier aux apparences ! L'une de tes conclusions est la bonne, en tout cas. 
Je vais tenter de reprendre l'écriture ce soir. J'aimerais avancer vite dans ce chapitre, parce qu'il y a encore des parties très difficiles à écrire car déprimantes. Keina ne mérite pas tout ce qui lui arrive et c'est dur à écrire. Mais super-Luni à la rescousse, je l'ai promis, je le ferai ! ;) 
La Ptite Clo
Posté le 22/08/2010
*clique sur SUIVANT*
*ne voit pas SUIVANT*
*cherche SUIVANT*
*ne trouve pas SUIVANT*
*panique*
*bouffées de chaleur*
*hurlement*
RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! KEIIIINAAAAAA ! TU PEUX PAS ME FAIRE CA ! T___T
Diantre, alors, qu'est-ce que je vais devenir maintenant, hein ?! 
Que de rebondissements dans ces derniers chapitres... C'était pire ce que j'imaginais ! Nephir a créé le monde où vivait Keina (donc ils ont fait partir Keina du Royaume quand il était déjà créé alors, elle n'est pas partie tout de suite) ! Tout n'était qu'illusions !
Par contre, j'ignorais que Keina savait que Nephir avait tué ses parents. Ou alors, je m'en suis pas rappelée, c'est fort possible aussi. >_<
Mary était une complice involontaire, Georgianna une volontaire... La première impression de Keina concernant le Frenchie était bien la bonne... Il est du côté de Nephir... et IL VEND KEINA ET MARY QUI PRENNENT LA FUITE LE MECHANT !
Quand à Nephir... elle est aussi doucereuse et mauvaise que je l'imaginais. Mais elle semble amoureuse d'Esteban... ahah, son point faible comme tu dis. Surtout que ce dernier n'a pas l'air d'avoir oublié Anna-Maria et paraît l'aimer encore le pauvre...
Je ne vois pas trop comment Keina peut s'en sortir maintenant... À mon avis, Naphir va mal le prendre quand elle va réaliser sa tentative de fuite... Mais bon, j'ai bon espoir que Luni vienne à son secours... Après tout, ils se sont sûrement tous rendus compte du stratagème de Nephir avec la création d'un monde qui n'existe pas, alors ils vont peut-être se focaliser sur le repère de la sorcière  pour trouver Keina, qui sait. :)
Enfin, à part ça Keina, tu me laisses ici avec un énorme creux dans le ventre, il va falloir que je me montre patiente désormais pour connaître le sort de Keina... (youh ça fait bizarre de dire deux fois Keina dans la même phrase xD).
En tout cas, sache que vraiment, je ne regrette pas du tout ma lecture, et même si je ne sais pas trouver les bons mots comme les autres, pour exprimer comment ta plume m'a touché, et bien, je te dis seulement que je me suis régalée du début jusqu'à la fin, et que comprenant d'habitude les particularités du SFFF avec difficulté, là, j'ai assez bien compris l'histoire et les petits détails. :)
Voilà. Maintenant, écoute, si tu ne veux pas que je te lance un Alf très très très méchant à l'effigie de Flammy à tes trousses, tu sais ce qu'il te reste à faire... =D *sourire Colgate*
Keina
Posté le 22/08/2010
Eeeeeh non, pas de suivant pour le moment... ^^' Il s'écrit, il s'écrit ! Lentement mais sûrement. 
Concernant le fait que Keina savait que Nephir avait tué sa mère... effectivement, tu soulèves un problème intéressant. Je ne crois avoir jamais jusqu'à ce chapitre m'être prononcée sur le sujet, ce qui explique le fait que tu pensais qu'elle ne savait pas. C'est un souci... mais, au fond, cette information sous-entendue (le fait que Keina ne sache pas, ce qui semble logique vu qu'on est dans sa tête et qu'elle n'aborde jamais le sujet) est peut-être à garder tel quel, ce qui rendrait le discours de Nephir (quand elle parle des derniers mots de sa mère) encore plus cruel et étourdissant pour Keina, qui aurait une raison supplémentaire de se trouver très mal à ce moment-là. Il faut juste que je change les premiers mots qu'elle adresse à Nephir et le tour est joué ! Bref, un gros merci pour m'avoir fait prendre conscience de ce détail ! ^^
Concernant Pierre, je ne me prononce toujours pas. Mais il est clair qu'il ne laisse aucune chance à Keina à ce moment-là. C'est un homme pragmatique, secret, et sa relation avec Nephir est très floue. Concernant Esteban et Nephir justement, c'est toujours jouissif pour moi de présenter les principaux instigateurs de la guerre. J'avais déjà présenté Atalante, ne reste plus qu'à présenter Alderick. J'en mourrais d'envie, malheureusement ça va être difficile. ^^' Mais Alderick aussi était un personnage intéressant. Gai, optimiste, visionnaire, très bon orateur, fou amoureux d'Atalante, mais complètement fasciné par les talents de sa fille, ce qui l'a perdu. Nephir a hérité de lui son côté visionnaire, ses talents d'orateurs, mais aussi son côté un peu possessif, qu'elle montre avec Esteban. Ceci dit, Nephir a quand même une conception particulière de l'amour... 
Luni fait tout ce qui est en son pouvoir pour sauver Keina. Malheureusement, Nephir a vraiment tout prévu, et elle savait probablement que les gens du Royaume se lanceraient à sa recherche... À voir si Luni trouvera ou a trouvé un moyen de déjouer ses pièges. Il est plein de ressources aussi ! Peut-être que le calvaire de Keina touche à sa fin... peut-être... ;)
En tout cas, merci beauuuucoup pour tous tes gentils commentaires. Ils m'ont fait vraiment très plaisir. Je suis contente que tu ne te sois pas sentie perdue, je voulais vraiment faire de la fantasy historique à dimension humaine, sans grandes considérations cosmologiques et politique. Je suis contente de voir que ça fonctionne à peu près... ^^
Et ta menace étant plutôt flippante, je vais m'atteler très vite à la suite alors ! :D
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