28. Apprendre à mourir

Aymée n’était toujours pas réveillée.

Merle avait eu le temps de sculpter une fougère, des orties, une luciole (ratée, et il en avait déjà quatre versions) et, en désespoir de cause, s’était mis à faire la goule commandée par sa sœur. Pour arriver à rendre non seulement la forme mais les émotions qu’elles provoquaient, il observa plusieurs fois les goules du marais devant la boulangerie. Comme elles gobaient les animaux les plus nauséabonds, il n’y avait pas trop d’insectes et l’odeur était agréable. C’était plutôt comme un tout petit lac face à la terrasse. Il s’asseyait là, sur les chaises en osier, et fixait l’eau, en maintenant une bonne distance. De toute façon, il dormait peu, et mal, alors il préférait passer le moins de temps possible à se tourner et retourner dans l’ancienne chambre de Diane.

Un soir, Ludivina vint le retrouver dehors et s’installa en silence près de lui. Elle n’avait pas besoin de suggérer son idée pour qu’il la comprenne : elle lui proposait de l’emmener aux Dunes de nouveau.

— Vous pensez qu’elle pourrait y être ? demanda Merle.

— Arrête de me vouvoyer, répondit Ludivina.

— Vous êtes certaine qu’on reviendra facilement ? Je ne voudrais pas rater son réveil.

— Tu me fais confiance, petit ?

Merle eut très envie de secouer la tête mais sentait que ça aurait été impoli. Le bras couvert de bracelets multicolores s’approcha de lui et la main ridée se posa sur la sienne.

— Tu es prêt ? souffla la vieille dame.

Il se tourna vers elle, rencontra son regard, prit une profonde inspiration, puis ferma les yeux.

Lorsqu’il les rouvrit, ils étaient tous les deux au fond de l’océan, dans les labyrinthes calcaires.

Les haies étaient encore plus hautes que d’habitude dans l’allée où ils débarquèrent. C’était étrangement vide, aussi. Où étaient donc passés les esprits ? Merle jeta des regards furtifs de tous côtés, inquiet. Il préférait encore voir les monstres que de les imaginer.

— Petit, petit, petit, prononça-t-il, mais sa voix ne provoquait que des bulles.

Pourtant, il ne sentait pas la résistance de l’eau quand il se déplaçait, et marchait sur le sol comme s’il était hors de la mer. Comment marchait ce monde ? Qui l’avait créé ? À quoi servait-il ? Il se tourna pour poser toutes ces questions à Ludivina mais ne vit que la silhouette de celle-ci qui tournait au loin. Elle était partie sans lui ! Il courut pour la rattraper mais un bras squelettique émergea soudain d’une des haies, où un buisson blanc renfermait des os. Il rentra dedans à toute allure et prit le squelette dans le ventre, se pliant instantanément de douleur. Penché en deux, il discerna soudain des insectes par terre, des milliers et des milliers de fourmis, mille-pattes, araignées et scorpions, qui formaient ce sol. Ils rongeaient les cadavres de poissons et ne laissaient que leur squelette fragile. Épouvanté, Merle fit un saut en arrière et poussa un cri qui ne fit aucun son.

Il courut dans la direction inverse, prit à gauche, à droite, sans aucune logique ni sens, juste pour s’éloigner de ce qu’il venait de voir. Il n’aperçut que trop tard le pilier de pierre contre lequel il se fracassa avant de tomber par terre. Le sol était désormais lisse. C’était une pierre blanche et douce, dont les nervures caressaient ses doigts.

Avec un sourire fasciné, il observa les paysages qui se dessinaient dans ses traits, avant d’entendre une voix qu’il avait presque oubliée tant il ne l’avait pas entendue depuis longtemps.

 

« Bah alors, mon garçon, tu es devenu maçon ? »

Il releva les yeux et découvrit que la dame qui lui parlait était bel et bien Eugénie.

Avec une main sur la bouche et des larmes dans les yeux, il la fixa, se retenant de se jeter dans ses bras comme il le faisait enfant. Sa tante était là, avec son grand tailleur de toujours qu’elle portait même dans les bois, bien trop grand pour elle : le pantalon bouffant brun et la veste verte aux manches retroussées. Un serre-tête orange maintenait hors de ses yeux la touffe de cheveux frisés qui partait dans tous les sens. On aurait dit une goule qui faisait des spectacles pour enfants. Elle lui avait tant manqué.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il à voix haute, mais les bulles sortaient sans faire de bruit.

« Projette ta pensée, lui dit-elle, comme tu lancerais une pomme de pin à un sanglier. »

« Quoi ?! »

« Voilà. »

Merle cligna des yeux plusieurs fois. Ça faisait beaucoup. Il voulait bien s’adapter au fur et à mesure à un monde changeant, mais là, il fallait que ses neurones fassent le point.

« Qu’est-ce que tu fais là ? »

« J’arrose les buissons. »

« Eugénie… »

« Je fais des ricochets. »

« S’il te plaît. »

« Je t’attendais, bécassin. Je sais que tu es très à cheval sur les au revoir. Un peu trop, soit dit en passant. »

« Tu m’attendais. Tu m’attendais. Mais je suis mort là ? »

« Est-ce que tu entends le bruit du vent ? »

Merle soupira, projetant des bulles tout autour de lui. Il avait oublié le penchant de sa tante pour les propos énigmatiques et incohérents. Il se releva pour qu’ils puissent faire quelques pas ensemble tout en discutant. Il avait toujours l’esprit plus clair quand il était en mouvement.

« Tu es morte il y a longtemps. »

« On n’a pas d’horloge ici. »

« Il y a d’autres gens ? »

« Sûrement mais c’est très grand. C’est rare de croiser quelqu’un. »

« Comment on s’est trouvés alors ? C’est une coïncidence ? »

« Je ne crois pas. Je crois que quelqu’un t’a poussé dans ma haie. Tu es venu accompagné ? »

Merle fronça les sourcils. Ludivina ? Pourquoi l’aurait-elle mené là ? Par malice ou pour l’aider ? Pouvait-il lui faire confiance ?

« Est-ce que quelque chose peut nous attaquer ici ? »

« Tu te sens toujours autant en danger ? »

« Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »

« Il va falloir être plus précis. »

« C’est toi qui dis ça ! »

« Le grillon et la pomme. »

« Quoi ? ! »

« Le champignon et la sauterelle. »

« Qu’est-ce qui t’est arrivé quand tu es morte ? Pourquoi tu n’es pas revenue ? Je ne pratique plus le voyage astral depuis que tu es partie. »

« Quel dommage… J’aimais tant quand on sautait de monde en monde ensemble. Tu te souviens des champs de coquelicot à perte de vue ? Et de cette vague géante qui s’échouait sur la falaise et inondait le plateau ? Avec la foudre extraordinaire dans le ciel noir. Il n’y avait pas une petite fille échouée sur un sentier ? Est-ce que c’était un poisson ? Est-ce qu’elle était vivante ? »

« Pourquoi tu n’es pas revenue ? »

« Je n’ai pas trouvé le chemin, et puis j’étais si fatiguée. J’ai passé des siècles magnifiques dans la ville d’Ondoürine. C’était une cité blanche, avec des jardins luxuriants, des ponts en terre cuite peinte, des douches extérieures couvertes de mosaïques bleues. J’y ai vu naître et mourir un dieu. »

« C’est une vraie ville ? »

« Je ne sais pas. J’ai appris leur langue, leurs coutumes. Ils ont fini par m’accepter, même s’ils m’ont toujours appelée Fatwil. Ça veut dire celle qui voyage. »

« Tu me donnes envie d’y aller. »

« Je n’ai pas su arrêter d’y retourner. »

Ils parcoururent silencieux plusieurs haies, rêvant à cet univers qui avait happé Eugénie si loin de leur Madeira natale. Les parents de Merle lui avaient toujours reproché de fuir la réalité, de ne pas s’impliquer ni s’engager avec les vivants, les proches, ceux qui étaient vraiment là, mais ceux qui ne voyagent pas par l’esprit ne comprennent pas que ces réalités existent tout autant, qu’aucun niveau n’est plus indiscutable que les autres. Merle savait, lui, les dangers de plonger dans cet abîme. Il fallait y être précautionneux, modéré ; ça demandait de la sagesse et de la maturité.

« Tu m’as l’air bien grave. Il faut dire que tu l’as toujours été. Petit, déjà, tu me fixais avec tes immenses yeux remplis de questions. »

« Tu n’y répondais jamais vraiment. »

« On ne pose pas des questions pour avoir les réponses. »

« On les pose pour exprimer le doute qu’on ressent. »

Merle n’arrivait pas à croire qu’il se souvenait encore de cette phrase qu’elle répétait souvent. Ses souvenirs d'Eugénie semblaient se délier, se révéler, après des voltes où ils étaient demeurés flous et inaccessibles. Elle avait été la mère qu’il aurait souhaité avoir, même s’il se rendait bien compte que ça aurait impliqué se débrouiller seul pour la nourriture, le sommeil, l’école, et toutes les autres choses pratiques de la vie. Aurait-il seulement survécu à ses premières voltes dans ces conditions ? Il la regardait d’un œil différent maintenant, de celui qui s’était chargé d’Aymée toutes ces voltes, dans la corporalité inexorable de ses vertiges, nausées, migraines, et maintenant de son coma.

« Aymée ne se réveille pas. »

Eugénie fit un tour sur elle-même, comme si elle ne l’avait pas entendu. Il répéta.

« Ce sont des choses qui arrivent. »

« Pardon ? »

« Vivre n’est pas toujours agréable. »

« C’est tout ce que tu as à me dire ? »

« Et qu’est-ce que tu aimerais que je te dise ? »

« Comment la sauver. Comment la trouver ici pour la ramener. »

« Non. Tu aimerais que je te dise comment ne pas souffrir. Et si j’avais su le faire, je n’aurais pas vécu autant d’années à Ondoürine. »

Merle sentait la colère remonter. C’était comme sa meilleure amie, cette sensation qui électrisait ses veines et raidissait ses muscles, qui refermait son poing et sa mâchoire, accélérait son cœur. Il préférait mille fois être furieux que triste. C’était une souffrance plus superficielle, qui limitait sa vision, ramenait tout à l’instant présent, à la destruction, au chaos. Il n’y avait pas à chercher de sens ni de solution.

« Bon. Peut-être que maman avait raison sur toi. »

Eugénie eut un sourire amusé. « Tu n’arrives toujours pas à gérer tes fureurs, hein ? »

Petit, déjà, il se roulait par terre en hurlant que les choses n’étaient pas possibles, pas justes, qu’il fallait que ça s’arrête, qu’on rétablisse un système rangé, avec des lignes bien droites et des symétries claires, que le monde soit cohérent. Il demandait le but de la vie et s’interrogeait sur la matière des étoiles. Il voyait la mort partout, le deuil, la fin, et ne comprenait pas pourquoi personne n’en parlait. Il observait les canopéens depuis les passerelles et pleurait parce que chacun d’entre eux, un par un, mourrait, et qu’il ne pouvait rien faire pour les en empêcher.

Aucune de ces peurs ne datait de la maladie d’Aymée.

Merle et Eugénie arrivèrent devant une porte en bois rose. Elle était minuscule, comme pour des enfants, et en bas il restait des traces de peintures : il y avait eu des esquisses de fleurs.

« Voilà, c’est là que je m’arrête. »

« Tu vas où ? »

« Je vais rendre ma cynée aux étoiles. »

« De quoi tu… »

Merle comprit soudain qu'Eugénie traverserait cette porte et qu’il ne la verrait plus jamais, de nouveau.

« Mais cette fois, on peut se dire au revoir. »

La morte ouvrit les bras avec un sourire et Merle vint se nicher à l’intérieur. Il ne sentait pas vraiment le contour de son corps, car il n’existait plus, mais éprouvait sa présence, comme si l’eau était plus dense. Il se força à calmer sa respiration lorsqu’elle tourna la poignée et ouvrit la porte. De l’autre côté, il n’y avait qu’une vaste plaine bleu nuit, qui devenait noire au fond. Merle croisa les bras avec une main sur sa bouche pour ne pas retenir sa tante. Elle fit un pas dehors, se tourna vers lui avec un sourire, puis referma la porte.

Au bout de quelques minutes, il tourna la poignée, lui aussi. Il n’y avait plus rien d’autre que la plaine vide.

Eugénie était partie.

 

Merle expliqua à Cora, Antoine, Arthur et Andromède qu’il partait quelques jours et qu’il serait vite revenu. Qu’on prenne soin de sa sœur et qu’on lui explique qu’il ne tarderait plus si jamais elle se réveillait. Il prit un baluchon qui avait servi à Diane pour ses voyages scolaires il fut un temps, et le remplit d’un vêtement de rechange, une écharpe en laine cousue par Ludivina, et des vivres. Il trouverait de l’eau à des ruisseaux et des sources, lui avait assuré la vieille femme en lui expliquant le chemin.

Il partait à Alba, où les sabliers menaient une vie nomade et illégale dans les montagnes, dont ils ne ressortaient que pour les services itinérants qu’ils rendaient. C’était des mystiques puissants, qui jouaient avec les frontières entre les mondes avec une subtilité et une agilité rares. Seuls eux pourraient l’aider à maîtriser le voyage astral pour retrouver Aymée là où elle s'était perdue.

— Mais vous m’avez bien envoyé jusqu’à Eugénie, vous, insista Merle une dernière fois auprès de Ludivina avant de partir.

— J’ai mis des jours à te ressortir de là… Hortense et Pardo ont failli me lapider à coups de viennoiseries périmées. Galatée me donne des leçons chaque fois qu’iel passe par le village, mais je ne serai jamais à son niveau. J’apprends juste assez pour ne pas trop vagabonder dans les Dunes quand ce sera mon tour.

De fait, Merle avait du mal à garder un pied dans la réalité. Dès qu’il dormait, il repartait dans les Dunes, face à la porte rose. Il se réveillait en sursaut à chaque fois qu’il essayait de l’ouvrir. La plaine vide le tuerait, il en était certain. Il avait bien essayé d’aller ailleurs, d’explorer, mais des monstres lui tombaient dessus où qu’il se rende, et il se réveillait aussi. Quant à Aymée, son état n’avait pas évolué du tout.

Il partit donc sur le sentier qui gravissait les montagnes, derrière la cure Aux Quatre Vents, et l’Ambré devint de plus en plus petit derrière lui, tandis qu’il suait et crapahutait. Heureusement qu’il avait grimpé à des arbres toute sa vie : l’effort physique ne lui faisait pas peur, et la nature sauvage non plus. La chaleur, en revanche, l’étouffait. Il attendit la tombée de la nuit pour se guider aux étoiles : Eugénie lui avait dit de suivre la constellation de la raie, qui menait toujours à Galatée, où qu’iel soit. Dans l’obscurité, des animaux se réveillèrent : chouettes, hiboux, chauves-souris, mais aussi des grillons, des lynx et une masse en fourrure qui passa au loin ; peut-être un loup ou bien un ours. Tout pouvait le tuer, mais étrangement, tant que ça avait une forme physique palpable et une réalité planétaire indéniable, Merle trouvait cela moins effrayant.

Le lendemain, il s’arrêta sous l’ombre d’un pin pour dormir. Il relut au réveil la lettre de Diane, dans laquelle il trouvait du réconfort et de l’émerveillement. Ça lui donnait envie de voir la toile aussi. Quand il essayait de basculer, rien ne se produisait. Ses yeux devenaient humides de fixer le même point et il était certain d’avoir l’air tout à fait ridicule.

« T’inventes des choses, peut-être », projeta-t-il aussi fort et loin qu’il le pouvait, « parce qu’autant tu nous dis à tous blablabla la toile, et en fait c’est une vaste farce. »

Il n’y eut aucune réponse. Lorsque les étoiles brillèrent, il reprit la marche tout en continuant de lui parler. Il aperçut la constellation de la pieuvre et lui adressa un hochement de tête, comme un salut. Il eut l’impression que les étoiles brillèrent plus vivement l’espace d’un instant.

« Je plaisantais, tout à l’heure », projeta-t-il, « j’aimerais bien voir les couleurs et lignes moi aussi. J’imagine ça comme une toile d’araignée mais j’ai du mal à comprendre comment tu peux voir toutes les couches sans que ce soit confus. »

« Merle ? » entendit-il et la voix avait la saveur de la neige.

« Diane ? » répondit-il, interloqué.

« Mais qu’est-ce… »

« Je ne sais pas, je… »

« Mais tu m’entends. »

« Oui, ou alors je deviens fou, ça y est. »

Il regarda la bouteille de thé que lui avait préparé Ludivina avec un regard méfiant. Qu’est-ce qu’elle avait bien pu glisser là-dedans ? Est-ce qu’il partait en hallucinations ? Ou est-ce qu’il était resté coincé dans les Dunes ? Voilà pourquoi il détestait les sauts entre dimensions : on ne pouvait plus être sûr de rien, après.

« Je suis arrivée à la côte. On a réussi. »

« La petite est née ? »

« Non. Comment tu vas ? »

Le silence se prolongea, lourd de sens. Il entendit un soupir dans sa tête et toute la compassion qu’il contenait. Il avait beau ne croire qu’à moitié à ce qui leur arrivait, il était forcé de constater qu’il le ressentait. C’était un soulagement diffus, profond.

« Tu m’as manqué », projeta-t-il tout bas.

« Toi aussi. »

« Je suis à Alba. »

« Quoi ?! »

« Je cherche um sabliære. »

« T’as trop fréquenté Ludivina, toi. »

« Tu avais raison pour les Dunes. Je crois. Je n’y comprends rien. Il faut que j’aille au bout. Les montagnes sont magnifiques ici, tu es déjà venue ? »

« J’ai jamais osé. Toutes les voltes, je disais : cette fois, c’est bon. Mais en fait je me trouvais toujours une excuse. »

« Pardo m’a dit que j’étais dingue d’essayer. »

« Pardo n’aime pas trop les grands espaces. »

« Ni la ville, d’ailleurs. »

« Non. Mais il adore notre village et notre famille. »

Merle entendit la tristesse dans sa voix et eut soudain l’image d’un mont enneigé, d’une plage de galets et de l’étendue glaciale et sombre de la mer.

« Oh, c’est beau. Comment t’as fait ? »

« Je ne sais pas », avoua-t-elle.

« Ce n’est pas dangereux, finalement ? Vous n’avez pas été attaqués ? »

« Je ne pense pas qu’on aurait pu accoster sans nos amis. Ce sont eux qui ont négocié notre droit de passage. »

« Tu as vu le Marché Flottant, alors ? »

« Oui… C’était quelque chose. Faudra que je te raconte. »

Il eut des visions furtives de visages, colères, pilotis. Tout s’effaçait et apparaissait en même temps. C’était chaotique, miraculeux.

« Je cherche des couvertures dans des maisons abandonnées. Tout le monde a froid. »

« Diane, il y a un renard qui me fixe. Il est argenté. »

« Suis-le. »

« Tu crois ? »

« Je suis sûre. »

Merle partit dans les pas du renard, qui se tournait parfois pour l’observer, puis continuait. Inlassablement, ils grimpaient et descendaient à travers les vallons.

Lorsque l’obscurité s’estompa, la voix de Diane n’était plus qu’un murmure endormi, et une montagne apparut avec un observatoire à son sommet. C’était là que Merle trouverait Galatée. Il souhaita de beaux rêves à l’ilyenne enneigée et entama l’ascension.

 

Dans un lac rempli de nuages, une silhouette humaine nageait vers la surface. Elle la traversa en un saut et baissa ses ailes en piqué vertical, puis tournoya sur elle-même, faisant chuter l’eau en cascade arc-en-ciel. Enfin, elle déploya ses plumes beiges aux contours dorés et d’un coup sec prit de l’altitude.

Merle se réveilla avec la bouche pâteuse et une impression confuse de fascination, peur et sérénité. C’était la première fois depuis longtemps qu’il ne rêvait pas des Dunes et qu’il se réveillait reposé.

Il faisait jour dans l’observatoire désormais. Le renard n’était plus là mais une personne haute, mince, entièrement vêtue de brun, depuis sa capuche jusqu’à ses bottes, griffonnait des notes sur un bureau, face à la carte des étoiles.

— Galatée ? demanda Merle en se levant.

Sa voix était enrouée et il devait avoir l’air d’un vagabond. Il espéra ne pas l’effrayer.

Iel ne lui jeta même pas un regard et continua d’écrire comme s’il n’existait pas. Le renard réapparut à la porte et lui jeta un regard comme pour lui prouver qu’il était bien là. Son pelage argenté brillait au soleil. Merle suivit l’animal au-dehors.

Il s’arrêta après quelques pas pour contempler la vue époustouflante : partout s’élevaient des montagnes, les unes après les autres, toutes inhabitées, sans sentier ni hutte, comme si aucun mage, aucun humain, n’avait droit de résidence ici. Comment vivaient les sabliæres ? Quelle chance iels avaient d’exister dans ce monde loin de tout et au-dessus des villes. Quelque chose vibra en Merle, comme la confirmation que tout ceci était un rêve pour lui : s’extirper, s’envoler.

Il se souvint soudain de son rêve et se demanda ce qu’il signifiait. Il aurait aimé demander de l’aide à Siloë, dont il regrettait de plus en plus souvent la présence. Malgré ses airs facétieux, la chamane lui était venu en aide avec constance et bonté. Est-ce que Galatée accepterait de l’aider ? Il n’avait rien pour lea payer. Iel le renverrait peut-être. Il plaiderait sa cause. Les sabliæres étaient-iels dangereuses ? Pourquoi était-il venu sans rien savoir ? Sans rien prévoir ? Devenait-il fou depuis que sa sœur était en danger ? Avait-il toujours été fou, comme Eugénie avant lui ? Est-ce que ça lui avait été irrémédiablement transmis ? Luttait-il contre son instinct en vain ? Finirait-il par céder et s’enfuir dans une autre dimension, lui ? Ou rester coincé entre deux mondes, sur la frontière, comme un funambule tétanisé ?

Merle trouva des framboises sauvages dans des buissons et une source d’eau fraîche et pure. Il revint à l’observatoire, délié et harassé par la marche, la peau brûlante de soleil.

Galatée sortait des affaires d’un sac de voyage et les disposait dehors, sur l’herbe, pour qu’elles sèchent : des vêtements lavés, une corde, trois couteaux, une boussole. Iel retourna le sac et le laissa là aussi.

Iel jeta un œil à Merle et l’invita d’un geste de la main à s’asseoir par terre aussi.

— Qui t’a envoyé ? demanda-t-elle.

Sa voix était plus grave qu’il l’avait imaginée, recelant des siècles que lea sabliære ne pouvait avoir vécus, comme s’ils étaient enroulés à l’intérieur d’iel.

— Ludivina, de la boulangerie du Lac Ambré.

Lea sabliære eut un rire amusé et s’allongea par terre, portant les yeux sur les trois nuages blancs qui changeaient de forme au gré du vent.

— Une de mes disciples préférées, répondit-elle. Tu es le bienvenu, Merle Abillion.

Le canopéen fut surpris mais ne demanda pas comment elle connaissait son nom. Il avait appris avec Eugénie et Siloë qu’il valait mieux prononcer seulement les questions les plus urgentes, celles auxquelles il nous fallait des réponses pour exister. Les autres pouvaient s’oublier et se perdre dans le silence des voltes.

— Tu viens parce que ta sœur est malade, poursuivit-iel lentement, comme si iel lisait en lui. Elle est perdue dans les Dunes et tu espères la retrouver.

Le silence se prolongea tandis qu’iel réfléchissait.

— Tu as parcouru bien du chemin pour échapper à la mort. Bien que ce ne soit pas la tienne, le principe reste le même. Tu refuses le pacte. Est-ce que tu comprends que l’univers respire ? Il s’étend et se contracte comme notre abdomen. Il ne peut pas constamment grossir, sans quoi il exploserait et toute vie s’éteindrait.

Malgré le lieu idyllique, Merle se sentit irrité par les propos de Galatée. Il n’avait pas gravi des montagnes pour qu’on lui sorte les mêmes platitudes que partout ailleurs : tout le monde meurt ; il faut se détacher des personnes qu’on aime et accepter le destin ; seuls les gens raisonnables ne sont jamais déçus ; ça ne faisait de bien à personne de croire à des espoirs sans fondement ; on guérissait toujours du deuil au bout d’un moment ; la vie était injuste.

— Doucement, dit Galatée. Tu bouscules les fleurs. Regarde, même Pyrus te fuit.

Le renard s’éloignait en effet avec un regard méfiant vers Merle.

— Je ne suis pas méchant, dit celui-ci tant au renard qu’à Galatée.

— On croit souvent faire le bien en gardant la violence à l’intérieur. Mais aussi contenue qu’elle soit, elle se ressent tout autour. Tu penses que ta colère est imperceptible parce que tu ne cries jamais et que tu ne frappes personne, mais tu te trompes. Elle s’exprime dans les expressions de ton visage, dans la rapidité de ton souffle, dans les muscles de tes bras qui se tendent, dans ton silence douloureux. Tu repousses tout le monde hors de toi pour qu’ils ne souffrent pas, mais ne penses-tu pas qu’ils peuvent souffrir de ton rejet ?

— Vous voulez que je m’énerve ? demanda Merle sur un ton tranchant.

— Montre-moi le pire que tu puisses faire, dit Galatée avec un sourire.

Il s’apprêta à lea couvrir d’insultes, à repartir dans son monologue contre le monde, la maladie, la société, ses parents, l’injustice, l’absurdité, mais soudain il n’eut plus envie de répéter encore une fois la même tirade. Il commençait lui-même à douter de son efficacité. Est-ce que ça lui faisait du bien de se rebeller ? Contre quoi se rebellait-il exactement ?

Mettant un pied hors de la colère sans visage, il palpa le terrain du doute, où rien n’est vrai ou faux, où rien n’existe tout à fait.

— C’est ça que tu fuyais ? demanda Galatée en regardant le paysage dans lequel il s’imaginait, un désert sans frontières ni oasis.

— Non, dit Merle.

Il savait qu’il y avait encore quelque chose d’autre, que cet univers de sécheresse était ce qui précédait le déluge. Il se souvenait de la douleur qu’il avait éprouvée et enfermée et il secoua la tête. Il n’irait pas par là. Même s’il avait été d’accord, il ne savait même plus comment y retourner.

— Moi, oui, dit Galatée avec un sourire malicieux.

 

À la nuit tombée, Galatée disposa un large cercle de pierres sur la pelouse, puis un cercle plus petit avec des objets de Merle : un dessin d’Aymée, une figurine de sauterelle, le couteau avec lequel il taillait le bois, la lettre de Diane. Le canopéen fut invité à s’installer au centre, dans la position qu’il souhaitait tant qu’il pouvait la maintenir longtemps. Il s’assit, posa les pieds à plat devant lui, genoux pliés, les mains par terre.

Autour des deux cercles, un troisième apparut soudainement, constitué de flammes bleues.

Merle se fit la réflexion qu’il avait accepté d’être initié par um mage faisant partie d’une tribu criminelle dans des montagnes où on ne le retrouverait jamais. Si tout s’incendiait, il ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même. Pourtant, ce qui lui faisait le plus peur n’était pas le feu, ni que tout cela soit une mascarade vaine, une supercherie, une farce. Ce qui lui faisait peur, c’était l’idée que ça pourrait marcher, que Galatée réussisse à ouvrir en lui les portes qu’il maintenait fermées depuis si longtemps.

— Est-ce que vous êtes sûre que c’est une bonne idée ? demanda-t-il aussi fort qu’il le put.

Il posait sa question au vide, car il ne voyait plus lea sabliære nulle part, et d’avoir parlé lui donna une quinte de toux. Il était censé se taire et rester immobile. Iel le lui avait dit mais ça lui semblait difficile à tenir. Il essaya de se lever mais se rendit compte qu’il en était incapable. Ses pieds, ses mains et son coccyx semblaient aspirés par une gravité tenace. Sa respiration s’accéléra car il commençait à paniquer. Où était Galatée ?

Un bruit d’ailes puissant lui fit relever la tête. Au-dessus de lui, une silhouette humaine secoua ses immenses ailes, avivant les flammes, puis fondit sur lui. Tandis que les ailes se déposaient tout autour de son corps immobilisé, Merle plongea dans l’obscurité.

Il ne pouvait plus bouger ni voir.

Il essaya d’appeler à l’aide mais avant même qu’un son sorte, une autre quinte de toux, plus forte que la précédente, le terrassa.

Je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir.

Ses pensées se disloquaient. Il s’accrochait désespérément à ce qu’il savait. Il s’appelait Merle Abillion. Il était dans les montagnes d’Alba, au sud d’Ilyn. Sa sœur Aymée était dans le coma à la cure Aux Quatre Vents. Il dormait dans l’ancienne chambre de Diane nom de famille. Il s’appelait Merle Abillion. Il était dans les montagnes d’Alba, au sud d’Ilyn.

— Lâche, lui murmura une voix.

Il se débattit sans faire un geste et ouvrit la bouche sans prononcer un mot, pour répondre à cette injonction qui sortait du néant. Lâcher quoi ? Lâcher quoi ? Lâcher quoi ?

Je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir, suis-je mort ?

Il comprit que s’il pensait avec frénésie à la mort, il n’y était pas tout à fait. Un mort ne se dit pas qu’il est mort, probablement. Il était vivant, dans une prison invraisemblable dont il ne sortirait plus jamais. La panique remonta.

Et si je ne reviens jamais ? Que deviendra Aymée ? Comment elle fera sans moi ? Qui s’occupera d’elle ?

Et si Aymée ne revient jamais ? Qu’est-ce que je deviendrai ? Comment je ferai sans elle ? Qui s’occupera de moi ?

Il n’essaya plus de bouger ni de parler. Il s’arrêta pour regarder droit devant le vide qui se formait. Viendrait la solède où il mourrait. Viendrait la solède où Aymée mourrait. Il n’y avait pas de justice ni de sens. Personne n’avait reçu de vocation plus élevée. Il n’y avait rien d’autre qu’exister.

Aymée était dans un endroit où des dizaines de personnes s’occupaient d’elles. Des guérisseurs l’aidaient à dormir, se nourrir, se laver. Des patients lui lisaient des histoires, lui faisaient des plaisanteries, se baladaient avec elle.

Pour la première fois de sa vie, Merle sentit que s’il disparaissait, cela n’assassinerait pas Aymée. Il sentit — et cela n’avait aucun sens, parce qu’il ne souhaitait pas mourir, alors pourquoi cela lui semblait-il soudain libérateur — qu’il avait l’autorisation de mourir, que personne ne dépendait de lui pour leur survie, que le monde continuerait même s’il n’y était plus.

Le monde continue même quand on n’y est plus.

Dans l’obscurité, les contours d’un rectangle se dessinèrent, puis la texture du bois peint grossièrement, une poignée de porte, et des plantes grimpantes. C’était sa porte. Merle posa sa main dessus et sentit le silence éternel de la plaine vide derrière elle. Il frissonna. Sa porte l’attendait quelque part dans les Dunes et il devrait la trouver pour être en paix et rejoindre les filons de lumière et magie, pour rejoindre l’énergie cosmique qui formait toute chose.

Nous sommes des poussières d’étoiles, des vœux de dragons.

Il saisit la poignée de la porte mais lorsqu’il la tourna, celle-ci s’estompa et disparut.

Il se retrouva assis dans le cercle d’objets, pierres et flammes. Galatée était face à lui, les yeux dans les siens. Il aurait juré qu’iel venait de faire disparaître ses ailes. Il se retint de poser la question bien que cela lui coûte. Les sabliæres étaient-iels des ligres ?

Il ne dit rien du tout ; ni ça, ni autre chose. Il n’y avait rien à dire. Déjà silencieux et taciturne d’habitude, Merle découvrait d’autres profondeurs de quiétude. Cette fois, ce n’était plus pour cacher sa panique bouillonnante, mais parce qu’il comprenait que rien ne changeait la nature profonde de l’équilibre.

Les Dunes représentaient cela : le labyrinthe à traverser pour accepter la fin de tout. C’était une longue façon de dire au revoir, de lâcher le monde.

Ses paupières clignèrent et se fermèrent lourdement.

 

Quand il se réveilla, il était allongé par terre, recroquevillé sur lui-même, dans la nuit froide de la montagne. Pyrus était venu s’allonger près de lui, lui conférant de la chaleur à travers son pelage argenté. Merle ne bougea pas pour ne pas le réveiller mais leva les yeux vers les étoiles. Les constellations dansaient : des volutes roses se promenaient d’astre en astre, traçant les lignes qu’on imaginait d’habitude — un scintillement nébuleux. Ils étaient rares et signifiaient souvent qu’un événement extraordinaire avait lieu ou se préparait ou était commémoré. Merle se demanda si ça avait un rapport avec l’œuf de dragonnelle qui brillait à l’autre pointe du continent, là où la mer s’enveloppe de glace pendant la nuit.

— Je n’ai jamais trop grandi avec ma famille, raconta Galatée pendant leur déjeuner du lendemain. On voyage beaucoup, et dès l’enfance, on commence à partir chacun de notre côté. On fait ce qu’on veut. Qu’on survive ou non n’est l’histoire de personne. Ça peut sembler froid mais c’est juste une autre façon de voir les choses.

— Dis donc, siffla Merle, et moi qui pensais que mes parents n’étaient pas très attentifs.

— Tu as d’autres frères et sœurs ?

— Des triplés, qui passent leur temps à pointer du doigt ce qui ne va pas chez Aymée et moi.

— Ah, ils utilisent l’humour pour montrer leur affection ?

— Quoi ?

Merle pencha la tête, ahuri par cette interprétation étrange du comportement des M. Il ne put pas lea contredire, cependant, car il y avait comme un écho de vérité dans cette vision des choses.

— Et toi ? Des frangins ?

— Plein. Des demis, des cousins, de tout âge. Nous n’avons pas de monogamie, donc les naissances pourraient sembler… aléatoires, pour quelqu’un qui n’est pas né chez nous. La structure fondatrice est celle de la tribu et non celle de la famille.

— Je vois… Comment fonctionne votre hiérarchie, du coup ? Est-ce que certains prennent des décisions ou tout se fait à l’unanimité ?

— On fonctionne par générations. Nous ne pouvons avoir des relations sentimentales qu’avec notre même génération et nous avons le devoir de nous lier par le dialogue et l’apprentissage aux autres générations pour apprendre de chaque âge. Il y a ensuite un système de vote assez compliqué qui peut prendre des lunaisons pour des décisions assez simples. Ce n’est pas efficace mais ça ne contraint personne. Nous préférons toute chose à la perte de liberté.

— D’où votre absence d’allégeance à la Couronne ?

— Non, dit seulement Galatée.

Merle n’insista pas, devinant qu’il y avait là une histoire bien plus complexe que ce que la sablière pourrait expliquer pour le moment.

— Je n’ai jamais eu quelqu’un comme ta sœur pour toi, dit-iel. J’ai toujours déambulé dans la solitude. J’ai mes disciples, bien sûr, que je vois souvent, et des maîtres aussi, mais c’est différent. On se retrouve pour quelques jours et puis on repart chacun de notre côté. On ne vit pas nos vies en parallèle.

— En parallèle, répéta Merle en soupirant. J’aurais aimé savoir vivre avec Aymée en parallèle. Je pense que nous avons été trop liés. On a eu trop peur. J’ai tout fait pour qu’elle vive et qu’elle se batte et qu’elle s’obstine parce que je ne savais pas comment faire sans elle.

— Et maintenant ?

— Je ne sais toujours pas, mais je sais que je dois essayer. Je ne veux pas finir comme Eugénie. Quitte à être là, j’aimerais être vraiment là. Tu vois ce que je veux dire ?

— Tu me tutoies enfin ?

— Après avoir traversé certaines choses ensemble, ça me paraît nécessaire.

— Comme des rituels mortuaires au sommet d’une montagne ? plaisanta Galatée.

— Par exemple.

Galatée devait se rendre sur une autre montagne, se rendre auprès d’une cousine qui était en fin de vie. Quand ils le pouvaient, les membres les plus proches de la tribu venaient célébrer son passage dans la cynée, pour alléger et égayer sa métamorphose en énergie pure.

Le début de sa route était la même que Merle, donc ils cheminèrent ensemble pendant une journée et une nuit.

Iel lui expliqua que le voyage astral n’avait pas besoin d’être dangereux, ce qu’il savait déjà, mais compléta par des conseils précis.

Il valait mieux s’entourer d’objets qui nous connectent très fort à ce monde-ci pour qu’ils nous retiennent et nous ramènent ; une autre façon de faire était de demander l’aide d’un proche, au début, pour qu’il puisse nous appeler et nous réveiller en cours de route. Si Ludivina avait mis autant de temps à récupérer Merle, c’était aussi parce que leur lien n’était pas assez proche. C’était une lourde responsabilité, cependant, que d’être observateur de voyages astraux, donc Merle pouvait demander de l’aide au début, mais il devait rapidement apprendre à se débrouiller seul.

Iel lui indiqua aussi des exercices pour pratiquer sans prendre trop de risques. Un jeu qu’il pouvait faire avec ceux qui le souhaitaient était de leur demander d’imaginer une image avec le plus de détails possibles. Il devait ensuite tenter de se projeter dans leur vision. L’idée n’était jamais de deviner mais d’accueillir, d’ouvrir le canal pour recevoir ce qu’ils se représentaient. Ils tentèrent ensemble. Ce ne fut qu’à la neuvième tentative que Merle parvint à apercevoir ce que s’imaginait Galatée : une spirale argentée.

— J’ai choisi un symbole simple pour commencer. L’idée est que tes interlocuteurs complexifient de plus en plus au fur et à mesure. Que tu puisses décrire les détails, comme dans un paysage avec des fleurs devant toi, puis une haie de buissons, puis une forêt, puis des montagnes.

Merle eut un sourire optimiste. Enfin, quelqu’un lui expliquait le voyage astral d’une façon qui semblait progressive et rassurante. Enfin, on lui donnait des indices de comment progresser plutôt que de le condamner ou de l’encourager dans le vide.

— Est-ce que vous passerez bientôt à l’Ambré ? lui demanda-t-il avec espoir.

— Tu as de quoi faire pour quelque temps, ne t’inquiète pas. Projette-toi avec Aymée quand tu te sentiras solide et stable dans tes bonds. Parcours les Dunes avec elle. Aide-la à voir la beauté de cet endroit. Je viendrai quand je pourrai, mais ne m’attendez pas.

Merle s’inclina pour lui dire au revoir, et le geste ne lui sembla ni exagéré, ni ridicule. Il avait enfin trouvé quelqu’un qui pouvait lui enseigner ce qu’il avait toujours eu peur d’explorer, et il sut sans doute ni peur qu’au fil des voltes iel l’accompagnerait dans sa pratique, quelques jours par volte.

Son don allait enfin fleurir.

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