11. Sur terre comme au ciel

Siloë et Diane buvaient leur thé en silence et y trempaient les madeleines qu’Aymée avait préparées pour elles. Elles ne parlèrent pas plus pendant les œufs, qu’elles extirpèrent de leur coquille et croquèrent avec du poivre.

— Mais vous essayez de me rendre dingue ? demanda Aymée. Vous n’avez rien à raconter après une nuit entière je-ne-sais-où ?

— Et en plus, on repart ce soir, la taquina Siloë.

— Ah bon ? s’étonna Diane. Je pensais qu’on avait fini.

— Une traversée ne se fait pas sans motif, dit la chamane.

La cartographe les regardait chacune leur tour, scrutant leurs visages à l’affût d’indices qu’elles ne prononçaient pas. Elle n’y trouva rien de satisfaisant et soupira dans son jus d’orange.

 

Sur le navire, Diane eut le droit à d’interminables plaisanteries de Félix : elle avait découché ! Avait-elle fait des rencontres madéennes ? Était-ce le grand amour ? Emménagerait-elle en hauteur comme tout ce peuple perché ? Appellerait-elle sa première-née du nom du fruit national, Pomme de Pin ? Mais écrirait-elle Pomme de Pain à la place, pour honorer sa famille boulangère ?

— Franchement, je suis un génie, se congratula-t-il.

Il n’arrêtait pas et tout le monde lui en était reconnaissant. Éléonore peinait à se lever. Camélia l’aidait à se laver. Malo lui préparait des soupes qu’Idris lui donnait à la becquée. Basile faisait des allers et retours à la clinique de fortune à l’Orée, pour suivre l’évolution de ses patients et lui dresser des rapports quotidiens détaillés. Oren et Ulysse préparaient le bateau pour le voyage de retour à Ilyn : quand Basile le souhaiterait, ils seraient prêts à retourner en mer ; il fallait remplacer des pièces, vérifier et rafistoler les voiles, éloigner les curieux, s’acquitter des contrôles incessants.

— Il y a plus de casqués que de poissons dans ce port, se plaignait Malo.

— Avec l’incendie, en même temps, c’est compréhensible, dit Basile sans lever les yeux de son classeur.

— Vous, de toute façon, on vous dirait de sauter d’un arbre pour le bien de la Couronne, vous vous casseriez les jambes et vous en redemanderiez.

Basile tira une telle tête que Diane et Félix eurent un fou rire. Les jumeaux retournèrent en cuisine et Félix l’entraîna sur le pont, près de la salle des cartes.

— Alors, pour de vrai, t’étais où ?

Elle le dévisagea, cherchant à savoir si elle pouvait lui faire confiance, et il ne cilla pas.

— Je ne peux pas te dire, souffla-t-elle, mais c’est dans la forêt, je suis en sécurité et ce n’est pas une histoire d’amour.

Ce fut à lui de l’observer en détail, les yeux dévorants d’une curiosité malicieuse.

— D’accord, me dis rien, mais si tes secrets deviennent trop lourds, tu viens nous demander de l’aide, d’accord ?

Diane ne l’avait jamais fait avec sa propre famille, alors c’était difficile de s’engager à le faire avec eux. Elle haussa les épaules. Il lui fit un clin d’œil avant de partir, la rassurant : si elle avait eu peur qu’il s’offusque de ses cachotteries, elle constatait maintenant qu’il respecterait toujours ses limites.

 

Discrètement, elle rejoignit Éléonore dans la cabine et s’allongea pour dormir. La sieste ne fut pas une mince affaire avec tous les visiteurs qui entraient et sortaient. C’était à chaque fois l’affaire de quelques minutes mais elle avait le sommeil léger.

— Ça ne t’enquiquine pas, tout ça ? grogna-t-elle à Éléonore après un passage d’Oren, qui voulait juste vérifier que tout allait bien.

— Ça fait bizarre, avoua la docteure d’une voix enrouée. D’habitude c’est moi l’enquiquineuse.

— T’as toujours voulu être médecin ?

— Petite fille, je volais la blouse de mes parents et j’écoutais la toux de ses camarades.

— T’as dû choper le moindre virus qui traînait.

— Il y avait les têtes à poux et moi j’avais une gorge à grippe : je les enchaînais dans toutes leurs variations et nuances.

— T’en parles comme d’œuvres d’art, remarqua Diane.

Elle se demanda si ça faisait de la cendrure un chef-d’œuvre mais n’osa pas poser la question. Elle entendit Éléonore se rendormir et la suivit dans le sommeil une dernière fois.

Elles se réveillèrent au retour de Basile, qui monologua pendant une demi-heure, vérifiant sur les notes qu’il avait prises, rapportant tout du plus trivial au plus cru. Diane en sut beaucoup plus qu’elle ne l’eût souhaité sur les corps de ces inconnus, dont certains développaient des anémies et troubles gastriques à force de se perdre dans le monde parallèle qui les happait. Elle resta très sage, cependant, car elle avait une faveur à demander et ne voulait pas prendre le risque d’agacer Basile. Lorsque les deux médecins arrivèrent au bout de leur éternel bilan, l’ilyen se leva pour sortir mais s’arrêta en entendant Diane s’éclaircir la voix.

— Oui ? demanda-t-il, amusé.

— Vous avez parlé d’un protocole expérimental l’autre jour.

— Oui, à Ilyn.

— Oui.

— Oui ?

— Je me disais qu’Aymée…

— Je vous arrête tout de suite : on n’accepte pas les patients qui ont déjà atteint la cécité.

— Non, mais elle n’avait pas son diagnostic avant, comment est-ce qu’elle aurait pu…

— Son médecin voulait la protéger, dit Éléonore.

— Il l’a condamnée, répondit Diane d’une voix sombre.

— De toute façon, tempéra la madéenne, les résultats sont plus qu’approximatifs. C’est une première virée dans le noir. C’est pour ça que je n’en ai pas parlé à Aymée : je ne voulais pas l’affaiblir par un long voyage ; elle n’aura peut-être pas assez de forces pour revenir ; il vaut mieux qu’elle reste avec sa famille.

— En même temps, observa Basile, c’est justement parce qu’elle viendrait de loin que son cas pourrait être intéressant.

— Je ne lui donnerai pas de faux espoirs, trancha Éléonore.

De sa couchette du bas, elle ne pouvait pas voir l’expression catastrophée de Diane mais Basile, lui, comprit d’un coup d’œil.

— Vous lui en avez déjà parlé.

Le silence de la marnée voulait tout dire. Elle entendit la canopéenne qui essayait de se lever, probablement pour la pousser du bateau et la noyer, mais elle ne parvint qu’à s’emmêler dans ses couvertures et s’essouffler.

— On s’habitue, dit Basile à Éléonore, provoquant l’hilarité de Diane, qui enfonça sa tête dans un oreiller pour calmer son rire nerveux, puis se décida à pourfendre l’épais silence qui régnait désormais dans la cabine.

— Aymée sait que c’est un traitement expérimental.

— On ne l’appelle même pas traitement encore, rétorqua Éléonore, furieuse.

— On va essayer plusieurs méthodes, expliqua Basile. On va toutes les garder secrètes pour ne pas que les présuppositions des patients influencent les résultats.

— Et la Couronne a donné son accord ?

— Ça ne sauvera pas Aymée, déclara Éléonore.

— Mais ça aiderait à sauver d’autres Aymées, fit Basile doucement.

— À quel prix ? soupira la docteure.

Après un long silence, cependant, elle capitula.

— Basile, vous leur expliquerez les implications et les risques.

Diane devina que parmi les émotions qui se précipitaient dans la voix d’Éléonore, il y avait sa tristesse de devoir dire à Aymée un au revoir au goût d’adieu. Diane la retrouverait en rentrant à Ilyn, mais la madéenne ne la reverrait plus jamais si le protocole échouait.

— Je suis désolée, dit-elle.

Idris vint nourrir la docteure. Diane et Basile sortirent de la petite cabine et s’assirent sur le pont jusqu’au repas.

— J’ai fait une bêtise ? demanda Diane d’une petite voix.

— Difficile à dire, avoua Basile. C’est pour ça que je suis devenu chercheur plutôt que médecin. Trop d’incertitude. Ça me briserait de m’attacher aux patients autant qu’Éléonore.

— Vous pensez qu’elle me pardonnera ?

— Je pense que c’est à elle-même qu’elle en veut. Elle rêve depuis toujours de trouver le traitement miracle. Pour elle, chaque patient qu’elle perd, c’est de sa faute.

Diane fronça les sourcils : ce tableau était diamétralement opposé à l’image radieuse et enjouée que renvoyait la docteure.

 

Tracassée, la marnée mangea sans appétit avec l’équipage, puis quitta le port quand les réverbères s’allumèrent. Leur lumière orangée provenait du vent et de l’eau qui s’engouffraient dans des tuyaux couleur terre et que des mages transformaient ensuite en énergie électrique. D’après ce que lui avait raconté Aymée, les doyens avaient refusé d’automatiser le système, d’où les tremblotements et pannes occasionnelles. Ils trouvaient importants de ne pas céder à la tentation du perfectionnisme et de toujours garder une place pour la faille, l’erreur.

À la sortie de Canopée, elle aperçut deux hommes lui jeter un regard insistant. Elle grinça des dents ; ça faisait des semaines qu’elle ne s’était pas battue. Elle répéta dans sa tête une série de coups qui l’avaient plusieurs fois tirée d’affaire. Lorsqu’elle arriva à leur hauteur, cependant, elle vit qu’ils portaient l’insigne de la Garde Forestière. Des casqués. Bizarre. Suivant l’exemple d’Oren, à la frontière, elle sortit ses papiers d’identité.

— Nuit claire, hein ? commenta-t-elle.

L’un des agents jeta un œil vers le ciel et fit une moue peu engageante. Les étoiles ne le bouleversaient pas plus que ça. Diane renonça à la météo.

— C’est nouveau, le contrôle ici, non ?

— C’est pour le congrès.

— Le congrès ? répéta-t-elle.

— Des médecins.

— Il est terminé.

L’autre releva la tête vers elle d’un mouvement impatient et agacé.

— Il y a un problème ici ? demanda-t-il.

— N-non, fit Diane.

Elle n’avait jamais apprécié les casqués, car à Arroyos ils pouvaient à tout moment et selon leur bon caprice écrire à son sujet un blâme qui irait dans son dossier de résidence. Cependant, elle ne s’était jamais sentie menacée physiquement en leur présence auparavant. Elle baissa les yeux en signe de soumission, réfrénant son envie de libérer des flux de magie tels qu’ils en avaient rarement vus. « Et à la place j’obéis », pensa-t-elle avec férocité envers elle-même. Ils la laissèrent passer.

 

Dans les bois, elle redoubla de vigilance en suivant le chemin jusqu’à la cabane d’Aymée et la trouva vide.

Paniquée, elle se trompa plusieurs fois en route vers la demeure de la chamane mais finit par atteindre sa destination.

— Elle est où ? lui demanda-t-elle immédiatement. Aymée. Elle est pas chez elle.

— Merle l’a installée à l’Orée quand il a vu les contrôles.

— Ils se sont approchés ? demanda Diane en jetant un regard inquiet autour d’elle.

— Non, mais à tout moment…

— Et vous n’êtes pas inquiète de rester ici toute seule ?

Le rire de Siloë ressembla aux bracelets en bois qui s’entrechoquent autour du poignet d’un enfant et à la rivière qui creuse son sillon parmi les rochers blancs.

— Et toi, tu n’as pas peur d’être dans une forêt surveillée au milieu de la nuit ?

— Pas vraiment.

— Tant mieux, sourit Siloë en indiquant à Diane d’enfiler un manteau et un sac qu’elle lui avait préparés. Suis-moi d’aussi loin que tu le peux sans me perdre.

Siloë voulait évidemment dire qu’elle devait se servir de la toile. L’estomac de Diane se rétracta, ses épaules se voûtèrent. L’activer de nuit, dans une forêt ancienne ? Est-ce qu’elle tenait vraiment à voir ce monde dans sa vérité nue ? Est-ce qu’elle ne pouvait pas plutôt suivre la chamane comme si elles partageaient une seule ombre ?

— C’est une épreuve ? lui demanda-t-elle.

— Non, bourgeon d’épicéa, c’est pour les éviter de se faire repérer par les casqués. Ils ont la ferme intention de m’arrêter et je n’aime pas tuer des innocents.

C’était l’explication la moins claire et la plus efficace que Diane reçut de sa vie. Elle acquiesça frénétiquement comme un pantin aux fils trop courts.

Siloë leva un doigt mouillé dans le vent, réfléchit, puis s’enfonça dans l’obscurité. Cette petite femme adorable avait-elle vraiment assassiné des gens ? Ou était-ce une expression du coin ? Une plaisanterie étrange ?

Seule sur la terrasse, Diane savait qu’elle devait appeler la toile. Si elle attendait trop longtemps, elle ne retrouverait plus Siloë. Elle avait la pernicieuse impression que la chamane ne l’attendrait pas, qu’elle profitait de ce danger pour la mettre à l’épreuve, quoi qu’elle en dise. Bon sang de lutin, Diane, dépêche-toi. Elle regardait les arbres tassés les uns près des autres comme un grillage. Leurs bras sans feuilles ressemblaient aux goules des Sept qui étranglaient la nuit les promeneurs imprudents. Diane avait trouvé un cadavre un matin en allant à l’école et s’était excusée auprès de Pardo pour toutes les fois où elle s’était servi de lui comme appât à goule.

Elle tendit l’oreille mais ses sens autres que la vue étaient peu développés. Tout ce qu’elle perçut fut les cris des chouettes et les pas des rongeurs sur le sol. Un coup de vent dans les branches la fit sursauter pour de bon et sa vision se toila.

De sombre, la forêt devint un feu d’artifice. Elle voyait les arbres boire et l’eau monter ; des familles d’écureuils dormir ; un hibou la fixer ; des fourmilières, des terriers, des nids ; tant de vie en mouvement malgré l’heure tardive. Ici, elle n’était qu’une noctambule parmi d’autres. Ce qui l’impressionna le plus fut le sol, que le mycélium transformait en voûte céleste. En filigrane, des canaux connectaient les nœuds les plus lumineux, dessinant pour elle des constellations.

Au loin, les diodes de Siloë se frayaient un chemin et Diane commença à la suivre. Les lumières de la chamane n’étaient pas du vert émeraude habituel. C’était la première fois que Diane voyait un humain dont les points de vie étaient d’une autre couleur, mais elle n’en attendait pas moins de la gardienne de la forêt elle-même, la haut-perchée. Le mélange était indéfinissable : il était composé de couches superposées, un palimpseste de longévité. Cette femme était bien plus âgée qu’elle n’en avait l’air.

De passerelle en passerelle, Diane volait dans une mer d’étoiles filantes. Elle découvrait que sa magie lui permettait de se repérer dans des lieux qu’elle n’avait jamais visités. Peut-être qu’elle pourrait aider Aymée avec ses cartes. Contrairement à elle, elle ne voyait que le présent et il était si riche que ça prendrait l’éternité d’en apercevoir chaque détail.

Siloë multiplia les virages à tel point que Diane dut se concentrer uniquement sur sa silhouette arc-en-ciel. Elles accélérèrent la cadence. La marnée perdit tout sens de direction dans cette course effrénée, se laissant guider jusqu’à…

Elle s’arrêta net et se couvrit les yeux, éblouie.

Derrière Siloë, qui ralentissait enfin, il y avait une clairière. Il n’y avait plus de filons colorés de sèves, de nids, de terriers. Il n’y avait que deux soleils, couchés en arc-de-cercle l’un vers l’autre. Diane descendit sa main tremblante de ses paupières à son cœur, pour se forcer à respirer. Pour que l’éclat cesse de lui brûler les yeux, elle savait qu’elle devait éteindre la toile, mais pour la première fois de sa vie, cette perspective la terrifiait. Elle murmura toutes les prières qu’elle connaissait.

— Tu sais ce que c’est, se chuchota-t-elle.

Savoir n’était pas voir. Elle renonça à la toile et ils apparurent.

Deux dragons dormaient, enlacés.

Diane tomba à genoux. Elle n’avait jamais voué de culte à qui que ce fût mais ces silhouettes volcaniques d’écailles et d’ailes, qui avaient traversé les décennies comme on court face au vent, devinrent immédiatement sa raison d’exister.

Elle resta prostrée longtemps.

Lorsqu’elle se releva, elle se rendit dans la clairière, où Siloë l’attendait, assoupie près des dragons. La chamane se réveilla et lui lança un sourire attendri.

— Je me souviens de la première fois que je les ai vus, dit-elle les yeux brillants.

— C’était il y a combien de temps ? chuchota Diane.

— Ta voix ne les réveillera pas. Il faudrait un sort puissant pour les extirper de leur sommeil.

Diane jetait des regards timides vers les créatures, qui faisaient chacune la taille d’un jeune sapin. Leurs ailes étaient étendues sur leur ventre et leurs pattes comme une couverture qu’ils partageaient. Elle n’avait jamais vu deux êtres aussi unis. Elle remarqua une protubérance sous l’une des ailes et son cœur fit une cabriole. Qu’est-ce que Siloë attendait d’elle exactement ?

— Tout ça est interdit, prononça-t-elle.

— Ils te font si peur que ça ?

— Ils pourraient brûler la forêt entière en quelques heures.

— Et pourtant, ils ne font que la protéger avec acharnement depuis leur naissance.

— La dragonne est enceinte, observa Diane.

— Ils le sont tous les deux. Chez les dragons, le couple forme une entité indissociable. Ils portent l’enfant à l’unisson.

— Il n’y en aura qu’un ?

— C’est déjà tout un événement.

— Et il va naître ici ? demanda Diane en évaluant d’un regard la clairière.

— Non.

— Non ?

Comme Siloë restait silencieuse, l’ilyenne comprit soudain ce qu’on attendait d’elle. Elle devait escorter les dragons jusqu’à leur lieu de ponte. C’était grotesque, absurde.

— Mais pourquoi vous n’y allez pas, vous ? Je ne suis ni vétérinaire, ni sage-femme.

— La forêt a besoin de moi.

— Ah oui ? La forêt entière ?

— La dernière fois que je me suis éloignée, les doyens ont récupéré la frange Est de Landamæri. Là où se trouve désormais l’Université de la Lisière.

Diane comprit que le congrès avait été la célébration d’une victoire politique.

— Comment ça, récupéré ? Ça n’appartient pas à Madeira de toute façon ?

— Landamæri ne peut et ne doit appartenir à personne.

— À cause d’Inkala ?

— Chaque arbre compte. Des conciliabules secrets se tiennent chaque nuit entre ces entités anciennes. Elles veillent à l’équilibre, tout comme les dragons, les marées et les astres.

— Et Madeira a peur de vous ?

— Je suis là depuis longtemps, dit Siloë en haussant les épaules. Ils ont appris à me craindre.

Elle avait peut-être vraiment tué des gens, finalement. Diane avait souhaité la mort subite de mille politiciens, camarades, collègues et passants mais elle se sentait incapable d’un jour éteindre l’empreinte d’un être vivant.

— Ils doivent aller où ? demanda Diane avec un geste vers les dragons.

— Au nord.

— Vous vous moquez de moi. À la côte fantôme ? Mais bien sûr : donc, récapitulons. Vous voulez que je les emmène à la côte fantôme, où il est interdit de se rendre, sans me faire repérer par quiconque, parce qu’il est également interdit d’aider des dragons. C’est de la haute trahison, vous êtes au courant de ça ? Il n’y a pas de peine de prison pour ça. C’est noyade, pendaison ou électrocution, en fonction de la nationalité des casqués qui m’arrêteront.

Diane n’avait aucune idée de comment elle en était arrivée là. Elle s’époumonait de panique.

— Et si je dis non ?

Siloë ne répondit pas. Ce silence était bien pire que toutes les menaces du monde, car Diane s’imaginait le pire. Le gouvernement trouverait le bébé dragon et le mettrait en cage. Couperait le bout de ses ailes, prélèverait son sang et sa graisse. L’utiliserait comme source d’énergie renouvelable. Le dragon ne foulerait jamais le sol sacré de la forêt. Ne plongerait jamais dans le berceau-océan.

Si un seul dragon finissait dans une cage, plus rien n’aurait jamais de sens. Le sacré s’effriterait et le monde mériterait de brûler. Elle déclencherait l’incendie elle-même.

Elle ne fit pas l’affront de demander pourquoi elle. C’était une myfyr, et de tout temps les siens et les dragons avaient protégé le monde ensemble. Les dragons étaient partis, certes, ils l’avaient abandonnée à une vie de secrets et de honte, mais ce qu’elle découvrait ce soir-là, c’était qu’ils n’avaient jamais failli à leur mission : ils veillaient, encore et toujours, à l’équilibre de la planète et de tous ceux qui la foulaient.

Elle contempla leurs écailles tandis que grandissait en elle la conclusion inévitable. Elle allait escorter deux dragons adultes à la côte fantôme.

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EryBlack
Posté le 28/09/2023
Coucou ! J'ai adoré le passage avec l'activation de la toile dans la forêt, c'était super beau, très visuel et émotionnel à la fois. Je ne m'attendais pas à ce qu'on rencontre des dragons parce que j'avais l'impression qu'on était toujours un peu en ville, en tout cas dans les environs, mais j'ai trouvé l'arrivée et la description très chouettes, avec ce sentiment de sacré qui envahit Diane. Je dois avouer que je ne suis pas très dragons, je veux dire ce ne sont pas des créatures magiques qui me parlent particulièrement (même si j'ai un faible pour ceux de "Comment dresser votre dragon", la série de bouquins qui a donné le film "Dragons"). Pour autant, j'ai bien adhéré au ressenti de Diane à ce moment-là. Pour la suite, je suis d'accord avec les remarques de Sorryf !
Je n'ai pas réussi à me rappeler si on avait déjà entendu parler de la côte fantôme ou non, et "Inkala" non plus ne me disait rien, désolée ><
Un commentaire un peu bref ce coup-ci mais je continuerai ma lecture ! À bientôt :)
Nanouchka
Posté le 28/09/2023
Coucou ! Chouette que certaines images t’aient plu. J’aime beaucoup la magie (et les dragons haha). Je repréciserai ce que sont la côte fantôme et Inkala :) Merci pour ta lecture ♥
Sorryf
Posté le 21/04/2023
Oh, je m'attendais pas à ça ! L'histoire a déjà une intrigue bien lancée, et boum : une nouvelle quête, et qui a l'air difficile et importante ! Mais comment tu arrives à caser tout ça dans un seul roman ? xDD

Très beau, le passage dans la forêt quand Diane utilise la toile ! <3

A un moment tu utilises la formule "énergie renouvelable", ça m'a un peu sortie du texte, trop moderne peut être ? "énergie" suffirait, dans la phrase, je pense (je me souviens plus ou c'était).

L'apparition des dragons est magique, comme Diane, on ressent parfaitement le caractère sacré de cette scène, ces deux créatures ancestrales endormies. Mais du coup, j'ai trouvé un petit peu étrange qu'elle râle et envisage de refuser la tâche qu'elle doit accomplir ("Et si je refuse?" "Pourquoi vous n'y allez pas vous?" "La côte fantôme, mais bien sur" + elle se soucie de ce qu'elle risque si elle se fait choper, c'est pas le genre de doutes qu'on imagine quelqu'un avoir face au sacré) Alors qu'elle ressent un peu plus tôt à la simple vue des dragons qu'ils sont devenus sa raison d'exister.
Nanouchka
Posté le 26/04/2023
Coucou Sorryf et merci pour ton commentaaaaaaire !

Ouiiiii une nouvelle quête ! Des dragons ! Youpi ! Franchement, ce roman est le plus ambitieux que j'ai écrit jusqu'à maintenant. (D'où le plan de 60 pages, fallait vraiment que je sache comment chaque intrigue avançait.) On verra si ça marche...

Tu as tout à fait raison pour la dynamique émotionnelle de Diane dans le chapitre. Il faut que je souligne plus une forme de paralysie, de peur totale qui la saisit. Je pense que c'est quelqu'un qui a eu tendance à fuir les engagements et responsabilités par peur de l'échec, qui ne veut pas dépendre des autres ni qu'on dépende d'elle. Prendre en charge deux dragons qui attendent un enfant, ça veut dire être responsable de vies plus importantes que tout, ce qui est d'autant plus tétanisant qu'elle les vénère. Bref, je reformulerai ça quand je repasserai dessus. Merci de me l'avoir signalé !

Ahahahaha jolie prise pour "énergie renouvelable", ça me fait beaucoup rire d'avoir utilisé ce terme-là qui est bien sûr trop connoté par rapport aux débats actuels. Je vais changer ça aussi.
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