Vingt-quatre - Nuit noire et obscure

Notes de l’auteur : Mon amour s'est transformé en flamme, et cette flamme consume peu à peu ce qui est terrestre en moi.
Friedrich von Hardenberg dit Novalis

Depuis quelques temps, Sélène se rendait régulièrement sur la plage au lever du soleil. Combien de fois sa mère l’avait-elle disputée avant de finalement lâcher le morceau ? Mais ces brefs moments de solitude lui permettaient de trier ses pensées. De les analyser dans leurs moindres détails. D’essayer désespérément d’apaiser la tempête qui faisait rage dans sa tête.

Ce jour-là, ce fut une bague qui occupa ses pensées. Celle que les Sherwood lui avaient offerte n’avait pas quitté sa place, encore dans son écrin, cachée dans la salle du piano, dans un des nombreux cartons. Enfin, carton… C’était plus exactement une boîte. Une boîte insignifiante, dépourvue de toute attraction. Une boîte noire, de la taille d’un classeur. Remplie de textes épars et d’objets chargés d’histoires. Dont cette bague. Cette bague qui, dès qu’elle était rentrée à la maison après son baptême, avait été ôtée de son doigt, rangée dans son écrin pour ne plus jamais bouger. Car pour Sélène, cette bague ne semblait qu’hypocrisie. Pourquoi les Sherwood avaient-ils désigné Léo pour la lui offrir ? Pourquoi Léo lui avait-il précisé que ce n’était pas de l’amour ? Et pourquoi lui avait-elle menti ? Peut-être que les choses auraient été différentes ? Mais Sélène ne pouvait pas se permettre ce genre de pensées. Cela la rendrait la nuit permanente dans laquelle elle vivait encore plus noire. Pourtant, était-ce seulement possible ?

Plongée dans ses pensées, Sélène ne se rendit pas immédiatement compte que le sable avait remplacé le petit chemin de terre qui menait à la plage. Le vacarme de vagues s’était pourtant peu à peu amplifier, jusqu’à recouvrir tous les autres sons. Ce jour-là, en effet, le vent déversait sa rage sur le paysage, couchant les herbes hautes, emportant les grains de sables, ballottant les flots. Les cheveux de Sélène volaient, s’emmêlaient. Quelques gouttes de pluie mouillaient le rivage, pourtant déjà très humides à cause des embruns marins. Sans doute personne ne se trouvait sur cette plage, car qui aurait été assez fou pour sortir par un temps pareil ? Recouverte seulement par son pull, quoiqu’assez chaud, Sélène grelottait. Elle avait souhaité avoir froid pour remplacer la douleur mentale par celle, plus contrôlable, qui atteignait son corps, pourtant l’air glacial restait à peine supportable. Comment avait-elle pu parvenir jusqu’ici sans pour autant rebrousser chemin ?

Le soleil ne s’était pas encore levé mais l’aube perçait sous les gris nuages qui recouvraient la nue telle une couverture. Le temps, ce jour-là, correspondait exactement à l’humeur de Sélène. En effet, cela lui faisait du bien de retrouver de la véracité. Avec Noël qui approchait, il lui était de plus en plus difficile de faire semblant, de montrer sa joie alors que seule la douleur l’habitait. Tous ces sourires autour d’elle, ces cadeaux, ces mines réjouies. Tout cela lui faisait d’autant plus mal. Rendait sa douleur encore plus présente. Voir que la nature n’avait pas oublié sa tristesse lui mit du baume au cœur. Voilà ce qui lui semblait réel : ce vent ravageur, cette pluie glaciale. Le noir des nuages.

Le noir. Sélène en était certaine à présent, seule cette couleur régissait sa vie. Sans nul doute qu’elle vivait. Mais à quel prix ? Tous ses sourires semblaient réels alors qu’ils étaient faux, hypocrites. Alors qu’elle souriait à la plaisanterie d’une de ses amies, au fond d’elle-même, Sélène se demandait pourquoi elle riait. Ou même parfois, dans ses jours les plus sombres, comment ces idioties avaient un jour pu la rendre heureuse. Sélène ne ressentait plus rien, ni joie, ni excitation, seulement un grand vide qu’elle ne parvenait pas à combler. Et au fin fond de ce gouffre, un feu la consumait. La brûlait. Le feu de la douleur. Mais un feu glacial, un feu qui s’était insinué au plus profond d’elle-même. Quelle était donc la nature de ce feu ? C’était si simple, pourtant : Sélène avait mal. Elle était même terrassée par la douleur.

Alors, sentant que son cœur se déchirait encore une fois, la jeune fille ne put retenir un cri. Un cri à glacer les sangs, un cri poussé par un cœur à l’agonie. Un cri qui déchira la tempête. Sélène avait besoin de hurler sa douleur aux vagues, au vent, à la pluie. Elle avait besoin que quelqu’un comprenne. Que quelqu’un s’occupe de son cœur meurtri. Et surtout, elle avait cruellement besoin de se libérer, le temps de quelques instants, de cette infinie tristesse, de ce vide sans fond, de cette douleur si aiguë qu’elle lui déchirait le cœur à chacun de ses battements. Elle aurait souhaité disparaître pour oublier ce que la vie lui infligeait. Juste oublier.

- Sélène ? Tu… Je ne savais pas que… Je ne pensais pas qu’il y aurait quelqu’un. Mais quand j’ai entendu crier, j’ai… je suis venu voir.

La jeune fille sursauta en entendant cette voix, qu’elle pensait pourtant si lointaine. Sélène ne se retourna toutefois pas, préférant la vue des flots déchaînés à celle, plus dangereuse, du garçon qu’elle aimait. Elle se sentait comme prise au piège, prisonnière. Et, plus encore, comme une biche prise entre les phares d’une voiture. Léo l’avait vue sans aucun bouclier, sans rien pour la protéger. Il avait pu apercevoir une douleur qu’elle-même tentait désespérément d’oublier, de cacher. Une douleur qu’elle laissait rarement remonter à la surface.

- Que veux-tu ? murmura-t-elle.

- Je ne sais pas. Je voudrais… tout recommencer, continua-t-il sur le même ton.

Sélène eut beaucoup de peine à saisir ses paroles, qui s’envolèrent dans le vent. Avait-elle bien entendu ? Souhaitait-il recommencer ?

- On ne peut pas, Léo. C’est aussi simple que ça. Même si on le voulait. On ne peut pas.

Léo

Je suis venu là pour l’oublier le temps d’un battement de paupière. Je n’en peux plus de la voir souffrir continuellement. La voir sourire alors que ses yeux prouvent le contraire. La voir marcher alors que son regard observe une autre époque. J’ai aussi remarqué qu’elle a de plus en plus de mal à s’accrocher à la réalité. Combien de fois ai-je entendu Alya répéter sa question parce que Sélène n’avait pas entendu ? Elle ne vivait plus. Et cela lui déchirait la poitrine.

Je sais bien que je devrais quitter Sylane. Mais je suis aussi désormais certain qu’elle le lui ferait payer cher, très cher. Et détruire encore plus Sélène ne me semble pas une excellente idée. Pourtant, quand je la vois comme ça, le cœur brisé, les mains tremblantes, une vieille douleur se réveillait en moi. Une douleur que j’ai réussi à maîtriser, contrairement à Sélène. Mais ce matin, elle revient en force, telles les bourrasques qui s’agitent autour de moi.

Voilà pourquoi je lui ai dit la vérité. Ce qu’elle n’aurait jamais dû entendre. Mais c’est trop tard. Je l’ai dit. Et malheureusement pas assez bas pour que mes paroles se perdent dans le vacarme qui nous entoure. Elle ne devrait pas savoir que je regrette. Que chaque jour, ma gorge se serre à sa vue, mon cœur palpite à chaque fois que je la vois. Plus que tout, mon instinct de grand frère s’est réveillé avec sa douleur. Et ça fait mal. Si mal.

Elle est tout pour moi, sauf ce qu’elle souhaitait être. Sœur, meilleure amie. Avec elle, on partage tout depuis des années. Pourquoi a-t-elle brisé ça, merde ? Pourquoi ? Mais au fond de moi, je crois que je comprends. Je comprends ce qu’elle ressent. Alors pourquoi est-ce que je lui inflige mes baisers avec Sylane ? D’autant plus que je ne ressens rien pour elle. Et que chaque fois que ses lèvres se posent sur les miennes, un malaise s’empare de moi, impossible à chasser. Parce que je souhaiterais qu’une autre fille se trouve face à moi.

Tout ça, je m’étais promis de ne jamais le dire à Sélène ; elle ne comprendrait pas ce que j’éprouve à son égard. Car ce n’est pas de l’amour, n’est-ce pas ? Ce n’est qu’un banal sentiment d’affection. Même s’il m’étreint la poitrine dès que je la regarde.

Aujourd’hui, sa vue m’est plus douloureuse encore. Face à la mer, trempée de la tête aux pieds, les cheveux emmêlés, je serais bien incapable de dire si des larmes coulent sur son visage ou si c’est juste des gouttes de pluie. Quelle idée a-t-elle eu en ne prenant qu’un pull ? On est quand même en décembre ! Je vois bien qu’elle tremble. En revanche, je ne suis pas sûr que ce soit totalement à cause du froid. Je l’ai entendue crier. Ça ne peut être qu’elle. C’était tellement facile de ressentir ce qu’elle exprimait. Il n’y avait ni sourire factice, ni yeux dans le vague. Elle regardait la vérité. Et Dieu sait combien celle-ci est douloureuse. Combien Sélène souffre. Et moi avec.

Je ne supporterai pas longtemps la culpabilité et la douleur qui m’assaillent déjà, mais je dois rester. Pour Sélène. Je l’ai déjà abandonnée tant de fois. Je ne peux pas recommencer. Elle ne survivrait pas. Enfin, façon de parler. Mais je ne peux pas la laisser. Que puis-je faire pour lui ôter ne serait-ce qu’un dixième de ce que je lui ai infligé ? Elle l’a dit elle-même : on ne peut pas recommencer. J’aurais dû saisir ma chance quand j’en avais encore l’occasion.

<3

Un long silence s’ensuivit, ponctué seulement par le rugissement du vent et de la pluie, qui forcissait encore. Sélène avait froid, mais ce n’était pas ce qui la préoccupait en ce moment. À quoi pensait donc Léo ? Pourquoi n’avait-il pas réagi ? Sélène aurait presque souhaité qu’il la détrompe. Quelque chose le préoccupait, pourtant Sélène ne sut dire d’où venait son froncement de sourcil. Pourtant, il avait l’air réellement soucieux. Et cela ne laissait présager rien de bon pour elle.

- Sélène ? Est-ce que… Est-ce que tu vas bien ?

- Oui. Pourquoi ?

- Ça ne va pas ?

Sa question n’en était pas vraiment une, la jeune fille en avait bien conscience. Mais que pouvait-elle répondre à ça ? Heureusement, Léo ne lui en laissa pas le temps.

- Tu parles moins, tu souris moins. Et surtout, la seule chose qu’expriment tes yeux, c’est de la douleur. Tu as l’air d’un fantôme. Et tu ne tiendras plus très longtemps. Et… j’ai peur pour toi.

Il avait soufflé ces dernières paroles, en priant sans doute pour que Sélène ne l’ait pas entendu. Mais c’était peine perdue ; celle-ci possédait une très bonne ouïe. Soudainement, elle ne voulut pas contredire Léo. Après tout ce qu’il lui avait infligé, celui-ci méritait au moins la vérité. Même si elle lui ferait mal. Très mal. Sélène ne put empêcher ses larmes de couler lorsqu’elle reprit la parole. Ça lui faisait du bien de pleurer ; enfin.

- Non, en effet. Ça ne va pas. J’ai l’impression de me briser chaque jour un peu plus à l’intérieur. Ça fait tellement mal. Et le pire, je crois, c’est que j’ai besoin de toi. J’ai besoin de toi pour me retenir de m’envoler, m’envoler aussi loin que le permettraient mes ailes, m’envoler dans un monde où j’aurais ma place, un monde où les préjugés ne seraient qu’un lointain souvenir. Tu m’empêches chaque jour de sombrer dans la tristesse et la mélancolie qui sans cesse me précipite dans un gouffre trop profond pour que je puisse espérer en ressortir. Je pensais que personne ne me remarquerait mais visiblement tu me vois encore…

Sa voix s’était empreinte d’une amertume que Sélène s’efforça de chasser avant de poursuivre :

- … Je ne sais même plus ce que j’éprouve. De la tristesse, de la colère, de l’amour, de la douleur, de la confusion, de la folie… Alors non, ça ne va pas. Pas du tout, même. Mais on ne peut rien y faire. Seulement attendre. Attendre que le temps passe, en espérant qu’un jour, le soleil reviendra dans la nuit. Je n’ai qu’une envie, Léo, et chaque jour elle me paraît meilleure encore.

Sélène se retourna pour faire face à Léo. Elle plongea son regard dans le sien, pour qu’il voie ce qu’elle ressentait au fond, tout au fond d’elle-même. Pour qu’il voie ses larmes. Ses larmes qui dégringolaient sur ses joues, toujours plus nombreuses.

- Je veux disparaître.

Léo

Elle veut disparaître. C’est aussi simple que ça, et pourtant, tellement complexe. Ça me bouleverse, ça me donne la nausée. Je sens mon estomac se contracter, mon cœur imploser. Elle ne veut plus vivre dans ce monde. Elle veut disparaître. Elle l’a dit elle-même. Mais que signifie disparaître ? Soudain, la vérité s’impose à moi. Sélène souhaite mourir, même si elle n’en a peut-être pas encore conscience. C’est une évidence. Ça me fait tellement mal. Pourtant, je ne peux qu’imaginer ce que elle, elle ressent. C’est trop sombre. Et je suis un être de lumière.

- Je ne veux pas que tu disparaisses.

Je ne maîtrise plus rien. Pas plus les martellements de mon cœur que les pensées qui me caressent comme de cruelles gifles. Sans prendre la mesure de mes actes, je m’avance vers Sélène. Elle a presque les pieds dans l’eau, et moi aussi, mais je m’en rends à peine compte. Je suis focalisé sur son visage. Ses yeux, surtout. Je me tiens si près d’elle que je peux distinguer le bleu si particulier et les tâches grises autour de ses iris. Ses prunelles sont magnifiques, elles me font penser à l’océan. Un océan tempétueux, un océan ravagé par les flots.

Je m’approche encore. Elle est si petite, si fragile. J’incline légèrement ma tête pour être à sa portée. Elle ne recule pas. Elle ne bouge pas. Elle semble paralysée par ma proximité. Moi, je suis juste électrisé par sa présence. Mon regard se pose fugacement sur ces lèvres, puis s’en détache. Alors que mon corps se tend comme un arc, je réduis enfin la distance qui nous séparait.

Délicatement, je pose mes lèvres sur les siennes. Elles sont froides. Comme celles d’une morte. Pourtant, je crois qu’elle est vivante. Je sens son cœur battre contre le mien ; ils sont pourtant totalement désordonnés. C’est différent de tout ce que j’ai vécu jusqu’ici. Ce n’est pas comme avec Sylane, où je n’ai qu’à me laisser faire. Non. Pour la première fois, j’ai peur. C’est un baiser aux conséquences désarmantes. C’est un baiser qui peut tout changer.

J’en ai vaguement conscience mais ce n’est rien en comparaison de la tornade d’émotions qui me passe sur le corps. Je n’ai plus Sylane en face de moi mais celle que je rêvais d’embrasser. Tout ça est bien réel. L’amour que je ressens pour elle manque de me faire tomber. Je ne pensais pas que c’était aussi puissant. Je ne pensais même pas que c’était de l’amour. Pourtant, c’est bien le cas. Je m’envole, je m’envole au contact de ses lèvres. Moi aussi, j’ai froid, mais nos deux corps se partagent le peu de chaleur que nous gardons en nous. Je ne veux pas la quitter. Plus jamais.

Soudain, alors que j’ai glissé ma main dans ses cheveux emmêlés par le vent, je sens quelque chose se briser en moi. Comme une digue qui venait de céder. Des larmes perlent au coin de mes yeux avant de dégringoler sur mes joues. Je ne suis pas certain que Sélène s’en soit rendu compte, parce qu’elle a fermé ses paupières. Elle aussi pleure. Je sens ses sanglots me secouer, malgré notre baiser. Ce n’est pas un baiser ordinaire. Celui-ci est poignant, majestueux. Il a un goût salé. Un goût de larmes.

Ma poitrine me lance douloureusement. J’ai peur. Peur de la perdre. Peur qu’elle disparaisse. Et tandis que je m’accroche à elle, Sélène se détache doucement. D’abord les lèvres, puis sa main. Son corps entier m’est arraché, lentement mais aussi sûrement qu’un tsunami dévastant tout sur son passage. Peu à peu, sa chaleur disparaît. Sélène s’efface d’elle-même. Sélène disparaît, m’abandonnant sur cette plage. Elle disparaît, exactement comme elle le souhaitait.

<3

C’était un baiser du désespoir. Sélène n’aurait pas dû lui céder. Désormais, égarée sous la pluie, errant comme une âme en peine, la jeune fille se demandait ce qu’il venait de se passer. Elle s’était lentement détachée de Léo, puis était partie sans se retourner. Dès qu’elle eut été hors de vue, Sélène s’était mise à courir, toujours plus vite, toujours plus loin de cet endroit.

Elle avait voulu partir, elle avait voulu fuir son passé, mais il ne cessait de revenir à la charge lorsqu’elle s'y attendait le moins. La douleur sans cesse se frayait un chemin jusqu'à elle, ne disparaissant malheureusement pas grâce aux martellements de son cœur. Le sang affluait puis refluait vers celui-ci, son cœur qui tambourinait dans sa poitrine. La chaleur, comme l'adrénaline, parcouraient son corps. L'air cheminait tant bien que mal jusqu'à ses poumons. Sélène sentait qu’elle allait bientôt défaillir, pourtant elle continuait, remplaçant la douleur qui brisait son cœur par celle, plus contrôlable, qui l'empêchait de respirer.

Léo était avec Sylane. Pas avec elle. Même si elle ne l’appréciait pas particulièrement, aucune fille ne méritait une telle trahison. Car c’était bien ce qu’elle avait fait, au final, non ? En acceptant les lèvres de Léo sur les siennes, elle avait volé l’amour d’une autre. Et puis… Léo lui avait clairement - très clairement - fait comprendre qu’il ne l’aimait pas. Alors pourquoi l’avait-il embrassée ? Pourquoi s’évertuait-il à ce qu’elle aille bien ? Ce n’était pas son problème. Il ne devait pas se préoccuper de Sélène. Celle-ci devait se débrouiller. Seule.

Soudain, la douleur qu’elle tentait tant bien que mal de refouler éclata à nouveau au grand jour. Pourtant, cette fois-ci, Sélène ne cria pas. Intérieurement, elle hurlait à en perdre son souffle, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Les larmes coulèrent de plus belle sur son visage, néanmoins elle les laissa dévaler ses joues. Sélène semblait bien incapable de supporter une douleur aussi grande.

Alors qu’elle se demandait comment anéantir ses maux, ses propres paroles lui revinrent en mémoire. Disparaître. Voilà la solution. C’était si simple, pour elle. Un matin, elle partirait. Un matin, elle ne reviendrait plus. Adieu la douleur, adieu la tristesse. Sauf que… elle ne pouvait pas abandonner Léo. Il ne voulait pas qu’elle disparaisse. Mais Sélène, qui avait tout fait pour lui, serait-elle capable de subir une telle souffrance ? Après tout, Léo ne pourrait pas l’en empêcher. C’était si simple !

Non. Elle ne pouvait pas. Il y avait sa famille, ses amis. Ses sœurs. Mme Gasser. Toutes ces personnes à qui elle manquerait. Toutes ces personnes qui culpabiliseraient. Elle devait tenir. Elle devait tenir, parce que ce serait bien pire pour eux. Malgré Léo. Malgré sa douleur. Malgré sa différence.

À cette pensée, elle songea au poème que lui avait montré Chloé. Il n’était pas aussi parfait que ceux de Sélène. Les vers étaient bien plus libres, ce qui leur donnait une certaine… majesté. Parfois, les mots n’avaient pas réellement de sens, mais peu importait. Elle se souvenait encore parfaitement de sa première lecture :

- Ça t’a plu ? avait questionné Chloé.

- Tu ne te rends pas compte… Tu ne te rends pas compte à quel point c’est vrai. À quel point tes mots sonnent juste.

- Mais tu es sûre ? C’est pas un peu… déplacé ?

- Peut-être. Mais c’est ce qui fait sa beauté.

<3

Depuis ce petit enfant qui chante, qui hante mes pensées,

J’ai rêvé d’être l’âme parfaite,

Cet être que tout le monde désire et chérit.

Mais pour rendre cela possible, il faut rentrer dans les cases,

Montrer son indifférence et sa classe.

Pour tous ces êtres si magiques

Qui ne trouvent pas leur place.

Qui ne sont pourtant que poésie et magie,

Magnifiques êtres chantants

Qui dansent la vie,

Chacun à sa façon, vers le chemin de l’éternité.

Belle façon de danser, non ?

Depuis toujours l’être humain possède cette face noire et sombre,

Qu’il utilise pour détruire cet être à petit feu.

Un jour peut-être la liberté sera reine :

Plus aucun code,

Ni aucune case,

N’existeront.

Ne faut-il pas mieux pas espérer ?

Dans un monde avec injustices et préjugés,

L’espérance serait un monde en paix

Où seul l’amour régnerait.

______________________________

Extrait du dossier de poésie de Chloé,

Avance d’une case, écrit pour Sélène

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez