Un - Léo Sherwood

Notes de l’auteur : L'amour c'est comme un papillon : il est hors de portée quand on le chasse, mais si on le laisse tranquille, il peut très bien venir se poser sur notre épaule.
Nathaniel Hawthorne

Sélène se réveilla en sursaut. Encore, toujours le même rêve. Elle se demandait souvent si elle allait pouvoir s’en débarrasser un jour. Il commençait chaque nuit de la même manière : une jeune fille courant sur une plage de sable fin alors que le soleil disparaissait à l’horizon. Il renvoyait des reflets d’or sur l’océan infini qui venait lécher ses pieds nus. Cette eau froide ne semblait pas la distraire de son but : une silhouette rendue floue par la brume marine, tournée vers l’océan et assise sur une balançoire qui surplombait cette immense étendue d’eau. Cette silhouette appartenait visiblement à un jeune homme d’une quinzaine d’années, peut-être un peu plus. Aussi grande que fine, son ombre s’allongeait sur plusieurs mètres, créant pour la jeune fille un sentiment de sécurité apaisante. Plus cette jeune fille courait, plus Sélène en était persuadée : avec ses longues boucles blondes lui tombant au creux des reins, sa minceur, ses yeux bleus et sa robe voltigeant au gré du vent violent, plus aucun doute n’était permis : cette jeune fille, que le bonheur rendait aussi légère qu'une plume, n’était autre qu’elle-même. Une Sélène guillerette, insouciante, plus âgée d’un an ou deux mais animée d’une joie à l’état pur. Non, pas vraiment de la joie. C’était beaucoup plus subtil, un sentiment que Sélène n’avait jamais éprouvé véritablement, mais dont elle était certaine. De l’amour.

Le jeune homme de la balançoire ne la laissait pas indifférente, loin de là. À chaque fois qu’elle se réveillait, au moment exact où le jeune homme allait se retourner pour lui parler, Sélène sentait s’agiter en elle des milliers de petits papillons, ainsi qu’un sentiment de déception quand elle ouvrait les yeux. Son rêve s’arrêtait toujours au même moment critique, et elle désespérait de voir un jour le visage de celui qu'elle aimait tant, mais qui la faisait aussi souffrir, sans pour autant le savoir. Sélène souffrait d’une solitude persistante malgré tous ses proches et ses amies. Elle avait besoin d’être aimée par l’inconnu de ses rêves ; un inconnu dont elle rêvait chaque nuit depuis maintenant juste deux mois. Depuis ses quatorze ans. 

- Debout là-haut !

Sa mère. Une femme de petite taille, à la beauté passée due à son âge avancé. Cette maman au chignon haut dressé sur sa tête le maintenait tant bien que mal grâce à une vingtaine d’épingles. Un peu bourgeoise, Philomène avait élevé ses deux filles avec tout le bonheur, la tendresse et l’amour dont une mère pût faire preuve. Justice, douceur, humilité, générosité, courage, c’était avec ces mots-là qu’elle avait éduqué les deux filles Gavillet, car Philomène adorait la littérature, et plus particulièrement les contes de fée.

Elle avait transmis sa passion à sa fille aînée, Sélène, et celle-ci avait développé un goût prononcé pour le fantastique et la romance. Tolkien, Rowling, Jane Austen ou encore John Green, elle avait parcouru la littérature en long, en large et en travers. Dès son plus jeune âge, la jeune fille n’avait pas quitté un seul livre, qu’elle trimballait toujours à la main. À l’école, à la plage, chez des amis, celle-ci ne sortait jamais sans son bouquin. La littérature lui avait appris tant de choses, allant du courage à l’amour en passant par la vengeance et la trahison. Chaque personnage avait contribué à son éducation, Philomène y avait veillé.

- Sélène !!! Debout !!! 

- Mais on est dimanche !  

- Sélène ! 

- J'arrive !  

Le ton de sa mère se faisait de plus en plus pressant. Pourtant, on était bien dimanche, un dimanche froid du mois de mars. Le 25, pour être encore plus précis. Mais cela ne changeait rien au fait que c’était un dimanche où il valait mieux rester au chaud, sous la couette, en compagnie d’un bon roman et d’un chocolat chaud plutôt que de mettre le nez dehors, avec ce froid mordant caractéristique du début du printemps... Ou sa mère était devenue folle durant la nuit, ou la famille Gavillet avait un  rendez-vous qu’ils avaient oublié de signaler à Sélène. Cette dernière opta pour la seconde option. Mais dans ce cas-là, quel était donc cet imprévu qui la sortait du lit si brusquement ? Bon, il était passé neuf heures, ça, elle ne pouvait le nier, mais Philomène ne la réveillait jamais ainsi sans une bonne raison. Et elle devrait en avoir une terriblement bonne si elle ne voulait pas passer sa journée à supporter la mauvaise humeur de sa fille.

Cette dernière repoussa à contrecœur ses draps sur le côté du lit et descendit au rez-de-chaussée, finalement décidés par l’odeur alléchante du pain grillé et de la confiture de fraise qui mijotait sur le feu. Sa mère la rendait toujours trop liquide, mais elle restait bien meilleure que celle du supermarché. Un feu de bois crépitait dans la cheminée, alimenté par les dernières bûches qui restaient sous la devanture de la maison. Celui-ci serait le dernier feu de la saison avant d’entamer la prochaine. Cette ambiance passée résumait bien la vie au 28 Rue du Gouin, à Camaret-sur-Mer. Cet endroit à la pointe de la Bretagne avait vu Sélène grandir depuis qu’elle savait marcher. Descendant les quelques marches qui la séparaient de la cuisine, Sélène demanda à sa mère d’une voix endormie où l’agacement perçait malgré elle :

- Pourquoi tu me réveilles aussi tôt un dimanche ? articula-t-elle en bâillant.

- On se retrouve avec les Sherwood à Crozon pour une après-midi jeux... J’étais pourtant certaine de te l’avoir dit… répondit-elle d’un ton pensif.

- Non, je n’en savais rien. Depuis quand est-ce prévu ?

C’était une question idiote. Bien sûr qu’elle avait la réponse ! Les après-midis jeux l’ennuyaient depuis toujours… et la date de la prochaine, fixée chaque soir après le souper, ne l’intéressait guère. Ses parents, Philomène et Loïc, avaient un jour rencontré un couple, Corine et Yves, ainsi que ses deux enfants, du même âge que Sélène et Coralie, sa sœur. Ils adoraient les jeux de société, tout comme le couple Gavillet et ses trois filles, Sélène, Coralie et Maëlys. L’une des traditions du temps où ils habitaient dans le Loiret, au centre de la France, avant de déménager à Quiberon, était de réunir tous leurs amis pour passer une après-midi à jouer.

Avec le déménagement, la tradition s’était perdue, jusqu’à ce que les Gavillet rencontrent les Sherwood. Ils l’avaient recréée ensemble pour profiter et s’amuser, emmenant leurs enfants, moins ravis, tout du moins jusqu’à l’âge de pouvoir jouer entre eux malgré la différence fille/garçon. Mais Sélène restait continuellement dans l’ennui durant ces journées-là, hormis pendant le goûter et le souper… Inutile de préciser qu’elle n’était pas ravie de s’être fait réveillée de si bonne heure, d’après son point de vue de jeune adolescente.

- He bien, depuis que la voisine m’a confirmé la date de la journée jeux de Carnac, la détrompa Philomène. J’ai immédiatement appelé Corine pour réserver la date. On a rendez-vous là-bas à onze heures  pour manger le brunch, pour pouvoir ensuite jouer.

Alertée par le temps qui lui restait, Sélène avala ses toasts avec la confiture encore chaude, puis fila s’habiller en courant. Sa mère, nullement atteinte par l’empressement de sa fille, lui demanda pourquoi elle était si pressée - car Sélène avait déjà gravi la moitié des escaliers - ce à quoi elle répondit par-dessus son épaule :

- Je n’ai plus que vingt-cinq minutes !

<3

Une fois à Carnac, Sélène bondit hors de la voiture. Sans le vouloir, elle avait mis de petites boucles d’oreilles en forme d’ancre qu’elle avait dénichées en vacances dans une minuscule boutique très accueillante, ainsi que son collier d’agate abricot et du parfum. Sa sublime robe bleu marine voltigeant au gré du vent venant de la mer, elle sortit de la voiture en se fixant sur le visage un sourire enjoué, car Sélène n’était guère enchantée d’être sur ce parking. Elle souhaitait uniquement traverser la route pour aller voir la mer, même si elle habitait au plus proche d’elle.

A l’école, si sa prof la plaçait en face de la fenêtre, elle arrivait à atteindre le port du regard ; alors Sélène divaguait à mille mètres de là, ne désirant que découvrir tous les secrets qu’abritait l’océan. Combien de fois ses enseignants l’avaient tirée de sa rêverie ! Mais depuis quelque temps, aux songes de Sélène venait s’ajouter le jeune homme de ses rêves. Elle y pensait de plus en plus souvent, désespérant de le rencontrer un jour. Le minibus des Sherwood, d’un bleu ni foncé ni clair, la tira de ses pensées quand elle posa les yeux dessus. Ils étaient déjà arrivés, mais Yves et Léo, l’aîné des trois fils, s’affairaient encore dans la voiture. Le reste de la famille se trouvait déjà à l’intérieur de la Grande Salle.

Même si cette dernière se prénommait la Grande Salle, elle ne correspondait pas du tout  à son nom. Elle possédait une quelconque estrade, sur laquelle se dressaient des tables et des chaises, ainsi que le brunch. Une dizaine de personnes s’affairaient déjà tout autour, produisant un doux brouhaha tel un essaim d’abeilles. Sur le côté gauche de la salle, de multiples tables avaient été mises bout à bout pour n’en former qu’une grande de plusieurs mètres de long ; là trônaient une centaine de jeux différents, bien que la mode de ce temps fut principalement dirigée vers les jeux japonais de toutes sortes.

Une fois que les dix nouveaux arrivants se soient salués, tout ce petit monde se mit à table. Sélène et Léo, les aînés, s’assirent avec Coralie et Mathéo, les cadets, tandis que les benjamins, Maëlys et Bruno, prenaient place auprès des quatre adultes. Comme Sélène venait d’avaler un rapide petit-déjeuner, elle ne prit seulement que quelques bouchées, mais regarda les autres mastiquer avidement la montagne de crêpes au caramel à la fleur de sel, typiques de la région bretonne, qu’ils avaient empilées avec dextérité sur une assiette de porcelaine avec un bord bleu.

Les jeux s’enchaînèrent en foule pendant toute l’après-midi, jusque vers dix-sept heure : les grands avec les petits, des jeux de lettres, stratégiques, de hasard, de cartes, à jouer seul, comme le rubik's cube en forme de pyramide également à la mode. Des jeux pour adultes, pour enfants, des jeux longs ou courts… L’ennui et la monotonie se faisant un peu ressentir vers la fin de la journée, les deux pères et les quatre « grands », c’est-à-dire Léo, Sélène, Coralie et Mathéo, allèrent se promener au bord de l’eau, à la demande de Sélène et l’accord enthousiaste des autres.

Les rochers se dressaient, fiers et majestueux, créant une longue barrière naturelle séparant le sable et l’eau de la ville. On pouvait les traverser par plusieurs petits passages tracés au travers  pour accéder à la plage, disposés à intervalles réguliers d’une centaine de mètres. Après une marche assez courte le long des rochers, ils empruntèrent l’un des passages, sans oublier d’enlever leurs chaussures, sandales et ballerines pour les filles, baskets pour les hommes. Le sable était chaud sous leurs pieds, sans toutefois trop l’être pour les brûler. L’écume galopait sur l’eau telle un cheval en pleine course, et elle venait lécher leurs chevilles découvertes. Froide, comme toujours en Bretagne, mais, habitués qu’ils étaient, ils ne le sentaient même plus.

L’arrivée du printemps se faisait ressentir partout : déjà quelques baigneurs pataugeant dans l’eau salée, le chant des oiseaux leur parvenant du village, des vélos reposant sur le bord du chemin, signe du soleil et du beau temps qui revenaient. Sélène, malgré son respect des dictons et proverbes, n’acceptait tout simplement pas le dicton disant qu’en Bretagne, il pleuvait à longueur de journée. Il n’existait rien de plus faux, et à chaque fois qu’une personne osait le lui dire, elle rétorquait systématiquement - sans même savoir qui parlait - qu’il n’y aurait pas de touristes s’il pleuvait sans cesse. Une fois, c’était le maire du village qui s’était adressé à elle. Quand Sélène avait levé les yeux, elle était devenue d’un rouge tomate ; sa sœur adorait raconter cette histoire pour l’embarrasser…

Ils marchèrent durant une petite demi-heure, jusqu’à être arrivés au pied d’une bande de rochers, la fin de la plage. Là, ils firent demi-tour et retournèrent à la Grande Salle par le même chemin. Le reste de l’après-midi passa à une vitesse fulgurante. Lorsque le temps vint de partir, les adultes décidèrent de souper ensemble comme d’habitude, mais, n’ayant rien prévu à manger, les femmes - et Sélène, qui avait demandé à les accompagner - allèrent chercher de quoi faire des crêpes et des galettes à l’épicerie la plus proche pendant que les autres rentraient tranquillement à Quiberon, chez les Sherwood.

Leur maison dominait le double rond-point au milieu du village, à environ deux kilomètres du collège, et à cinq cent mètres de la maison des Gavillet. D’une couleur jaune peu commune à la Bretagne, elle possédait un jardin de taille moyenne et une grande terrasse pour l’accompagner. Une slackline de couleur verte s’étendait à côté de la haie, ainsi qu’un goal de foot, étant donné que les fils Sherwood y jouaient depuis tout petit. Léo allait même s’entraîner l’année suivante à haut niveau. Des escaliers menaient à la porte d’entrée ; la maison se composait de deux étages, ainsi que d’un sous-sol où le cabinet de massage de Corine et bien sûr le garage avaient élu leurs domiciles.

Dès qu’elle fut entrée à l’intérieur, Gipsy se mit à aboyer et arriva en courant avant de lui sauter dessus. C’était un jeune chien énergique de trois ans environ. Ses poils blancs et noirs avec des notes brun-roux lui donnaient un effet tâché, comme s’il venait de se rouler dans la boue. Sélène n’avait jamais vu sa queue s’arrêter de fouetter l’air, à croire qu’il était infatigable. Après avoir salué l’animal, elle leva les yeux sur le décor devenu familier avec le temps. A gauche, une porte avec un panneau salle de bain  côtoyait un escalier menant au premier étage. En haut se trouvaient les chambres et une deuxième salle de bain. Sur le mur que longeait l’escalier, une trentaine de photos égayaient la paroi sinon blanche. Sous la cage d’escalier étaient rangées toutes les chaussures ; un porte-manteau longeait le mur de droite.

 En face de la porte d’entrée, une ouverture arquée donnait sur la cuisine. A droite, avant le porte-manteau, une porte presque toujours ouverte menait au bureau. Sur le mur, un puzzle de deux mètres sur trois de neuf mille pièces ornait toute sa surface. Il représentait un bateau en pleine tempête que Sélène avait souvent admiré pour la patience qu’il représentait. A l’autre bout du bureau, une deuxième porte le reliait à l’espace de vie, le salon et la table à manger. Les trois pièces - la cuisine, le bureau et le salon - étaient reliées entre elles pour donner une sorte de mini-circuit. Dans la cuisine, une porte-fenêtre menait à la terrasse et au jardin par la même occasion. Une salle de jeux toujours en bazar occupait la dernière pièce. Des Lego, des jeux et des livres gisaient çà et là. 

Sélène pénétra dans la cuisine : à gauche, une cuisinière encombrée de casseroles et autres, et en face, un bar tout aussi obstrué par toutes sortes de choses parfois inutiles. Elle déposa le sac de provisions qu’elle tenait à la main puis alla rejoindre les autres dans le salon. Gipsy l’y avait déjà précédée. Yves, leur père, était en train d’apprendre aux Gavillet présents un jeu de rythmes à mourir de rire, le zoo.

Le principe était très simple : à chaque personne était attitré un animal, comme l’escargot, le crocodile, la girafe, le requin, l’éléphant, le serpent et ainsi de suite dont obligatoirement la puce, tous représentés par un geste en lien avec l’animal. En rythme, la puce appelle un des autres animaux, jusqu’à ce qu’un joueur se trompe. Alors, il prend la place de la puce et tous les autres se décalent d’une chaise, changeant ainsi d’animal, le but étant de ne pas être à la place de la puce. C’était un jeu très drôle, pouvant se prolonger à l’infini.

Sélène rejoignit les joueurs pendant que les deux mamans préparaient le repas. Rarement ils avaient autant rit à un jeu. Corine et Philomène ne tardèrent pas à intégrer à leur tour le zoo, si bien que ce fut de plus en plus compliqué. Une demi-heure plus tard environ, dès que la pâte eut plus en moins reposé, ils passèrent à table. Un joyeux brouhaha s’y éleva bientôt : les conversations allaient bon train, ainsi que les demandes telles que « passe-moi le jambon » ou « tu peux me donner le fromage ». Les adultes s’étaient tous attablés au bout de la table pour laisser l’autre bout aux « grands » enfants. Deux crêpières tournaient à plein régime, car elles avaient dix personnes à nourrir. Sélène avait été placée au côté de Léo, l’abandonnant plus ou moins à seulement deux sujets de conversation : le foot et l’école.

Même si elle aimait beaucoup le second, il était quand même assez limité. Mais en réalité, Sélène se rendit vite compte qu’elle prenait un certain plaisir à écouter Léo parler de sa voix grave. Elle réalisa bientôt qu’il n’y avait de loin pas que deux choses dont on pouvait parler avec un garçon. Sélène apprit qu’ils ne seraient pas non plus dans la même classe l’année suivante, comme toutes les précédentes. Au fil de la conversation, elle eut l’étrange impression que sa mémoire stockait chaque détail bien à l’abri, dans un tiroir classé « important ».

Les grandes crêpes typiques de la région avaient beau être délicieuses, deux suffisaient amplement à Sélène. Une salée au sarrasin jambon-fromage, une sucrée glace vanille et caramel au beurre salé. Les Sherwood avaient une tradition bien à eux de mettre du lard sur leurs crêpes. Après avoir goûté, Sélène accepta que ce fût mangé, mais désapprouva tout de même cette pratique. Le souper se déroula sans encombres uniquement jusqu’à la moitié du temps. Alors, Sélène remercia le bon dieu - même si elle n’était pas pratiquante, sauf quand elle allait à la messe de Noël pour accompagner sa famille - pour ce moment fatidique.

Dans le mouvement général dû par le nombre de personnes présentes dans un espace restreint - la table - la jambe de Sélène effleura celle de Léo. Alors, son corps réagit bizarrement. Comme quand elle se réveillait le matin, après avoir rêvé, son cœur se mit à battre plus fort. Il devint presque violent, comme s’il voulait lui éclater la poitrine. Sélène restait perplexe face à son état. Ce n’était pas normal, pas comme d’habitude. Jamais elle n’avait été comme ça. Perdue dans ses pensées, Léo l’en sortit brusquement :

- Sélène ?  

C’est alors qu’elle comprit. Elle comprit pourquoi la conversation devenait moins ennuyeuse avec lui. Pourquoi elle remarquait ses moindres détails physiques - comme sa voix grave, ses oreilles un peu décollées, ses cheveux d’un brun presque noir, ainsi que ses yeux légèrement plus clairs. Pourquoi elle n’avait pas tant râlé le matin même quand sa mère l’avait réveillée subitement. Pourquoi elle avait mis ses boucles d’oreilles préférées en forme d’ancres, contrairement à son habitude. Pourquoi son collier d’agate abricot - également son préféré- ornait son cou, et que sa robe demeurait la plus belle de son armoire. Maintenant, tout devenait clair, limpide, comme jamais ça ne l’avait été. Le jeune homme tourna enfin la tête. Elle put contempler ses yeux, ses traits, son visage. Sélène avait trouvé l’homme de ses rêves : c’était tout bonnement Léo, Léo Sherwood, qui était depuis tout ce temps-là à sa portée, juste sous son nez.

- Oui ?

- Non, rien. Tu étais… ailleurs.

<3

Une fois dans son lit, Sélène se retourna pour faire face à la fenêtre. Les étoiles luisaient dans le ciel sans nuages, mais le mince croissant de lune peinait à se montrer. Le souvenir de son contact trottait dans la tête de la jeune fille. Depuis quand, elle, Sélène Gavillet, éprouvait de véritables sentiments pour quelqu’un ? Plus elle remontait le temps, plus les souvenirs se faisaient vagues et flous, mais, en procédant méthodiquement, elle put reconstruire plus ou moins sa propre histoire.

Le plus loin qu’elle put retrouver se passait le 25 juillet 2013, huit mois auparavant. Ce jour-là, Philomène accompagnait Coralie et Maëlys à un week-end de chant. Le père de Sélène travaillant, elle se retrouvait seule à la maison une journée complète. La trouvant trop jeune pour rester seule aussi longtemps, sa mère avait appelé Corine pour lui demander de « garder » Sélène. Cette dernière était arrivée le matin pour le petit déjeuner et restait toute la journée. Comme il faisait passablement chaud pour ce mois-ci, Sélène avait accompagné Yves et les deux plus jeunes à la plage, car Léo avait un match de prévu, et sa mère faisait le taxi (venant aussi l’encourager).  Quand Sélène les avait vus partir, Léo en tenue chaude, car d’après la météo, il pleuvait là où ils se rendaient, il lui semblait avoir eu un petit pincement au cœur. Bien sûr, elle ne s’en était pas rendu compte tout de suite, ni même des mois après, jusqu’à aujourd’hui. 

Encore maintenant, elle doutait de sa mémoire. Etait-ce bien elle qui, quelques heures plus tôt, était tombée follement amoureuse ? Était-ce bien elle qui avait enregistré tous ces moindres détails ? Comme par exemple le fait qu’ils ne seraient plus jamais dans la même classe. Ou, plus effrayant encore, ses détails physiques : elle n’avait jamais regardé un garçon de telle sorte. Le doute ne lui était plus permis. Il fallait se rendre à l’évidence : ce jour-là, le 25 mars 2014, Sélène Gavillet s’était rendue compte que ça faisait déjà longtemps qu’elle était tombée amoureuse. Amoureuse d’un homme qu’elle connaissait depuis l’enfance.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Florian
Posté le 16/02/2024
Bonjour et félicitations tout d'abord pour ce texte ! J'ai noté quelques remarques au cours de ma lecture, si elles peuvent être utiles :

- Il y a quelques répétitions de "jeune fille" dans le premier paragraphe. Je suggèrerai de varier les appellations.

- Ironiquement, dans le second paragraphe, c'est cet fois-ci "jeune homme" qui fait l'objet de répétitions. Pour en cette phrase :

"Le jeune homme de la balançoire ne la laissait pas indifférente, loin de là. À chaque fois qu’elle se réveillait, au moment exact où le jeune homme allait se retourner pour lui parler"

la répétition pourrait être évitée assez facilement en modifiant, par exemple, "où le jeune homme allait se retourner lui parler" par "où il allait se retourner pour lui parler".

- L'ennui de Sèlène vis-à-vis des journées de jeux est répétée par deux fois, sans que cela ne soit nécessaire (puisque le lecteur le sait déjà). Repartager l'information par deux fois peut alourdir le texte.
"Les après-midis jeux l’ennuyaient depuis toujours…"
"Mais Sélène restait continuellement dans l’ennui durant ces journées-là, hormis pendant le goûter et le souper…"

- Petite erreur de conjugaison dans cette phrase :
"Une fois que les dix nouveaux arrivants se soient salués, tout ce petit monde se mit à table."

Ce serait plutôt « s'étaient salués ».

-------

Voilà tout ce que j'ai plus noté ! Si je peux faire un résumé c'est : attention aux répétitions quand elles peuvent être évitées, afin d'améliorer la fluidité du texte !

Bon courage pour la suite :)
coeurfracassé
Posté le 18/02/2024
Bonjour !
Merci beaucoup pour ce commentaire très utile =) Je prends note des répétitions, et je serai particulièrement attentive à elles lors de la relecture...
Encore MERCI d'être venu par ici <3
Tizali
Posté le 08/02/2024
Bonjour, l'ambiance n'est pas la même que dans le prologue et le retour à la tranche de vie d'une ado ne peut évidemment pas se raconter de manière aussi poétique. Pour contrebalancer certains commentaires, l'écriture est très bonne pour quelqu'un qui n'avait jamais produit d'écrit long, mais on ne peut pas écrire à la perfection sans expérience, donc il n'y a pas à s'en vouloir. Il y a énormément de potentiel, il faut juste travailler sur les formulations et sur l'histoire pour non seulement améliorer ce texte, mais apprendre pour en écrire d'encore meilleurs ensuite. En bref, si ça ne te dérange pas, voici mes suggestions, en espérant que ça te donne une idée des choses à améliorer.

un sentiment de sécurité apaisante => apaisant (pour le sentiment) ?
Plus cette jeune fille courait etc. => deux ":" dans cette phrase. Remplacer le second par ";" ou "."
dont une mère pût faire preuve => peut / pouvait (pas de subjonctif)
la jeune fille n’avait pas quitté un seul livre => signifie qu'elle se trimballe avec sa bibliothèque entière x) "les livres ne l'avaient pas quittée" ? Ou "la jeune fille ne quittait pas ses livres, qu'elle trimballait..."
celle-ci ne sortait jamais => il ne faut pas abuser des périphrases pour qualifier l'héroïne (la jeune fille, celle-ci, cette dernière etc.), ça en distancie le lecteur. Ici, "elle" suffirait vu que c'est le dernier sujet utilisé.
Cette dernière opta pour la seconde option => répétition opta / option => hypothèse ?
finalement décidés par l'odeur => décidée
répondit-elle d'un ton pensif => pas de rappel du sujet, le dernier "elle" utilisé est Sélène => répondit Philomène
Sélène et Coralie, sa sœur => c'est très clair qu'elle est sa sœur, le supprimer permettrait d'éviter d'énoncer l'évidence surtout que la phrase suivante mentionne les trois sœurs et leurs noms.
de s'être fait réveillée => réveiller
He bien => Hé bien
nullement atteinte par l'empressement de sa fille, lui demanda pourquoi elle était si pressée => répétition empressement / pressée. "pourquoi elle courait tant" ?
Sans le vouloir, elle avait mis => étrange, l'utilisation de cette expression ! xD Elle met des bijoux et du parfum par accident ? Peut-être plutôt "Sans y penser"
A l’école => À
une quelconque estrade => une estrade quelconque ? J'ai l'impression que l'inverse signifie "n'importe quelle estrade", ou "un genre d'estrade"
bien que la mode de ce temps fut => fût, tu avais l'air de vouloir utiliser le subjonctif imparfait plus tôt dans le texte. Sinon, plutôt "soit" / "était"
Une fois que les dix nouveaux arrivants se soient salués => se furent (pas de subjonctif après "une fois que")
elle ne prit seulement que quelques bouchées => redondance entre "seulement" et "que", il faudrait n'en mettre qu'un
telle un cheval en pleine course => tel (accord avec cheval)
ils firent demi-tour et retournèrent => répétition tour / retournèrent. "et rentrèrent" ? Sinon, "ils firent demi-tour vers la Grande Salle..."
avaient élu leurs domiciles => avaient élu domicile ?
un effet tâché => taché
A gauche => À
A droite => À
A l'autre bout du bureau => À
Rarement ils avaient autant rit => ri
qu’il n’y avait de loin pas que deux choses => je ne comprends pas bien cette phrase
Dans le mouvement général dû par => le verbe "devoir" n'est pas adapté. "produit" ?
Etait-ce bien elle => Était-ce (Alt + 144)
de telle sorte => de la sorte (sinon il semble manquer des mots)
s'était rendue compte => rendu (on rend compte "à" donc COI, pas d'accord)

Pour ce qui est de l'intrigue, le fait que ce chapitre se concentre sur un événement potentiellement rasoir pour l'héroïne nous le rend rasoir à nous aussi. Il faut arriver à contrebalancer ça avec des indices sur la raison pour laquelle il figure dans l'histoire. J'ai trouvé que l'interaction entre Sélène et Léo n'était pas du tout mentionnée (alors que le titre du chapitre nous indique que c'est là que ça se passe). Elle a l'air de se retrouver amoureuse comme par magie à la fin, il n'y a pas du tout d'alchimie avant. Pour que l'événement soit agréable à lire et non ennuyeux, il faudrait décrire cette interaction petit à petit dans l'histoire, sans que Sélène se rende compte qu'elle est sensible à Léo. Tu pourrais réduire les moments inintéressants (j'ai trouvé la description de l'intérieur de la maison particulièrement longue) pour ajouter des scènes avec des dialogues entre ces deux personnages afin qu'on puisse assister au début de la romance, plutôt que de nous dire que ça vient. Ici, le seul élément qui ressemble à ça, c'est le frôlement de la jambe sous la table et la question de Léo qui s'aperçoit que ça ne va pas. Ça peut être une autre piste, mais à la fin de ce chapitre, on n'a pas d'interrogations sur la suite. Il n'y a pas de mystère, elle a l'air d'être assez proche de lui grâce aux adultes qui se voient souvent et en plus, elle ne le reverra pas à l'école. Si à l'inverse, elle n'était jamais dans sa classe et qu'on apprend que cette fois, ils seront dans la même classe, il y a quelque chose à attendre de l'histoire. Ici, c'est trop flou.

Voilà, j'espère t'avoir aidée et pas trop assommée avec mon avis à rallonge ^^'
coeurfracassé
Posté le 10/02/2024
Bonjour, bonjour !
Déjà, pour commencer : merci. C'est le commentaire le plus constructif - et de loin - que j'ai reçu depuis mes débuts dans l'écriture. C’est rassurant de voir que quelqu’un d’autre pense que tout n’est pas perdu… J’ai commencé récemment la réécriture, et je dois avouer que j’étais découragée, surtout au début. Heureusement, ça va mieux, et ton commentaire me pousse encore plus à me dépasser pour présenter une meilleure version de cette histoire.
Je prends note de la grammaire/du vocabulaire/des répétitions. Je vais probablement supprimer ou changer beaucoup de phrases, mais je ferai attention pour celles que je conserve dans un deuxième jet.
J’ai lu avec une attention toute particulière ton commentaire sur l’intrigue. En effet, ça m’a ouvert les yeux… Je trouvais que « quelque chose » n’allait pas sans savoir quoi, et tu as désigné enfin le problème. Je n’avais jamais pensé à introduire la romance avant, sans doute parce que l’alchimie me paraissait évidente, mais je crois que c’est exactement le « quelque chose » qui manquait. En revanche, je ne sais pas trop si je dois forcer l’alchimie, car au début de la journée, elle ignore que Léo est l’inconnu de ses rêves. Et j’examinerai aussi ta proposition qu’ils soient dans la même classe. C’est vrai que ça ouvre de nouvelles opportunités… A voir avec la suite, si j’arrive à faire coller tous les éléments de l’intrigue !
En tout cas, encore merci, et surtout, n’hésite pas à commenter à rallonge ;-) ça me fait toujours plaisir <3
Tizali
Posté le 10/02/2024
Ok, ça marche ^^ tant mieux si ça t'est utile. J'avais oublié de mentionner que tu parles de deux filles Gavillet et puis de deux fils Sherwood avant de finalement parler de trois sœurs et trois frères. Il faudra aussi corriger ça si tu gardes tous ces personnages ^^
Azadamine
Posté le 26/05/2023
Excellent chapitre !
J'adore ton style d'écriture, bravo !
Un élément que j'aurais aimé voir développé un peu plus : la ballade sur la plage. On ne sait pas grand chose de ce qu'il s'y est passé car elle est un peu survolée.
La révélation est très bien amenée, ton histoire me plaît !
coeurfracassé
Posté le 02/06/2023
Merci ! Je trouve ce chapitre beaucoup moins bien que le premier, on voit qu'il représente mes tout débuts dans l'écriture "longue". N'empêche, je trouve (très modestement) qu'ils s'améliorent de plus en plus. Donc extrêmement contente que ça t'ait plu dès maintenant, ça n'ira que de mieux en mieux je crois ;-)
Sinon, je prends note pour la balade, à retenir !
Et encore merci, j'espère que tu continueras à commenter, ça fait toujours vraiment chaud au coeur <3
Frèd Flachat
Posté le 23/11/2022
Je suis sorti de l'histoire. Le prologue s'annonçait prometteur tout comme votre style. Dans ce premier chapitre, je n'ai pas retrouvé ce qui m'avait plu. Vos phrases sont moins bien tournées, les métaphores moins jolies et par dessus tout ça, l'intrigue ne m'a pas emballé. De plus il y a plusieurs incohérences, vous parlez de deux soeur puis de trois.
Ceci est une critique constructive pour vous aider à améliorer votre histoire ;)

Je lirai tout de même le prochain chapitre.
coeurfracassé
Posté le 24/11/2022
Vous avez exactement mis le doigt sur ce qui me tracasse. Cette histoire signe le début de mon écriture, et je sais qu'elle est... insatisfaisante, pas à la hauteur de ce que je peux faire. Je n'avais jamais écrit d'histoires longues de plus de deux pages avant, et je ne savais pas comment faire. ça fait plus d'une année que j'ai écrit ce chapitre, et j'ai parfaitement le même avis que vous sur la question. Le problème, c'est que je veux à la fois continuer à écrire la suite tout en réécrivant et corrigeant les premiers chapitres, et je manque cruellement de temps... Je tâcherai tout de même de réécrire rapidement ce chapitre : c'est toujours les premières impressions qui comptent !
Vous lisez