Quatre - Lectures...

Notes de l’auteur : Le monde est un livre dont chaque pas nous ouvre une page.
Alphonse de Lamartine

 Quelques mois plus tard, le dimanche 2 septembre pour être précis, les Sherwood et les Gavillet avaient planifié une après-midi jeux. Encore une occasion pour Sélène de faire la curieuse et d’en savoir plus sur lui ! L’après-midi s’était passée sans aucune encombre : Sélène avait joué comme si rien ne la perturbait au creux de son ventre. Elle restait encore trop incertaine pour tenter quoi que ce soit. Maintenant, le souper était avalé, sans compter le dessert. Les conversations avaient été alimentées durant tout le repas sur différents sujets : les anciens voyages d’affaires de Yves, le foot de Léo et Greg, l’incroyable organisation de Corine, les nouveaux jeux de société, l’école, Trisk, les fest-noz, le travail de Loïc, charcutier-traiteur… Ils parlaient maintenant des lectures qui s’offraient aux deux aînés :

- Sélène, tu pourrais lire Les Chroniques de Spiderwick. C’est un roman pour les un peu plus jeunes, Greg l’a lu sans problème. Trois enfants déménagent dans une très ancienne maison, et les habitants fantastiques de la forêt à proximité se mêlent de leurs histoires. Léo peut te le prêter, suggéra Yves. On a l’intégrale.

- Oui, et tu connais Eragon, de Christopher Paolini? intervint Corine. C’est une histoire de dragons, absolument géniale. On peut aussi te les prêter si tu veux. Il y a quatre tomes mais ils méritent d’être lus, et tu es une aussi une bonne lectrice que Léo. 

- Oui pour le premier, mais j’ai déjà beaucoup de lecture, alors je lirai volontiers Eragon une autre fois, quand j’aurai moins à lire, accepta Sélène d’une voix ravie par ces livres qui lui donnait tant envie.

L’heure de se dire adieu sonna déjà, et Sélène fut aussi triste que s’ils ne venaient pas de passer l’après-midi ensemble. Elle avait beau avoir lu des dizaines d’histoire d’amour (et fantastique !), Sélène n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Et de toute façon, elle n’était même pas certaine de vouloir le lui dire. En tous cas pour l’instant. Vers vingt heures quinze, Philomène lança à Sélène du bas des escaliers :

- Sélène ! Les Sherwood ont oublié un des jeux, tu peux le redonner demain à Léo ?

- Oui Maman, bien sûr !

Une idée germa dans son esprit. Minime, au début, puis de plus en plus certaine, nette. Elle avait un plan. Sauf qu’il faudrait agir vite. Très vite. Sans perdre une minute, Sélène s’assit à son bureau et sortit une feuille de brouillon et un crayon papier. Si elle était incapable de formuler ses sentiments à haute voix, les coucher sur le papier lui permit de se confronter à la réalité. Munie de son crayon, elle écrivit une lettre à celui qu’elle aimait aussi fort. Une page recto verso couverte de son écriture en patte de mouche à l’encre effaçable bleue. Deux pages, que Sélène aurait juste pu résumer en une dizaine de mots : « Cher Léo… Je ne sais pas comment te le dire, mais… je t’aime. Depuis presque un an maintenant, voire plus. Est-ce que ces sentiments sont réciproques ? Sélène ».

Elle descendit les escaliers pour prendre la boîte de jeu lorsque sa mère se contredit :

- Ah, Sélène, tu tombes bien. Je vois de toute façon Corine demain, donc pas besoin de donner la boîte à Léo.

Philomène venait de gâcher tout son plan. Elle comptait glisser la feuille pliée minutieusement dans la boîte, et la rendre à l’aîné avec un commentaire du style : « Ouvre la boîte ». Impossible de le faire.

<3

Le lendemain matin, Sélène arriva de bonne heure au collège. Le collège Sainte-Anne était vieux et tout rabougri, mais il avait abrité l’histoire de centaines d’élèves, dont celle de Sélène. Du moins, le début de l’histoire, celle qui commencera bientôt. L’école était composée de deux bâtiments, l’un pour les 6eet les 5e, l’autre pour les 4e et 3e. Sélène venait d’entrer en quatrième. Tous les enfants de son âge habitant à Quiberon avait pu participer pendant une année complète à une régate en mer jusqu’en Angleterre. Ils étaient restés six mois là-bas et étaient ensuite revenus par le même chemin. En contrepartie, ils avaient tous dû travailler en mer pour reprendre la scolarité avec les ados de leur âge.  

Elle sortit son livre du moment, Roméo et Juliette, et s’installa pour bouquiner sur un banc en attendant. Une vingtaine de minutes plus tard, la première sonnerie retentit trop bruyamment dans l’établissement. Encore un de ses défauts. Lorsqu’elle se leva pour aller en cours, une voix l’interpela derrière elle :

- Sélène ! Attends, j’ai quelque chose pour toi.

Elle reconnut immédiatement cette voix-là. Comment se tromper ? Sélène se retourna lentement, mesurant chacun de ses gestes avec une minutie exagérée que Léo ne parut heureusement pas percevoir. Il était en train de fouiller à l’intérieur de son sac posé sur le banc précédemment employé pas Sélène. Alors qu’elle était sur le point de l’abandonner, il sortit un roman abîmé par les lectures répétitives qu’il avait probablement endurées.

- D’habitude, j’oublie ce genre de choses, mais comme c’est toi… Je dois y aller. Bonne lecture !

Léo quitta ainsi Sélène, sans qu’elle ait pu dire un seul mot. Cette dernière fila aussi en cours, de peur d’être en retard. Pendant son cours de maths, elle eut le malheur d’ouvrir ce fabuleux bouquin et de le commencer. Impossible de ne pas s’arrêter ! Pauvre cours de maths ! Il allait être complètement négligé.

Le soir même, elle repensa à sa journée en commençant par son épisode marquant. Le livre qu’elle n’avait pas pu lâcher de la journée, sauf au cours de français. La prof, Mme Gasser, leur avait demandé d’écrire une rédaction dans leur Carnet Créatif qui devait commencer par la phrase : « Vous ne me connaissez pas encore, mais j’aimerais que vous sachiez… ». C’était totalement libre, mais Sélène ne savait pas vraiment quoi écrire. Elle n’avait jamais véritablement été une bonne rédactrice. A réfléchir.

Sélène se remémora ses exactes paroles : « D’habitude, j’oublie, mais comme c’est toi… ». Qu’est-ce que ça signifiait ? Pourquoi elle ? Elle n’avait aucune réponse à ces questions. Peut-être qu’elle aurait un jour le courage de le lui demander.

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