Le Temps des Guerriers

Par Pouiny

Un soir, Svär remarqua le calme étrange qui entourait la meute. Plus aucun chant d'oiseau, ni fourmillement d'insecte. Tout semblé s'être terré au plus profond des entrailles de la terre. Alors il comprit que c'était ainsi que le signal se lançait. L'Ennemi était proche. L'Ennemi allait attaquer, et ils étaient prêt. Bientôt, leur feu et leurs bâtons seraient visible de loin. Les yeux d'or du loup noir semblèrent alors briller d'excitation sous la lune. Il bondit. La dernière bataille du Temps avait commencé.

Bientôt, tout autour de Svär sembla brûler. Le feu se propageait en un bruit assourdissant malgré l'humidité ambiante. La fumée, la chaleur, le son, tout émoussait ses sens. Pour autant comme aucun des loups de sa meute, il ne se laissa pas distraire et bondit sur la tête d'un ennemi. Il esquiva les bâtons et les flèches sans aucune hésitation. D'un coup de croc, il décapitait un adversaire ; sans même s'attarder sur sa mort, il sautait sur sa prochaine cible. Parfois il tentait de déstabiliser un ennemi qui allait toucher un des loups de sa meute ; pour autant, la seule chose pour laquelle il pouvait se concentrer était le sang.

Une carotide tranchée. Le sang s'aspergea sur son pelage cicatrisé. Une main arrachée, une jambe coupée, un buste lacéré, un visage détruit. Il ne prenait même plus la peine de chercher à tuer. Il cherchait seulement le sang. Une vengeance. Pour sa louve, pour sa meute, pour ses petits. D'un coup d’œil rapide, il remarqua que les autres loups avaient les mêmes pensées.

Äanstrij réussissait l’exploit d’être encore plus sanglant que lui. Il se servait d’un adversaire pour en tuer un autre. Il n’était pas rapide, mais il s’acharnait sur les corps, mangeait les entrailles, arrachait les yeux, coupait les têtes de ses crocs acérés. Des tripes coulantes dans ses crocs, le regard brillant d’un éclat terrifiant, il savait impressionner l’Ennemi pour le faire reculer. La folie qui l’envenimait était palpable.

Hoop et Läeven combattait ensemble, l’un derrière l’autre, prêt à se protéger de la moindre attaque en traître. Jeunes et vigoureux, l’espoir et la vie de la meute, ils étaient concentrés plus pour protéger et défendre que pour tuer. Bläuw et Schora restaient près de Räegen, dont les rêves de vengeance le rendait terriblement imprudent. Assurant ses cotés et ses arrières, Schora avait néanmoins aussi la hargne de la vengeance en elle. Elle repensait à Leur Louve, blessée et privée de ses petits, et comprenait désormais sa douleur, refusant à tout prix que l’un des siens soit tués. Mirga, quand à elle, incapable de se battre véritablement, se contentait de surveiller le terrain. Au bord de l’explosion nerveuse de ne rien pouvoir faire, elle était prête à courir pour récupérer Svär au moindre coup possiblement mortel pour sauver le sang de la meute.

Puis d'autres Ennemis arrivèrent en renfort des premiers. Et la balance commença à peser à alors du mauvais coté. Devenant trop nombreux même pour un combattant d'exception, il devenait de plus en plus difficile d'esquiver les coups pour en donner. Plus les secondes s'écoulaient et plus Svär sentait encore une fois la défaite se faire sentir. La hargne et l'orgueil des loups ne viendraient pas seul à bout de ceux-là ; bientôt, encerclé par le feu, incapable de voir autre chose que les teintes orange des flammes qui l'éblouissait, il fut en position de faiblesse. Sentant le danger venir de partout, il eut soudainement peur ; Il grossit son poil, essaya se rendre menaçant ; l'Ennemi en face n'en avait cure. Bientôt arrivait sa fin, il le sentait ; il allait fermer les yeux sur son destin, tentant d'oublier les couleurs trop vives des flammes. Il repensa à sa louve, son regard brillant, puis devenu si vitreux, si déchirant. Il était prêt à la rejoindre. Une ombre se pencha comme sur lui. Un hurlement le fit rouvrir les yeux.

Un grondement puissant, fort, rauque. Il n'avait de sa vie jamais rien d'entendu d'aussi sauvage et d'aussi farouchement féroce. Tout, dans la forêt, sembla se taire alors. Le hurlement était si terrifiant que même les plus infimes insectes fut prit de peur. Svär ouvrit les yeux, sidéré. Puis, dans ses souvenirs semblaient se rouvrir quelque chose qu'il avait laissé au plus profond de lui-même, comme une blessure jamais cicatrisée.

L'ombre qui l'avait assombrit était celle d'un ours. Les flammes de l'Ennemi accentuait son ombre et rendait son coté menaçant encore plus féroce. Il était redressé sur ses deux pattes arrières, et ainsi semblait pouvoir dépasser la taille des arbres. Il était littéralement gigantesque, et de sa gueule grande ouverte, gargantuesque, menaçait quiconque tentait d'approcher de lui.

Un ours qui protégeait une meute de loup, un ours mâle, incroyable, magnifique. Son grondement résonna encore parmi les flammes, comme un deuxième avertissement. L'écorce des arbres mourants sembla vibrer de terreur. Svär ouvrit les yeux plus grand encore. Cette masse de muscle incroyable, sortie des légendes d'un autre Temps, tourna légèrement la tête vers lui, et ses grands yeux noirs semblèrent briller d'un éclat de joie. Son museau portait une légère cicatrice, et une de ses oreilles était abîmée, comme vestige d'un passé lointain.

« Berin ?! »

Il n'était plus en rien le jeune ours terrifié et à peine plus grand que lui qu'il avait été. Adulte, fort et sûr de ses appuis, il semblait avoir apprivoisé et apprécier à pleine voix sa véritable nature. Relevé sur ses deux pattes arrières pour ce qui semblait être la première fois de sa vie, non sans raison, il tourna le dos à ses ennemis sans aucune crainte et se tourna vers Svär en levant légèrement les pattes avant, comme pour le pardonner. Avec un étrange mouvement d'épaule, il sembla dire :

« Je n'ai jamais pu oublier mon nom, Svär. »

Un barrage d'émotion sembla éclater dans le cœur du chef de la meute. Et alors que la bataille faisait rage, que l'Ennemi indécis commençait à se remettre de leur vision, et que le feu faisaient s'écrouler des arbres centenaires autour d'eux, le grand loup noir se redressa sur ses pattes arrières et, prenant appui sur ce qui avait été un jour un membre de sa meute, colla son museau sur son pelage brun dans un signe d'affection qui n'avait jamais été appris nulle part Même redressé sur ses deux pattes arrière comme l'ours, Svär n'atteignait qu'à peine du bout du museau le haut du corps de Berin. Sentant toute une tendresse en ce geste, une tendresse que l'ours avait oublié depuis longtemps, il posa doucement ses pattes sur le corps de son ancien maître, comme pour le protéger et le caresser à la fois. Ce geste unique marqua la mémoire des loups comme des ours. Mirga, de loin, était bouleversée de voir ce changement d’avis qui avait été providentiel. Elle hurla d’émotion au milieu des flammes, ne se souciant plus de la mort. L’espoir était revenu.

L'Ennemi, dans son incompréhension, reprit le combat. Svär et Berin se regardèrent dans les yeux.

« Pour une fois, on combat ensemble ? Grogna Berin.

– Si tu tiens la cadence.

– Comptes là-dessus. »

D'un coup de pression sur ses pattes arrières, Svär sauta par dessus l'ours et atterrit sur l'Ennemi, prêt à tout saigner une fois de plus. Berin, d'un grondement sauvage, retomba lourdement sur ses pattes avant d'une force qui fit vibrer le sol, se jetant sur les ennemis. Les autres loups, blessés et affaiblis, restèrent comme en retrait. La force combinée seule de l'Ours et du Loup suffisait amplement à venir à bout de cet Ennemi qui ne venait pas de la forêt. En un coup de patte, Berin envoyait à terre le moindre attaquant. Sa constitution incroyable était indifférente aux cures-dents qu'on tentait de lui planter. Occupant ainsi toute l'attention, l'ombre noire faisait son travail de mort qu'elle n'avait pas pu autant expérimenter depuis des années. Ils ne se contentèrent pas de l'unique terrain de bataille ; réussissant à avancer, il continuèrent jusqu'à ce que la menace entière soit éradiquée. A la fin de la journée suivante, plus aucun ennemi ne subsistait ; le peu de survivant restant préférèrent considérer cette forêt comme maudite et prit la fuite sans demander leur reste. L’ours, épuisé, se laissa lourdement tomber assis sur ses deux pattes arrières.

« Berin. »

La grande bête se retourna. Toute la meute de Svär se trouvait derrière lui, le loup noir à leur tête. Elle n'avait peut-être plus la prestance et la beauté qu'elle avait pu avoir lors des premiers jours d'adoption de Berin ; néanmoins elle semblait avoir enfin regagné son honneur et sa raison d’être. Il vit Mirga, de loin, le regard pétillant ; elle avait traversé la forêt seule pour aller le retrouver et quérir son aide. Äanstrij, d'un œil vert fatigué, le regardait sans se redresser. Allongé à terre, couvert de sang, il continuait à manger un bout d’intestin en le regardant fixement, comme fier. Tous les loups l'observait, reconnaissant. Même les louveteaux de Räegen qui ne l’avaient jamais vu, le regardait avec respect et une gratitude sincère et infinie. Si à présent, cela lui importait peu, il se souvint d'une époque ou cela aurait beaucoup compté pour lui.

Svär, lui aussi passablement épuisé, se redressa avec grâce.

« Après avoir passé plusieurs saisons dans le Temps Sans Nom, nous sommes venu à bout d'un ennemi qui avait mis fin au Temps des Loups. Sans toi, rien de tout cela n'aurait pu être possible. Néanmoins ; tu ne fais plus partie de la meute et tu n'en feras plus jamais partie. Car ta place n'est pas parmi les loups.

« Si nous n'avons besoin d'aide, ni toi, ni moi nous nous verrons ; chacun vivra comme il lui plaira de son coté. Pour autant, au moindre appel de ta part et nous accourrons ; si nous croisons un de tes gibiers, nous te le laisserons. Nous vivrons, Loups et Ours, en harmonie, et ce jusqu'à la fin du Temps.

– Aujourd'hui, désormais, est un Temps où nous vivrons en tant qu'alliés. Cela me convient, Svär. Nous vivrons chacun côte-à-côte, sans nous croiser, sans nous voir. Nous serons loin, mais tant que nos cœurs resteront proche, cette promesse tiendra ; au moindre appel de la meute, même lors d'un sommeil d'hiver, même lors d'une chasse, même si je suis loin, j'accourrais. Je sortirais de mon hivernation, je laisserais tomber ma proie pour je combattre à vos cotés. Je le jure sur le nom que vous m'avez donné et qui est le mien, Berin.

– Je le jure sur le nom de Svär. »

Et à nouveau, se répéta ce même geste fort et intense ou les deux bêtes, pourtant si différentes l'une de l'autre, s'unissent et fusionne en une seule en se redressant sur leurs deux pattes arrières. Et de deux hurlement qui s'entremêlèrent, résonna dans la forêt blessée mais toujours en vie.

 

« Ainsi est venu le Temps des Guerriers. »

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itchane
Posté le 14/07/2021
Et me voici au bout de cette magnifique histoire !
J'ai beaucoup apprécié cette fin aussi.

Grâce aux éléments placés dans les chapitres précédents, tu nous avais montré que tu étais capable de sacrifier des personnages si besoin. Le suspens était donc réel sur le retour ou non de Bérin !

Je suis contente que cette fin soit ouverte ainsi, que Bérin ne redevienne pas loup ni ne réintègre la meute, qu'ils se séparent mais que chacun se promette une entre-aide si nécessaire. C'est vraiment beau : )

J'ai beaucoup aimé ce texte, j'ai pris un grand plaisir à le lire du début à la fin.
Comme le dit Nora et comme tu le sais déjà, il mériterait clairement une bonne grosse relecture de forme, mais le fond et le style sont déjà très solides. C'est un magnifique conte qui mérite d'être mieux mis en valeur qu'avec toutes ces précipitations d'écritures ^^"

Je sais que ce texte est assez vieux pour toi, je ne sais pas si tu auras l'envie ou le courage de le remanier dans le scénario même, mais au moins de prendre une bonne demi-journée pour éliminer toutes les mauvaises tournures et fautes, cela lui ferait un bien fou ! Je pourrais plus facilement le conseiller ou en parler autours de moi ^^"

Bravo encore Pouiny,

je te souhaite de belles inspirations sur tous tes autres projets,

itchane
Pouiny
Posté le 16/07/2021
Je suis très content d'avoir eu tes retours du début à la fin ! J'ai beaucoup de projets d'écriture (et autres, j'ai un boulot aussi à coté qui me prend pas mal de temps malheureusement) , qui fait que je ne sais pas quand j'aurais le temps de me consacrer à la relecture de cette histoire, mais ce qui est sûr, c'est que je vais le faire ! J'en ai vraiment envie en tout cas ^^

merci beaucoup et à bientôt si jamais d'autres de mes écrits t'attirent :)
M. de Mont-Tombe
Posté le 21/05/2021
C'est une fin très agréable ! Je suis contente que Berin et les loups survivent. Pendant un moment, j'ai pensé que tu allais nous offrir une fin déceptive ^^. Il faudrait cependant relire, parce qu'il y a pas mal de fautes de frappe et d'accord dans ce chapitre. En tout cas, je vais pouvoir m'abonner à ton compte pour suivre tes prochains projets. J'espère qu'ils seront tout aussi captivant que cette histoire!
Pouiny
Posté le 21/05/2021
Merci beaucoup pour ta lecture ! Effectivement, j'ai écrit la fin de cette histoire durant une nuit blanche et j'ai pas fait de relecture active, mais ça va venir ^^ Je suis content que la fin te plaise, j'avais peur qu'elle soit un peu décevante, à rester assez "ouverte" !
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