La bataille du Temps

Par Pouiny

Nuits et jours, Svär et Berin surveillèrent en silence la tanière de Mooie, s'alternant à peine pour manger, boire et dormir. La situation avec l'ennemi s'aggravait. Celui-ci prenait du terrain, profitant des jours se rallongeant pour avancer dans la lumière. La moindre trace laissée par un chasseur pouvait désormais être fatale à la meute. Moed et Äanstrij apportait le plus de gibier possible, aussi bien que pour les petits de Mooie que ses protecteurs. Quatre petits aurait pu naître, mais le corps d'un mort-né fut donné en pâture aux corbeaux. Berin s'attrista devant la mort de ce petit être sans avoir même eu la chance de tenter sa lutte pour vivre.

Une nuit calme et dégagée, Berin luttait contre le sommeil. Le jeune ours avait pu manger à sa faim et son corps réclamait un sommeil digestif. Au dessus de lui, Svär dormait, épuisé par ces longues semaines de veille. Tout était parfaitement calme. Pour autant, une lumière anormale lui attira l’œil. Silencieusement, il se redressa. Une odeur horrible lui remonta dangereusement. A cette odeur inconnue et pourtant si familière, une seule émotion le fit réagir ; la peur. Cette peur même qu'il avait ressenti quand Svär lui avait montré le feu.

L'ennemi approchait. L'ennemi était là. Silencieux mais présent. Berin eut le grondement le plus puissant qu'il n'eut jamais fait de sa vie.

Dès lors, le combat commença ; en un éclair, toute la meute était debout, prête à attaquer. Svär descendit de son rocher et se plaça devant l'entrée de la tanière, prêt lui aussi. Et le début du carnage commença.

 

Le feu submergea le refuge. Tous les loups se jetèrent sur l'ennemi. Féroce, bestial, le coté guerrier de ces bêtes longtemps effacés se révéla aux feux des attaquants. Tout brûlait, le sang des ennemis comme de la meute se répandait sur le sol. Svär et Berin, éloignés du champ de bataille, sentirent leurs poils se hérisser à la vue du massacre.

« Berin, reste là et surveille les petits. Je t'interdit de bouger d'ici. Tue tout ceux qui s'approchent.

– Attends ! Ou vas-tu ? C'est ton rôle de protéger la dominante !

– Défendre ma meute. »

D'un bond de rage pure, la mort sur patte avait déjà disparue du champ de vision du jeune ours. Impuissant, il assista à la bataille sans oser quitter le poste qui lui avait été confié. Les loups se battaient jusqu'à ce que la dernière goutte de sang quittaient le corps. Des armes a distance parfois les empalaient avant même qu'ils aient pu se retourner. Il voyait un ancien aux reflet d’or mourir brulé, quand une ombre noire sembla s'abattre soudainement sur les ennemis. Svär, enragé, bondissait sur chacun de ses ennemis, insaisissable. Cerclé par le feu, le pelage brûlé jusqu'au dernier degré, sa colère de prédateur traqué sévissait avec hargne sur le camp adverse. Intouchable, invisible, il semblait décimer le moindre ennemi qu'il touchait. Tout ce qui passait autour de lui semblait se détruire ; La forêt semblait n'être plus qu'un amas de cendre. Nombreux étaient les loups décimés par l'attaque. L'Ennemi était plus nombreux qu'eux. Bientôt, ceux ci profitèrent d’une ouverture pour s’approcher de la tanière de la jeune louve.

Même si il avait voulu participer, l'ours ne pouvait plus bouger. Terrifié par la simple vue du feu aveuglant, il n'était plus en état de réfléchir convenablement. Tout hurlait en lui de fuir sans demander son reste. Pétrifié, il luttait contre des souvenirs traumatisant qui semblait lui remonter à la surface. Il fallait fuir. L'Ennemi était trop puissant. Il fallait fuir. Les loups n'avaient aucune chance de le vaincre. Il fallait fuir, sans tenter de combattre. Il était face à la terreur de sa vie.

L'Ennemi, trop nombreux pour être contenu par les loups restants, arrivaient désormais en masse. Ne s'attendant sûrement pas à voir un ours ici, il s'arrêtèrent un instant. Après cela, ils ne purent jamais plus se remettre à marcher.

Reprenant enfin ses esprits, Berin avait sauté sur eux en un hurlement. En plusieurs coups de pattes à peine, fit s'envoler tous les ennemis dans les airs. Il n'étaient qu'à peine des corbeaux dont on aurait coupé leurs ailes, pour le jeune ours. Ne permettant même pas le temps à sa cible de répliquer, il ravageait sans même y réfléchir le camp adverse. Il n'était la discrétion mortuaire de l'ombre noire qui lui servait de maître ; il était la puissance incarnée, la force sur patte. Sa vitesse n'était pas excellente, mais pour protéger cet endroit, il se sentait capable de venir à bout du moindre ennemi. Un cri de jeune louveteau parut à ses oreilles. Berin recula doucement vers la tanière, d'un réflexe protecteur. Personne ne rentrerait tuer les petits, ses petits. Un instinct fort résonna dans tout son être, un instinct qui lui avait permis d'avoir la vie sauve. Il était encerclé par l'Ennemi. Ils étaient trop nombreux pour être certain de la sécurité absolue des louveteaux. Il ferma les yeux. Le cri qu'il poussa fut à glacer le sang.

Le temps sembla s'arrêter. L'écho du son qu'il avait poussé lui même suffisait à stopper de stupeur tout combattant. Un ours était réveillé, semblait répéter la forêt. Ses yeux noirs luisaient de colère comme jamais. Le grondement poussé était celui d'une bête féroce. Celui que toute bête devait craindre, avec raison. C'était le cri de rage de l'animal pouvant tuer tout ce qu'il touche. Berin n'attendit pas longtemps en voyant ses ennemis hésiter de frayeur et d'angoisse. Il rentra dans la tanière.

« Mooie, prend tes petits et fuis, il le faut à tout prix !

– Que se passe-t-il dehors ? »

La louve, inquiète, était en posture de combat, malgré une lassitude visible dans ses yeux. Ses petits,les trois louveteaux, était prostrés derrière elle, en proie à une pure frayeur. Berin, d'un seul geste, prit les trois louveteaux dans sa gueule. Interdite, Mooie n'eut même pas la force de lui en empêcher.

« Il faut fuir, Mooie. C'est notre seule chance de survie, pour toi, pour nous, pour eux. Les loups ont perdu, ce soir.

– Comment est-ce…

– Nous n'avons pas le temps ! Il faut l'accepter et s'adapter ! Fuis, Mooie, je t'en prie ! »

Et d'un bond, Berin disparut avec les louveteaux dans la nuit noire. Le feu semblait doucement s'éteindre.

Les pas de l'ours faisait trembler la forêt. Ses pattes foulaient l'herbe d'une vitesse surprenante. Les trois louveteaux dans sa gueule ne bougeaient plus, persuadé qu'ils allait mourir. Un ours en forêt, un ours foule le territoire des loups. Ses pas faisaient échos à une autre blessure qui avait foulé la forêt quelques temps plus tôt.

Les pattes de Berin, puissantes, sans aucune hésitation, fuyait le refuge des loups. Malgré la panique de la situation, il savait parfaitement ou il allait. D'un grondement, plus étouffé, moins fort que le précédent, il indiqua aux loups sa direction. Il sentait vibrer dans sa gueule la vie de petits êtres, comme celui qu'il avait pu être. Il eut une vague de mélancolie tendre. Il savait qu'ils ne se souviendraient sans doute jamais de ce moment ; il fait partie des terreurs dont l'esprit juvénile se sépare volontiers. Il senti de loin l'odeur de Moed. Son inquiétude envers elle se décupla. Il ne put s'empêcher de ralentir. Que faisait son odeur si loin de la meute ? Ne pouvant se résoudre à passer devant sans savoir, il se dirigea vers l'odeur.

Mutilé. Découpé. Couvert de sang. Il ne restait plus rien de sa fourrure grise. Ne restait que de Moed un corps dont la peau était à vif. Sa viande, fraiche et tendre, n'avait même pas été entamée. Ses yeux aveugles étaient ouvert sur le néant qu'elle ne verrait désormais plus jamais. Moed était morte. Berin n'en croyait plus ses sens.

« Tiens donc. Comme nous nous retrouvons, cher Ourseteau. »

Sans même attendre de se fier à sa vue, Berin donna un coup rageur vers le son cynique parfaitement reconnaissable. Il ne frappa que du vide.

« Kss, kss, kss, claqua le bec du corbeau. Ton Loup ne t'as-t-il donc jamais appris à ne pas utiliser ta force contre du vent ? »

Le corbeau se posa sur le cadavre de Moed.

« Quelle vie insignifiante a-t-elle eu. Ne trouves-tu pas cela ironique ? Tu as été bien naïf de penser qu'un loup aveugle avait une quelconque chance de survie.

– Ne la touche pas. »

La colère hérissait les poils de Berin. Il posa les trois jeunes louveteaux entre ses pattes et gronda. Ses babines se retroussèrent, laissant voir des dents couvertes de sang. Le corbeau recula.

« Il faut bien que je me nourrisse, chère force de la nature. C'est dans l'ordre des choses.

– Je me fiche de l'ordre des choses, tu ne la toucheras pas, gronda Berin en s'approchant dangereusement de l'oiseau.

– Il est vrai que toi-même n'es qu'une pauvre anomalie ambulante. »

Celui ci s'envola sur la branche qu'un arbre plus en hauteur. Il croassa :

« Ainsi, c'est donc vrai. Bien que les loups aient massacré les tiens, bien que les loups aient tué ta mère et tous tes ancêtres, tu continues à les servir sans te poser aucune question. La légende est bien fondée, les ours n'ont vraiment aucun honneur.

– Ils ont tués ma mère… ? »

Berin senti sa colère vaciller. Le corbeau croassa :

« Oups ! Il est vrai qu'il était interdit de te parler de ce ''petit secret''… Vais-je devoir craindre la colère de Mooie ? Qu'avais-t-elle dit déjà… ? Ah oui, je me le rappelle ! ''le premier qui évoque cette partie de l'histoire, je le jure sur mon nom qu'il ne verra plus le soleil se lever'' ! Mon dieu, mon destin serait-il de mourir sous les pattes de la mère louve ? »

Son bec claqua comme un rire moqueur. Hésitant, Berin recula.

– Tu mens.

– Vraiment ? En es-tu vraiment sûr, petit ours ? Ou serait mon intérêt ? Alors que l'intérêt des loups de t'avoir sur leur coupe est palpable. Te voila portant leurs petits comme une vraie mère louve.

– Où est ton intérêt de te mettre les loups à dos ?

– Je ne les aime pas. Svär, Mooie, tous les autres… Ils n'ont que du mépris pour les autres animaux. Je ne supporte plus leur air supérieur. Ces sauvages ne méritent pas d'être les maître de la forêt alors que ceux-ci ne comprennent même pas ce qu'est l'ordre animal.

– Je n'ai pas le temps de t'écouter. »

Berin, d'une froideur méprisante, ignora tout simplement le corbeau, reprit dans sa gueule les trois louveteaux et jeta un regard d'adieu à son ancienne amie, à jamais perdue. Il reprit sa marche d'un pas rapide. Le corbeau s'envola vers lui.

« Arrête de me suivre. Je ne veux plus te voir.

– Voilà ! Voilà ou est l'ordre animal ! Vivre seul, vivre sa vie, sans se soucier d'autre chose que de sa famille. Les loups ont un attachement envers les autres qui n'est pas naturel. Aucun animal ne devrait vivre en meute comme il le font. Les animaux se doivent d'être des solitaires.

– Va dire ça aux troupeaux de cerfs. Si tu ne te prends pas un coup de bois dans le bec.

– Ce n'est que le fruit d'une décadence. Comment survivre à un groupe si nous sommes seuls ! Sans les loups, les cerfs ne vivraient pas en troupeau, ni eux ni aucun animal. Et malgré tout, la meute de loup tue tout ce qui s'approche sans même réfléchir à l'ordre naturel de la forêt.

– C'est donc ça... »

Berin laissa échapper une sorte de grognement moqueur.

– Tu es jaloux, corbeau. Jaloux de la cohésion des loups que tu ne comprends pas et que tu ne vivras jamais avec les tiens. Tu ne souhaites que leur trépas car tu as peur de leur attachement des uns aux autres. Tu es méprisable, créature. »

Vexé, l'oiseau s'envola hors de vue de Berin.

« Je n'ai pourtant pas menti. Ne crois-tu donc pas la voix extérieure ? Les loups et les ours n'ont jamais été alliés. Toi non plus tu ne comprends pas la meute des loups, est-ce que je me trompe ? Les ours n'ont jamais vécu en meute et ce n'est pas dans leur nature. Ce n'est pas avec toi que ça commencera.

– Je suis un loup, corbeau. Si c'est tout ce que tu avais à dire, vas-t-en. »

Comprenant qu'il était vain de tenter de retourner Berin contre la meute davantage, le corbeau laissa germer les graines qu'il avait laissé inconsciemment pousser dans la tête du jeune ours et s'en retourna vers son repas.

Le combat semblait s'être terminé. Le silence transperçait la forêt. Berin n'entendait autour de lui que le son de ses pas. Il était impossible de savoir ou se trouvait les autres loups de la meute. Il ne pouvait pas penser à ce qu'il venait de lui être révélé. Toute son inquiétude était tournée vers Svär, Mooie. Avait-elle fuit comme il lui avait dit ? Svär était-il toujours en vie ? Combien de loup de la meute était encore vivant ? Äanstrij, tout combattant qu'il était, restait un Ancien. Pouvait-il rester intact face à la force de l'Ennemi ? Aurait-il mieux fait de ne pas fuir et de mourir au combat avec ses frères d'arme ? Il ne pouvait juger du juste de ses actes. Il cherchait un coin perdu dans la forêt, plus en amont, moins accessible, plus caché, sans doute moins grand que l'ancien refuge. Au bout de plusieurs heures, il trouva enfin. Un cours d'eau était très proche. L'endroit, bien que plus petit et plus défensif que l'ancien refuge, conviendrait parfaitement pour un abri de fortune. Il appela Svär du plus fort qu'il pouvait. Il n'eut aucune réponse. L'angoisse lui tenailla les entrailles. Il déposa les jeunes louveteaux au sol. Encore nourrisson, ils semblaient incapable de bouger et semblaient mourir de froid. Dehors, ils ne tiendraient pas longtemps. Berin observa son environnement ; voyant près de lui quelques pierres, il créa une sorte de tanière maladroite. Il les posa délicatement à l'intérieur. Elle ne possédait pas le duvet, la chaleur et la douceur de leur ancienne tanière, mais le jeune ours ne savait comment faire mieux. Hésitant à s'éloigner, il tourna en rond, attendant en vain une réponse d'un loup. Voyant que les louveteaux allait mourir de faim, il se décida. Il se précipita vers la rivière et se dépêcha pour la pêche. Comme pour tromper sa nervosité, il chassa plus que de raison, jusqu'au lever du jour, apportant régulièrement cette nourriture que les louveteaux semblaient bouder. Ils devenaient de plus en plus faible. Impuissant, il continua la seule chose qu'il se sentait en mesure de faire.

« Tes aptitudes à la pêche vont sans doute devoir nous servir, désormais. »

Surpris, Berin rata le poisson qu'il allait attraper. Svär, plus en amont, le surplombait de toute sa hauteur. Il s'approcha de lui. Il semblait meurtri, éreinté. Son poil si soyeux désormais était court et brulé sur les deux flancs. De sa superbe ne restait que la colère sombre qui luisaient dans ses yeux d'or.

Berin ne put empêcher un grondement de joie à l'approche de son dominant. L'heure n'était pourtant pas à la réjouissance.

« Où sont les louveteaux ?

– Je vais t'y conduire. »

D'un mouvement fatigué, le loup noir montra son assentiment. Berin le conduisit à son refuge de fortune, à la tanière qu'il avait faite. Voyant les louveteaux, Svär s'écrasa à terre de soulagement. Ses yeux jaunes se fermèrent automatiquement.

« Où est Mooie ? Demanda Berin.

– Elle est encore en vie. C'est déjà un miracle que son épuisement ne soit pas venue à bout d'elle…

– Va-t-elle nous retrouver ?

– Je l'espère. »

Berin s'allongea lui aussi près de son dominant.

« Moed est morte, laissa-t-il échapper avec un grognement de tristesse.

– Comme beaucoup d'autres. Notre meute est réduite de moitié.

– Comment est-ce possible…

– Cette nuit marque la fin du Temps des Loups. Il n'y a pas d'autre choses à se dire. Désormais, il faut survivre.

– Si c'est la fin, Svär… Dans quel Temps sommes-nous ? »

Ses épaules bougèrent légèrement, comme de découragement. Le grand chef ne semblait plus maître de rien.

– Tu aurais du marquer légèrement ton passage, Berin. Il m'a été difficile de retrouver ta trace. Un peu plus et je pensais que tu avais fui en tuant les louveteaux.

– Ne dis n'importe quoi ! Je n'aurais jamais pu faire une chose pareille ! S'indigna le jeune ours. »

Là encore, ce même mouvement d'indécision se renouvela chez Svär. Berin se sentit blessé dans son orgueil. Les paroles du corbeaux agirent comme comme du poison sur les plaies.

« Ne faudrait-il pas aller à la rencontre des autres loups, aller les aider ? Et Mooie ?

– Non. Tu as réussi à nous trouver un endroit en sécurité. Il ne faut pas essayer de nous trahir en allant au secours des plus faibles. Désormais, seuls les plus forts survivront. Attendons ici.

– Et les louveteaux ? Svär, sans leur mère, ils vont mourir ! Ils sont encore trop jeune ! »

Ils avaient a peine entamé le poisson de Berin. Au plus mal, ils étaient allongés. Leur respiration était faible.

– Mooie est forte. Elle arrivera. Je lui fais entièrement confiance. »

Insidieusement, Berin senti une pointe de jalousie piquer son cœur. Svär, sans y prêter attention, prit un des poissons péchés de l'ours et l'avala goulûment. Ses yeux d'or se fermèrent. Comme dans une émotion impossible à réfréner, les oreilles du loups noir s'aplatirent et un petit grognement digne d'un louveteau s'échappa de son corps. Alors seulement, Berin constata toute la souffrance qu'endurait le dominant d'avoir perdu autant des siens. De ne pas avoir été à la hauteur pour les protéger. L'ours s'assit, veilla sur la forêt. Le cœur en haleine, il guettait le moindre signe d'un loup arrivant. Malheureusement, le sang sur Svär couvrait tout autre odeur. En tendant l'oreille, il pouvait deviner des pas de loups, en panique, pour la première fois sans doute, complètement désorganisé les uns des autres. Puis, l'odeur de Mirga arriva. Heureux de la sentir en vie, l'ours dut se refréner un grondement de joie. Peu de temps, la petite louve grise arriva dans son champ de vision. L'ours se figea. Svär, épuisé, eut un infime mouvement d'oreille.

Trois louves étaient côte-à-côte. La différences entre les deux des cotés, rendait celle du milieu dans un équilibre étrange. Mirga et Schora, le pelage couvert de sang, soutenaient leur dominante du mieux qu'elles pouvaient. Les yeux cristal de Mooie n'avaient jamais paru aussi blanc. Svär se redressa d'un bond et se précipita vers elle. Les deux louves inférieures reposèrent la louve grise tachée de rouge, et s'éloignèrent. Plus capable de tenir debout, celle-ci se laissa s'écraser contre le sol. Svär la couvrit désespérément de geste de tendresse, espérant la voir rouvrir les yeux.

« Mes petits…

– Ma louve, tu n'es pas en état... »

Pour la première fois, le loup noir sembla désespéré. Le poitrail de Mooie était ouvert et du sang en coulait encore. Une flèche était enfoncée dans sa hanche. Sa respiration était douloureuse.

« Mes petits vont mourir sans moi.. Amène moi jusqu'à eux, je t'en prie…

– Impossible de la raisonner, murmura Mirga. C'est la seule chose qui la motive depuis qu'on l'a tiré de l'Ennemi. »

Schora ne semblait pas blessée. Elle lécha son pelage gris-brun couvert de sang avec nervosité. Intervenir dans les décisions du couple dominant ne semblait pas être son intérêt. Mirga, plus téméraire, laissa échapper dans la direction de Svär.

« Amène là à ses petits, Notre Loup, elle serait capable de ne pas se laisser soigner si elle ne les voit pas. »

D'un geste vif, le loup noir retira la flèche du flanc de sa louve. Elle laissa échapper un petit cri de douleur. Le sang s'écoula à flot.

« Schora, vite, va chercher de quoi arrêter la plaie !

– Notre Loup, je n'ai aucune idée de ce qu'il faut, moi ! »

Tout aussi grande était sa carrure, devant le loup dominant, elle semblait s'aplatir comme un chaton.

« Comment ne peux-tu pas le savoir, tu es une louve !

– Je suis chasseuse, pas soigneuse ! Ce sont les anciens qui d'habitude savent ce genre de chose… Ce n'est pas toi le plus vieux de nous tous ? »

Svär, presque paniqué, resta sans réponse. Mirga ajouta.

« Tous les Anciens sont mort… C'est terminé…

– Tous ? C'est m'enterrer un peu vite, il me semble. »

L'oeil vert d'Äanstrij sembla luire sur le pelage en sang de Mooie. Retenant une exclamation de joie, tout le groupe de survivant vit l'Ancien s'approcher d'un pas tranquille. Il ne semblait pas avoir de nouvelles blessures. Son allure, pourtant, était terrifiante. Son pelage était couvert de sang séché, à tel point qu'on en voyait à peine sa couleur grise. Ses crocs et son haleine témoignaient d'eux-même. Dans son œil se reflétait une délectation du sang. Il ressemblait à un démon venant de sortir du champ de bataille. D'un air grave il examina les blessures de Mooie. Mirga étant la plus rapide, ce fut elle qui fut choisie pour aller récupérer tout ce dont il avait besoin. Äanstrij et Svär avec délicatesse déposèrent la mère louve dans la tanière avec ses petits. Ceux-ci étaient aux portes de la mort. Ils ne réagirent qu'à peine à l'odeur de leur mère. Ils n'avaient plus la force de s'approcher d'eux même de son poil roussi et couvert de sang. L'odeur, sans doute, les perturbait aussi. Mooie, d'un coup faible, les ramena vers son ventre.

« Ma louve… tu n'es pas en état de les nourrir…

– Ils ont froid... Mes petits… Mes pauvres petits... »

Svär ne pouvait pas se contenter de rester à l'extérieur. Lavant sa louve, frictionnant ses petits, appliquant écorces et feuilles comme lui avait dit l'Ancien, il refusait que qui que ce soit d'autre approcher. Berin veillait encore sur le couple dominant, incapable de faire autre chose. Mirga s'approcha de lui.

« Tu n'imagines pas à quel point je suis heureuse de voir que tu es toujours en vie, petit ours…

– Et moi donc, petite louve... »

Les deux êtres se collèrent l'un à l'autre, se consolant sans parole de la nuit d'enfer qu'ils avaient vécu. Le jour était désormais bien là. D'autres loups, blessés, boiteux, borgnes, arrivaient un par un au nouveau refuge. Äanstrij, avec ce qu'avait pu récupérer Mirga, s'occupait du plus grand nombre.

« Quelle nuit horrible, frissonna Mirga.

– Svär m'a dit que nous n'étions plus au Temps des Loups.

– Vu ainsi, c'est évident… Comment as-tu fait pour survivre, Berin ?

– Je protégeai avec Svär la tanière de Mooie. Quand la bataille à commencé, il m'a dit de surveiller sa louve et ses petits… Quand l'Ennemi à commencé à être trop nombreux… J'ai pris les louveteaux et je me suis enfui... »

Berin se senti extrêmement honteux en exprimant sa fuite. Tous les autres loups avaient combattu avec vaillance, jusqu'au bout de leur vie. A la place, il n'avait que fait fuir face à plus nombreux que lui. Mirga, sentant sa gêne, le caressa du bout du museau.

« Ton rôle a été essentiel, Berin. Et si Mooie et les louveteaux s'en sortent, crois-moi que toute la meute acclamera ta rapidité d'esprit. Tu as pris contre toi les louveteaux, tu leur a trouvé un lieu plus calme, qui permet aux loups de pouvoir se remettre de leur chute, tu as créé une tanière pour que les louveteaux continuent de vivre, tu as veillé sur eux, tu as tenté de les nourrir… Qui peut ne pas voir toute l'importance de ton rôle ? Toute l'implication de tes actes ? Sans toi, la meute serait perdue. »

Peu convaincu, Berin eut un reniflement.

« Allons, c'est quoi cet entrain ? Te rends-tu vraiment compte de l'importance que tu as pour le couple dominant ? Ce n'est pas pour rien que Duistärnis, Wolkwäit et les autres te jalousent ! Svär t'a confié sa louve. Il t'a confié ses petits. Mooie, plus encore t'as autorisé à rentrer dans sa tanière. As-tu du lui prendre ses petits de force ? As-tu du te battre contre l'un des loups ? Dans ce cas, le couple dominant lui même t'as accordé sa confiance. Et donc, ton rôle a été approuvé par eux. Ainsi donc on n'a pas à juger de la bravoure de tes actes.

– Mirga… Les loups ont-t-ils vraiment tué ma mère ? »

La louve grise fit silence d'un seul coup. Elle sembla redevenir grave d'un seul coup.

« Berin… Cette question, tu ne peux la poser qu'à Svär. Personne n'a le droit dans la meute de te révéler ce qui s'est vraiment passé lors de ton adoption. J'ai donné ma parole, petit ours. J'en suis désolée…

– Ce n'est pas grave, menti Berin. »

Le cœur n'y était pas et Mirga le sentit. Puis, se sentant mal à l'aise ;

« Et toi alors ? Comment t'en es-tu sortie ?

– Nous avons divisé les ennemis. Nous étions les cibles. Nous nous sommes divisés dans le but de pouvoir nous battre avec moins de différence. Nous les avons perdus en forêt et fait en sorte de faire des embuscades. Plus ou moins, nous aussi avons fui... »

Mirga frissonna.

« Berin… A eux tous, ils sont invincibles. Avec leur feu, leurs bois, leurs fils… quelques loups ont été emportés vivant dans leurs toiles. Je ne veux pas savoir ce qui vont leur faire.

– Ce n'est pas la viande qui les intéresse, coupa Berin.

– Comment le sais tu ?

– J'ai croisé Moed en cherchant cet endroit. Morte. »

Il ne put continuer tout de suite.

– Son corps, autres que les blessures de combats, n'avait pas été arraché. Il semblait presque intact. Ce n'est pas la viande qui les intéresse. C'est notre fourrure. C'est la seule chose qui a été privé du cadavre de Moed.

– Je n'ose même pas imaginer à quoi ça devait ressembler…

– Comment peut-on être un si grand chasseur que l'on peut se permettre de laisser un tas de viande pourrir au sol pour les corbeaux, murmura Berin. C'est un tel gâchis, une telle honte... Mais en même temps une telle preuve de puissance. La nourriture n'est à ce point plus un problème pour l'Ennemi qu'il peut se permettre de nous laisser pourrir après nous avoir tué.

– Comment peut-on gaspiller de la viande ? Quitte à l'avoir tué, même si on a trop, on peut toujours stocker, non ?

– Mirga… Je suis fatigué de parler de tout ça…

– Moi aussi, à vrai dire... »

La petite louve s'allongea doucement, presque mélancolique.

« Dormons, murmura Berin. Oublions tout ça, juste l'espace d'un instant. Je ne peux pas vivre en gardant ces images en tête. Je souhaite juste oublier la réalité, juste un instant, et la reprendre qu’à la fin de la nuit. Pour le jour de notre revanche. »

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itchane
Posté le 13/07/2021
Hello Pouiny ! : )

Quelle force dans ce chapitre, quelle violence !
J'ai beaucoup aimé que l'Ennemi attaque de façon si soudaine, que tu n'annonces pas cette arrivée par une mise en scène dans le scénario mais vraiment par surprise.
J'ai aussi, et très malheureusement, aimé ce risque que tu prends de tuer Moed alors que le lecteur y était particulièrement attaché et depuis peu en plus.

Dans le détail, je n'ai pas bien compris comment Berin avait pu s'enfuir de la grotte alors qu'il était cerné par l'Ennemi. Il y entre après avoir hurlé, grâce à l'effet de surprise, mais en ressortir par devant me semble peu crédible avec tous les ennemis qui l'y attendent, non ? Ne pourrait-il pas y avoir une sortie par derrière ? Je ne sais pas, mais en l'état j'ai été étonnée de la succession d'action ^^"

Pour le reste, je pense qu'après relecture ce sera un chapitre vraiment clef et très puissant de ton récit, il est vraiment marquant à beaucoup de points de vu !

Bravo : )
Pouiny
Posté le 16/07/2021
Pour moi, si je me souviens bien de ce que à quoi je pensais, il intimide tellement l'ennemi que celui n'ose pas s'approcher ou contre attaquer quand celui ci se précipite sur lui pour s'enfuir. Une tanière de loup pour moi, ne peut pas avoir de sortie à l'arrière ! il va falloir que j'y réfléchisse ^^ Merci !
M. de Mont-Tombe
Posté le 19/05/2021
Salut ! Encore un très bon chapitre, mais plus long que les précédents. Pour la lecture sur Plume d'Argent, je te conseillerais de le diviser en deux pour faciliter la lecture. Sinon, quelques coquilles (il me semble que le verbe devoir, au participe passé, s'écrit "dû" et non "du"). En tout cas, ce chapitre est poignant. La découverte du corps de Moed mériterait peut-être que l'on s'attarde davantage dessus, de manière à gagner en profondeur et à souligner l'importance de la pratique de chasse de l'Ennemi.
Pouiny
Posté le 20/05/2021
J'hésitais à couper en deux, parce que j'avais peur qu'on perde avec une coupure tout le coté soudain et oppressant de l'attaque ... c'est une question que je me suis posé !

J'ai pas encore relu, et je me souviens avoir écrit ça lors d'une nuit blanche donc effectivement il est prévu que je refasse une lecture pour tout corriger !

Merci, en tout cas. J'y penserai, pour Moed, je voulais garder un effet soudain et injuste mais peut être que c'est effectivement un peu court ^^
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