Dix-sept - Vérité

Notes de l’auteur : Quand on s'aperçoit qu'on nous a menti, réaliser qu'on ne valait pas la vérité est pire que le mensonge.
Jérôme Descamps

Ava restait la première amie de Sélène. Elles s’étaient rencontrées à la maternelle, avant qu’elle ne déménage et change d’école. Heureusement pour elles que leurs mamans avaient sympathisé ; elles ne s’étaient donc jamais perdues de vue. Ce soir-là peu après la rentrée, les Gavillet étaient invités à manger chez eux. Ava était fille unique, ce que Sélène trouvait parfois très pratique, entre autres pour parler de tout et de rien sans oreilles indiscrètes à côté.

Après le repas, elles descendirent toutes les quatre au sous-sol, où il y avait une salle de cinéma, et par conséquents beaucoup de canapés, de tapis au sol et de couvertures. Sélène adorait cet endroit, où elle se sentait en sécurité. Sentiment qui l’abandonnerait bien assez vite dans cet endroit.

- Bon, vous voulez faire qu…

Sélène s’interrompit en voyant qu’Ava et ses deux sœurs avaient commencé à faire les folles. C’était le risque quand on venait chez elle. La jeune fille soupira et attendit que les autres se soient calmées, même s’il fallut parfois qu’elle aussi aille jouer avec ses sœurs qui la tiraient par la main. Après environ une demi-heure, elles se calmèrent et se mirent à discuter, avec Sélène, entre autre de l’école. Celle-ci essaya de gagner quelques informations sur Léo, car Ava et lui étaient dans la même classe. Ce que cette dernière ne manqua pas de remarquer :

- Comme Léo, hein Sélène…

Sa voix était remplie de sous-entendus. Comment savait-elle ?

- Comment… comment le sais-tu ?

Coralie et Maëlys semblaient avoir disparu. Seule la réponse de son amie importait à Sélène. Ça lui était désormais égal que ses sœurs soient au courant. Comment savait-elle ?

- Et ben, tu sais… Il y a une vitre dans le mur, et on peut voir tout ce qui se passe à l’intérieur… entre autre quand tu as glissé l’enveloppe dans sa table.

- Mais comment… as-tu su ce qu’il y avait dedans ?

- C’était super drôle ! Rien que la tête qu’il a faite quand il a découvert l’enveloppe. J’ai pas pu voir ce qu’il y avait écrit dessus, mais en tout cas ça a fait de l’effet à Léo.

« Léo Sherwood, le garçon des après-midis jeux, celui que je connais depuis toujours. » Voilà ce qu’elle avait écrit. Il l’avait reconnue dès le départ, si Ava disait vrai.

- Et ça a été tellement facile de comprendre de quoi il s’agissait quand il a de plus en plus rougi lors de sa lecture, continua-t-elle.

En effet, quatre mois plus tôt…

Léo

Qu’est-ce que… Une enveloppe. « Léo Sherwood, le garçon des après-midis jeux, celui que je connais depuis toujours. » C’est Sélène, je ne vois pas d’autre solution. Mais pourquoi… ? DEUX pages !?! Mais d’où ça sort ce truc ? « La pièce était extrêmement obscure mais je ne pus m’empêcher d’approcher… Ce que je vis à l’intérieur du miroir, cela restera à jamais graver dans ma mémoire. » Qu’est-ce que c’est ? Quel miroir ? Pourquoi une pièce obscure ? Et cette attirance ? Ma prof de français serait fière de moi à cause des détails qui ne m’ont pas échappés. Ah ah ah. Pourquoi le glisser dans mon bureau, et pas me le donner en main propre à la prochaine après-midi jeux ou simplement à la pause ? Surtout, ce qui m’échappe, c’est pourquoi la quasi-totalité de la classe me jette des regards en quoi toute les trente secondes. Qu’est-ce que peut bien contenir cette enveloppe pour qu’elle suscite autant leur attention ? Savent-ils ce qui s’y trouve ?

La première page est un véritable charabia. Rien que la géographie. Saint-Malo et Brocéliande côte à côte ? Et pourquoi cette fascination pour l’océan ? Je ne savais pas que Sélène l’aimait autant. Enfin… si c’est bien Sélène qui parle. Et puis la maison, les animaux - Réglisse et Christmas, c’est ça ? - les enfants. Pourquoi Sélène a-t-elle écrit tout ça ? Et surtout, pourquoi à moi ? Oh. Merde. Je crois que je viens de comprendre. Mon âme-sœur. Grand, cheveux noirs de jais, yeux bruns foncés. C’est moi. Enfin, pas l’âme-sœur. Mais c’est ma description, si on omet la perfection qui s’y cache. Euh… ça peut être quelqu’un d’autre, non ? Oh putain… un fest-noz pendant la Saint-Valentin… Marraine. Tout le monde appelle sa marraine « marraine la bonne fée », non ? C’est pas possible. Elle peut pas faire ça ! Elle ne peut pas être tombée amoureuse - folle amoureuse, visiblement - de moi, quand même ?

C’est absurde. Tout cela est absurde. Je vais me réveiller et me rendre compte que ce n’était qu’un rêve. Un rêve si étrange. Mais alors pourquoi je sens la chaleur de mes joues qui deviennent de plus en plus rouges, à mon avis, et le poids des regards de mes camarades qui attendent avec impatience un signe de ma part ?

En relevant la tête après ma lecture, je suis à deux doigts de vomir. C’est bien Sélène. Sélène, que je vois plus ou moins régulièrement avec toute sa famille pour faire des jeux de société. Sélène, que je connais depuis que j’ai six ans. Sélène… que je vois pour la première fois en tant que femme.

Même si je n’éprouve rien pour elle, ses mots m’ont touché. Vraiment. Enfin, surtout la fin. « As-tu deviné de qui est-ce que je parle ? Ce que je t’ai dit au baptême était faux. Combien de fois ai-je regretté de ne pas t’avoir avoué la vérité ? Combien de fois ai-je regretté mes mots ? Alors voilà : je t’aime, Léo Sherwood. Sans mensonge. Réponds-moi vite. » C’est flatteur. Et dire qu’elle a écrit tout ça pour moi !

Attends…. Je viens de penser à un truc. C’est bien beau, tout ça, mais elle voudra une réponse. « Réponds-moi vite. » C’est la merde. Je fais quoi, moi ?

Léo

A la pause

- Jonathan ? Faut que je te parle.

Je lui ai tout dit. Absolument tout, en commençant par les après-midis jeux. Il n’a rien trouvé de mieux à me répondre que :

- Ben faut choisir, mec. Ou tu acceptes et tu vois ce que c’est d’être en couple, juste pour voir, même si tu ne l’aimes pas, ou tu refuses et tu laisses passer ta chance.

En résumé, il veut que j’utilise Sélène pour découvrir « les joies de la sexualité », comme a dit Jonat. Sauf que c’est pas n’importe quelle fille. C’est Sélène, et je peux pas lui faire ça. Surtout face à un amour aussi sincère, enfin sauf si c’est un pari avec une de ses copines, mais Sélène n’est pas comme ça. C’est juste…  un dilemme cornélien. Je ne peux pas choisir.

Avec un peu de chance, elle oubliera et je pourrai reprendre le cours de ma vie comme si rien ne s’était passé. Sauf que j’oublie une chose : Sélène n’est pas n’importe quelle fille, et elle fera tout pour que je lui réponde.

<3

Ava ne se rendait sans doute pas compte de tout ce que ça impliquait. Les pensées se succédaient à un rythme fou dans la tête de Sélène. Premièrement : Ava l’avait vue déposer l’enveloppe dans son bureau, donc elle n’était sans doute pas la seule, connaissant sa classe. D’ailleurs, ils avaient adorés énerver Léo sur ce sujet. Deuxièmement : « Quand il a de plus en plus rougi lors de sa lecture. » Donc il l’avait lu, ce fameux texte ! Quatre mois que Sélène s’évertuait à le lui avouer, alors que ça ne servait à rien. Et en plus, il la laissait faire ! Léo lui avait menti, jugeant probablement plus utile de la garder dans l’ignorance. Il lui avait menti seulement par omission au début, puis sans aucun détour le mardi précédent, même s’il ne l’avait pas regardée dans les yeux. Quand elle y repensait, tout était clair. Limpide.

Un coup de foudre. Sélène se rendit compte de tous les indices qui lui auraient permis de comprendre. Le baptême. La façon dont il la regardait lors de la dernière après-midi jeux, alors que Cupidon les avait mis ensemble. Alors comment expliquer le fest-noz ? Il ne veut pas me répondre.

Sélène ne pensait pas que Léo aurait pu lui faire une chose pareille. Il avait forcément une bonne raison… non ? Par-dessus l’incompréhension, par-dessus la tristesse, par-dessus le sentiment de trahison, Sélène n’éprouvait que le vide. Elle était vide de tout sentiment, juste vide. Les pensées s’embrouillaient dans sa tête, insaisissables.

- Les filles ! Dessert !

Son père. Il fallait qu’elle remonte, qu’elle affiche un air indifférent. Surtout, qu’ils ne s’en rendent pas compte. Qu’ils ne comprennent pas que quelque chose était en train de changer.

- On arrive !

Sélène était assise en bout de table avec Ava. Celle-ci lui chuchota :

- Il faut qu’on trouve un surnom à Léo.

- Je ne sais pas. Je m’en fiche.

- Tu penses quoi de… Verre d’eau ? dit-elle en désignant le sien d’un geste.

- Si tu veux…

Ça lui était égal. Mais Verre d’eau, quand même ?!? Si ça faisait plaisir à son amie. Pour l’instant, plus rien n’importait que ses quatre mots : « il l’a lu… »  Que s’était-il passé pour que Sélène en arrive là ? Elle l’ignorait, mais comptait bien l’apprendre.

Sélène se sentait totalement désorientée, mais une chose était certaine : elle n’abandonnerait pas maintenant, même si elle n’avait plus vraiment espoir. Sélène avait besoin de l’entendre de sa bouche.   Alors elle irait jusqu’au bout.

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