Dix-huit - Longue attente

Notes de l’auteur : Nous pouvons vivre seuls, pourvu que ce soit dans l'attente de quelqu'un.
Gilbert Cesbron

Oublie tout : tout, sauf ce texte dans mon  carnet créatif, et encore, je pourrais le réécrire en mieux, plus subtilement. Je n'aurais pas voulu l'apprendre comme ça, mais Eva n'arrivera jamais à se taire : cela fait quatre mois que tu me mens, que je « m'acharne » sur toi, que je ne me doute de rien et que tu ne m'as rien avoué ce mardi où tu m’as rendu ce cahier. Ça m'a fait un choc, je peux te le promettre, mais le problème, c'est que je t'aime toujours. Il faut que tu m'expliques, depuis le début de l'histoire, depuis ce 25 avril. Je comprends ton hésitation, mais il me faut une réponse. Quatre mois, c'est très long, tu sais... Moi aussi je tiens à toi en tant qu'ami, même en cas de non.

Sélène avait envoyé ce mail à Léo deux jours après qu’elle eut appris la vérité de la bouche d’Ava. Il ne lui avait rien répondu.

Une longue attente commença. Sélène barrait les jours dans son calendrier, un par un jusqu’au 25 octobre, date de la prochaine après-midi jeux. Elle lui laissait le temps de réfléchir, mais la jeune fille se préparait mentalement à toutes les possibilités, bonnes ou mauvaises. A accepté une vérité qu’elle souhaitait connaître depuis trop longtemps déjà.

Un jour qu’ils avaient un cours de sport, Sélène et Chloé observait un de leurs camarades de classe jouer au uni-hockey. Noé était très maigre et grand, tout comme Léo. Elles avaient déjà joué un match et profitaient d’un moment de répit bien mérité. Un commentaire échappa de la bouche de son amie :

- On dirait un pantin, comme lui…

Depuis que Sélène l’avait mise au courant de la « trahison » de Léo, Chloé semblait décidée à préserver son amie en lui montrant tous ses défauts. C’était sans compter la détermination de Sélène pour obtenir une réponse à toutes ses questions, coûte que coûte.

- Mais il est beaucoup plus gracieux que Noé, s’indigna Sélène.

Arwen, l’ancienne meilleure amie de Chloé, se mêla à la conversation :

- Vous parlez de qui ?

- Personne…

Elle n’insista pas, mais quelques minutes plus tard, Sélène le lui avoua quand même. De toute façon, tout le collège était au courant, alors elle préférait que les gens l’apprennent de sa bouche…

<3

- Tu dois arrêter de l’aimer, bordel !

- Tu ne comprends donc pas ? Je l’aime, je ne peux pas faire autrement. Il est ma lumière dans la nuit, ma raison de vivre, ma moitié, mon âme-sœur !!! Je n’ai pas le choix !

- Bien sûr que si, et tu le sais très bien. Ce mec est en train de te détruire ! Tu ne vois donc pas que c’est déjà fini ? Il t’aurait répondu depuis longtemps s’il t’aimait ! Il faut vraiment que tu arrêtes, Sélène.

Ce n’était pas leur première dispute. Depuis mars, Chloé s’était montrée intransigeante. Il fallait que Sélène oublie Léo.

- J’en ai marre, Chloé ! Tu es toujours en train de me dire ce que je dois faire ou pas. C’est ma vie ! Tu ne peux pas comprendre, toi. Tu n’as jamais aimé quelqu’un.

- Laisse tomber. Mais ne viens pas pleurer chez moi quand il t’aura brisée. Je t’ai toujours soutenue mais là tu dépasses les bornes.

Sur ces mots, Sélène tourna les talons et partit à grands pas rageurs. Pour qui se prenait-elle ? Jamais elle n’aurait pensé que sa meilleure amie - enfin, Chloé l’était-elle ? - puisse être aussi agaçante. C’était sa vie, son Léo Sherwood. Et rien ni personne n’y changerait quoi-que-ce-soit.

<3

1 octobre. Dernier jour avant les vacances. C’était un jeudi, car les profs avaient une journée pédagogique le lendemain. Tous les élèves semblaient enchantés, les profs un peu moins. Sélène n’avait pas reparlé à Chloé depuis leur dispute, si ce n’est durant un exercice de français où elles avaient dû travailler par deux. La jeune fille ne parvenait pas à accepter l’opinion de son amie… Avant d’aller en étude car elle s’était blessée à l’épaule, Maïwenn pris Sélène à part. Elle l’emmena au tournant du couloir.

- Sélène… Il faut quand même que je te dise un truc. Alors voilà… Avec Alya et Audrey, on a réfléchi et… tu devrais abandonner. Je ne pressens vraiment aucun happy end. Ce serait te mentir si… on croyait en une histoire entre Léo et toi. Je ne veux pas te brusquer, mais on a aussi parlé avec Chloé et… on est d’accord sur le fait qu’il faudrait que tu abandonnes. Ça ne mènera à rien. Et on n’a pas envie que tu aies un cœur brisé. On tient à toi.

- C’est gentil, Maï, mais c’est trop tard. En me mentant, Léo m’a déjà brisée. Alors je lui laisse encore une dernière chance de me réparer, de recoller les morceaux de mon cœur.

C’est le seul espoir qu’il me reste. Sans ça, je serais… Je ne sais même pas quoi. Dévastée ? Je préfère ne pas y penser. Elle fit demi-tour puis alla en salle de sport. Malgré sa visible assurance, elle n’en menait pas large au fond d’elle-même. Bien trop occupée par ses pensées, elle ne se rendit pas compte de la personne qui se tenait caché de l’autre côté du mur, contrairement à Maïwenn…

- Tu fous quoi ici, Léo ?

- Je… J’étais aux toilettes.

- Et j’imagine que tu as tout entendu… dit-elle en soupirant.

- Je… oui. Je te jure que je ne voulais pas, mais… tu peux comprendre que j’aie souhaité écouter toute la conversation en entendant mon nom…

- Laisse tomber. C’est pas grave. Mais je suis quand même curieuse. Tu vas lui dire quoi, à la fin ? On a raison ou pas ? Et pas de mensonge, hein !

Léo

Je passe inconsciemment une main dans mes cheveux en soupirant longuement. Pourquoi Maïwenn m’a-t-elle repéré ? Mais non, comme toujours, le hasard a mal fait les choses. Et sa question… Maïwenn tout craché. Toujours à mettre son nez partout ; je pense que c’est elle qui connaît le plus de ragots du collège. Mais je dois reconnaître qu’elle sait s’y prendre.

Tout ce que j’ai vécu depuis que cette enveloppe a atterri dans mon bureau… L’amour ne m’a jamais pris au piège comme Sélène mais j’ai pu tout ressentir à travers elle. L’impuissance, l’indépendance. L’amour, bien sûr. Je connais Sélène, et je sais qu’elle n’aurait jamais agi comme ça si… quelque chose n’avait pas n’avait pas entravé son jugement.

Alors que j’avais à peine terminé ma lecture, une foule de questions m’avaient assailli de toute part. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi un texte comme ça ? Pourquoi le futur, et pas le présent ? Je ne comprenais rien à rien. Et puis au fil des jours, de mes observations, des après-midis jeux, des coups d’œil, des messages, je suis parvenu à la cerner. Il m’aura fallu beaucoup de patience, mais… J’ai réussi à la comprendre. Elle se cache derrière ses livres et ses textes, parce que la réalité lui fait trop peur. J’ai tellement réfléchi. Est-ce que je l’aime ? Quelle question idiote. Oui, bien sûr. Mais pas comme elle le voulait. Je l’aime comme ma petite sœur, que je dois protéger à tout prix.

Elle ne m’attire pas plus qu’il y a six mois, et il va bien falloir le lui avouer. Mais il me reste encore un petit mois de répit.

- Léooooo ???? T’es là ?

- Euh… déso, j’étais dans mes pensées.

- Cool, Léo, magnifique. Et il faudra combien de temps pour que tu répondes à ma question ?

Je soupire intérieurement. Prions pour qu’elle ne dise rien à Sélène. Enfin… ça ne me dérangerait pas vraiment qu’elle fasse le sale boulot à ma place mais j’ai un minimum de dignité.

- Pas un mot à Sélène, hein ?

- Promis.

- Bon… Vous avez raison.

Son visage s’est décomposé en entendant ça. Elle s’y attendait, mais… je ne sais pas. Peut-être qu’elle avait encore un léger espoir pour son amie.

- Oh. Je… Fais attention. Elle risque de vraiment souffrir. Essaie d’y aller en douceur.

- C’est promis, soufflé-je en baissant la tête.

<3

Les vacances me parurent interminables. Deux semaines passées à ressasser mes sombres pensées. J’écrivais, un peu. Un texte pour Mme Gasser, dans le Carnet Créatif. Une Bucket List.

  • Entrer dans le monde où l’impossible devient possible.
  • Voir un ours polaire
  • Ne jamais quitter la mer
  • Posséder tous les livres du monde
  • Entendre un simple « oui » de Léo
  • Rencontrer Christelle Dabos
  • Diriger un trois-mâts
  • Embrasser un garçon devant le coucher du soleil
  • Écrire un livre
  • Visiter l’Irlande
  • Se balader à dos d’éléphant
  • Voir des aurores boréales

Certains de mes vœux étaient irréalisables, et certains me tenaient vraiment à cœur, mais parmi tous ceux-ci, seul un m’importait réellement : « Entendre un simple oui de Léo ». Sans compter que je ne voulais pas embrasser n’importe quel garçon. Mais je n’avais pas le choix : je devais attendre. Chaque minute passée me rapprochait de la fin de cette histoire, bonne ou mauvaise. Dire que j’avais peur était un euphémisme. J’étais terrifiée par la tournure des événements, même si je souhaitais aller jusqu’au bout.

<3

Sélène avait averti Léo une dizaine de jours avant l’après-midi jeux par mail.

Léo. J’ai murmuré ce nom si souvent. Tu n’imagines même pas ce que j’ai traversé depuis ce 25 avril. J’ai fait preuve d’une patience surhumaine, mais maintenant, j’ai besoin de réponses,  n’est-ce pas ? Cette fois, je crois que je suis prête à entendre toute l’histoire, depuis le début. Prépare-toi, Léo, et tâche de satisfaire ma soif de vérité.

S.                                                                                                      

Ps.- Tu as intérêt à être là, et pas chez ton cousin…

Elle commençait à désespérer quand, en sortant du bus qui l’a menait chez elle, Léo lui avait vaguement adressé la parole :

- Je serai là samedi…

Il était sorti du bus sur ses mots, sans plus rien ajouter d’autre. Ses mains tremblaient tellement que son livre lui avait échappé des mains. Alya, assise à côté de Sélène, le lui avait rendu en lui jetant un regard intrigué. Visiblement, Léo se faisait suffisamment discret pour qu’elle ne l’eût pas entendu. Dorénavant, elle était certaine de recevoir une réponse, mais à quel prix ? Il avait lu ses messages, sans toutefois y répondre. Pourquoi ? Au fond d’elle-même, Sélène savait ce que ça signifiait, mais elle voulait tout de même garder espoir jusqu’au bout. La jeune fille avait tellement souffert qu’elle n’était plus à ça près, même si son cœur continuait à battre à l’unisson de celui de Léo.

<3

Le lendemain, Sélène demanda à Norelia si elles pouvaient discuter un peu.

- Viens, on peut faire ça maintenant si tu veux.

- Alors, euh… tu te souviens du camp de voile ?

- Euh, non, désolée…

- Tu m’avais demandé si je n’étais pas amoureuse… J’ai menti.

- Attends… quoi ? De qui ?

Elle soupira longuement avant de murmurer la réponse. Depuis tout ce temps déjà, il lui était encore difficile de l’avouer à haute voix. Quand elle en parlait avec ses amies, elles utilisaient le nom de Verre d’Eau ou parlaient à demi-mot.

- Léo.

- Je commence à comprendre.

- Je voulais te demander, si… enfin, tu vois, quoi. C’est ton ex, après tout.

- Oui, mais je te promets que ça ne me dérange pas, dit-elle avec un sourire.

- Ok… C’est toi quoi a rompu ou… ?

- C’est moi qui l’ai quitté. Tu comprends, je ne voulais pas le faire souffrir, mais j’aimais Yohann et… Enfin, c’était un jeu de gamine tout ça.

Norelia souriait tristement en répondant à la question de Sélène. Visiblement, elle regrettait de l’avoir quitté comme ça, pour quelqu’un d’autre.

- Tu savais que Kim avait essayé de nous séparer, Léo et moi ? C’était encore en primaire, mais c’était déjà une pétasse… Désolée pour mon vocabulaire. Elle avait dit à Léo que j’avais fait un câlin à Adrien - en primaire, c’était l’équivalent d’un baiser, enfin tu vois quoi - et elle m’avait fait comprendre que Léo avait dit qu’il ne m’aimait plus. Sauf que comme je voulais vérifier ça par moi-même, je suis allée parler à Léo et on s’est réconcilié. A la fin, Kim était sur le podium des gens détestables… Je trouve tes pieds très jolis, au fait.

- Ah, euh… merci, répondit Sélène en contemplant ses pieds. Des sandales orange où des lanières de cuir s’entrecroisaient sur son pied.

- C’est un très beau compliment de sa part, s’immisça Maria dans la conversation. Vous parliez de quoi au fait ? 

- Oh, de rien. Je vais bientôt déménager, alors je lui disais au-revoir.

Elles rejoignirent les autres en rigolant. Sélène se repassait sa conversation avec Norelia. Qu’allait-il donc se passer avec Léo ? Alors qu’elles se dirigeaient vers leurs classes respectives, Norelia s’approcha de Sélène et lui murmura à l’oreille. Elle savait dorénavant d’où venait la manie de Léo pour lui parler sans directement lui adresser la parole.

- Vous iriez très bien ensemble tous les deux. Bonne chance.

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