Chapitre Cinq

J’ai bien envie de demander ce qui se passe et ce qu’il a bien pu entendre ou apercevoir, mais j’ai comme le pressentiment que ce serait une erreur. Robin a l’air tendu et sa flèche prête à être tirée, mais rien ne se passe. Se serait-il trompé ou attend-il le bon moment ?

Cette attente me fait un peu maugréer dans ma tête et je me sens stupide de ne rien comprendre à la situation. Je déteste même ça et j’ai la très nette impression que ce ne sera ni la dernière fois durant mon séjour ici. D’un autre côté, je me considère « chanceuse » de connaître certains d’entre eux depuis mon enfance. J’espère que ces informations pourront m’être utiles à un moment donné ou un autre.

Le chant d’un oiseau (maman l’aurait sûrement reconnu) retentit entre les arbres et fait baisser la garde aux voleurs qui m’accompagnent. Non, mais, sont-ils sérieux ? J’ai bien failli devenir paranoïaque à cause d’eux, tout ça pour un fichu oiseau ! Argh !!

J’aperçois deux chevaux apparaître de derrière les arbres et je me dis que j’ai peut-être parlé (ou pensé) un peu trop vite. Vu l’attitude détendue de mon sauveur, les deux nouveaux cavaliers ne semblent pas être une menace. Le premier, celui qui est plus en avant et qui est probablement le chef m’intrigue avec ses longs cheveux noirs, ses yeux verts et son teint pâle. Le tout crée un contraste assez surprenant. On peut dire qu’il s’agit d’un visage assez reconnaissable en comparaison de son ami qui ressemble aux autres compagnons de Robin, dont je n’ai pas retenu les noms.

— Kaël, salue mon protecteur d’un signe respectueux de la tête. Nous nous rendions justement au point d’Arkhar.

— Hier soir, l’un de nos veilleurs a dit avoir aperçu comme une épaisse colonne de brouillard s’abattre à la frontière d’Arkand. Tu n’aurais pas aperçu quelque chose par hasard ? Je sais que ton campement n’est qu’à une ou deux heures du lieu en question.

Il parle de moi et je ne peux pas commencer à m’empêcher d’avoir un poids à l’estomac. Allistaire n’a pas éprouvé la moindre difficulté à brandir son arc dans ma direction. Si je ne m’étais pas fait attaquer par la nature elle-même et que Robin n’était pas arrivé peu après, je ne sais pas comment la situation aurait tourné. Et si Kaël me prenait pour un être magique et maléfique ? Heureusement, j’imagine que Robin lui ferait comprendre que ce n’est pas le cas.

— C’est justement pour cela que nous sommes ici, confirme-t-il ses propos. Nous devons voir le Grand Roi.

— S’il vous faut le rencontrer, reprend Kaël d’une voix grave, c’est qu’une chose alarmante a dû se produire.

— Allons mon vieil ami, réagit Robin en riant, je te raconterais tout une fois arrivés, mais je peux te promettre que c’est tout l’inverse de ce que tu peux imaginer.

— Ne me diras-tu rien maintenant ? s’étonne Kaël un peu perplexe.

— Mettons-nous en chemin, propose le chef des compagnons avant de plaisanter, et nous verrons bien si tu as de quoi me délier la langue.

J’ai comme l’impression que les deux hommes se connaissent assez bien. L’atmosphère est détendue et amicale et il commence à parler de boissons et de mets que je ne connais rien. Kaël pose finalement son regard sur moi et s’arrête de parler presque aussitôt.

— Je ne pense pas vous avoir déjà vu mademoiselle, m’adresse-t-il la parole très respectueusement. Je suis Kaël, chef des veilleurs et protecteur du point d’Arkhar et vous êtes ?

— Elyne, je me présente simplement.

Que voulait-il que je rajoute d’autre ? Que je viens d’un autre monde peut-être ? Non, si Robin ne lui a rien dit maintenant, c’est qu’il a ses raisons et je ne vais pas faire la bêtise d’aller à contresens. Pour le moment, lui seul est mon point de repérage et d’ancrage.

Je vois très bien que Kaël est assez indécis à mon sujet, mais Robin reprend rapidement la parole avant que ses réflexions n’entraînent une autre question. Les chevaux finissent par reprendre la route, tous en direction d’Arkhar. L’acolyte de Kaël est désormais devant, tandis que ce dernier et mon protecteur sont juste derrière lui. Je viens ensuite, seule désormais, avec mes pensées. L’arrivée de ces deux hommes m’a coupé dans une interrogation que je ne peux pas reprendre au risque d’éveiller leurs soupçons et je dois avouer que ça me chagrine un peu. Ça m’agace même !

Je laisse glisser ma main dans la poche de la cape et en ressort un des choux à la crème. J’ai encore besoin d’un peu de réconfort. Je le déguste, tout en tendant l’oreille pour entendre la conversation des deux chefs, mais rien d’intéressant n’en ressort. Ce sont juste des échanges de banalités, bien que, de temps à autre, Kaël essaie de le persuader de lui en dire plus sur les évènements d’hier soir. Dans mon dos, John et l’un des autres compagnons se chamaillent gentiment à propos d’un défi au tir à l’arc. Les autres sont silencieux, soit peu enclins à la discussion, soit trop concentrés sur une menace qui pourrait surgir à tout moment. Ou alors ils sont tous en train de m’observer, se demandant quand diable vais-je encore avoir une réaction bizarre. Autre probabilité : peut-être s’attendent-ils à ce qu’un autre brouillard de fumée m’emporte à nouveau.

La pause n’a lieu que deux heures plus tard, deux longues heures où j’ai ouvert l’œil sur tout ce que je pouvais voir, mais également les oreilles. Toute information est bonne à prendre dans ce Nouveau Monde. Tout ce que je pourrais savoir pourrait m’aider pour plus tard, mais pour le moment, je n’ai pas appris grand-chose ou, en tout cas, j’ai réussi à entendre des informations dont je ne connais pas encore la valeur, comme des prénoms de personnes ou des noms de lieux. Je me demande ce que me réservent ces lieux. Le mot « magie » me fait dire que je suis encore loin de me douter de tout ce qui peut m’attendre.

La pause se fait au bord d’un lac, mais caché derrière les arbres. Je reste sur mon cheval, car je n’ai aucune idée de la manœuvre la moins risquée pour descendre… Mais également, car, pour le moment, ma cape couvre mes vêtements terrestres ainsi qu’une partie de mes chaussures. Tenter la moindre descente pourrait éveiller les soupçons de Kaël et de son compagnon. D’un autre côté, j’aimerais bien pouvoir me dégourdir les jambes, mais surtout mon postérieur qui me fait très mal depuis une grosse demi-heure. N’y aurait-il pas un des voleurs de Robin qui voudrait bien me venir en aide ? Ou qu’au moins les deux nouveaux s’éloignent un peu…

J’essaie de bouger légèrement, essayant du mieux que je peux pour trouver une position plus confortable que la précédente, mais ce n’est pas évident quand on n’est pas libre de ses mouvements et qu’on a une tendance à la maladresse.

— Comptez-vous marcher un peu mademoiselle Elyne ? m’interroge une voix.

Je me retourne vers mon interlocuteur et je reconnais John. Il a un regard très sévère, mais cela contraste avec un sourire incroyablement heureux. Je ne sais pas quelle est la meilleure réponse à lui formuler. Que j’ai incroyablement mal à mes fesses ? Non, je pense que c’est un peu trop familier ici. C’est alors que je me rappelle que John n’est autre que Little John, le fidèle compagnon de Robin. Comment n’ai-je pas pu me souvenir de cette information avant ? J’ai bizarrement envie d’être honnête avec lui désormais. Presque autant qu’à Robin.

— Je crois que vous n’ignorez pas que je ne suis pas d’ici, murmuré-je le plus bas possible pour n’être entendue que de lui. Mais Robin n’a rien dit à nos nouveaux compagnons et… Je ne veux pas risquer qu’ils voient que mes vêtements ne sont pas… Comme les vôtres vous voyez ?

— Je vois mademoiselle, dit-il d’une voix compatissante. Peut-être pourriez-vous vous chausser des bottes que nous avons mises à votre disposition dans un des sacs sur le cheval. Elles pourront couvrir une partie de votre… Pantalon et la cape se chargera du reste. Vous pourriez ensuite marcher un peu avant que nous reprenions la route. Qu’en dites-vous ?

— C’est une très bonne idée, j’admets à peu gênée. Et… Est-ce que vous pourriez m’aider à descendre ?

John se tourne alors vers le petit trio qui contient Robin, Kaël et le camarade de ce dernier. Je comprends très vite qu’il cherche à capter l’attention de son chef afin de lui faire passer un message, un du style « fais dégager ces deux-là afin que je puisse m’occuper de la fille ». Mais Robin est de profil et cela risque d’être compliqué de ne pas éveiller les soupçons de Kaël qui, lui, est juste en face de nous.

Allistaire passe à ce moment juste en face de mon cheval et nous toise du regard quelques secondes, peut-être étonné de nous voir stoïques et très silencieux. Il suit alors le regard de John et semble vite comprendre quoi il en retourne.

— Je m’en occupe, grogne-t-il presque en levant les yeux au ciel.

Je lui aurais bien lancé son amabilité en plein visage si je n’avais pas une folle envie de marcher un peu. Je crois que, malheureusement, mon regard mauvais a attiré l’attention de mon nouvel ami, John.

— Ne le prenez pas contre vous, mademoiselle, me demande-t-il avec gentillesse. Allistaire n’est pas bien méchant, il…

— A juste un caractère de merde ? terminé-je sa phrase en m’en fichant pas mal de savoir si cette expression existe ici ou non.

— J’imagine que cela veut dire un sale caractère ? présume-t-il sans attendre ma réponse pour continuer. On peut dire ça.

Je détourne la tête pour me tenir prête au moment voulu. Mon regard suit Allistaire qui s’est si gentiment dévoué pour la tâche. Je le vois s’approcher de la petite bande qui m’empêche, pour le moment, de bouger. Ils sont trop loin pour que je puisse entendre leur conversation, mais ils ont l’air de s’amuser. J’ignore ce qu’Allistaire a pu leur dire, mais c’est la première fois qu’il sourit depuis mon arrivée alors ça doit être une bonne nouvelle.

Cela l’été en tout cas, jusqu’à ce que je voie Allistaire dégainer son épée et l’approcher très rapidement du torse de Kaël. Heureusement, ce dernier l’a contré avec sa propre arme. Il ne me faut pas longtemps pour comprendre que ce n’était qu’un jeu, après l’inquiétude en tout cas. Je me tourne vers John qui m’a déjà tendu sa main. Je descends avec quelques problèmes d’équilibre, mais je finis par atterrir enfin par terre, de l’autre côté du cheval où je suis un peu à l’abri des regards. John attrape instantanément les bottes dans un des sacs tandis que je me délaisse de mes converses. Ce n’est pas évident pour moi de commettre cet acte et j’espère ne pas devoir faire de même avec l’ensemble de mes vêtements. Après avoir enfilé la première botte, je renouvelle l’expérience avec le second pied. J’entreprends ensuite de m’entourer de la cape pour laisser le moins possible apparaître mon accoutrement de terrienne. La montée à cheval risque de les refaire apparaître un court instant et je devrais probablement remonter tout de suite, maintenant que je suis à l’abri des regards. Mais mes crampes un peu partout me poussent à m’éloigner du cheval et à commencer à faire quelques pas. John n’est qu’à un mètre derrière moi et j’ai comme l’impression qu’il ne me laissera pas un instant toute seule, ce que je souhaite pourtant. Que croit-il ? Que je vais m’enfuir ? Pour aller où ?

Une autre question, beaucoup plus angoissante, s’immisce dans mon esprit. Et si ce n’était pas la menace ? Après tout, j’ignore ce qu’il peut bien avoir d’autre dans ces forêts et le mot « magie » m’a ouvert l’esprit à de plus sombres créatures que des sorciers. Un frisson me parcourt l’échine alors que je tente du mieux que je le peux d’effacer ses pensées de ma tête.

— Vous n’avez pas beaucoup mangé hier soir, me fait-il remarquer gentiment.

Je ne sais pas s’il s’inquiète vraiment pour moi ou si c’est juste un prétexte pour engager la conversation. Dans les deux cas, j’apprécie le geste.

— Disons que les évènements m’ont coupé l’appétit, avoué-je sans me retourner.

— J’ai quelques fruits et du pain si vous souhaitez vous rassasier avant le repas du soir, me propose-t-il gentiment. C’est une longue route, il faut que vous repreniez des forces.

Nous avons continué à marcher un peu avant que je décide de m’arrêter. Les autres ne sont suffisamment loin désormais pour que je me sente moins épiée. Il ne reste que John, mais il faudrait compter sur la chance pour qu’il ait la soudaine envie de me laisser seule. Alors, je me tourne vers lui, car d’autres questions me brûlent les lèvres.

— Vous n’avez pas peur de moi ? Je suis peut-être véritablement une sorcière.

— Oh non, mademoiselle ! m’affirme-t-il avec un rire. Je ne peux reconnaître la magie noire quand je vois et vous, vous n’avez aucune once de cette couleur dans votre cœur.

— Comment pouvez-vous en être si sûre ? continué-je mon interrogatoire avec beaucoup de curiosité.

— J’ai déjà pu voir les sinistres de cette sombre magie. Je l’ai côtoyé bien plus de fois que je ne l’aurais voulu. Un sixième sens s’est comme créé en moi, je crois qu’on peut dire ça en tout cas.

Ses révélations me donnent encore plus envie de savoir dans quel genre de monde j’ai atterri. Mais comme lui, j’ai un sixième sens. Je ressens les blessures et je sais que ce ne serait qu’une torture mentale pour lui de me raconter ces anecdotes qui attisent ma curiosité. Grâce au Ciel, j’ai tout un stock de questions qui me trottent dans l’esprit. Il ne me reste plus qu’à en attraper une et…

— Vous avez déjà rencontré Arthur ? dis-je alors que mes pensées sont en train d’exploser dans ma tête. Enfin, je veux dire, le Roi Arthur.

— Plusieurs fois, me confirme-t-il en hochant de la tête.

— Et comment est-il ?

— C’est un bon roi.

« Wow, génial, super information Sherlock ! » je pense en m’ayant attendu à une réponse beaucoup plus longue de sa part.

— Et la Reine Guenièvre ?

— La Reine Guenièvre ? répète-t-il très étonné. Je pense, mademoiselle, qu’il vous manque quelques chapitres aux histoires que l’on a pu vous raconter sur le Roi Arthur.

Sa référence aux histoires me fait penser qu’il m’a sûrement entendu parler à Robin des Bois, ce qui ne serait d’ailleurs pas très étonnant.

— Pas que pour le Roi Arthur. J’ignorais que Robin avait quatre enfants. Mais revenons-en au Roi. Que s’est-il passé avec Guenièvre ? Elle est morte ?

— Elle n’est pas morte, me démentit-il très rapidement, c’est une assez longue histoire et je ne pense pas être la personne la mieux placée pour te la narrer.

— S’il vous plaît ! le supplié-je, très ennuyée. Si personne ne me raconte rien ou si d’autres viennent couper ma conversation, comment vais-je apprendre les histoires de ce monde ? Comment vais-je réussir à le comprendre ?

John semble très confus quant à la situation dans laquelle je l’ai mise. Je vois à la fois son envie de tout me raconter et de m’apporter son aide, mais également sa réticente à répondre à cette question. Qu’il y a-t-il que je doive savoir à propos de la femme du Roi Arthur ?

— Guenièvre a…, commence-t-il.

— Nous reprenons notre chemin, nous interrompt la voix de Robin à quelques pas de nous. Avez-vous pu suffisamment vous dégourdir, mademoiselle ?

Je tourne mon regard vers lui, quelque peu déçue d’être de nouveau interrompue alors que des réponses m’allaient être apportées. Je hoche de la tête, peu honnête dans ma réponse, mais après tout je n’ai pas le choix. Nous regagnons le groupe en quelques secondes. John m’aide à grimper sur mon cheval tandis que Robin distrait Kaël jusqu’à ce je me serve de ma cape pour tout dissimuler. Malheureusement, c’était sans compter les yeux discrets, mais observateurs de son compagnon de route.

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MichèleDevernay
Posté le 03/05/2022
Coucou ! J'ai fait durer dans l'espoir de voir publier un nouveau chapitre, mais non, c'est dommage. Il y a certes pas mal de coquilles mais j'aimais bien cette histoire. ;)
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