Chapitre 16 - Sur le fil

Par Keina

« Il y a toujours un volcan qui sommeille en moi. »

Lolo, Ghost’s Mind

D’un seul coup, toute chose dans l’univers sembla se figer dans le temps et dans l’espace, comme la coda d’une symphonie, avant l’allegretto du deuxième mouvement. Comme un funambule qui, parvenu au milieu de son parcours, tressaille un instant avant de rétablir son équilibre.

Keina sombrait, suspendue entre la vie et la mort.

Alors, c’était ainsi que son histoire se terminait ? Avalée par l’océan de nuages opaques qui bordait le Royaume ? Était-ce tout ce que l’avenir avait à lui proposer ? En guise de réponse, les nuées s’amassaient autour de ses jupes en un brouillard froid et gluant qui l’emmitouflait dans un cocon de glace.

Cela lui parut durer un temps infini.

 

Puis, elle s’enfonça dans une matrice douce et floconneuse qui ralentit soudainement sa chute. Les rouages de son cerveau se remirent en marche, en même temps que l’univers autour d’elle. Elle ouvrit les yeux, qu’elle avait gardés fermés jusque-là, et restaura tant bien que mal son aplomb. Au cœur de la nuit, un néant silencieux, ceinturé de filets de brume olivâtre, l’accueillit incongrûment. Elle dévala quelques paliers, et se posa enfin sur un parterre duveteux, comme Alice au fond du terrier. Tandis qu’elle tentait, maladroite, de se rétablir sur ses genoux, des idées farfelues gagnèrent ses pensées. Elle déglutit, incapable d’éclaircir le magma qui empâtait son esprit. Une douleur sourde martelait ses tempes.

Et puis encore, quoi ? Vais-je trouver un flacon avec l’inscription « bois-moi » ? Suis-je sous l’emprise d’une nouvelle drogue de la sorcière ? Ai-je atterri dans les Limbes ?

Ses bras retombèrent sur le sol nébuleux.

— Et puis encore, quoi… ? répéta-t-elle pour elle-même, comme une invocation.

Ses cordes vocales, rocailleuses et mal assurées, lui parurent n’avoir servi depuis des lustres.

— Keina !

L’espace d’un instant, dans la confusion de ses sens, elle s’imagina qu’elle venait de prononcer son propre prénom, et s’étonna que son timbre eût changé si vite. Puis l’exclamation retentit à nouveau, et un ouragan affolé se logea dans son giron.

— Keina, comme tu m’as manquée ! Je suis si heureuse de te revoir !

Tout à coup, le cœur de la silfine s’emballa, réveillant pour un moment sa conscience engourdie.

— Gaétane ? Est-ce que c’est toi ?

Une seconde, elle crut sentir l’étreinte chaude de son amie ; une larme cilla dans sa vision… une seconde, puis elle réalisa que ce n’était ni sa voix, ni son accent, ni même sa façon de respirer d’ordinaire, calmement, profondément, avec cette paisible assurance qui l’avait toujours réconfortée. Non, des lèvres de l’étrangère qui l’étreignait avec vigueur s’évadait un souffle rapide, entrecoupé de hoquets que Keina finit par identifier : elle pleurait. Enfin, l’inconnue se détendit, et la silfine interloquée découvrit ses traits.

Elle semblait du même âge, peut-être un peu plus jeune ; à moins que cette impression lui vînt de ses yeux vert foncé aux paupières bouffies par le chagrin. La fille porta une main à son visage et sécha rapidement ses joues pâles, laissant échapper un gloussement nerveux. Une couronne de cheveux châtains, un peu plus sombres que les siens, encadrait sa douce figure, et par-dessus son corsage carmin, un pendentif argenté miroitait doucement dans le clair-obscur brumeux.

— Qui… qui êtes-vous ?

Mue par une nouvelle force, Keina se releva tant bien que mal et posa sa question d’un ton presque détaché. L’autre, toujours accroupie, se mit à glousser par petites saccades et se redressa à son tour. Elle semblait si fragile, si fatiguée aussi dans sa mise de paysanne aux couleurs vives, que la silfine sentit une vague d’affection gonfler son cœur jusqu’à le faire éclater. Était-ce la fatigue qui la rendait si confiante, si apaisée ?

— Bien sûr, tu ne me connais pas encore. Laisse-moi te regarder, Nana ! Comme tu es jeune ! Et ta robe ! D’accord, elle est un peu déchirée. Mais elle devait être… magnifique, j’en suis sûre ! On dirait… on dirait celle que tu portais à notre dernière soirée, la blanche, toute légère ! Luni te faisait tourner et tu riais ! Tous les hommes de la salle n’avaient d’yeux que pour toi. Et puis, après, tu m’as raconté quand tu portais des corsets. Et moi qui t’enviais ! (Un soupir teinté de nostalgie, suivi d’un grognement plus terre-à-terre.) Ça fait des jours que je suis coincée dans cette tenue et je comprends mieux ce que tu disais. C’est une torture, ces machins-là.

Elle dessina un sourire qui souligna ses pommettes et se tut. Durant les secondes qui suivirent, la silfine la détailla silencieusement, incapable de trouver la moindre question à lui poser. Tout ceci ne pouvait être réel ! Était-ce la Mort qui venait à sa rencontre ? Autour des deux filles, les nues verdâtres dansaient dans le néant, s’enroulaient et se déroulaient au gré d’un orchestre invisible, les ceinturant de toute part. Visiblement troublée par cette pause, la jeune inconnue tira gauchement sur sa jupe de lin bleu, puis tordit ses doigts le long de la manche du caraco rouge, le regard rivé sur ses bottines usées. Accroché à son cou, Keina remarqua à nouveau le pendentif argenté : un médaillon, au centre duquel une louve stylisée allaitait son petit. Enfin, la nouvelle venue prit une grande inspiration et se remit à parler à voix basse.

— Je m’appelle Beve, et je suis… enfin, tu sauras bien assez tôt qui je suis. C’est… c’est à cause du Solitaire, il m’a dit que tu allais sauter, et qu’il faudrait que je sois là le moment venu pour… te rattraper. En quelque sorte. Oh ! Je ne sais pas pourquoi je l’ai écouté ! (Sa voix s’amplifia.) Il s’est servi de moi, et il a manipulé ton esprit pour t’in…t’inciter à sauter. Tu m’avais pourtant prévenue qu’il fallait s’en méfier ! Je sais qu’il est bizarre, mais… d’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été là pour moi. Et puis je vou… voulais tellement te revoir ! Il le fallait, pour t’avertir, Keina : tu ne dois pas te sacrifier pour moi ! Ça… ça ne servira à rien, je le sais. L’Avaleur de Mémoire… c’est déjà en moi, c’est déjà en train de me détruire. Tu peux pas me sauver, tu… tu… tu comprends ? Je n’y arriverai pas ! Pas sans toi ! La ba… ba… bataille est perdue d’avance !

Les sanglots rendaient son élocution difficile, et elle trébucha plusieurs fois sur ses mots. Malgré tout, son interlocutrice l’écouta, bouche bée, et ne se décida à prendre la parole que quelques secondes après la fin du monologue.

— Je ne comprends pas… Je ne comprends pas, balbutia-t-elle. Où sommes-nous réellement ? Suis-je en train d’halluciner ? Qui est le Solitaire ? Sommes-nous censées nous connaître ?

Elle ne posa pas la première question qui lui vint à l’esprit, car la réponse se formait devant ses yeux, aussi lumineuse qu’un éclair dans la nuit. Des voix multiples remontèrent à la surface de ses souvenirs et entamèrent une valse douloureuse dans ton cerveau :

(je te parle de ton sacrifice)

(la magie, celle que tu devras transmettre à la Briseuse)

(tu es celle qui annonce)

(elle arrive, la Briseuse…)

Oh oui, elle était arrivée. Elle se tenait même là, devant elle, matérialisée en une jeune fille frêle et rougissante.

Beve.

La Briseuse.

Sans comprendre, elle le sut instantanément.

— Nous… nous sommes au cœur de la Mémoire, répondit celle-ci, éludant les autres questions. Je suis en train de la remonter, et je sais que tu l’as fait avant moi… quand tu t’es sacrifiée… Je veux comprendre pourquoi tu as fait ça ! Je veux te retrouver, Keina, et te ramener, et tant pis si je dois te… te forcer à revenir avec moi ! (Elle s’avança vers elle et agrippa son poignet d’un geste implorant. La silfine se laissa faire, trop faible pour protester.) La légende de la Briseuse… ça n’a aucun sens ! Mais tu y as cru… Tu ne me l’as jamais avoué, oh non ! Mais… mais je sais que tu y croyais ! Et je veux comprendre ce que… ce qu’il y a à l’autre bout qui t’a convaincue que ça en valait la peine, malgré… malgré tout ! (La fin de la phrase se teinta d’une once de reproche, puis Beve lâcha son emprise et recomposa un sourire un peu triste.) Pourquoi je te dis ça ? Ton « toi » actuel n’y est pour rien. Je voulais juste… que tu saches que tu n’avais pas à te sacrifier pour moi. Que cette foutue magie t’est plus utile qu’à moi. Pour tout t’avouer, elle est en train de… de me tuer à petit feu, et j’exagère pas. Je voudrais que tu te rappelles de tout ça, plus tard. (Un temps, puis :) Luni… Je sais que vous deux, ça n’a jamais été facile, mais… Il a cessé de vivre quand tu… Je ne sais pas si je devrais t’en parler, mais tant pis. Maintenant je vais te conduire jusqu’au Solitaire, et tu jugeras par toi-même de ce qu’il est. Et je continuerai mon voyage. Ce serait pas si pénible s’il n’y avait pas ce satané corset qui me comprime les seins et ces jupons qui me grattent !

Elle ponctua la fin de son discours d’un mouvement peu élégant du bassin. Pour la première fois depuis longtemps, la silfine pouffa spontanément. Beve releva le menton, sourit à son tour, et dans une impulsion, se jeta encore à son cou.

— Keina, oh ma Keina ! Si tu savais comme tu me manques ! murmura-t-elle d’un timbre étouffé en la serrant aussi fort qu’elle le pouvait. Le Royaume s’est éteint quand tu nous as quittés. Je suis désolée que tu aies à subir mes âneries, mais il fallait que ça sorte ! Le Solitaire voulait que je t’empêche de… de t’écraser et que je t’amène à lui, mais j’ai pas pu m’empêcher de déballer mon sac. Peut-être que ça changera quelque chose… Oh, fais que ça change quelque chose, s’il te plaît ! Le Solitaire a tort ! La Mémoire n’est pas inflexible, le cours du temps peut être modifié !

Elle se détacha, les yeux à nouveau embués, et du menton désigna un point par-dessus l’épaule de Keina. Celle-ci se retourna et remarqua que la brume gorgée de magie s’était dissipée pour former un passage étroit. Elle crut discerner au loin un carré d’herbe enneigé qui scintillait.

— Je dois te laisser, mais je ne renoncerai pas. Tu pourras le lui dire. Même si j’ai exécuté son ordre, il n’en est pas question. Je ferai pas demi-tour. Je veux aller jusqu’au… jusqu’au jaillissement de la Mémoire. Je veux voir ce qu’il y avait avant elle. Je veux me débarrasser de ce mal qui me dévore depuis que tu es morte. Et je veux te ressusciter…

Tandis qu’elle parlait, des filaments d’énergie aux contours ouatés s’étaient faufilés entre les deux filles, élevant un rempart enchanté qui les sépara irrémédiablement. Les lèvres de Beve continuèrent à bouger, mais sa voix se mua en un murmure inaudible pour Keina. Cependant, ses gestes ne trompaient pas : elle l’enjoignait à emprunter le chemin qui s’était élargi dans son dos.

Elle hésita, des milliers de questions bouillonnant encore sous son crâne. Mais, derrière le mur brumâtre, la silhouette de Beve s’effaçait peu à peu. Keina songea au chat du Cheshire et l’incongruité de cette ressemblance la fit sourire sans raison. Se prenant soudain pour une Alice à la logique vacillante, elle se tourna vers le passage, releva ses jupes boueuses et déchirées et s’engagea d’un pas décidé dans celui-ci.

 

Au bout de quelques mètres, elle atteignit l’orée d’une profonde caverne, au seuil matelassé de neige. Elle leva le nez, et constata avec surprise qu’une aube timide dévoilait ça et là les contours de la falaise. Subodorant que le parapet herbu qui plongeait vers la grotte s’accrochait à la montagne du Royaume, elle tordit le cou pour tenter de repérer une lueur de vie, mais le vertige galopa dans son ventre et suspendit son mouvement. Derrière elle, la chape de brouillard magique s’effaçait petit à petit, révélant l’océan de nuages qui aurait dû l’engloutir. De la Briseuse, nulle trace ne subsistait.

Soudain, une vive lassitude se déversa en elle, depuis sa tête, pesante, jusqu’à ses jambes en coton. La bataille de la traverse, sa chute, Nephir, Pierre, Lynn, Luni, Mary, Beve et la Mémoire… les événements de la soirée s’embrouillaient, se dépossédaient de leur substance, se détachaient d’elle comme des souvenirs qui ne lui appartenaient pas. Elle avait perdu le compte des heures : sa dernière nuit de sommeil remontait à un siècle au moins. La lumière du jour heurtait sa rétine. Elle cligna, hésitant quelques instants sur cet îlot de fortune pour tenter de reprendre le contrôle, mais son corps eut bientôt raison d’elle. Elle dévala la pente caillouteuse de la grotte avec la laxité d’une poupée de chiffon et s’écroula enfin en contrebas, terrassée par la fatigue et les émotions. Un froid courant d’air caressa l’une de ses joues. Elle entrouvrit les paupières, crut distinguer au fond de l’obscure cavité une silhouette lupine aux yeux espiègles qui dardaient dans le noir, et les referma, convaincues d’être la proie d’une illusion de plus.

La chaleur d’une lampe lui lécha le visage. Elle grogna. On la tirait sans ménagement vers le bas, sans doute au plus profond de l’antre. Ronchonnement, de nouveau. Ne pouvait-on la laisser en paix ? À nouveau, une lueur flammée taquina l’intérieur de ses pupilles. Elle papillonna, tandis qu’on forçait le barrage de ses lèvres pour y introduire un goulot. Un liquide chaud et douçâtre se répandit sur sa langue ; elle l’avala avec difficulté et reposa sa nuque sur la main noueuse qu’on avait placée sous elle.

La potion la plongea dans une torpeur apaisante et bienfaitrice. La douleur sous son crâne et le long de son bras s’atténua jusqu’à s’effacer tout à fait. On la souleva sans peine. Elle s’abandonna, la tête posée contre une pèlerine mouillée, et s’endormit pour de bon.

 

La première chose qu’elle vit lorsqu’elle s’éveilla fut la flamme d’une lanterne qui dansait dans l’obscurité. Puis, à mesure qu’elle s’habituait aux ombres, son champ de vision s’élargit. Par-dessus la lumière, elle distingua enfin son sauveur, un grand Noir coiffé d’un haut-de-forme usé, le visage grêle et les tempes grisonnantes. Attentif à chacun de ses gestes, il rivait sur elle un regard pétillant, curieux, dont la jeunesse contrastait avec les rides qui l’encadraient. Une drôle d’idée surgit dans son esprit, et elle se redressa difficilement sur sa couche de fortune.

— Vous êtes le Solitaire, souffla-t-elle en premier lieu, comme une évidence. Puis : Est-ce vous qui m’avez parlé de mon sacrifice, le jour où je me suis perdue dans les sous-sols du Royaume ?

Pourquoi songeait-elle à ça maintenant ? Elle sursauta légèrement lorsque l’inconnu lui répondit.

— Oui… et non.

Sa voix, grave et profonde, résonna en écho sur les parois de la caverne, qui parut tout à coup à Keina bien plus vaste qu’elle ne l’aurait cru. Elle palpa le sol, et sentit sous elle une couverture rêche, sur laquelle l’homme l’avait sans doute déposée quand elle dormait. Elle ignorait combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle avait quitté Beve, mais ce sommeil impromptu lui avait fait du bien. À moins que l’amélioration de son état ne fût le résultat du breuvage qu’elle avait avalé avant de s’écrouler…

— Je suis le Solitaire, et c’est la première fois que tu me rencontres, silfine, ajouta-t-il posément.

— Pourtant, vous m’avez poussée à sauter. (Le ton de ses mots, exempt de reproches, sonnait comme une évidence.) Que me voulez-vous ? J’en ai assez d’être ballottée d’un endroit à l’autre comme une marionnette. Je voulais juste… me battre contre Nephir. Elle a détruit ma vie, vous savez.

— Je sais.

Keina fronça les sourcils.

— Qui êtes-vous réellement, au nom des Onze ?

— Je suis le Solitaire, celui qui a décidé de se soustraire à l’Histoire. Je suis le douzième.

Elle soupira, comprenant enfin.

— Alors, vous êtes un Mage.

— Douze est le chiffre des magiciens, ânonna-t-il avec emphase.

Un sourire, à peine esquissé.

— Ce que vous dites n’a aucun sens. Vous êtes encore plus énigmatique que Mirddhin. Et pourquoi ne siégez-vous pas avec les autres ? Ils vous ont banni, c’est ça ? Vous êtes une sorte de révoqué ?

Il sourit à son tour, fugacement, ce qui accentua la jeunesse de son regard.

— Disons que je me suis révoqué tout seul. Je suis au service de la Mémoire. Le multivers est corrompu, et c’est le Royaume qui déverse cette corruption à travers les mondes. Je sais ce qui a eu lieu et ce qui est à venir. Je sais comment le destin doit se dérouler, car je suis celui qui le façonne. La Briseuse est à mon service, et j’espère que tu me rejoindras à ton tour. Un jour, nous devrons nous unir pour nous battre.

Une haine tenace, proportionnelle à l’amour qu’elle avait immédiatement porté à Beve, gonfla dans son cœur. Qui était-il pour la manipuler ainsi ? Pour décider de son destin aussi impunément ?

— Nous battre ? Contre qui ? Vos histoires ne m’intéressent pas, bougonna-t-elle avec la plus mauvaise volonté du monde.

— L’Avaleur de Mémoire.

Un temps.

— Encore ce truc ! Mais qu’est-ce que… ? Oh, peu importe ! Tout cela ne me concerne pas. Je veux seulement que Nephir paie pour ce qu’elle m’a fait.

Tâtonnant la paroi humide pour se guider, Keina se remit péniblement debout. Le Solitaire se déplia à son tour. À nouveau, sa silhouette la domina entièrement, immense et osseuse comme un Baron Samedi tout droit sorti du bayou.

— L’Avaleur de Mémoire manipule Nephir, fit-il remarquer nonchalamment.

Nullement impressionnée par sa carrure, elle leva sur lui ses yeux noisette, un air de défi gravé sur ses traits.

— Tout comme vous comptez me manipuler, n’est-ce pas ?

— Exactement, répliqua-t-il, la commissure de ses lippes relevée dans un sourire narquois. Suis-moi, silfine. Je dois te montrer quelque chose.

Il se détourna et se mit à marcher sur le sol rugueux de la grotte, emportant avec lui la seule source de lumière. Se mordant la lèvre inférieure, Keina hésita un instant, mais l’évidence s’imposa vite à elle : elle n’avait d’autre choix que de le talonner. Elle ignorait jusqu’où il l’avait emmenée, et si elle voulait avoir la moindre chance de revoir le soleil un jour, elle ne devait pas le perdre d’une semelle.

Silencieux, ils longèrent l’un derrière l’autre un mur concave aux aspérités ruisselantes et glacées, puis traversèrent plusieurs cavités de tailles diverses. Un relent de mousses et de fougères se mêlait à la puanteur du soufre qui s’accentuait à mesure qu’ils avançaient. L’atmosphère était gelée, mais Keina avait pensé à glisser la couverture miteuse sur ses épaules avant d’emboîter le pas du Solitaire. Le lainage élimé ne la protégeait pas beaucoup, mais c’était mieux que rien.

— Où allons-nous ? l’interrogea-t-elle enfin.

— Contempler le cœur du Royaume, déclara le grand Noir sans se retourner. Que sais-tu de la Mémoire, silfine ?

La question trouva un écho désagréable en elle. Mirddhin lui avait demandé la même chose, et à l’époque elle n’avait pas su rétorquer. Mémoire, Mémoire, Mémoire… Depuis, ce mot s’était infiltré partout autour d’elle, ad nauseam. Néanmoins, elle se força à répondre, soucieuse de ne pas perdre la face devant son guide.

— C’est ainsi que l’on appelle la magie du Royaume, récita-t-elle, se souvenant des mots de Nephir.

— Et tu es celle qui l’attire. Sais-tu pourquoi ?

Il s’arrêta pour darder vers elle un regard perçant, inquisiteur, qui attendait une explication précise. La silfine réfléchit un instant, et la réponse lui vint naturellement.

— Parce qu’elle porte mon empreinte.

Avec un hochement de tête qui exprimait sa satisfaction, le Solitaire se remit en marche.

— Tu es intelligente, silfine. Plus que je ne l’aurais cru.

Trop faible pour lui sauter à la gorge, Keina se contenta de fixer sa nuque d’un air mauvais. Au bout de quelques minutes, il reprit :

— Mais la Mémoire est bien plus que cela. Comme l’Imagination, elle est le produit de la Pierre. Elle est aussi l’essence des Elfes, tandis que l’Imagination appartient aux Hommes. Si, à l’extérieur, l’une prend toujours le pas sur l’autre, au sein du Royaume, les deux forces s’attirent et se repoussent à la fois, créant un état de tension constante. Vous, les silfes, êtes le résultat de l’union des deux essences. C’est pourquoi ils pensaient que vous formeriez le point d’équilibre parfait. Ils avaient tort, évidemment. Vous avez rompu l’équilibre ; cela devait se produire. Votre esprit n’était pas assez fort pour soutenir la tension. Les silfes sont bien trop humains. Peu importe ! Bientôt, une nouvelle race naîtra. Une âme mémorieuse et une âme imaginaire soudées à jamais dans un même corps, en harmonie absolue. Avec elle, nous gagnerons la… oh, nous y voilà !

Ils débouchèrent dans une salle irradiée d’émeraude et de jade, aux reflets fluctuant comme les ondes de l’océan. Keina plissa les paupières et le nez, incommodée à la fois par l’intense luminosité qui se détachait des ténèbres, et par le parfum prégnant de la magie, infiltré jusque dans les fibres de ses vêtements déchirés. Enfin, une fois qu’elle se fut habituée aux deux, elle admira à loisir ce qui s’élevait sous ses yeux.

La beauté du phénomène lui coupa le souffle.

D’abord, elle remarqua la cascade de lumière aqueuse aux mille nuances de vert, tourbillonnant à la verticale vers un puits qui crevait la voûte de la caverne. Elle baissa le menton pour trouver l’origine de cette débauche d’énergie, et, pour la première fois, contempla la Pierre.

À peine plus grosse qu’un œuf d’autruche, elle lévitait au milieu de la grotte, au-dessus d’une profonde crevasse de quatre pieds de large. Un dépôt de magie et d’eau l’enveloppait comme un cocon. À sa base, l’amalgame disparaissait dans la fissure qu’il semblait avoir créée, et, par-dessus, virevoltait en hélice vers la surface, lui donnant l’aspect d’un fuseau en perpétuel mouvement.

Au centre de la bobine, la forme ovoïde du minéral avait été brisée par une courte épée, toujours fichée à son sommet. L’énergie enchantée se concentrait avec une telle force à cet endroit qu’elle devenait presque noire. Les craquelures qui parcouraient le roc s’étaient polies au fil du temps, mais, en haussant les talons, Keina distingua nettement les emplacements de cinq fragments manquants, disposés en étoile autour de la lame. De fines gouttelettes d’eau et de magie en suspension dans la salle se déposèrent sur ses cils. Elle passa sa main sur ses paupières pour les chasser, puis, machinalement, avança celle-ci vers le prodige pour tenter de le frôler. Aussitôt, les particules s’agitèrent en désordre, rompant l’harmonie du tourbillon pour se précipiter vers elle. Affolée, elle se recula vers le Solitaire, qui l’observait en retrait, et laissa choir la couverture qui lui servait de châle.

— Fais attention, silfine ! ricana-t-il, moqueur. Tu sembles oublier que tu attires la magie.

— Qu’est-ce que c’est ? Où sommes-nous exactement ? demanda celle-ci, trop intriguée pour se froisser.

— Nous sommes en dessous du Château, à la source même de la Rivière du Milieu, là où les deux ailes se séparent. Et ce que tu vois devant toi est la Pierre Brisée, d’où s’écoule la Mémoire.

— Beve… la Briseuse m’a dit qu’elle était en train de remonter la Mémoire, et que je l’avais fait avant elle. Comment est-ce possible ? Comment peut-on remonter le cours de la magie ?

— Tu poses une bonne question, silfine. Beve et toi êtes les seules à pouvoir accomplir cet exploit, car la Mémoire porte ton empreinte et que tu l’as transmise à la Briseuse afin qu’elle réalise son destin.

— Mais selon elle, c’était inutile. L’Avaleur de Mémoire était déjà en train de la tuer. Je n’ai pas vraiment saisi ce qu’elle entendait par là.

Un sourire, encore.

— Elle croit agir contre mon ordre, alors qu’elle fait exactement ce que j’attends d’elle. La magie du Royaume et le temps qui s’y écoule sont intimement liés, c’est pourquoi nous l’avons appelée la Mémoire. De la même façon, l’Imagination est liée à l’espace. Remonte le fil de la Mémoire, et tu remonteras le temps, jusqu’au commencement, jusqu’au moment où la Pierre s’est brisée. Tel est le destin de la Briseuse : accomplir ce qui est déjà, afin que l’équilibre soit préservé. Grâce à elle, le cycle de la Louve sera achevé. Alors seulement, la Pierre pourra être réparée, et la guerre éclatera. Tu dois t’y préparer, silfine, comme nous tous.

Grognement, discret.

— À quoi bon, puisque je vais mourir avant même tous ces évènements ? Inutile de vous fatiguer ! J’ai rencontré la Briseuse, je connais le sort qui m’est réservé. Si tout ceci doit se produire, alors, je ne serai plus là pour le vivre. L’alf avait raison à mon sujet : je ne suis qu’une parenthèse dans cette histoire.

— Je suis bien aise de constater que l’on se souvient de nos paroles, répondit une voix au cœur des ténèbres.

Keina se tourna vers le fond de la salle en même temps que son aîné. La surprise la figea sur place : là, dans la pénombre, assis au sommet d’un rocher humide, se tenait l’alf au visage lunaire ! La créature sauta de son piédestal improvisé et s’approcha d’un pas sautillant, un sourire insolent imprimé sur ses lèvres adipeuses. À mesure qu’il côtoyait la proximité de la Pierre, l’atmosphère s’électrifia. Les filaments de magie zigzaguaient en tout sens, jaillissaient de la bobine pour y plonger à nouveau, comme rendus fous par la présence de l’être malingre.

— J’imagine que tu ne t’attendais pas à nous voir, Solitaire.

Son timbre se modifia, comme si mille voix se superposaient dans ses cordes vocales. Haussement d’épaules, désinvolte. Durant quelques secondes, le Mage et l’alf se toisèrent, nullement incommodés par leur différence de taille.

— Détrompe-toi, l’Avaleur. Cela fait longtemps que j’observe tes manigances, camouflé parmi les autres créatures. Tu ne cesses d’attiser les haines de chacun et d’aviver le souvenir de Nephir, afin de concrétiser ses plans. Plus les alfs t’obéissent, et plus ton pouvoir grandit. La petite alfine d’Anna-Maria était ton espionne, n’est-ce pas ? Elle a poussé sa maîtresse au suicide et s’est tuée à son tour. Pourtant, il y a une chose que je ne comprends pas, l’Avaleur. Pourquoi te faire le larbin d’une sorcière, folle par-dessus le marché ?

Keina, abasourdie, regarda successivement les deux adversaires, avant de bredouiller à l’attention du Solitaire :

— L’Avaleur ? Vous insinuez que cette créature… est l’Avaleur de Mémoire ?

— L’une de ses manifestations, oui. Mais l’Avaleur est une entité multiple et complexe, produit de l’Imagination pure. Il est le mal qui détruit les Elfes car il absorbe la Mémoire. Certaines créatures magiques lui vouent un culte, tout comme Nephir. On dit d’ailleurs qu’il survit aussi dans le livre de Keneros, mais cela échappe à ma vision.

L’alf ricana sourdement.

— Quel flot d’éloges à mon égard ! Nous t’observons depuis longtemps, silfine. Un conseil : ne te fie pas aux paroles du Solitaire. L’Avaleur de Mémoire est uniquement au service de la Pierre. Ton arrivée ici lui a été précieuse, et c’est en son nom que nous avons aidé Nephir à te capturer. Elle a échoué, son sort ne nous intéresse plus désormais. Keina, ton existence nous intrigue. Tout me laisse à penser que tu es plus qu’une simple parenthèse. À peine arrivée au Royaume, tu trouvais déjà le livre de Keneros et étais sur le point de percer son secret : nous t’avons stoppée à temps. Puis le journal d’Alderick entre en ta possession, et il m’a fallu te l’arracher pour éviter que tu en saches trop. Jusqu’alors, seule la Briseuse nous importait… Mais tu nous dérobes la Mémoire en l’attirant à toi, et tout le monde en ce Royaume semble te porter de l’intérêt. J’ignore si nous devons te craindre ou te confier nos secrets. Après tout, tu annonces l’arrivée de celle qui va nous libérer de la souffrance infinie de la Pierre Brisée… Qui es-tu réellement, Keina ?

Le discours laissa l’intéressée sans voix. Le Mage, visage fermé, entrouvrit les lèvres pour répondre à sa place, mais elle l’interrompit, le ton cassé.

— Je suis… je suis une silfine ordinaire, fille d’Akrista-Ateyalle et de Katlayelde. Je suis juste moi.

L’alf se rapprochait, ses yeux globuleux et mi-clos braqués sur Keina.

— Tu mens ! Tu n’es pas une silfine ordinaire ! Tu n’es pas ce que tu prétends être ! Peu importe le temps que cela nous prendra, l’Avaleur de Mémoire découvrira qui tu es, silfine ! tonna-t-il de ses nombreux timbres entremêlés qui se percutèrent au plafond de la caverne.

Keina s’écarta de quelques pas. Aussitôt, le Solitaire vint se placer devant elle, un bâton noueux sorti du néant et brandi devant lui comme un talisman.

— Ton pouvoir est limité, l’Avaleur. Que comptes-tu faire ? Tu ne peux pas invoquer l’une de tes effroyables chimères ici.

— Peut-être pas. Mais, Solitaire, tu l’as toi-même souligné, j’ai acquis au sein du Royaume beaucoup de puissance ces derniers temps. Tu ne seras pas toujours là pour défendre tes…

Alors qu’elle reculait encore, Keina rencontra sous son pied la faille qui lézardait la grotte. Elle sursauta, voulut se rattraper, mais une, puis deux, puis une multitude de langues d’énergie enchantée ceinturèrent son buste, tentacules visqueux et liquides qui se mêlaient à ses lambeaux de robe et envoûtaient son esprit. Elle ferma les yeux, ignorant les exclamations stupéfaites des deux témoins. Je suis juste moi, juste moi, juste moi, ressassait-elle sous son crâne lancinant, comme une litanie destinée à la délivrer du cauchemar.

Ses talons décolèrent soudain du sol, portés par la magie. Que m’arrive-t-il ? songea-t-elle tandis que l’énergie se lovait en elle et la soulevait comme un pétale dans la brise de printemps. Lentement, elle ouvrit les yeux : sa vision, brouillée par un voile d’eau émeraude qui ondoyait devant elle, lui renvoya les images déformées du Solitaire et de l’alf au visage lunaire, en contrebas. Elle flottait ! Sous la révélation, son cœur se mit à battre plus fort, mais l’enchantement la confinait au sein d’une bulle protectrice aux contours épais qui apaisait son vertige. Elle se força à descendre le regard, et vit sous ses pieds le pommeau de la dague, projetant une ombre verdâtre sur la circonférence irrégulière, aux éclats nettement marqués, de la Pierre. De façon inopportune, elle se prit à penser qu’elle devait sans doute être la première à la contempler sous cet angle-là. L’idée la fit sourire et elle baissa les paupières à nouveau. Bien… et maintenant ?

Je porte ton empreinte, souffla une voix près de son oreille. Elle rouvrit grand ses yeux noisette, s’efforçant d’oublier la sensation visqueuse qui lui collait à la peau et l’odeur quasi insoutenable qui picotait l’intérieur de ses narines. Les filaments aqueux dessinèrent un visage flou qui s’affina pour devenir une exacte reproduction d’elle-même imprimée en miroir, fantôme aux reflets bleu-vert dont les lèvres se mirent à bouger en silence, tandis que la voix murmurait : En cet unique instant, je t’offre l’usage absolu de mes quatre pouvoirs, Keina. Sers-toi de chacun à bon escient !

Ses quatre pouvoirs ? Comme dans un rêve aux rebondissements insolites, la silfine se remémora les paroles de Nephir. La Mémoire se décompose en quatre pouvoirs...

L’Esprit.

Tout à coup, son cerveau explosa en des milliers de bribes qui se dispersèrent dans toutes les têtes du Royaume Caché. À l’instant où elle comprit ce qui lui arrivait, elle décida en un éclair de la mission qu’elle devait accomplir en premier. Plissant les sourcils pour se concentrer à nouveau, elle rassembla ses morceaux d’elle-même et s’efforça de les diriger vers la Traverse. Là-bas, la nuit baignait une masse de combattants qui se mouvaient dans un magma flou d’idées et de pensées. Avait-elle réussi à remonter le temps ? Peu importe ! Le mental qu’elle brûlait d’affronter s’opposa bientôt au sien, dévorant, offensif, glacé comme un iceberg dans le feu de la bataille. Elle se heurta à lui, et craignit un moment de devoir se replier devant la force qui la repoussait sans faillir : l’Imagination.

Mais Keina ne faiblit pas. Elle avait souhaité plus que tout en découdre avec Nephir, et la puissance qu’elle avait empruntée l’électrisait. Tel un bélier lancé à l’assaut d’une forteresse, elle se jeta de toutes ses forces contre les remparts gelés de la sorcière, et ne tarda pas à percevoir les défenses adverses se craqueler sous la pression comme une coquille trop fragile. Petit à petit, le cinquième pouvoir se recroquevilla, reflua, s’échappant de son réceptacle vacillant pour quitter le Royaume Caché. Sous le choc, elle sentit sa maléfique cousine défaillir à son tour, fétu de paille vidé de sa substance, sur le point de se rompre. Privée de la précieuse imagination qu’elle manipulait autrefois, qu’allait-elle faire à présent ? Keina manqua le plaisir d’en être le témoin, car, dès l’instant où l’esprit de Nephir se brisait, la laissant ahurie et désorientée, l’on vint à son secours, la juchant sur une monture pour disparaître hors de la portée de la silfine, de l’autre côté du Passage. Esteban ! Le cri mental se perdit dans l’atmosphère magique de la Traverse. La sorcière démunie et son sombre amant s’étaient enfuis, suivis de leurs sbires encore debout, qui avaient compris leur défaite. Le combat était fini. Keina sentit qu’on la tirait en arrière : son pouvoir spirituel s’effaçait en douceur, laissant place à un autre…

Le Cœur.

Cette fois-ci, elle eut l’impression que sa poitrine éclatait en une gerbe de feux d’artifice. Des dizaines d’émotions la submergèrent simultanément et elle s’imprégna de toutes les souffrances, visibles et invisibles, du Royaume Caché. Que faire ? Comme la première fois, la décision s’imposa rapidement à elle. Elle cibla le lieu où tous les maux se focalisaient et visualisa enfin l’infirmerie. À présent, l’aurore soulignait les tours du Château et une lumière givrée éclaboussait les rescapés de la bataille. Lynn, Luni, Ekaterina, Cinni, Caledon, Olga, Pierre, Mary… Ils étaient tous là, vivants – les Onze soient loués !, pansant leurs plaies et devisant. Comme elle aurait voulu se trouver à leurs côtés ! À défaut de les voir et de leur parler, elle se polarisa sur ce qu’ils ressentaient. La tâche se révéla plus facile : en une seule vague bienfaisante, elle cicatrisa les blessures physiques et soulagea les fatigues morales avant de se retirer, imperceptible, sans s’attarder sur le trouble et les exclamations qui résonnèrent à sa suite. Hélas, les morts ne se relèveraient pas, mais elle ne pouvait en faire plus. Un troisième pouvoir l’investit aussitôt…

Les Mains.

Son corps se mit à fourmiller, et l’énergie du cocon à s’agiter en tous sens. Maintenant qu’elle avait réparé une partie des tracas causés par sa sottise, il lui était possible de se concentrer sur le présent. Elle darda un œil farouche sur l’alf au visage lunaire qui observait, circonspect, sa silhouette embobinée d’eau et de magie.

— Te crois-tu à l’abri de nous ? demanda-t-il avec un rictus méprisant, ses voix multiples déformées par l’épaisseur de la bulle protectrice. Prends garde, silfine !

Quelques pas plus loin, légèrement en retrait, le Solitaire, les doigts enroulés autour de son bâton noueux, gardait son regard fixé sur l’Avaleur, comme s’il guettait la moindre de ses réactions. 

Il me faut… une épée ! décida la silfine tandis que l’énergie attendait qu’on la façonne pour se transmuer en matière. À peine l’image se formait-elle dans son esprit que les particules s’accumulaient déjà, modelant une claymore démesurée qui surgit comme une épine hors du flot magique. Peu à peu, l’arme gagna en substance. Son fil d’acier trempé se fit tranchant comme le rasoir, sa lame scintillante se para d’arabesques ciselées, sa poignée de cuir noir s’affermit entre les deux mains de Keina, si petite par rapport à l’imposante claymore dont la pointe touchait le plafond.

L’alf haussa le coin d’une lèvre dans un sourire méprisant.

— Et maintenant, silfine ? Tu n’as pas la force de manipuler un tel objet.

Maintenant ? Maintenant, j’ai besoin du quatrième pouvoir…

Les Ailes.

Elle ferma les yeux et laissa ses veines se gonfler d’énergie. Il sous-estime ta puissance, hein ? La claymore devint aussi légère qu’une plume tandis que des mèches de jade tourbillonnaient autour du tranchant. La silfine leva le menton, se sentant soudain toute puissante.

— Je. M’appelle. Keina ! siffla-t-elle, tous ses sens exacerbés par la magie.

L’épée tournoya au-dessus d’elle et s’abattit sur le sol de la caverne. Le plafond trembla. À la première salve, l’Alf négocia une roulade derrière un rocher et se releva indemne. Devant la soudaine force de son adversaire, il commença à enfler, abandonnant son enveloppe chétive. En un clin d’œil, il se métamorphosa en un golem de pierre au visage contrefait. Keina n’attendit guère plus pour lancer sa deuxième attaque. Celle-ci percuta le bras droit de la créature et le réduisit en miettes. La fureur déforma les traits grossiers de l’Avaleur, qui grinça entre ses dents de schiste :

— Sais-tu au nom de qui j’existe, silfine ? Nous sommes l’Avaleur de Mémoire !

Sur ces mots, sa bouche se mit à s’élargir à outrance, creusant un immense trou noir au milieu de sa face rocailleuse. Les particules magiques s’affolèrent, tournoyèrent en tout sens, irrésistiblement attirées par le gosier tourbillonnaire du monstre. L’espace d’un instant, Keina baissa sa garde, indécise. Si elle ne réagissait pas sans tarder, elle finirait ses jours dans l’estomac de son adversaire, avec toute la magie de la Pierre… Elle perçut alors le cri du Solitaire, toujours posté à l’écart.

— « Maintenant ! » hurla-t-il d’une voix sans réplique.

Elle hocha la tête avec conviction, et, sans demander plus d’explications, enfonça sa formidable claymore aux reflets irisés dans l’œsophage de l’Avaleur.

Aussitôt, l’attraction la déséquilibra vers l’avant. Les mains arrimées sur la poignée, elle contracta la totalité de ses muscles pour résister à la force adverse. Le long de l’épée, les filaments enchantés dégoulinaient dans la gueule obscure, de plus en plus vite, de plus en plus nombreux. Sans s’émouvoir de la lame qui le transperçait de haut en bas, le golem avait fermé les yeux, visiblement ravi de son festin.

Soudain, pris d’un hoquet, il les ouvrit en grand. Le fleuve d’émeraude s’engouffrait toujours dans sa bouche béante, mais il n’avait plus l’air d’y prendre plaisir. Il tenta de la refermer, rencontra le tranchant du fil et leva un regard furibond sur la silfine. Celle-ci tenait bon, les pieds calés de part et d’autre de la dague plantée dans la Pierre, immobile au cœur de la prodigieuse tornade d’énergie qui rugissait autour d’elle, ses phalanges blanchies contre la garde de la claymore. Privé d’un bras, l’Avaleur se mit à gigoter, énervé, et s’efforça de retirer l’arme d’une seule main. Il se heurta à la fermeté implacable de Keina, portée par le pouvoir qui dansait dans ses veines. Alors, il essaya de changer de forme, sans succès. Son épiderme graniteux se tuméfia, une fois, deux fois, avant de recouvrer son apparence initiale. Durant une dernière seconde, ses yeux affolés rencontrèrent le regard résolu de la silfine, cherchèrent une issue impossible… et se désintégrèrent. 

La déflagration projeta Keina hors de son cocon d’eau et de magie, de l’autre côté de la faille. Elle s’affala lourdement sur la roche glacée, glissant sur quelques pouces. Une pluie de poussière et de scories fines et rugueuses s’abattit sur elle. Reprenant ses esprits, elle se roula en boule, les bras sur son visage pour se protéger. L’espace autour d’elle chancela sous l’impact, menaça de s’écrouler, et enfin tout redevint silencieux. Doucement, elle se déplia. Cligna des paupières. Au centre de la salle, la Pierre Brisée lévitait toujours, enrobée d’une magie embuée dont le flux s’écoulait tranquillement vers le haut. L’Avaleur de Mémoire et la claymore avaient disparu. De l’autre côté, elle vit le Solitaire qui époussetait avec calme son costume noir.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle sourdement.

— Indigestion de magie, répondit le Mage avec un sourire radieux. L’Avaleur de Mémoire ne se manifestera plus de si tôt ! À présent, silfine, rejoins-moi. Tu as sans doute compris pourquoi nous devrions appartenir au même camp… Tu as fait preuve d’une grande tactique au cours de ce combat !

Keina retint un gloussement nerveux. Tactique ? Elle s’était contentée de suivre son instinct, sans réellement appréhender la finalité de ses actes. Plus que jamais, la situation lui parut ridicule et absurde. Faiblement, elle se rétablit sur ses deux jambes et tenta de remettre de l’ordre aussi bien dans ses cheveux trempés et emmêlés que dans ses idées. D’un coup, toutes les sensations corporelles l’investirent à nouveau : les douleurs musculaires, le mal de crâne lancinant, les baleines de son corset qui torturaient sa colonne vertébrale, les vêtements déchirés et crasseux qui collaient contre sa peau mouillée, et, plus que tout, l’épouvantable envie qui tiraillait sa vessie…

Cependant, par-dessus tout ça, une légère fierté naquit confusément du fond de son esprit. N’avait-elle pas vaincu Nephir, anéanti l’Avaleur de Mémoire et guéri ses amis ? Elle s’approcha du geyser de magie et, comme lorsqu’elle était entrée dans la salle, avança ses doigts des particules.

La prochaine fois, Keina, tu en mourras…

Un millième de seconde, le temps d’un battement de cils, elle crut apercevoir son visage se refléter dans la substance et chuchoter ces mots. Était-ce une menace, un avertissement, une prédiction ? Elle se rétracta et braqua son regard sur le Solitaire qui lui tendait une main secourable, de l’autre côté de la fêlure du sol.

— Allons, saute ! Je te ramènerai chez toi, et nous bavarderons en chemin.

Les lèvres serrées, elle secoua la nuque de droite à gauche, déterminée. Plus question d’obéir à aucun de ces tordus ! Désormais, elle suivrait sa propre voie. Elle tourna le dos au Mage et se dirigea sans fléchir vers la seconde issue de la caverne, à l’opposé de celle par laquelle ils étaient arrivés. Alors qu’elle s’y enfonçait, se persuadant qu’elle trouverait un moyen de retrouver la surface, la voix du Solitaire résonna une dernière fois entre les murs couverts de moisissures :

— Très bien ! Si tu veux n’en faire qu’à ta tête… Dans ce cas, passe ce message auprès des Onze : ce qui a été brisé va devoir être réparé. Lorsque la guerre éclatera, ils auront à se préparer ! Il faut qu’ils choisissent leur camp dès aujourd’hui. Qu’ils demandent à Mun’di ce qu’en pensait la Briseuse !

Keina haussa les épaules et s’éloigna sans se retourner.

 

Dès qu’elle fut hors de sa vue, elle s’arrêta enfin. Une faible luminescence verdâtre venue de l’arrière lui permettait encore de progresser normalement, mais bientôt, ne subsisteraient plus que les ténèbres autour d’elle. Un frisson la saisit. D’abord, parer au plus urgent… Elle s’accroupit, se débarrassa de ses dessous et se soulagea tant bien que mal contre la paroi du tunnel. Le ventre plus léger, elle se redressa et tâcha d’invoquer sa magie. Sans peine, constata-t-elle avec joie, elle fit apparaître une bougie allumée qu’elle serra dans sa main. Beaucoup moins soufrée, l’atmosphère empestait malgré tout le moisi et la pourriture. La flamme ne vacillait pas d’un pouce. Avec regret, Keina se remit en marche, consciente qu’elle ne pouvait plus revenir en arrière. Quelques yards plus loin, elle déboucha dans une salle qui ouvrait sur trois souterrains. Il eut été trop simple de ne rencontrer aucune intersection, songea-t-elle avec aigreur. Alors qu’elle s’apprêtait à foncer droit devant, choisissant sa direction au hasard, elle sentit qu’on l’observait. Elle fit volte-face, la méfiance accrue. Il ne m’aurait pas suivie, hein ? Derrière le feu de sa chandelle, elle capta un regard dissimulé dans la pénombre du corridor de droite. Le corps et le visage se noyaient dans une cape qui les confondait aux ombres.

— Qui êtes-vous ? cria-t-elle en s’efforçant de mettre de l’assurance dans son timbre.

L’inconnu parut hésiter à s’avancer plus près, mais un appel lointain, venu des profondeurs de la troisième galerie, le décida à reculer.

Tu as eu raison, Keina, énonça-t-il dans son esprit. Je salue ton courage, ton sacrifice ne sera pas vain. Lorsque tu seras remontée, demande à Erich de rendre mon journal aux Onze. Cela ne lui appartient pas. J’ai commis beaucoup d’erreurs par le passé, et c’est la meilleure chose que je puisse faire à présent pour les réparer.

Sa voix faiblit tandis qu’il s’évanouissait dans les ténèbres moites. Les mots se répercutèrent sous le crâne de la silfine interdite. C’est lui… celui qui m’a parlé de mon sacrifice en premier… D’un seul coup, elle réalisa qui il était, et la révélation la frappa de plein fouet. Pourtant… n’est-il pas censé être mort ?

Durant quelques instants, elle se demanda si elle devait courir à sa suite, mais une créature courte sur pattes surgit au même moment du souterrain de gauche et fondit dans ce qu’il restait de ses jupes.

— Keina ! Tu es vivante !

L’interpellée baissa le regard et croisa, soulagée, les yeux brillants de Dora.

— Dora ? Comment as-tu… ?

— J’ai senti qu’il se passait quelque chose, là, en bas, l’interrompit l’alfine avec agitation. Nous l’avons tous senti. Alors, Dora a couru, descendu des escaliers, zigzagué dans les couloirs… Je me disais que c’était peut-être Keina… Et maintenant, l’Avaleur de Mémoire n’embrouille plus nos pensées ! Qu’est-ce que tu as fait ? Est-ce qu’il n’existe plus ?

— Je ne crois pas, non, soupira la silfine. Je pense qu’il est toujours là, quelque part… Mais j’ai fait de mon mieux. Est-ce que tu peux me ramener à la surface, Dora ? Je suis tellement heureuse de te voir !

La créature magique hocha du menton avec conviction et glissa sa petite main potelée dans celle de son amie.  

— Viens, Keina. Remonte avec moi.

Les deux silhouettes s’éloignèrent ensemble, en quête de lumière.

 

Comme dans un rêve, la silfine sortit au grand jour, une paume devant ses yeux pour s’habituer à la luminosité.

— Quel jour sommes-nous ? demanda-t-elle à Dora.

Déposée sur les toits et dans les rues du village montagnard qui s’accrochait à un pan septentrional du Château, une épaisse couche de neige scintillait sous le ciel bleu.

— Le quinze décembre, nous sommes le quinze, a dit ma maîtresse ce matin ! répondit fièrement la créature, avant de s’exclamer : Où veux-tu aller, maintenant, Keina ? Est-ce qu’on rentre chez toi ?

La silfine se posa un instant sur un muret, le corps frissonnant. Comme elle regrettait à présent la couverture que le Solitaire lui avait donnée !

— Non. Je dois… je dois rejoindre les autres. Je dois voir la Reine Blanche et solliciter une audience auprès des Onze. J’ai tellement de choses à dire… Où devrais-je me présenter en premier ? 

Soudain, la lassitude s’empara d’elle, et elle inspira profondément. Qu’allait-elle dire exactement ? Tout le monde devait la croire morte à l’heure qu’il était. Pourrait-elle simplement faire son entrée et annoncer de but en blanc qu’elle avait défait l’Avaleur de Mémoire, rencontré la Briseuse et le Solitaire, dépossédé Nephir de son pouvoir ? La tâche lui parut tout à coup parfaitement loufoque et déplacée. Elle brûla de regagner la chaleur de son lit, d’oublier le reste… Mais il y avait Luni.

Son cœur se serra en pensant à lui. Souffrait-il de son absence ? Espérait-il la sauver, ou au contraire avait-il déjà fait son deuil ? Elle soupira.

— C’est bon, Dora. Tu peux me laisser là et rejoindre ta maîtresse. Je vais rentrer à l’intérieur du Château et retrouver mes amis. Sais-tu où se trouve le Cercle de Transport le plus proche ?

— Dora ne laisse pas Keina, non non ! Ma maîtresse est absente. Elle est partie Château elle aussi, je m’en souviens.

— D’accord, alors allons-y ensemble, répliqua la silfine avec un pauvre sourire.

 

Il ne leur fallut pas très longtemps pour accéder au Cercle de Transport et encore moins pour apparaître dans le grand hall de l’Aile Blanche. La vie semblait y suivre son cours ordinaire. Les résidents vaquaient à leurs occupations, s’interpellaient, dévalaient les escaliers majestueux, disparaissaient derrière une porte ou dans un Cercle, franchissaient le porche en secouant leurs bottes blanchies de flocons… Rien ne montrait qu’une bataille épique s’était déroulée peu de temps auparavant sur la Traverse. Combien d’heures, de jours, de semaines, au juste ? Keina l’ignorait. Elle avait perdu toute notion de durée. Elle tenta de calculer le nombre de jours qui s’étaient écoulés depuis la disparition de son monde, mais renonça vite. Ne sachant où se rendre, elle apostropha un passant.

— Pardon, pourriez-vous m’indiquer où se trouvent la Reine Blanche et les agents du service actifs qui ont… combattu sur la Traverse ? lui demanda-t-elle à brûle-pourpoint.

L’homme, un vieillard au cou tordu, la détailla de haut en bas avec une moue dégoûtée qui fit rougir Keina. Avec les haillons de sa robe de soirée qui découvraient sa lingerie, ses cheveux en désordre et ses manières brusques, elle devait ressembler à une mendiante attardée, réalisa-t-elle soudain. Il haussa les épaules, hautain.

— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Vous n’avez qu’à requérir une audience, et attendre sagement qu’on vous l’accorde !

Keina se détourna en soupirant, laissant Dora se ruer vers un autre résident pour lui poser la même question. Finalement, à la cinquième demande, une jeune asiatique leur répondit aimablement. Les meilleurs agents de la Blanche se trouvaient dans un amphithéâtre commun à la Noire, afin d’y convenir d’une tactique pour rechercher Nephir et l’empêcher de nuire à nouveau. Une étincelle d’orgueil brillait dans ses yeux : son fiancé avait été convié ! La réunion durerait toute l’après-midi sans doute. La silfine et l’alfine la remercièrent avec chaleur et repartirent vers le Cercle de Transport. Peu après, elles se matérialisèrent dans une large galerie carrelée. Au fond de celle-ci, une inscription de cuivre placée au-dessus de la porte leur désigna le chemin.

Le cœur de Keina se mit à battre à tout rompre. L’angoisse et la nervosité commencèrent à se disputer l’invasion de son estomac. Elle marqua un temps d’arrêt, déchira une bande de tissu au bas de son jupon et l’enroula autour de ses cheveux en un semblant de queue de cheval. Puis elle se redressa, lissa les pans de sa mise, et prit une grande inspiration. Pourvu que mes nerfs ne me lâchent pas, songea-t-elle en s’avançant bravement vers l’entrée.

Le battant grinça doucement lorsqu’elle le poussa, mais le tohu-bohu de l’auditorium couvrit son écho. Une anarchie sans pareil régnait entre les gradins et sur l’estrade. La salle, conçue en cercle à la façon d’une arène romaine, se divisait en deux parties, un accès de chaque côté. Au centre, derrière deux pupitres identiques, les deux Reines palabraient avec leurs sujets, dont la plupart s’étaient levés. La teneur de la discussion ne faisait aucun doute : une moitié de l’assemblée se préparait à partir en croisade contre Nephir, quitte à écumer les mondes parallèles pour la retrouver, tandis que l’autre préférait attendre, et garder à l’œil les anciens contacts de la sorcière. Pas une parole n’évoquait la disparition de Keina, comme s’il ne s’agissait là que d’un dommage secondaire. La silfine déglutit pour évacuer la boule compacte qui grossissait dans sa gorge et laissa échapper entre ses lèvres un mince filet de voix :

— Excusez-moi…

Les mots se perdirent dans le vacarme, impuissants. Décidée à s’approcher malgré ses jambes vacillantes, Keina descendit les premiers degrés d’une allée latérale. Un hululement strident retentit dans son dos. Elle sursauta. Un coup d’œil en arrière : perchée sur un siège vide en haut du théâtre, Dora, les mains placées en porte-voix, sollicitait le silence à sa façon. D’un seul coup, le brouhaha cessa. Debout au milieu des gradins, Keina s’éclaircit les cordes vocales, redressa le buste et prononça avec calme :

— Je réclame audience auprès des Onze Mages.

Elle sentit tous les regards se pointer sur elle, et s’efforça de ne pas ciller. Une cascade d’exclamations médusées jaillit d’un bout à l’autre de la pièce tandis qu’elle s’ingéniait à remettre un peu d’ordre dans sa défroque maladroite.

— Keina !

Trois silhouettes se précipitèrent vers elle, et la silfine reconnut successivement Ekaterina, Atalante et Luni. Ce dernier s’arrêta en fin de rangée et laissa passer les deux femmes. Maudites convenances !

Parvenues à sa hauteur, elles l’encadrèrent pour la soutenir.

— Keina, d’où viens-tu ? Tu dois te rendre à l’infirmerie au plus vite, souffla Ekaterina sur un ton affolé. Nous pensions tous que Nephir t’avait…

— Nephir n’est plus une menace actuellement, l’interrompit-elle avec un geste agacé. Son pouvoir s’est éteint. À présent, conduisez-moi auprès des Onze, s’il vous plaît.

Nouveau concert de jurons. Keina descendit quelques marches et tourna la tête vers Luni, la poitrine prête à exploser. Il la considérait d’un air grave, mais un soulagement infini, quasi imperceptible, miroitait au bord de ses paupières. Elle lui retourna un sourire triste et se concentra à nouveau sur la Reine Blanche qui lui opposait un refus péremptoire.

— Pourquoi voulez-vous rencontrer les Onze maintenant, Keina ? Si Nephir est vaincue comme vous semblez le croire, cela peut attendre. Quelles que soient les épreuves que vous avez traversées, vous venez de vivre un profond traumatisme. Votre place est d’abord à l’infirmerie. Plus tard, nous verrons.

Nouveau soupir, un peu amer.

— Vous ne comprenez pas. Je dois leur communiquer une information importante.

— Une information de quel ordre ?

Elle laissa planer un silence, la cervelle en ébullition, et se décida enfin :

— J’ai rencontré la Briseuse.

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Seja Administratrice
Posté le 05/10/2011
Wah, didon, ça s'enchaine *o*
Et, au passage, désolée de pas être passée avant. Ce chapitre était sur ma liste de lecture, mais le temps a joué contre moi. Et du coup...
Donc ! Ca se précipite à une vitesse folle dans ce chapitre oO Keina qui tombe (c'était un crack, j'avais raison :P), qui se fait rattraper par le void, qui rencontre la Briseuse qui lui apprend qu'elle s'est sacrifiée pour..., qui rencontre le Solitaire, qui cloue le bec à l'Avaleur, qui cloue le bec au Solitaire, qui repart à la surface, qui retrouve Luni (ouais, bon, les autres aussi), et qui va bien sûr tout tout tout raconter aux Onze.
Fiuu, j'ai bon ? :D
C'était un chapitre où il était difficile de trouver un temps mort (ils s'étaient regénérés, j'en suis sûre). On sent que la fin approche et ça fait tout drôle. Dire que je suis ta silfine depuis ses débuts sur le FUWS... ça nous rajeunit pas ça xD
Les descriptions, je les ai trouvées superbes. Vraiment. J'étais déjà émerveillée par ta capacité à faire autant dans le visuel, mais là, je suis soufflée. Cette grotte avec cette magie qui flotte, qui tourbillonne, gnaa, j'avais l'impression d'y être *o*
En fait, je suis juste admirative devant le travail que tu as accompli avec ce roman. Et j'attends avec impatience le prochain (et dernier ?) chapitre *o*
Keina
Posté le 05/10/2011
Oups ! Je réponds trèèèèès en retard à cette review.
Déjà, merci beaucoup !  Tu as tout bon dans ton récapitulatif ! ^^ Oui, la fin approche grandement... tu m'étonnes que ça ne nous rajeunit pas ! Je suis contente que la scène de la grotte fonctionne bien. 
Sinon, bah, c'est quand même pas grand chose. #^^# Merci beaucoup, et j'espère que le dernier chapitre te plaira aussi !
vefree
Posté le 10/09/2011
Excellent !
Aaaah, que ça fait du bien de retrouver cette histoire si longtemps délaissée ! Alors, comment tu as trouvé ma salade  de tuantes au jus de Grenouille ? hin hin.
Sans déconner, j'admire ta plume à savoir transcrire des effets de magie comme ça. J'en ai plein les mirettes, c'est extra. Là, Keina vient de vire la pire épreuve de sa vie. Elle qui n'était pas encombrée de magie, voire même qu'elle la fuyait, la voila désormais affublée des quatre pouvoirs et débarrassée de la maléfique Néphir. Bravo, bravo !
Que de rencontres et de phénomènes étranges. C'était fascinant, visuel, extraordinaire, merveilleux. Quand elle revient à la surface, je n'ai pu que regretter qu'elle ne puisse se jeter dans les bras de Luni. Elle a tant à faire, désormais. La Reine Blanche est plutôt peu amène ; rencontrer les Onze ne s'improvise pas ainsi. Mais elle apporte un argument de poids : la rencontre avec la Briseuse. J'ose espérer que sa requette sera satisfaite.
Maintenant, qu'en sera-t-il en surface ? Avec tout ce qui s'est passé dans les sous-sols du château... Les nouveaux pouvoirs de Keina vont certainement changer toutes les perspectives de la contrée. Raaah, j'ai hâte d'en savoir plus ! Keina, je t'en prie, laisse tomber tes autres obligations et termine cette histoire palpitante, vite !!!!
Comment ça, j'en demande trop ?
Allez...
Biz Vef' 
Keina
Posté le 10/09/2011
Vef', plus rapide que son ombre ! :D Merci vraiment beaucoup, je suis contente que ce chapitre ait fait son petit effet ! ^^
J'avais peur que ce que vivait Keina allait être "too much", mais bon, il fallait bien ça pour finir en beauté ! Le dernier chapitre sera plus "calme", dans le sens où il y aura moins d'action et plus d'explications. Mais bon, ça va être aussi les retrouvailles entre Keina et Luni, donc j'espère que la lecture sera tout aussi palpitante ! ^^ 
En ce qui concerne la réaction de la Reine Blanche, il faut bien avouer que vu l'état de Keina, on peut la comprendre de penser avant tout à sa santé... mais oui, après la petite "bombe" qu'a lâché Keina au milieu de l'assemblée, on peut espérer que sa requête sera réexaminée !
Par contre, Keina n'a pas forcément gardé l'entièreté de sa puissance quand elle était au coeur de la magie. Ça serait trop facile pour elle, sinon ! :D Mais oui, elle semble déjà un peu mieux maîtriser la magie (puisqu'elle arrive à faire apparaître une bougie sans effort), peut-être parce qu'elle a enfin compris à différencier les pouvoirs et à les apprivoiser. Et ça change quand même pas mal de choses pour elle... Elle arrivera peut-être enfin à trouver sa place parmi les siens !
J'espère arriver à écrire rapidement le dernier chapitre. J'ai quasiment toutes les scènes en tête, mais je ne sais pas encore vraiment dans quel ordre les agencer. Pour le moment, je dois vraiment me concentrer sur mes autres obligations (sinon ma co-auteuse va me faire la gueule ! ^^) mais dès mi-octobre, je vais pouvoir m'y reconsacrer à fond. J'aimerais pouvoir offrir la fin d'(Une Silfine) avant Noël, mais on verra bien ! 
Bisous
Keina 
 
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