Chapitre 12 - Les Onze parlent

Par Keina

« Un doigt sur mes lèvres, pour m’empêcher d’aller plus loin. Pour éviter que je ne m’embourbe dans les mots jusqu’à ce qu’ils m’étouffent. »

Arianne, Under my skin

 

C’était une belle matinée pour un enterrement royal. Dans un silence religieux, troublé uniquement par le cri solitaire des oiseaux et le murmure du vent qui emportait au loin les feuillages, le cortège avait gravi la colline jusqu’au mausolée. Keina l’avait suivi spontanément, l’esprit enlisé dans un brouillard cotonneux. Aucune larme ne sillonnait ses joues rougies par le froid. 

L’ancienne reine étant de confession protestante, la cérémonie s’était déroulée au temple. On avait occulté pour l’occasion la cause de sa mort. Les religions au Royaume se débarrassaient fréquemment des dogmes et interdits peu commodes ; il fallait bien cohabiter avec la magie.

L’office fut de courte durée. Quelques psaumes ânonnés par un pasteur indulgent, le témoignage hésitant d’une Reine aussi élégante que lointaine et des prières évaporées dans la langueur de l’automne. Keina n’avait pas vraiment écouté, les yeux rivés sur les bancs parsemés. Qui se souciait d’une reine déchue ?

Atalante n’était pas venue. Trop de lumière, trop de monde, trop de murmures.

Tandis que le cercueil s’enfonçait lentement dans l’obscurité de la niche, la silfine songea aux paroles d’Anna-Maria. Nephir la guettait, l’avait-elle avertie. Mais par quels yeux ? Certains alfs lui en voulaient, d’autres semblaient la veiller… Qui croire, qui suivre dans cet imbroglio d’énigmes qui s’emmêlaient dès qu’on tentait d’en tirer une extrémité ? Nephir ? En toute logique, elle seule se trouvait en mesure de lui fournir les clés de la connaissance. Mais comment l’atteindre tout en lui échappant ? La menace n’était pas vaine. La protégeait-on suffisamment ? Elle se sentit soudain comme un moucheron englué dans une toile d’araignée gigantesque. Dès qu’elle se débattait, d’autres fils venaient s’enrouler autour d’elle, plus pernicieux que cette magie qu’elle s’efforçait de fuir et d’apprivoiser à la fois. Plus les jours passaient, plus les évènements qui s’enchaînaient lui paraissaient absurdes, irréalistes, l’œuvre d’un Dieu farceur ou ivre mort. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver la situation injuste. Quel royaume permettait qu’une ancienne reine finisse ses jours dans la solitude et la folie ? Quel royaume était assez négligent pour laisser une dangereuse meurtrière vivre et fomenter ses prochains crimes en toute liberté ? Où se trouvaient les Onze lorsqu’elle s’était débattue dans les ténèbres ? Les organisations avaient été créées pour secourir les mondes extérieurs, et les deux Reines elles-mêmes ne s’intéressaient que peu à ce qu’il se passait parmi leurs propres sujets. Mais qui était capable de venir en aide au Royaume lorsque celui-ci se mettait à dérailler ?

Personne, le fiasco de la guerre en était la preuve. Personne n’avait su raisonner Alderick avant qu’il ne soit trop tard, et personne n’avait pris la peine d’écouter les alfs avant que le silfe n’eût l’idée de les utiliser pour son propre compte. On laissait faire, et lorsque les choses tournaient mal, on s’arrangeait juste pour que tout rentre dans l’ordre, comme avant. Que rien ne change, s’il vous plaît, agissons comme si de rien n’était et gardons le sourire… Ah ! C’était comme avouer que ses parents s’étaient battus pour rien, comme se faire à l’idée du sacrifice, se laisser vivre dans la perspective de sa mort prochaine !

Ou comme se contenter d’attendre un amant qui ne reviendrait jamais.

 

Dès la fin de la cérémonie, tous s’éloignèrent, laissant la blonde Anna-Maria reposer pour l’éternité au cœur de son tombeau de pierre. Emportée par sa folie, son fantôme blafard hanterait la colline envahie par les brumes, et ses sanglots de chouette effraie chuchoteraient aux âmes errantes le désespoir de son amour trahi.

 Ainsi se propageaient les rumeurs du Royaume,  et les vieillardes à la voix chevrotante ne manqueraient pas d’y ajouter un peu de leur piquant, les étincelles de la magie dansantes au fond de leurs pupilles malicieuses.

Écoute mon petit, écoute l’histoire de la Reine Maudite et de son cruel amant… Que les Onze nous protègent ! Cette histoire s’est passée au Royaume, il n’y a pas si longtemps…

 

*

 

L’âme qui errait sur la colline en ce mois de novembre ne paraissait nullement effrayée par la hantise de l’endroit. Enveloppée dans un long manteau de cachemire noir dont elle avait relevé le col passementé, Keina frictionnait la paume de ses mains avec toute l’ardeur qu’elle possédait. Après les longues heures passées à contempler le portrait de sa mère, un nouveau rituel l’avait supplanté. Elle ne supportait plus le climat étouffant du Château, et ses escapades régulières dans les montagnes ravivaient sa fraîcheur et encourageaient la réflexion.

Durant la nuit, une fine couche de givre s’était déposée sur les hauteurs, première manifestation d’un hiver qui prenait de l’avance. Keina s’accordait toujours quelques minutes de recueillement devant l’entrée du monument, tapissée de feuilles multicolores. Elle y réfléchissait à sa situation, à ses amis, à son avenir. À Luni. Les premiers retours de mission peuplaient déjà le Royaume, mais la Grande Arrivée n’était prévue qu’en décembre ; elle doutait de revoir le silfe d’ici là.

En l’absence de son ami, Pierre renouvelait à sa jeune apprentie une cour discrète, qu’elle s’évertuait à repousser fermement. Néanmoins, elle se mettait par moment à apprécier son impertinence toute française, son rire pourtant si agaçant et leurs piques incessantes, qui effaçaient ses principaux soucis à la vitesse de l’éclair. La méfiance qu’elle entretenait autrefois à son égard se dissipait peu à peu. À l’inverse, ses récentes aventures l’avaient légèrement éloignée de Lynn, qui passait le plus clair de son temps avec Maria. Keina s’était gardée de lui parler d’Atalante, et l’ombre de la sœur rebelle planait dorénavant entre elles.  

Dans une impulsion enfantine, la Londonienne planta sa bottine au creux d’un amas de feuilles mortes et la lança devant elle. Les dentelles d’or, de cuivre et de cinabre voltigèrent dans les airs et lui arrachèrent un gloussement involontaire.

— Est-ce ainsi que la jeunesse se divertit, en cette époque ? fit une voix dans son dos.

Elle émit un hoquet bref et pivota en direction des résineux qui bordaient le sentier. Tapie dans la pénombre, une silhouette aux yeux perçants la dévisageait. Lorsqu’elle s’avança au grand jour, le soleil révéla un petit homme ridé, si ratatiné qu’il se confondait aux roches environnantes. Vêtu d’une jaquette brune qui tombait jusqu’à terre, il s’appuyait des deux mains sur un bâton taillé grossièrement. Méfiante, Keina fit un pas en arrière et posa une main sur la garde de la courte rapière qui ornait désormais le côté de sa jupe d’amazone.

— Qui êtes-vous ? Un alf, encore ?

Sans répondre, le quidam se contenta de relever un peu plus la commissure de ses lèvres, dans une curieuse grimace en forme de sourire. Farouche, la silfine continua :

— Bien, ne répondez pas ! Qu’allez-vous me prédire à votre tour ? Ne vous en faites pas au sujet de ma mort, c’est déjà fait. Mais peut-être vais-je souffrir d’amour, comme Anna-Maria ? Trahir mon peuple comme Atalante ? Ou encore suis-je destinée à devenir aussi folle que Nephir ? Ne vous gênez pas, que je puisse solder mon compte de prédictions avant la fin de l’hiver ! Qui sait ? Peut-être serai-je un jour dans la mémoire du Royaume, au titre de silfine la plus malchanceuse de l’Histoire !

Elle avait posé une main sur sa hanche et remuait son autre main face au ciel, dans un semblant d’imprécation à l’adresse d’un dieu invisible.

— Que sais-tu de la Mémoire, silfine ?

La question coupa son élan et la laissa perplexe, sourcils froncés, face à son mystérieux interlocuteur.

— Que sais-je… de quoi ?

— Ma présence est incongrue, je le pressens. Pardonne ma curiosité. Néanmoins, la fameuse Keina ! Vi ne décolèrera sans doute guère en s’avisant de ma défection, mais il me fallait te rencontrer. Alfs, Elfes, Silfes, Humains : tous ne devisent qu’à ton sujet. La Mémoire elle-même s’agite en cette heure. La sens-tu, Keina ? L’Avaleur l'absorbe sans relâche. L’un après l’autre, les Mémorieux s’éteignent à jamais. Mais toi, tu es celle qui l’appelle…

Totalement perdue, la silfine secoua la tête.

— J’ai rencontré beaucoup de gens étranges depuis que je suis ici, mais en matière d’énigme, vous gagnez haut la main !

Ce disant, elle pointa son doigt vers la créature, décochant sans le vouloir une salve d’énergie magique qui se perdit dans la végétation. Un grognement contrarié naquit dans sa gorge. Elle frappa du pied, rageuse.

— Raaaaah ! J’en ai assez de cette magie qui me gâche l’existence !

L’inconnu hocha la tête, et un capuchon de laine retomba sur ses yeux. Bien que son visage fût désormais caché, Keina sentit le sourire qui s’était formé sur son visage parcheminé. Il donna dans l’humus un coup de canne furtif et disparut aussitôt, aussi vite qu’il était apparu. Interdite, la silfine cligna des yeux et en quelques enjambées rejoignit l’endroit où il s’était tenu. Ni traces de pas, ni feuilles ou branches piétinées ne témoignaient de sa présence. Ne subsistait dans l’atmosphère qu’une légère odeur de vieux cuir, que chassa le souffle des montagnes. Épaules affaissées, Keina fit demi-tour. Inutile de se faire du mouron pour un bonhomme qui n’avait même pas pris la peine de se présenter ! Une minuscule résurgence, enfouie loin, très loin au fond de sa mémoire, perturba un court instant ses pensées, mais d’un mouvement de tête elle l’écarta et reprit sa promenade.

 

*

 

Lorsqu’elle parvint sur la route principale qui menait à l’Aile Blanche, ses bottines et le bas de ses jupons avaient pris la teinte des chemins gras qu’elle avait empruntés. Son chapeau de travers, les joues en feu d’avoir couru et un bouquet de feuilles aux couleurs vives dans une main, elle s’arrêta net pour contempler un convoi qui, dans une nuée de poussière, avait jailli d’un virage. Il venait sans aucun doute de la Porte des Mondes et se dirigeait vers le Château. La silfine marqua une pause et en profita pour reprendre son souffle, la curiosité en éveil. Les yeux plissés, elle distinguait mal les cavaliers. Ils n’étaient pas une dizaine et ralentirent à peine en arrivant à sa hauteur. Six membres du service actif ceinturaient deux formes encapuchonnées juchées sur une elfide qui galopait au centre du groupe.

Avec une boule compacte au fond de l’estomac, Keina reconnut Luni en queue d’escorte. Elle déglutit, le cœur battant la chamade. Il tourna la tête et la vit, seule sur le bord de la route, son bouquet serré contre son manteau et les mèches en pagaille. Ses prunelles bleues la transpercèrent de part en part, une seconde à peine. Une seconde suffisante pour se maudire de s’être habillée trop hâtivement le matin et de n’avoir pris la peine d’arranger sa coiffure. Puis il détourna les yeux, échangea un mot avec la duchesse Olga qui chevauchait à sa droite et, sans un regard en arrière, s’éloigna dans le sillage des elfides.

Les feuilles mordorées s’éparpillèrent une à une sur les pavés humides.

Il avait à peine remarqué sa présence ! Et ce regard…

Quelques pas nerveux, puis une inspiration, profonde. Le temps de reprendre ses esprits. Elle porta une main à son front et ferma les yeux un court instant. Trop d’émotions. Beaucoup, beaucoup trop d’émotions. Elle devait regagner le contrôle d’elle-même. Enfin, elle se redressa et d’un pas décisif reprit son chemin, submergée par une nouvelle vague de contrariété. Voilà, sa journée était officiellement gâchée.

 

*

 

Son humeur ne s’arrangea pas en arrivant dans le hall. Une sourde rumeur planait au-dessus des résidents, comme si cette arrivée impromptue constituait un événement hors du commun. Le courroux bouillait en elle. Aucun d’entre eux ne s’était déplacé pour les funérailles d’une Reine et les voilà qui jasaient à propos d’un simple retour de mission ! Durant de longues années, Anna-Maria les avait gouvernés, guidés, accompagnés, et telle était sa récompense ? Être oubliée dès la promesse d’un nouveau bavardage ? Ingrats !

Elle entra comme une furie dans l’intendance et posa la question qui lui brûlait les lèvres d’une voix qu’elle s’efforça de garder aussi froide que possible. Ida lui répondit avec un sourire mutin.

— Oh, oui, miss ! Miste’ Luni est rentré à l’instant ! Il accompagnait des prisonniers, c’est ce qu’y m’a dit. Parti direct’ment chez les Onze, avec Not’ Dame. Une drôle d’affaire, à c’qu’on raconte ! Paraît qu’c’est rapport à Nephir, ajouta-t-elle d’une voix de conspiratrice. Une drôle d’affaire, pour sûr !

Au fond de la salle, Hedda acquiesça bruyamment, reprenant en écho les derniers mots de sa sœur. Keina n’en attendit pas plus. Elle sortit aussi vite qu’elle était entrée, avec l’intention d’en discuter avec la seule personne qui lui en apprendrait peut-être un peu plus, et qui saurait se montrer discret.

 

*

 

Au troisième toc, Anthème, le domestique, se présenta au seuil de l’appartement et s’écarta d’instinct à son entrée. Anthème était de race humaine, et, tout comme son maître, français d’origine. Elle devait bien se l’avouer : son seul allié du moment était le même qui ne lui inspirait guère confiance autrefois. Un brin contrariée par ce constat, elle franchit l’antichambre d’un pas vif et ouvrit la porte du cabinet de travail sans même s’occuper du valet.

De l’autre côté d’un vaste bureau napoléonien, Pierre retira avec vivacité ses pieds du sous-main, cacha sous une lettre la revue qu’il lisait et déplia prestement un journal à l’apparence sérieuse qui sommeillait dans un angle. Dans une pose qu’il espérait à la fois studieuse et naturelle, il baissa un coin de papier et adressa un signe à la nouvelle venue.

— Ah, ah, Keina, hello ! Comme tu le vois, je suis assez occupé.

— J’ignorais que tu étais originaire de Lyon, fit la silfine après avoir parcouru des yeux la première page du bimensuel. Ni que tu t’intéressais à la broderie, d’ailleurs.

Pierre parut remarquer pour la première fois ce qu’il était censé lire, se racla la gorge pour reprendre contenance et, enfin, reposa La broderie lyonnaise sur le sous-main.

— Tout homme a le droit de se… « piquer » d’une marotte, non ? … Hum, d’accord. C’est à Anthème, je crois. Pour sa femme : ça lui rappelle son pays. Je suis contraint de l’admettre ; tu as en face de toi un Parisien de la pire engeance.

— Et plutôt amateur de caricatures, compléta Keina avec un sourire, un œil vigilant accroché à la revue précédemment posée à la va-vite.

— À part ça, tu es venue… ? questionna Pierre pour couper court à la conversation, en rangeant son exemplaire de l’Assiette au beurre dans un tiroir.

La silfine se dévêtit de son manteau et s’installa sans ménagement dans le fauteuil qui faisait face au bureau, le cachemire posé en travers de sa jupe.

— Une délégation vient d’arriver au Royaume. Il y a des prisonniers, d’après ce que j’ai pu constater. Tu étais au courant ?

— Luni est-il avec eux ? enchérit le français sans ménagement.

— Alors, tu sais quelque chose, répliqua-t-elle du tac au tac.

Par le simple regard, un duel silencieux s’engagea entre la Londonienne et le Parisien. Les yeux noisette de l’une se mesurèrent aux iris verts de l’autre. Enfin, Pierre poussa un soupir, et entama d’une voix légère :

— D’accord, d’accord, tu as gagné. Cesse tes agressions télépathiques, tu me donnes terriblement mal au crâne ! Luni m’a parlé de sa mission avant de partir, mais je ne vais pas être en mesure de t’en révéler beaucoup. Une… ex-rebelle aurait fait des siennes dans le monde où elle fut bannie, et il est parti enquêter en compagnie d’Olga. Luni l’avait chargée de la surveillance de la rebelle autrefois, c’est même ainsi que la duchesse est entrée dans l’Organisation. Ce sont… les précautions d’usage, ajouta-t-il avec une pointe d’hésitation. La rebelle ayant fait preuve de bonne volonté, ils ont relâché leur vigilance il y a quelques années. C’était une erreur, apparemment. Voilà… voilà tout ce que je sais.

Il parut hésiter à nouveau. Keina le nota dans un coin de son esprit.

— Un lien avec Nephir ?

Occupé à tasser une liasse de papiers, le Français haussa les épaules.

— Possible, mais ce n’est pas une certitude, grommela-t-il sans conviction. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, j’ai à faire.

Tout en parlant, il rangea les documents dans le premier tiroir de son bureau et se leva de sa chaise. Une expression scandalisée sur le visage, Keina l’observa sortir de la pièce sans même faire attention à elle. Elle se leva à son tour, prit son manteau à la hâte et courut à sa suite.

— Tu en sais plus et tu ne veux rien me dire ! Pourquoi ?

Elle surgit dans le vestibule, passa comme une furie devant Anthème qui ne s’en émut guère et bloqua la porte au moment où Pierre s’apprêtait à la franchir. Il prit une mine gênée et se passa la langue sur ses lèvres fines.

— Voyons. Je ne suis pas aveugle, je sais pertinemment que je ne rivaliserai jamais avec ce satané silfe, et que ton cœur lui est déjà acquis. (Keina entama une protestation vite étouffée.) Mais Luni est mon ami, avant tout. Et s’il n’a pas jugé bon de te parler de sa mission ou de son… passé, je ne le trahirai pour rien au monde. Je lui dois trop pour ça. Est-ce suffisamment clair ?

— Limpide, répondit la silfine face à lui.

De mauvaise grâce, elle s’écarta de l’encadrement et, bras croisés, le regarda s’éloigner dans le couloir, tandis que le domestique refermait la porte dans son dos. Elle avait encore fait chou blanc, et cette atmosphère de secrets lui portait déjà sur les nerfs.

 

*

 

La journée s’écoula sans qu’elle ne vît Luni ou ses compagnons de voyage. Après s’être vêtue pour la circonstance, elle dîna en compagnie de Lynn, qui se montra préoccupée, mais fit le nécessaire pour alimenter la conversation sur un autre sujet. Tout en remuant le contenu de son assiette, Keina l’écoutait parler d’une oreille distraite, lorsqu’un appel télépathique investit son esprit par surprise. On la demandait immédiatement dans le bureau de la Reine.

Elle s’excusa auprès de la blonde et se leva avec précipitation. Cette dernière lui renvoya un regard inquiet qui remplit d’affection le cœur de Keina. Après tout, Lynn restait la même, une amie fidèle, pétillante et complice en toute occasion. Après l’avoir rassurée d’un sourire, la silfine se promit de lui parler d’Atalante un jour prochain. Qui savait pour quelle raison sa soeur lui en voulait tant ? L’ancienne rebelle ne s’était pas montrée particulièrement bavarde…

Elle emprunta le cercle de transport le plus proche et se matérialisa dans la galerie royale. Ce n’était pas son premier passage en ces lieux, et elle ne s’attarda pas sur la magnificence des tentures ou la majesté du plafond. L’un des murs, percé d’étroites fenêtres, laissait entrer la clarté de la lune, qui s'associait à l’éclairage artificiel pour engendrer une pénombre feutrée. Un bureau soigneusement rangé siégeait dans un angle, entre deux portes ouvragées. Derrière celui-ci, un alf, barbu et gonflé comme une barrique, l’accueillit avec sobriété.

— Mademoiselle Silfine, s’il vous plaît de me suivre… La Reine m’a prié de vous amener auprès d’elle.

En prononçant ces mots, il se leva de son auguste fauteuil et se dirigea à pas sautillants vers la silfine, qui n’avait pas bougé.

— Elle n’est donc pas dans son bureau ? parvint-elle simplement à répondre, trop étonnée pour réagir.

Sans daigner l’informer davantage, l’alf s’engagea dans le cercle de transport à ses côtés et murmura un mot qu’elle ne comprit pas. Le mascaret d’eau tiède l’emporta à nouveau, et une seconde plus tard ils débarquèrent dans un couloir qui lui était inconnu.

Elle suivit son guide avec une incertitude mêlée de curiosité. Où donc la Reine la convoquait-elle ? Ils passèrent un seuil, franchirent une antichambre et s’arrêtèrent devant une porte massive, ornée d’entrelacs d’ivoire et d’ébène. Au centre, la poignée figurait un loup et une panthère dont les museaux se touchaient. Le cœur de la silfine se mit à battre plus fort. Était-ce… ?

Elle eut à peine le temps de formuler intérieurement son hypothèse que la porte s’entrouvrit dans un grincement, révélant une raie de lumière. L’alf la poussa d’un geste ferme et entra dans la pièce, suivi d’une Keina aux jambes flageolantes.

Le cabinet des Onze… Le cœur du Royaume.

Rares étaient les privilégiés à l’avoir jamais vu. D’ordinaire, seules les Reines avaient l’autorisation de pénétrer dans son enceinte.

Les murs convexes diffusaient une douce luminosité de jade qui accordait au mobilier sommaire une aura de féerie. Au-dessus d’elle, un dôme de verre donnant sur la nuit lui renvoya son reflet déconcerté. Derrière une table de pierre arrondie en croissant de lune, les Onze Mages, les éminences grises du Royaume, présidaient la séance. Keina retint aussitôt une exclamation : au centre sommeillait le vieillard qu’elle avait croisé plus tôt dans la matinée ! Sa mémoire, qui lui avait fait défaut alors, le resitua aussitôt. À l’instar les dix autres, elle l’avait vu lors du couronnement des Reines et en avait gardé une marque indélébile, comme l’empreinte d’une photographie, sur son cœur. Il était là, au centre, Mirddin au regard perçant et sa belle et éternelle compagne Vivlain. À sa gauche, Maedb la guerrière, la ténébreuse Circé, Sonkôshi le roi des singes et Loki le facétieux, sur sa droite Auberon, Nang-faa la fée-oiseau au plumage multicolore, l’aimable Babouchka et Hermès aux pieds ailés, tandis qu’au-dessus de l’assemblée voletait la petite fée Mab tout droit sortie du Songe d’une nuit d’été.

C’était ainsi que Cinni, à ses côtés, les avait nommés alors qu’elle n’avait que trois ans. Plus tard, elle n’avait pas osé lui demander s’il ne s’agissait que d’identités d’emprunt, de commodes pseudonymes, ou s’ils étaient réellement les personnages légendaires que leur nom impliquait. À cet instant, alors qu’elle les découvrait dans la lumière douce du cabinet, la question surgit à la surface de son esprit. Puis quelqu’un prit la parole à sa gauche, et elle sursauta.

— Vous voilà enfin. Je te remercie, Moko.

L’alf hocha la tête et s’éloigna à reculons, refermant la porte sur lui. Enfin, la silfine découvrit l’assemblée qui l’encerclait. Celle qui venait de parler d’une voix calme et inflexible n’était autre qu’Aëlle, la Reine Blanche. La Reine Noire patientait dans un angle, tandis que Luni et Olga investissaient le mur opposé avec deux anonymes, une petite femme maigre aux cheveux noirs enserrés dans une résille et un garçon élancé, dont le regard sombre, empli de haine, la foudroya. Derrière elle, postée à côté de la porte, Atalante se tenait droite, grave et silencieuse dans un costume gris ardoise.

Keina leva un sourcil. L’association de toutes ces personnes en ce lieu lui sembla tout à coup incongrue, presque anormale. Et que faisait-elle au milieu d’eux ? Le vieillard – Mage, corrigea-t-elle en pensée – au centre de la table parut s’éveiller et se mit à parler, de la même voix légèrement éraillée qui l’avait apostrophée sur la colline.

— Bien. Après cette courte pause, nous sommes en mesure de poursuivre nos palabres. Fiodor, répondez-nous à présent. Connaissez-vous la silfine ?

— Allez au diable ! Je ne dirai rien de plus ! cracha le garçon.

Du russe. Keina laissa les paroles dériver un instant dans son esprit avant que sa magie ne lui en traduise le sens. La femme aux cheveux charbonneux se plaça devant lui et, sans souffler mot, lui frappa la joue avec ardeur.

— Votre faconde nous impressionne, ricana le nain au visage difforme.

Mais  au même moment, Vivlain se leva, ses boucles dorées éparpillées sur ses épaules.

— Parle, Fiodor, ou tais-toi à jamais. (Sa voix n'incluait ni injonction, ni animosité. Elle parlait comme on fredonne une berceuse, et pourtant nul à cet instant n’aurait osé l’interrompre.) Tu es entré en contact avec Nephir. Tu lui as parlé. Que t’a-t-elle dit au sujet de Keina ? Que t’a-t-elle enseigné ?

Un sourire sans joie étira les lèvres du jeune Fiodor. Quel âge pouvait-il avoir ? Seize, dix-sept ans ? Son regard semblait si vieux…

— Ce qu’elle m’a enseigné ? À vous haïr, vous, les Mages, les Silfes mes semblables, et ce Royaume qui  n’a pas voulu de ma mère ! À vous haïr de toutes mes forces, de toute mon âme. Elle est entrée dans mes cauchemars, m’a forcé à contempler ce qu’ils contenaient. Et savez-vous ce que j’y ai vu ? (Il se tourna vers Luni.) Vous, les Silfes ! Si beaux, si nobles, si parfaits ! Les héritiers des Elfes et de leur sagesse éternelle ! Les Maîtres du Royaume Caché ! Ha ! Vous êtes la gangrène du Royaume, pourris par votre orgueil, croupissant dans la fange de vos illusions et de vos coutumes absurdes ! Vous n’êtes qu’une anomalie. Le Royaume n’est qu’une anomalie, et Nephir ne cherche qu’à restaurer l’ordre des univers. Et vous le savez ! Et c’est pour cela que vous cherchez à lui nuire ! Car l’ordre rétabli, le plurivers n’aura plus besoin de vous, et l’Avaleur de Mémoire régnera sur les mondes !

Abasourdie par la situation, Keina regarda l’adolescent déverser d’une voix froide, contenue, sa rancune envers les Mages, les Silfes et le monde entier. Elle était suffisamment intelligente pour comprendre que la femme à ses côtés, rougissant de honte et de désarroi, était sa mère, et aussi pour établir le lien avec la rebelle dont lui avait parlé Pierre.

Elle coula un regard vers Luni, s’attendant à le voir indigné par les insultes qu’on assénait à son Royaume et à son peuple, mais le trouva au contraire nerveux, les yeux détournés sur le derby qu’il tenait entre ses mains. Cette vision lui fit l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. Son attention se reporta sur les Onze, qui n’avaient pas bougé.

Un court silence s’installa, puis Maedb prit la parole.

— Bien, il semble évident que nous n’obtiendrons rien de plus. Passons donc à autre chose. Keina, nous vous avons convoquée pour décider de votre avenir. Il est maintenant admis que Nephir possède le moyen de faire passer un message d’un monde à l’autre, et qu’elle désire votre capture. Ceci est intolérable et nous prendrons les mesures qui s’imposent. Votre retrait au sein du Royaume me semble impératif. Il est dorénavant hors de question que vous fassiez partie du service actif ; nous nous devons de vous protéger.

Le cœur de la silfine bondit à cette annonce. Quoi ! On voulait l’évincer du service actif, la reléguer dans ses appartements pour qu’elle y attende bien sagement son destin ? Elle ouvrit la bouche pour protester, mais une voix s’éleva dans son dos.

— Vous souvenez-vous de ce que je vous ai dit ? Keina n’est pas en sécurité au Royaume ! Une créature s’en est prise à elle à plusieurs reprises ! Et croyez-vous que le suicide d’Anna-Maria soit une coïncidence, au moment où Nephir se manifeste à nouveau ?

Keina adressa un sourire mutin à Atalante, qui venait de la défendre avec force. Mais Circé proféra d’une voix aiguë quelques mots désobligeants qui discréditèrent aussitôt l’ex-rebelle. Une partie de l’assemblée émit des pouffements discrets. La silfine sentit à nouveau le regard lourd de Fiodor se poser sur elle, et s’efforça de l’éviter comme elle pouvait. De son côté, Luni esquivait constamment ses fréquents coups d’œil, ce qui n’arrangeait pas sa détresse. 

— Allons, allons, tempéra la sage voix de Mirddin. Nous ne sommes pas assemblés ici pour vilipender quiconque. Nephir est une menace, où que ce soit. Jadis nous l’avons appris à nos dépens. Keina n’est plus une enfant. (Il posa son regard clair sur elle, comme pour lui rappeler le moment qu’ils avaient partagé ensemble.) Si elle sait se défendre au sein du Royaume, alors elle saura se défendre au-dehors. Je n’apprécie guère l’idée d’entraver sa liberté.

Un brouhaha s’éleva aussitôt entre les Onze et les deux Reines, qui, comme d’ordinaire, étaient en désaccord. Aëlle, avec qui Keina avait déjà eu plusieurs entretiens, défendait froidement son droit à sortir du Royaume, tandis que Tamara se dressait contre cette idée.

Atalante se mordait les lèvres, soucieuse, mais restait coite. Quant à la duchesse, elle s’était approchée de la mère et lui parlait à mi-voix, une main placée sur son épaule. Son interlocutrice hocha timidement la tête et lui répondit sur le même ton. Keina se tourna ensuite vers Fiodor, et le sourire triomphant qu’il affichait à cet instant lui glaça le sang.

L’iceberg. L’iceberg flottait autour de lui, plus imposant que jamais. Elle n’était pas loin.

Confuse, elle sentit ses jambes se dérober sous son poids. Deux bras se portèrent à son secours, enlaçant sa fine taille pour la soutenir. Elle reconnut le souffle chaud dans son cou, et son cœur se mit à battre la cavalcade. 

— Je suis là, murmura la voix étranglée de Luni à son oreille. Je suis là, tout va bien.

Non, ça n’allait pas. Ça n’allait pas du tout. Elle s’était promis de ne plus brûler d’amour pour lui, de rester froide à son contact, mais pourquoi n’arrivait-elle à raisonner son cœur ? Elle tenta de se dégager, désireuse de s’éloigner de lui. À cet instant, Auberon éleva la voix pour s’adresser au silfe, qui s’écarta aussitôt de Keina. Elle expira tout l’air de ses poumons, infiniment reconnaissante envers le Mage.

— Luni, qu’en penses-tu ? Mises à part Atalante et Domenika ici présentes, tu es celui qui connaît le mieux Nephir et son esprit foutrement tordu. Tu as fait la guerre, hein ? Alors, est-elle supposée s’en prendre à Keina au Royaume ? Nous savons que par le passé elle a déjà réussi à… (Un raclement de gorge de Vivlain le fit soudain taire.) Bref. Donne-nous ton avis, s’il te plaît.

L’assemblée se tut et tourna son attention sur le silfe, qui triturait les bords de son chapeau, plus indécis que jamais. Keina vit le regard que lui lança Fiodor, et un frisson gelé remonta le long de sa colonne vertébrale. Pouvait-on haïr à ce point ?

Luni ouvrit la bouche, mais le derby s’échappa de ses mains et tomba dans un bruit mat. Il s’excusa, le ramassa prestement et se redressa enfin face aux Onze.

— Je pense… (Il déglutit et jeta un œil de biais vers Keina.) Je pense que Maedb a raison. (Un hoquet involontaire s’échappa de la silfine tandis qu’il poursuivait.) Vous vous trompez, Auberon, je ne connais rien de Nephir. Atalante seule peut se targuer d’avoir vu la profondeur de sa folie. (Il se tourna vers elle.) Ma sœur, je te suis obligé de prends à cœur les intérêts de Keina, mais je soupçonne tous ces… événements de n’être qu’un piège destiné à l’éloigner du Royaume. Souvenez-vous ! Ça s’est déjà produit, et aujourd’hui encore, nous ignorons par quel miracle nous nous sommes extirpés des griffes de la sorcière. Pendant treize ans, Keina a trouvé la sécurité auprès d’une famille londonienne, mais aujourd’hui, c’est au Royaume qu’elle est le plus en sûreté !

Tandis qu’il parlait, la colère s’était accrue sur le visage de la silfine, et des volutes de magie outremer s’échappèrent de ses phalanges serrées. Elle entrouvrit les lèvres, lasse de rester dans ce cabinet sans rien dire, comme un objet rare qu’on aurait soumis à l’étude.

— Luni ! (Elle se retourna ; l’exclamation venait d’Atalante.) Comment peux-tu prendre de telles décisions à sa place ? Keina est adulte, elle devrait pouvoir être consultée, non ? Elle se sent en danger ici ! Elle me l’a dit !

— Elle ne connaît pas les pouvoirs de Nephir ! s’emporta le silfe envers sa sœur. Lani, je ne t’accuse pas, mais tu n’es pas en possession de juger…

Taisez-vous !

Les paupières closes, Keina sentit pourtant toutes les attentions se porter sur elle. Elle avait hurlé aussi fort que ses poumons lui permettaient. Le busc de son corset comprimait son ventre et une transpiration moite dégringolait de sa nuque jusqu’à la naissance de sa tournure. Elle rouvrit ses yeux embués et  les riva sur Mirddin, qui la contemplait avec une lueur amusée au fond des pupilles.

— Bien. (Sa voix chevrotait plus qu’elle ne l’aurait voulu. Elle prit une seconde pour apaiser son souffle.) Puisque les Onze, pour une raison que j’ignore, se soucient de ma sécurité, je me soumettrai à leur sentence, et à la leur uniquement.

Elle fit une révérence mesurée pour appuyer son propos et redressa un menton farouche vers le Mage au centre de la table, qui lui retourna un signe de tête.

— Keina, je te remercie de ta sagesse. Cette marque de confiance a un prix, qui sera acquitté en temps voulu. Eu égard à ta bonne volonté, j’en appelle à l’indulgence de mes coopérateurs. La journée fut longue et les discussions harassantes. Nephir n’agira pas dans l’heure ; laissons-nous le temps de la décision. Je congédie dès à présent l’assemblée ! Domenika et son fils resteront néanmoins avec nous, puisque nous n’avons pas encore statué de leur sort. Je requiers également la présence d’Olga Filipovna, qui a été un précieux atout dans cette affaire. Les autres peuvent regagner leurs appartements. Demain sera un autre jour.

La voix du vieux Mage ne supportait aucune réplique, et ses dix acolytes acquiescèrent sans renâcler. Les deux Reines passèrent le seuil en premier, après avoir présenté les hommages devant leurs maîtres et conseillers. Atalante leur emboîta le pas, suivie de Luni, qui prit au passage le bras de Keina et l’emmena avec lui. Tandis qu’ils quittaient l’endroit, elle tordit la tête et accrocha le regard de Fiodor. Nephir t’attend, lut-elle dans ses yeux noirs, comme s’il le lui avait hurlé en pleine face. Toi et les tiens n’êtes plus en sécurité…

Elle se détourna prestement, entraînée par le silfe.

Avec un claquement sec, l’huis se referma dans son dos. Elle se trouvait à nouveau dans l’antichambre de ce cabinet aux mille secrets, et n’éprouvait aucune joie à l’idée d’en avoir franchi la porte. Au moins Mirddin avait-il compris son trouble, et lui avait laissé un répit, afin de remettre de l’ordre dans ses idées. Elle le remercia en esprit. Tandis que les autres empruntaient la sortie en silence, Luni se tourna vers elle, embarrassé.

— Nana, pourrions-nous…

Un homme s’introduisit dans la pièce et l’interrompit, passablement furieux.

— Luni ! Qu’apprends-je ? Un Haut Conseil s’est tenu sans moi ? Qu’avez-vous décidé au sujet de… (Il s’arrêta à son tour en reconnaissant la silfine.) Keina ? Vous y avez donc assisté ? Comment ? Luni, les Onze lui ont permis d’y assister ?

— Je suis ravie de vous revoir, Erich, et touchée de votre sollicitude, répondit la silfine sur un ton moqueur. 

Que faisait-il ici ? N’était-il pas censé être en mission ?

Comme s’il avait lu ses pensées, Luni posa la même question, et reçut en retour un grommellement gêné, où se mêlaient un départ différé, une mission déléguée et quelques affaires urgentes à régler au Royaume, avec l’autorisation de Dame Aëlle. Puis Erich s’empara de l’épaule du silfe et le mena sans ménagement vers le couloir, l’entretenant à voix basse de confidences graves.

Keina expira lourdement et les suivit d’un pas las. Elle ignorait si elle devait se montrer en colère contre Erich, ou reconnaissante de lui avoir évité une confrontation houleuse avec Luni. La fatigue commençait à envahir son cerveau, et il lui devenait de plus en plus difficile de réfléchir correctement. Elle les laissa entrer dans le cercle de transport, puis s’y engagea à son tour en songeant très fort à son appartement. À l’instant où le tourbillon de magie l’environnait, un message télépathique lui parvint :

« Attends-moi ce soir. Je viens dès que je peux. »

Elle ferma les yeux, incapable de répondre, et se laissa emporter par le flot enchanté.

 

*

 

De retour chez elle, elle s’empressa de se débarrasser de tout ce qui l’entravait : robe, jupons, faux cul, corset et cache-corset, broches, épingles, rubans… Puis, vêtue d’une longue chemise de batiste ceinte à la taille, elle s’installa devant une coiffeuse et se mit à peigner sa chevelure châtain, doucement, comme sous hypnose, tandis que les démêlures tombaient sur le parquet. Enfin elle s’enveloppa d’un grand châle, regagna son salon, se versa un verre d’eau de vie – indispensable si elle devait affronter Luni plus tard – et noya son corps fourbu dans une ottomane aux tons crémeux. Il lui semblait que chacun de ses gestes était exécuté par une autre elle-même. Elle se passa une main sur le front et laissa une gorgée d’alcool enflammer son gosier, tandis que les pensées se bousculaient en elle.

Allait-on la confiner au Royaume, lui octroyer un mari ennuyeux, la laisser occuper ses journées à de futiles coquetteries, à l’instar de Lynn ou de Maria ? Elle s’y refusait fermement. Au pire quémanderait-elle un emploi auprès de la Reine. Peut-être lui serait-il possible d’éduquer des enfants, de leur enseigner l’histoire ou la littérature ? Non, non, non ! Pas après avoir goûté à la chaleur d’un combat, s’être enivrée des infinies possibilités de la magie ! Pas après avoir appris à manipuler l’espace, la matière, les éléments ! Peu importaient les obstacles !

Comme pour lui donner raison, un filament d’émeraude s’éleva du creux de sa paume pour former un point d’interrogation en suspens devant elle. Elle contempla quelques instants cette matérialisation du désordre de sa vie, attendant peut-être que la magie lui offre la réponse qu’elle espérait. À la place, on toqua à la porte de son appartement. D’un mouvement bref elle dissipa le glyphe, repositionna son châle sur les épaules et se leva pour ouvrir.

 

Il se tenait face à elle, plus beau que jamais. Mèches blondes en bataille, gilet déboutonné et melon dans une main, il n’avait jamais paru aussi désemparé à la silfine.

— Nana !

D’un signe de tête, elle l’invita à entrer et négocia un écart pour éviter l'étreinte qu’il s’apprêtait à lui donner. Il soupira et posa son chapeau sur un guéridon.

Elle ne voulait pas entamer la conversation la première. Trop de ressentiments, trop de colère, et son cœur s’apprêtait à exploser. Elle attendit calmement qu’il s’installe sur un fauteuil, lui proposa d’une voix distante un verre de brandy qu’il accepta sans broncher, et reprit sa place sur le divan.

Le silence se fit pesant. Enfin, Luni se mit à parler avec véhémence.

— Nana, tout à l’heure je… je ne voulais pas te blesser, ou restreindre ton indépendance ! Je suis navré de t’avoir mise hors de toi. Mais je maintiens ma position, tu n’es pas en sécurité à l’extérieur et je préfère te savoir…

— Il ne s’agit pas de ça, l’interrompit-elle avec véhémence, avant de reprendre d’une voix plus détachée : Ainsi, Domenika est une ancienne rebelle ? A-t-elle réellement repris contact avec Nephir ?

— Elle, non, répondit le silfe. Elle a vite compris après la guerre à quel point Alderick se fourvoyait au sujet de sa fille. Mais… son fils… Fiodor… (Il déglutit, cherchant ses mots.) Malgré l’attention de la duchesse Olga Filipovna, Fiodor a toujours été très perturbé. Nephir… On ignore comment, après toutes ces années, elle est parvenue à prendre contact avec lui. Nous la surveillons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et si nous n’avions pas relâché notre vigilance auprès de Fiodor, peut-être…

— Nephir me surveille, Luni ! Je le sais ! Je le sens ! Anna-Maria me l’a dit ! Et il y a cet alf qui me pourchasse…

— Et si c’était un leurre ? Nephir peut beaucoup de choses, nous le savons, mais elle ne peut pas t’atteindre dans le Royaume !

— Qu’en sais-tu ? Pourquoi ne pas la mettre hors d’état de nuire, une bonne fois pour toutes ? Il est évident qu’elle poursuit ses intrigues, non ? (Elle se leva, agitée.) Pourquoi, après la guerre, ne pas l’avoir tout simplement…

— Tuée ? termina le silfe calmement, son verre de brandy entre ses mains. Car c’est ainsi que sont traités les criminels dans la civilisation des hommes, n’est-ce pas ? Mais au Royaume, nous ne condamnons pas à mort, Keina.

Les deux mains sur les hanches, la silfine contempla son invité, des flammes dans les yeux. Elle s’efforça de s’adoucir.

— D’accord. D’accord ! J’ai lu Platon, Hobbes et Hugo, et je me suis fait mon opinion sur le sujet. « Hanged, drawn and quartered » ne me paraît pas la plus admirable des inventions anglaises. Mais Domenika aurait pu rester au Royaume, sous surveillance, comme Atalante ! Pourquoi certains ont-ils été bannis, et d’autres non ?

  — Rester au Royaume est une récompense, pas une punition. Atalante nous a aidés, et malgré tout ce qu’elle a fait… les Onze ont jugé bon de lui accorder cette grâce. 

D’une gorgée, la silfine termina sa liqueur et la reposa sur le bord de la cheminée. L’alcool embrasait sa gorge et emmitouflait son crâne dans un nuage de coton. Elle fit volte-face, dos aux flammes de l’âtre qui réchauffaient son âme.

— Une grâce ! Elle vit en recluse, au bord de la falaise ! Méprisée des siens, bannie de sa propre famille ! Elle a trahi son peuple, bien ! Mais quel sort est-il le plus enviable ? Le sien, ou celui de Domenika ?

D’un bond, Luni fut face à elle, des éclats de rage dans ses iris bleus.

— Je refuse de parler d’Atalante ! Je me moque de ce qu’elle a bien pu te dire lorsque tu l’as vue. Je me moque de ce que tu peux penser d’elle, de moi ou de Lynn. Tu ne sais rien, tu n’as aucun droit de nous juger !

— Préfères-tu que nous parlions de ma mère ? s’écria Keina sur un ton de défi qui déstabilisa le silfe et le fit reculer de quelques pas.

— Ta mère ? Je ne comprends pas…

Les larmes inondèrent les pupilles de la silfine.

— Oui, ma mère ! Celle que tu vois quand tu me contemples ! Celle à qui tu penses quand tu murmures mon nom ! Celle que tu as aimée lorsque mon corps s’est uni au tien !

Interdit, Luni se laissa retomber dans son fauteuil et porta le verre de brandy à ses lèvres. Un silence, puis il reprit avec douceur :

— Alors… c’est ce que tu penses ? J’étais tellement sûr… que Pierre t’avait parlé de Fiodor… que c’était ce qui te rendait si froide !

Keina revint lentement sur l’ottomane, les joues rougies et les idées embrouillées par les larmes et la fatigue. L’atmosphère s’était apaisée. Les seules rumeurs du logis venaient du crépitement du feu, qu’un alf domestique avait allumé dans la journée et dont la lueur diffuse s’unissait à l’aura des luminaires. Les yeux fixés sur le dos de ses mains, honteuse de pleurer devant son ami, elle continua d’une voix confuse.

— N’est-ce pas la vérité ? Tu es si distant par moment, si lointain avec moi… comme si je n’étais qu’un souvenir, la réminiscence d’un amour perdu…

— Nana… (Il se leva et vint s’accroupir face à la silfine, ses mains posées sur les siennes.) Akrista et Katlayielde étaient mes meilleurs amis. Jamais… Jamais je n’aurais songé à me mettre entre ces deux-là ! J’ai eu de nombreuses maîtresses, Keina, mais Akrista… je l’aimais comme une sœur, crois-moi, rien de plus. Et aujourd’hui… aujourd’hui je n’aime que toi.

Elle remonta les yeux sur lui pour y quérir la vérité. Il semblait sincère. Il l’aimait… Il n’aimait qu’elle… Alors que signifiait cette absence dans son regard ? Non… Ça n’avait aucun sens.

Elle cherchait une réponse avisée lorsque, sans crier gare, les précédents mots du silfe s’affichèrent au premier plan de son cerveau. Elle fronça les sourcils, interloquée.

— Fiodor ? Tu parles du fils de Domenika ? Ce gamin m’a donné froid dans le dos, mais quel est le rapport ?

Luni se releva, gêné. Il parcourut la pièce du regard, s’attacha à la pendule de cheminée qui affichait neuf heures, et passa une main nerveuse derrière sa nuque. La silfine comprit qu’elle touchait là un sujet sensible. Sensible à quel point ?

— Eh bien, j’imagine… j’imagine qu’il me fallait t’en parler un jour ou l’autre. Fiodor… est mon fils.

La révélation anima son esprit avec plus de promptitude qu’un réveille-matin.

— Ton… fils ? Mais, n’est-il pas humain ?

Elle se mordit une lèvre, ennuyée de n’avoir rien trouvé de plus pertinent à ajouter.

— Domenika est une silfine, tu l’ignorais ? Une cousine de Maria, au deuxième degré. Par conséquent, Fiodor est un silfe, lui aussi. Il a seize ans, tout juste. (Il se mit à parcourir le salon d’un pas vif, monologuant sur un ton saccadé.) Quand Domenika a été bannie, je n’ai pas été tout de suite en charge de sa surveillance. Ce n’est que trois ans plus tard que… que nous sommes devenus proches. Puis j’ai dû repartir au Royaume et… je ne l’ai pas su immédiatement. Mais Olga s’est portée à son secours et l’a prise sous son aile. Elle l’a pourvue d’une dot, lui a trouvé un mari respectable et peu regardant – un petit clerc je crois, décédé depuis lors – et l’a installée à Saint Petersbourg, non loin du palais où elle séjournait à l’époque. Et quand j’ai appris… Il était trop tard, Domenika menait une nouvelle vie et n’avait plus besoin de moi. Maintenant tu comprends peut-être pourquoi Fiodor me déteste, plus encore que le reste de son peuple. 

— Ton fils. (Keina se mit à rire, doucement.) Et moi qui imaginais qu’Olga et toi… (Elle redressa le menton, contrariée.) Ne me dis pas qu’il y a aussi une histoire entre vous !

Luni émit un rire nerveux.

— Non, rassure-toi, Olga n’est qu’une amie. De toi à moi, je n’ai pas les… bons attributs pour lui plaire.

— Oh. Oh !

Elle se tut, songeant à la petite femme aux cheveux de jais qu’elle avait croisée dans le cabinet des Onze, à son visage creusé, à ses yeux fatigués. L’avait-il aimée ? Elle différait singulièrement des demoiselles affriolantes qu’il courtisait lorsqu’elle était enfant. L’aimait-il encore ? Impossible…

— Nana ! Je t’en supplie, dis quelque chose !

Elle haussa le menton vers lui. Debout face à elle, les bras ballants sur les côtés, il n’avait plus rien du chevalier, fin bretteur et grand stratège qu’elle idéalisait autrefois. Il pleurait. Keina mit un temps avant de s’en rendre compte, car les ombres cachaient une partie de ses traits, mais un pan de lumière révéla ses joues striées de larmes, et son cœur se serra. Elle se leva, avec la ferme intention de le prendre dans ses bras et de le bercer, juste comme ça. Il pleurait en la contemplant, et elle se sentit petite fille perdue dans la chemise blanche qui tombait sur ses pieds nus. Il pleurait comme on pleure… une morte, encore !

Elle se figea dans son élan.

Alors, c’était ça.

Soudain il lui sembla qu’elle s’éveillait dans une eau trouble, épaisse. Autour d’elle, tout n’était que ténèbres, fraîcheur et néant. Elle voulait ouvrir la bouche pour hurler, mais aucun son ne sortait. Il n’y avait qu’elle… et l’iceberg.

Elle avala sa salive pour dissiper le malaise de son esprit.

— Tu sais, dit-elle d’une voix mal assurée.

Luni haussa les sourcils, perplexe.

— Tu sais que je vais mourir. Non, pire encore : tu me considères comme déjà morte… Qui te l’a dit ? Qui ?

— Tes parents… Ils le savaient aussi. À cause de Nephir. Mais, Nana, je…

 — Alors c’est ça, n’est-ce pas ? Tu ne m’aimes pas, tu as pitié de moi.

Il passa une main dans ses cheveux paille, la confusion de ses pensées se reflétant sur son visage et dans ses gestes.

— Non. Non ! Ce n’est pas ce que tu crois, ce n’est pas…

Le désarroi laissa place à de l’irritation, mais une nouvelle fois il fut interrompu.

— Tu penses que mon destin est scellé, peu importe ce que je peux faire, ou dire ! Pour toi, ça n’a pas d’importance. Une prophétie de plus ou de moins… Mais imagines-tu un instant ce que cela représente pour moi ? Imagines-tu ce que c’est de se savoir en sursis ?

Elle ne parlait plus, elle haletait. Il s’approcha d’elle et la serra contre lui, très fort, comme si elle était destinée à disparaître le lendemain.

— Nana, ce n’est pas… Je ne suis qu’un imbécile, un imbécile ! S’il te plaît, Nana… Je t’aime… Je t’aime depuis l’instant où je t’ai vue… Et je ne veux pas… Je ne veux pas…

Sa voix mourut dans un souffle. D’un seul coup, les idées de Keina se firent limpide. Elle s’écarta de lui, les yeux dans le vague.

— Va-t-en, Luni. Laisse-moi.

L’injonction était ferme. Il lui lança un regard misérable qu’elle s’efforça d’éviter, et recula vers la sortie. Paupières fermées, elle l’entendit s’engager dans le vestibule, récupérer son chapeau et ouvrir la porte de l’appartement. Une seconde encore, et les gonds se refermèrent dans un grincement.

Il était parti. La silfine renifla, et le bruit lui parut incongru dans le silence de l’appartement. Malgré la chaleur du brasier, le froid l’environna. Elle resserra les pans de son châle et se dirigea à petits pas vers sa chambre à coucher.

Il fallait qu’elle se change les idées. Elle s’installa sur son lit et ouvrit le tiroir de sa table de chevet, celui qui contenait les souvenirs qu’elle avait amenés au Royaume. Elle en sortit d’abord une petite liasse, soigneusement reliée, de lettres que Gaétane lui avait envoyées après son mariage. Elle la posa sur le couvre-lit, puis attrapa une photographie qui montrait Gaétane et Amy, la mère et la fille, côtes à côtes en costume de ville, le sourire aux lèvres et des ombrelles au-dessus de leur tête. Un demi-sourire étira le coin de sa bouche ; elle passa une mèche derrière son oreille. Elle se souvenait de cette photographie. Elle n’avait pas assisté à la séance, mais à son retour, Gaétane lui avait confié, toute excitée, que le photographe lui avait fait l’effet d’un sorcier.

Au fond du tiroir, elle remarqua, pliée en quatre, l’affiche du spectacle italien qui avait occupé sa première soirée mondaine durant un inoubliable séjour hivernal sur la côte niçoise. Elle la déplia avec précaution, révélant le titre en gras, La Norma, ainsi que le compositeur, Bellini. Au-dessous, l’illustration exposait au premier plan la druidesse et son amant, derrière lesquels s’opposaient Romains et Gaulois.

Keina caressa du doigt le papier jauni, puis un détail l’arrêta. Quelque chose clochait. Parmi les Gauloises en toge qui encadraient le nom des interprètes, une figure détonnait. À la place du costume théâtral, l’anomalie portait une robe chinoise qui affinait sa silhouette. Et le visage… Keina sentit la peur s’insinuer dans ses veines, investir son cœur et geler son cerveau.

Toi et les tiens n’êtes plus en sécurité, susurra Fiodor à son oreille.

Un visage asiatique, aux traits fins et racés…

Nephir.

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Dragonwing
Posté le 29/12/2010
Euh... ma foi, il s'en passe des choses dans ce chapitre. o_o On sent l'intrigue commencer à se resserrer très sérieusement, et lier les personnages de manière de plus en plus étroite... Et Fiodor qui se tient au milieu de tout ça, et qui semble annoncer les changements encore plus sûrement que la mort d'Anna-Maria. De même pour l'irruption soudaine de tous ces personnages importants, les Reines ET les Onze, ça fait beaucoup d'un coup...
Mais je commence à me demander si Keina ne devient pas l'instrument de son propre malheur, à repousser si fermement Luni alors qu'il tente de s'expliquer. Bien que ça ne doit sûrement pas être simple de prendre pour amant quelqu'un qui ait une conduite si complexe envers elle !
Keina
Posté le 29/12/2010
Oui, oui, ce chapitre amorce clairement un virage ! Les choses se resserrent... et effectivement, les prochaines décisions de Keina vont sceller son destin, dans le pire sens du terme ! Comme tu le dis, à être si têtue, elle devient l'instrument de son propre malheur. Si seulement elle avait écouté Luni qui voulait la garder au Royaume pour la protéger... mais bon, elle doit bien apprendre de ses propres erreurs ! Et puis, tu l'as dit, Luni n'est pas exempt de défauts à n'être pas totalement franc avec elle. Même s'il a peut-être un bonne raison à cela... 
Merci aussi pour cette review. Mine de rien, je commence à avoir bien la pression pour le chapitre 15... ^^
Seja Administratrice
Posté le 26/08/2010
Ou le chapitre qui précipite les choses vers une issue qui est loin d'être favorable à Keina, de ce que je me souviens.<br /><br />J'ai adoré le début et ces descriptions de la forêt automnale. C'est une saison que j'adore et l'ambiance que tu instaures est vraiment superbe. Et la rencontre avec la bestiole de la forêt est intrigante. Mais là, pour le coup, je me souvenais plus que c'était l'un des Onze qui était apparu à Keina. Enfin, on va dire qu'il est loin ce chapitre ^^<br /><br />Mais voilà que Keina tombe sur une étrange expédition en sortant de la forêt. Des prisonniers et Luni :P Elle est mimi la Keina :)) Sauf que la voilà qui est convoquée à cette assemblée avec les Onze. Juste un truc en passant. En quoi la "Babouchka" est-elle un personnage légendaire ? Non, parce que ça veut juste dire "grand-mère" ^^<br /><br />Cette assemblée justement, je me souviens que tu te demandais comment traiter un passage avec autant de personnages sans perdre le lecteur. Je pense que tu t'en es sortie haut la main. On les visualise pas tous, mais c'est finalement pas nécessaire car le principal de l'info, on l'a. Keina n'est pas en sécurité, il faut y remédier, mais où peut-on la planquer pour que Nephir ne la trouve pas ? :P<br /><br />Fiodr est toujours aussi charmant :P Et puis, on découvre que c'est le fils de Luni. Haha. Mais c'est pas la seule révélation de ce chapitre qui semble les cumuler. Car voilà-t-y pas Luni qui avoue enfin à Keina qu'il l'aime et qu'il n'y a jamais rien eu entre lui et Akrista. Chouette. Sauf que Keina comprend enfin d'où venait le fameux regard. Il la considère déjà comme morte. Moins chouette.<br /><br />Bon, forcément, ça doit pas être glop à réaliser. Mais ce pauvre Luni aussi, hein. Aimer une silfine qui est condamnée depuis sa naissance, bah ça doit pas être évident tous les jours. Heureusement que je sais que le côté fleur bleue va finir par étouffer le côté sadique de Keina-l'auteur et qu'ils vont évidemment finir ensemble et tout et tout. Ah, c'est pas ce que tu as prévu ? Mais siii *secoue Keina-l'auteur*
Keina
Posté le 26/08/2010
Merci pour les compliments sur le début... pour chaque nouvelle saison j'ai essayé d'instaurer une ambiance particulière, je suis contente que ça se remarque ! ^^
Concernant Babouchka, c'est la faute à Pierre Dubois :P Je sais que ça veut dire "grand-mère" en russe, mais dans l'Encyclopédie des Fées, c'est aussi une sorte de "mère Noël", qui ressemble à une "Baba russe" et a pour compagnon un Domovoï. Le texte la met en scène dans un genre de conte russe, mais Pierre Dubois brode beaucoup autour des légendes qu'il collecte, donc impossible de savoir d'où c'est tiré... Ah si, il y a cette citation en début d'article : "Petite mère Babouchka, protégez-moi du fouet de Baba Yaga. (T. Kremine, Poèmes de neige)" Je me souviens qu'à l'époque pour le nom j'avais hésité entre elle ou Baba Yaga, mais j'avais besoin d'un personnage plutôt positif. De toute façon les autres noms n'ont pas forcément plus de réalité, ils sont tous tirés des encyclopédies de Pierre Dubois. Ce qui donnerait presque un indice sur ce que sont réellement les Onze... ;)
Oui, une partie des casseroles de Luni se dévoile ici. Déjà son fils... c'était pas forcément prévu à la base, mais de toute façon c'était le moment ou jamais de le faire intervenir. Oui, parce qu'à l'origine je ne savais pas trop quoi faire de ce fils "pas prévu", découvert dans les généalogies des silfes que j'avais constitué à l'époque du lycée. Je ne pouvais pas le supprimer parce qu'il avait un rôle à jouer plus tard, et je ne pouvais pas non plus lui donner une autre ascendance parce que je n'arrivais à le case nulle part ailleurs. Et il fallait absolument que Keina le découvre dans son histoire, sinon ça aurait fait un secret en plus difficile à gérer pour la suite. D'où cette rencontre inopportune... Mais Fiodor évoluera avec le temps, je lui réserve un bel avenir (même s'il détestera toute sa vie Keina et Luni). :)
Et sinon, Luni qui sait que Keina va mourir et prend sur lui... ben oui, ça doit pas être glop. Mais c'est curieux, personne jusqu'à présent ne s'est demandé pourquoi il semblait si sûr de cette fatalité... Ben oui, il y a bien une raison. Et ça pourrait bien être l'ultime secret de Luni. ^^
La Ptite Clo
Posté le 22/08/2010
*secoue Keina-le-personnage dans tous les sens*
MAIS IDIOOOOTE IL T'AIMEUUUUH ! *secoue encore plus*
OK, il a un fils, mais bon, c'était à prévoir hein... On est pas libertin sans en payer le prix. :D Puis bon, ça doit pas être du tout facile d'aimer une fille silfine censée mourir quoi... faut que tu te mettes à sa place, Keina, quoi. Non mais quand même.
Et puis que dire de la fin... Nephir serait à Londres ?! Nephir surveillerait Keina depuis belle lurette ? Sa famille adoptive est-elle en danger ?
Bref. Que de questions... Je me rue sur la suite ! ^^
Keina
Posté le 22/08/2010
Oui, j'aurais dû te prévenir par avance : Keina est une horrible tête de mule. >< C'est pour ça que je disais sur mon journal qu'une petite séparation d'avec Luni, histoire de lui faire comprendre à quel point il lui est indispensable, n'était pas de trop pour l'avancée de l'intrigue amoureuse. 
Et puis, bon, Keina ne se rend pas bien compte de tout ce qu'a pu endurer/endure toujours Luni. Comme tu le dis, aimer quelqu'un dont le sort est décidé ne doit pas être une chose facile, même si ça se voit dans la vraie vie (tiens, ça me fait penser que si j'adaptais cette histoire en romance "réaliste", il faudrait que je donne à Keina une maladie incurable et une très faible espérance de vie... quand on y pense, c'est horrible pour le couple ><). Le fils, c'était pas forcément prévu qu'elle l'apprenne de cette manière-là mais comme il fallait bien qu'elle l'apprenne un jour où l'autre... Comme ça au moins il n'y a plus de petits secrets et de quiproquos entre les deux (enfin... presque), et ils vont peut-être pouvoir apprendre à se faire confiance mutuellement. Une fois que Keina lui aura tout pardonné... C'est pas gagné. ><
Et le voilà, le final qui précipite un peu l'action et qui pousse Keina en plein dans les ennuis... Finalement, elle le méritait peut-être un peu à ce moment précis ! ;) (Même si, bon, j'ai été particulièrement cruelle par la suite et que maintenant ça me pèse un peu de la rendre encore plus déprimée et désespérée)
vefree
Posté le 10/11/2010
Woaa, quel chapitre ! Quelle intensité !
C'est vrai que la conversation entre Keina et Luni occulterait presque le reste, mais quand on pense à l'enterrement d'Anna-Maria, le retour du convoi avec les prisonniers et le retour de Luni, la visite chez Pierre (quel numéro, celui-là !!), la convocation chez les Onze et la rencontre de ses ennemis et la toute fin qui montre à quel point l'œil de Nephir est partout, on ne peut être qu'époustoufflée d'autant d'événements en un rien de temps. Quelle richesse, mazette !
L'instant de détente, c'est Pierre. Ce Français me faire rire. Là, il m'a fait rire en se faisant surprendre avec une lecture incongrue et les pieds sur son bureau.
L'instant triste, c'est l'enterrement, bien sûr. Une reine enterrée dans l'indifférence générale. Ou presque.
L'instant solennel et révélateur, c'est la convocation chez les Onze. Et pour cause, voilà qu'on décide en haut lieu de l'avenir de la jeune Keina en personne, sous les yeux haineux d'un sbire de Nephir dont le passé réserve de sacrées surprises ...
L'instant émotion, c'est bien sûr la conversation entre Luni et Keina. Dès son arrivée au Royaume j'ai senti la divergence et pourtant, j'ai espéré jusqu'au bout qu'ils fassent la paix. Mais, rien. Non, tu n'es pas tombée dans le piège l'amour transi à la Harlequin. Et puis, comment en aurait-il pu être autrement tant les sentiments et les griefs ne sont pas les mêmes entre eux. Pourtant, ils sont beaux, tous les deux. Luni est si poignant à livrer ses larmes devant elle, à lui révéler que cet horrible Fiodor est son fils, à lui apprendre quels étaient ses relations avec sa mère... (ayé ! la question a été lâchée.) J'ai énormément aimé cette scène qui est d'une grande intensité et d'une émotion à couper le souffle. J'étais pendue à leurs lèvres, espérant une parole d'apaisement de l'un ou de l'autre et qu'ils se tombent dans les bras. Rien. Elle ne croit pas à sa sincérité. Pourquoi ? On sent bien qu'il y a encore autre chose qui sort pas et qu'il n'arrive pas à dire. Qu'est-ce que c'est ? En tous cas, c'est suffisamment fort pour que Keina refuse de succomber à ses paroles. Alors, que cache-t-il encore ? Enfin, que n'arrive-t-il pas à lui avouer ? Que contient la mort annoncée de la silfine ? Que signifie-t-elle ?
Bah, bravo, hein ! Voilà un chapitre éminemment dense et fourmillant d'informations et voilà que j'en ressors avec encore plus d'interrogations qu'au début. Chapeau bas ! Belle maîtrise d'intrigue. En plus, ton style s'affirme de plus en plus et tu te lâches dans un vocabulaire recherché, pointu et compliqué. Tu as dû perdre quelques lecteurs dans les pages du dictionnaire, là. Lol !
En tous cas, j'aime. Mais pourquoi je le dis encore ! Tu l'avais déjà compris, n'est-ce-pas ?...
Allez, j'espère à très vite pour le prochain chapitre. Là, Morphée m'appelle dans ses grands bras chaleureux...
Biz Vef' 
Keina
Posté le 10/11/2010
Ah, je suis contente que Pierre t'ait fait rire tout de même ! Ce n'est pas quelqu'un de si... bon, bref, il a ses bons côtés, quoi. :) 
Non, ce n'est pas encore là que Luni et Keina vont se réconcilier, et non, je ne vais pas, à aucun moment, tomber dans le Harlequin. La relation entre Luni et Keina est peuplée d'ombres qui les éloignent l'un de l'autre. Oui, Luni a quelque chose sur le coeur qu'il ne peut pas sortir, pas pour l'instant. Un jour, peut-être... Mais ça suffit pour le moment à gâcher toutes ses chances de la reconquérir. Il est tiraillé entre deux sentiments contradictoires, et ça, Keina le sent bien... 
Mon vocabulaire était plus pointu ? Peut-être. Bon, c'est vrai que j'étais inspirée dans ce chapitre. :) Je pense que le soufflet retombe un peu après ça. Disons que ça amorce un nouveau virage dans l'intrigue... Merci d'avoir lu et apprécié !
Bises
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