22.Aomi

Par Codan

Peon s’étira comme un chat en prenant place à côté d’Aomi. Elle l’analysa de haut en bas.

— T’es dans un sale état, mon pauvre. 

Il lui jeta un regard noir. 

— C’est ta faute. 

Elle avait davantage poussé l’entraînement la veille. Ça l’avait surprise de prendre de plus en plus de plaisir à enseigner la maîtrise de son élément.

— Tu t’améliores. 

Pour toute réponse, il croqua vigoureusement la pomme qu’il avait apportée avec lui. 

— Mala n’est pas encore arrivée ? 

Danaël les avait rejoints, le visage tordu en une moue d’inquiétude. 

— Tu vois bien qu’elle n’est pas là, répondit Peon. 

Le Thaelin s’asseya en silence, le regard slalomant entre la porte de la Tour Sud et la tribune d’honneur. Aomi perçut une certaine gêne, que Peon n’hésita pas à relever :

— T’as l’air encore plus gai que d’habitude, c’est effrayant.

Cette fois, Danaël le foudroya du regard. 

— Mon ami a assassiné son jima, tu crois que je me sens comment ? Imbécile. 

Aomi empêcha à temps le poing de Peon de s’abattre sur leur coéquipier. 

— Son quoi, tu dis ? 

Danaël soupira. 

— Son jima. Il n’y a que moi qui ai des bases sur d’autres cultures que la mienne ? Chez les Alayis, on couple les individus depuis l’enfance avec une personne de l’autre sexe, un jjima. Ils ne connaissent pas la notion du couple comme vous l’entendez chez vous, c’est plus fort.

Danaël s’interrompit, conscient d’avoir trop parlé, soudainement mal à l’aise devant ces deux personnes qui lui étaient encore presque inconnues. 

— Et comment tu sais qu’il était son… 

— Jima. Elle me l’a dit. 

— Vous êtes assez proches… 

Danaël darda sur eux un regard méfiant. 

— Vous aussi. Vous vous entraînez ensemble, apparemment ? 

Peon blêmit et garda le silence. Mala apparut depuis la Tour Sud et, la démarche mal assurée, elle s’avança vers eux. Elle s’installa à côté de Danaël, en même temps que le silence qui l’entourait. Aomi remarqua que les œillades que Danaël lançait à la tribune d’honneur se firent plus fréquentes, jusqu’à ce qu’il la fixe. Elle devina que leur compagnon avait un passif avec ce dieu capricieux et instable qui allait ouvrir la troisième série d’épreuves.

Le héraut de l’empereur pénétra dans la tribune et annonça Lan et son Donneur. 

Étincelant dans ses robes légères et virevoltantes, le maître du vent et de l’été s’installa sur son trône et observa les concurrents restants avec un sourire tellement immense qu’il en était terrifiant. Elle remarqua que Danaël essayait de se faire petit, mais jura que le regard du dieu s’arrêta sur lui quelques longues secondes de plus que sur les autres. 

— Votre prochaine incarnation se trouve parmi eux, mon cher père, n’êtes-vous pas enthousiaste ? 

Le Dieu père, cramponné au bras de son héraut, ne répondit rien et s’installa à son tour. Ses mains s’accrochèrent aux accoudoirs avec une fébrilité visible depuis les gradins : la fatigue ramollissait de plus en plus son corps. 

Lan eut un geste pour Axiliam et l’invita d’un théâtral mouvement de bras à prendre la parole. Le Donneur s’avança et esquissa un sourire bref. Le vent secoua ses boucles blondes et sa tunique gris-bleu. 

— Tout d’abord bravo d’être parvenus jusqu’ici. Vous entrez maintenant dans la troisième série d’épreuves. Nous allons juger de votre intelligence et de votre capacité à réfléchir pour vous sortir des situations difficiles.

Tous attendirent la suite avec une certaine méfiance. Lan était connu pour être le plus farceur et le plus manipulateur des quatre. Ses épreuves enregistraient toujours un grand nombre de défaites. 

Aomi en profita pour observer les autres équipes…. et fut surprise de les trouver toutes complètes. 

Les équipes incomplètes ont été éliminées pendant les duels hier, comprit-elle. 

— Pour cette première épreuve, vous allez devoir faire face à différentes énigmes auxquelles il faudra répondre le plus vite possible pour faire gagner à votre équipe le plus de points. 

Sur l’arène s’avancèrent trois organisateurs armés de sachets de velours blanc à cordons dorés, où de petits papiers avaient été glissés. 

— Vous piocherez tous l’un après l’autre votre énigme et vous ne pourrez sortir tant que vous n’avez pas répondu à toutes celles de votre équipe. 

Ils patientèrent tandis que les noms s'égrenèrent dans la bouche des organisateurs plus rapidement qu’à l’accoutumée. Peon se leva le premier, suivi de Mala, puis Danaël, et Aomi ferma la marche. Elle vit Lan du coin de l’œil se décoller du dossier de son trône et se pencher pour les observer. Elle poursuivit son chemin comme si elle n’avait rien remarqué, plongea la main dans la petite bourse et déplia le papier. 

Qu’est-ce qui augmente toujours et ne diminue jamais ? 

Ils rejoignirent les gradins où ils s’assirent, chacun ayant son papier dans les mains. Les autres équipes s’étaient éparpillées et commençaient déjà à se disputer. Un coup d’œil à la tribune d’honneur informa Aomi que Lan et son Donneur l’avaient quittée. Elle les vit se balader entre les rangs des concurrents, et constata que Danaël s’était tendu. 

— Qu’est-ce que vous avez ? demanda Aomi.

Danaël lui montra son papier. 

Cette chose dévore tout : animaux, arbres, fleurs ; elle ronge le fer, abîme l'acier, mange les pierres. Elle tue les rois, détruit des villes et a raison des montagnes. Quelle est-elle ?

Mala lui lut le sien 

— Je suis immobile durant ma vie et je me promène durant ma mort. Qui suis-je ? 

— Je n'ai jamais été mais je serai toujours. Personne ne peut me voir mais tout le monde sait que j'existe. Que suis-je ? soupira Peon. Il joue à quoi, ce dieu, avec ses devinettes ? 

— Précisément, il joue, lâcha Danaël. Évitons de nous éparpiller et réfléchissons par étape. 

— Je pense avoir la réponse à la mienne, fit Mala en arborant un sourire victorieux sur ses traits fatigués. Une feuille. Une feuille reste accrochée à l’arbre, et tombe lorsqu’elle meurt. Elle est alors balayée par les vents et donc se promène. 

Évidemment, une devinette comme celle-ci donnée à une Alayi… 

— Bien joué, la félicita tout de même Aomi. 

Mala esquissa un sourire presque triste, le regard éteint. Il était étrange de voir la jeune femme, d’habitude pleine de vie, aussi morne. Danaël médita sur la réponse. 

— Une feuille morte. Il doit y avoir un lien dans toutes ces énigmes. Lan ne fait rien au hasard. 

— Alors ? 

Cette voix chantante leur glaça les sangs. Lan s’était penché par-dessus l’épaule de Danaël et ses longues mèches de cheveux lui chatouillaient le visage. Mala osa : 

— Nous avons déjà une… 

Mais le dieu l’ignora. Il approcha son visage du cou de son ancien moine et inspira longuement.

— Ton énergie est différente, mon petit Danaël. Est-ce pour cela que tu ne boites plus ?

— Vous nous déconcentrez, Altesse. 

Peon. Franc, tranchant, incapable de dissimuler les émotions qu’il éprouvait et qui dansaient sur le théâtre de son visage. Cette honnêteté inflexible qui l’habillait plus étroitement qu’un fourreau. Lan esquissa un large sourire satisfait. Aomi fit des gros yeux à Peon pour l’intimer au silence. 

— Eh bien quelle belle équipe nous avons là, susurra le dieu.

Il se redressa et foudroya Peon du regard, tout en gardant ce sourire effrayant. 

— N’oublie pas qui distribue les points, moitié d’Orgoï. 

Peon blêmit, la pomme d’Adam de Danaël tressauta et Mala se figea. Aomi, elle, observa la scène avec autant de détachement qu’elle le put. 

— J’ai également mon mot à dire, Altesse, vous semblez me négliger. 

Danaël baissa le regard vers son papier. Aomi se demanda quelle histoire liait son équipier, le Donneur et le dieu. 

— Jamais, mon beau. 

Lan embrassa son Donneur à pleine bouche, avec une vulgarité qui choqua la Mushadin.

— Ne vous pressez pas, lâcha Lan en s’éloignant, ne soyez pas idiots au point de penser que ce jeu est équitable. 

La mâchoire de Peon se tendit et les lèvres d’Aomi n’étaient plus qu’une simple ligne. 

— Le Dieu père ne le laissera pas faire, rappela Mala. Il veut juste nous déstabiliser. 

Danaël soupira. 

— Tu disais qu’il y a un lien avec toutes ces énigmes, lui rappela Aomi.

— Oui, bredouilla Danaël. Une feuille qui naît au printemps et meurt à l’automne. L’enchaînement des saisons. Le temps qui passe... 

La Mushadin l’interrompit.

— Pause ! Relisons nos énigmes. 

Je n'ai jamais été mais je serai toujours. Personne ne peut me voir mais tout le monde sait que j'existe. Que suis-je ?

Cette chose dévore tout : animaux, arbres, fleurs ; elle ronge le fer, abîme l'acier, mange les pierres. Elle tue les rois, détruit des villes et a raison des montagnes. Quelle est-elle ?

Qu’est-ce qui augmente toujours et ne diminue jamais ?

— Tu as raison, avança Aomi. Le temps. C’est pour ça qu’on est ici, le temps du corps de Maëlan est compté. On doit le remplacer. 

— C’est morbide, commenta Peon. 

— Mais c’est l’humour de Lan. 

Aomi claqua des doigts et pointa le papier de Danaël.

— C’est le temps qui tue les rois et dévore tout, la réponse à ton énigme, c’est le temps ! Tout bêtement ! 

Danaël relut son énigme à voix basse tout en hochant la tête, puis Aomi prit son papier et celui de Mala qu’elle plia ensemble.

— Deux sur quatre. Et cela ne fait même pas une demie heure. 

Ils échangèrent un sourire triomphant. Le tout premier depuis leur rencontre. 

 

L’énigme d’Aomi était tombée peu de temps plus tard : l’âge était la réponse logique et correspondait à la thématique de Lan. Il avait fallu davantage de temps pour décortiquer celle de Peon, plus complexe car un peu plus éloignée des autres : demain. 

Lan n’avait pas rejoint la tribune et, assis dans les gradins, s’amusait à écouter les divagations des concurrents. La tête installée sur l’épaule de son Donneur, il riait et se moquait ouvertement des jeunes gens autour d’eux. D’un puissant coup de vent, il avait déjà renvoyé plusieurs groupes qui s’étaient avancés vers lui et avaient eu le malheur de lui donner de mauvaises réponses.

Quand Lan les vit arriver, il se redressa, un sourire joueur sur ses beaux traits. 

— Oh, mes préférés ! Alors ? 

Peon se redressa et prit la parole le premier. 

 — Mon énigme était la suivante : Je n'ai jamais été mais je serai toujours. Personne ne peut me voir mais tout le monde sait que j'existe. Que suis-je ? Ma réponse est demain. 

Lan haussa le menton, une moue dédaigneuse sur le visage.

— Juste. Mais heureusement que tes compagnons ont compensé ta bêtise naturelle d’Orgoï. Énigme suivante ? 

Mala s’empressa de prendre la place de Peon qui se retenait visiblement de sauter à la gorge du dieu. 

— Je suis immobile durant ma vie et je me promène durant ma mort. Qui suis-je ? Une feuille. 

— Facile pour une sauvage, répondit Lan en plissant le nez. À ton tour, mon petit Danaël ! 

Le jeune homme s’avança. Aomi vit la main qui tenait son papier trembloter.

— Le temps dévore tout, tue les rois, détruit les villes et a raison des montagnes. 

Lan esquissa un sourire satisfait. 

— L’énigme n’est pas complète. 

— Altesse, le rabroua Axiliam. 

Affolé, Danaël lut d’une traite :

— Cette chose dévore tout : animaux, arbres, fleurs ; elle ronge le fer, abîme l'acier, mange les pierres. Elle tue les rois, détruit des villes et a raison des montagnes. Quelle est-elle ?

— Trop tard. 

— Vous exagérez ! 

Lan gifla son Donneur. Son sourire avait disparu, remplacé par une expression de colère.

— Rappelle-toi qui tu es et qui je suis. 

Un vent glacial secoua l’Amphithéâtre. Lan frappa des mains. 

— À toi, Mushadin ! 

Aomi prit soin de répéter son énigme et d’y répondre à la suite. Elle fit de son mieux pour que la colère ne se lise pas sur ses traits. Lan arbora une moue déçue. 

— Toutes vos réponses sont justes, mais pour l’inexactitude de Danaël, je ne vous donne que cinquante points au lieu de quatre-vingts. Vous pouvez disposer. 

— Eh ! Vous êtes… 

Peon. Ce fou de Peon. Danaël l’attrapa avant qu’Aomi ne le fasse et lui bâillonna la bouche des deux mains. Lan, lui, explosa de rire. Pour la première fois de son existence, Aomi eut envie de blasphémer. 

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Isapass
Posté le 30/06/2021
Je suis contente : j'avais trouvé la réponse à l'énigme de Peon et à celle de Danael ! Pour celle d'Aomi, je croyais que c'était le temps aussi, donc je me suis dit que quelque chose n'allait pas XD
Lan est vraiment une pourriture ! Je voyais venir un truc dans le genre, bien injuste, et ça n'a pas raté ! Ce pauvre Danaël n'a pas fini d'en baver pendant les épreuves de Lan...
N'empêche, le dieu sait que Peon est un mêlé, et peut-être qu'il sait pour les autres aussi. Ca fait deux dieu qui savent. Mais comme justement ils montrent qu'ils savent, j'aurais tendance à penser qu'ils ne sont pas à l'origine du complot. Restent Waal et Shaora, mais si j'ai bien compris le personnage, Waal serait plutôt du genre à cramer tout le monde qu'à fomenter des complots. Donc, Shaora ? Ca expliquerait peut-être que Aomi soit la seule de l'équipe à ne pas être mêlée. Sauf qu'elle l'est peut-être et qu'on en sait encore rien...
Super chapitre en tout cas ! Et super histoire, mais vu mes commentaires de fangirl, tu auras déjà compris que j'aimais ;)
Codan
Posté le 18/09/2021
Je me suis amusée avec ces énigmes !
Et avec Lan aussi xD j'adore cet antagoniste, il n'a aucune limite !
Pour les dieux.... hum.... tu vas voir tu vas voir !
Notsil
Posté le 01/04/2021
Coucou !

Oh ce sacré Lan !
J'ai beaucoup aimé les énigmes, et j'avoue je n'ai pas tout deviné avant nos héros :p (bon j'aurais aussi pu prendre le temps de réfléchir mais j'étais trop pressée de savoir la suite ^^).

En tout cas les 4 se rapprochent, c'est bien ! Et j'imagine qu'ils vont bientôt comprendre que tous les 4 sont sang-mêlés. Et le dieu (les dieux ?) semble le sentir, déjà pour Danaël (est-ce qu'il sait ou suppose ?) et pour Peon c'est certain...

J'ai bien aimé que Danaël explique pour le jima, et je pense qu'ils vont peut-être en discuter entre eux aussi (tu as une petite faute de frappe sur un "jima" d'ailleurs, un double j).

Le nombre de points ça doit jouer pour l'affrontement entre les équipes qui auront résolu les énigmes, mais moins de point ça sera un avantage ou un handicap ? A voir.

Lan est un dieu qu'on a envie de détester, en tout cas :p

Très curieuse de la suite :)
Codan
Posté le 03/04/2021
Coucou Notsil !
J'ai mis du temps pour les trouver alors je suis contente qu'on ne les trouve pas de suite quand même xD

Les dieux le supposent, mais comme ils s'en sont rendus compte après avoir "donné" leurs jeunes au dieu-père, ils ont en quelques sortes cédé leurs droits sur eux... donc ils ne peuvent plus faire grand chose...
Les points normalement, ce sont ceux qui ont le moins de points qui vont en élimination ^^

Et ravie que tu détestes Lan xD

Merci de ton passage <3
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