11.Peon - édité

Par Codan
Notes de l’auteur : Tout d'abord, mes plates excuses pour ne pas avoir posté mercredi dernier. J'étais dans la cambrousse, et... bref. Après j'ai oublié de poster à mon retour. Deuxièmement, il va y avoir une petites pause dans la publication, le temps que je retrouve mon rythme dans la vie que je me prépare. Déménagement en perspective ! Je dois aussi relire les chapitres à partir du 12, car on commence à rentrer dans la partie où je suis moins sûre de moi. J'espère que la pause ne durera pas trop longtemps !

Note 2 : je suis en pleine réécriture, et ça a commencé par le chapitre 11 ! Je l'ai modifié / coupé / garni :) Bonne (re?)lecture !

Peon se pencha en avant, les coudes sur les genoux, et plissa les yeux. Il attendait ce moment depuis la veille, lorsqu’il avait vu la parade des guerrières autour de l’Amphithéâtre. Ce n’était pas tout de faire les princesses, il fallait qu’elles montrent ce qu’elles avaient dans le ventre : étaient-ce bien leurs ancêtres qui avaient bâti les grandes cités mushadins, ces oasis de verdure en plein désert hostile ? Étaient-elles capables des miracles qu’on leur attribuait ?  Avec superbe, elle descendirent les marches des gradins pour rejoindre l’arène. Chacun de leur geste était teinté d’arrogance, et elles ne croisaient le regard de personne, comme si aucun d’eux n’en valait la peine. Peon ressentit les relents acides d’une colère difficilement contenue venir lui piquer la gorge. 

Elles n’avaient pas réalisé d’entraînement dans l’arène et c’était donc la première fois qu’elles en foulaient le sol. Leur attitude conquérante annonçait la couleur : elles étaient ici pour gagner.

Peon les observa se placer en quinconce, à une distance d’un mètre entre chacune d’elles. Elles saluèrent, puis gardèrent les yeux rivés sur leur déesse. La belle et glaciale Laosha leva lentement une main lourde de bijoux et au-dessus de ses Filles, un nuage se gonfla et obscurcit le ciel. Les Mushadins prirent à l’unisson une grande bouffée d’air et se mirent en mouvement au moment où la pluie torrentielle tomba. Des exclamations surprises jaillirent de la foule. Le tambour retentit à nouveau, cette fois seul et dans un rythme à trois temps. 

Aucune goutte de pluie ne toucha l’assemblée : les guerrières avaient dompté l’eau en de longs filets entre leurs mains. Les gestes étaient lents, jamais interrompus, et le nuage disparut, comme essoré de tout ce qu’il contenait. Les flûtes rejoignirent le tambour et les Mushadins poussèrent un cri guerrier. Leurs filets d’eau se changèrent en sabres de glace. Elles entamèrent alors une chorégraphie plus énergique, ponctuée par le maniement de leurs armes peu communes, qui au gré de leurs envies se liquéfiaient pour redevenir solides l’instant d’après. Les guerrières faisaient preuve de souplesse et de dynamisme, enchaînant les postures au ras du sol d’où aussitôt elles se relevaient dans un soubresaut. Voir cinquante jeunes femmes exécuter les mêmes mouvements rendaient la scène assez spectaculaire. 

Elles finirent leur danse par un grand écart. Laosha applaudit avec mesure, ce qui les fit se redresser, puis l’assemblée imita la déesse avec un petit laps de retard. Peon applaudit prudemment, encore stupéfait de la démonstration de force et de mesure des Mushadins. Elles étaient puissantes et maîtrisaient leur pouvoir à la perfection, à l’image de leur tenues et coiffures impeccables.

Alors qu’elles regagnaient leur place, Vidal se pencha vers Peon et lui chuchota : 

— Tu crois qu’elles sont aussi féroces au lit ? 

Peon leva les yeux au ciel. 

— Cinquante filles aussi affûtées que des couteaux à dépecer viennent de nous montrer à quelle vitesse elle peuvent nous descendre, et toi tu penses à coucher avec elles ? 

Un beau sourire tendit les traits de son ami. 

— Il faut bien qu’on pense à recharger nos énergies, non ? Autant mêler l’utile à l’agréable. 

Depuis la tribune, le héraut de l’empereur reprit la parole : 

— Maintenant que vous nous avez montré de quoi vous êtes capables, il va falloir composer les équipes. 

Des hommes apparurent depuis les quatres entrées, et Peon reconnut les censeurs de leur arrivée dans leur pelisse ocre et leur pantalon à galons. Il grimaça. Comme lui, les jeunes gens autour de lui n’avaient pas l’air heureux à l’idée de se mêler aux autres.

— À leur appel, vous descendrez sur l’arène pour intégrer les équipes que nous avons formées. 

Peon serra les dents. Il s’était toujours débrouillé seul et vivait mal cette obligation de s’allier avec trois inconnus. Le premier censeur clama un nom orgoï. Une compatriote de Peon regarda autour d’elle, puis se leva avec hésitation qu’elle masqua rapidement derrière une apparente fierté pour dévaler les escaliers. Le second censeur annonça un nom alayi, et un grand garçon la rejoignit rapidement. Le troisième appela un Thaelin, le quatrième une Mushadine. Les quatre jeunes gens se regardèrent en chien de faïence. Les censeurs recommencèrent, et recommencèrent, en accélérant le rythme. 

— Vidal Ioreik ! 

— Mes quelques minutes de gloire ! À plus tard, Krasny !

Fidèle à lui-même, Vidal descendit les escaliers avec sa nonchalance habituelle. Peon le regarda en hochant la tête, et ignora les pincements de son cœur. L’inquiétude germait au creux de sa poitrine au fur et à mesure que les gradins se vidèrent, dans un silence uniquement perturbé par la voix des quatre censeurs. Puis ils ne furent plus que quatre dans les gradins. Il devina sans peine qu’ils formaient la dernière équipe. 

L’équipe des rebuts. 

— Peon Krasny ! 

Sans se démonter, Peon serra les mâchoires et rejoignit la foule présente sur l’arène. 

— Mala, fille de d’Ossia ! 

Peon analysa la de haut en bas la jeune Alayi qui le rejoignit. Comme la majorité de ses comparses, elle avait retiré ses chaussures pendant leur danse et cela lui donnait la démarche tranquille de celle que l’angoisse ne touche jamais. Mais lorsqu’elle s’approcha de lui, son regard fuyant ne mentait pas. 

— Danaël Hugwin !

Le garçon que Peon avait aperçu la veille vint les retrouver. Encore une fois, il nota quelque chose de dérangeant dans sa façon de bouger, comme s’il était blessé : sa jambe droite refusait de se plier. Peon avait cependant remarqué avec curiosité la force de sa maîtrise, et ne savait pas si faire équipe avec lui était une bonne nouvelle ou non. Au contraire de Mala, Danaël affronta son regard avec comme de la colère au fond des prunelles. Peon se sentit obligé de détourner les yeux.

— Aomi Za’i ! 

Avec une élégance et un charisme redoutables, la dernière Mushadin chemina jusqu’à eux. D’instinct, il se reconnut dans ce qu’elle exhalait : elle semblait pleine de l’envie brûlante de se battre. Malgré le masque froid qu’elle affichait, elle irradiait de cette aura hurlant qu’elle existait. Qu’il puisse autant s’identifier à une inconnue, une étrangère, le perturba. Elle le toisa, et il fit de même. 

Leur œuvre terminée, les censeurs rangèrent leur rouleau, saluèrent la tribune d’honneur et sortirent en empruntant l’entrée la plus proche. Le héraut brisa le silence gênant qui s’était installé et clama : 

— Les dieux vous donnent une journée pour apprendre à vous connaître. Vous avez l’autorisation de quitter vos tours et de circuler dans un rayon d’un kilomètre autour de l’Amphithéâtre. Au-delà, l’armée impériale ne pourra plus assurer votre protection. Dès demain commenceront les épreuves de Waal. 

Les quatre dieux élémentaires se levèrent. Peon aperçut la moue dubitative de Waal, et celle clairement agacée de Lan avant qu’ils disparaissent sans plus de cérémonie dans l’escalier qui leur était réservé. L’empereur, le Dieu père, resta quelques minutes de plus à les observer. Peon s’attendait à ce qu’il prenne la parole, mais il n’en fit rien : il attrapa le bras que son héraut tendit vers lui pour quitter la tribune à son tour. Un brouhaha surpris se manifesta chez les participants.

— Ils nous plantent comme ça ? s’étonna Peon. 

La Mushadine roula des yeux en soupira. Il la foudroya du regard. Il s’avança vers elle, son feu bouillonnant dans ses veines. Elle le toisa du haut de sa tête supplémentaire, et avant que Peon ne puisse l’atteindre, quelqu’un le retint par le bras.

— Ce n’est pas une bonne idée de s’entretuer avant de passer les épreuves communes, non ? 

Mala, dont la voix s’était parée d’un voile de sérénité, posa pour la première fois sur lui son regard étrangement clair. Peon se dégagea d’un coup sec.

— Ça commence bien, soupira le Thaelin.

— Sinon, quelqu’un à une idée ? s’énerva l’Orgoï. On fait semblant de s’entendre ou chacun va se son côté ?

— Ça me va, répondit nonchalamment Danaël, j’ai des choses à faire. 

Aomi haussa les épaules. 

— À demain, alors. 

Elle se retourna sans plus de cérémonie et se fraya un chemin jusqu’à la tour des Mushadins. 

— Quelle princesse, cracha Peon. 

Danaël n’ajouta rien et l’imita, les quittant de sa démarche malaisée. Qu’il ait hérité d’un handicapé dégoûtait Peon. 

Il a intérêt de se bouger les fesses, parce que je ne vais pas l’aider. 

 

— Peon ! 

Peon finissait de passer sa tunique par-dessus la tête quand Vidal pénétra dans sa chambre sans toquer. 

— Fais comme chez-toi, râla-t-il.

Vidal émit un sifflement.

— J’ai jamais su ce qu’Olek te trouvait, mais maintenant je comprends… 

Peon lui balança son vêtement à la figure, avant d’attraper une chemise à lacets et de l’enfiler. 

— Qu’est-ce que tu me veux ? lui demanda-t-il. Une journée sans moi et je te manque déjà ? 

Vidal fit aller et venir ses sourcils avec un grand sourire. 

— T’es monté hyper vite tout à l’heure, t’en as manqué l’annonce de Leti, mon vieux. 

Peon noua consciencieusement les lacets. Il se retint de rouler des yeux.

— Et donc …? Elle disait quoi, ta cousine ? 

Vidal passa un bras autour des épaules de son ami et le décoiffa. Peon lutta avec mauvaise humeur, mais son ami résista et mima un grand geste du bras devant eux, comme un explorateur devant une terre nouvelle. 

— Waal est généreux ce soir ! Il nous offre des prostitués ! 

Peon fronça les sourcils. Le rire d’Olek résonna dans sa mémoire, et il se défit de l’emprise de Vidal. 

— J’ai pas envie. 

Son ami laissa passer quelques secondes de silence. Peon se sentit observé mais refusa de l’affronter du regard. Trop de choses se bousculaient et il refusait d’être dépouillé de ses propres pensées comme Vidal savait le faire. L’amusement avait déserté la voix de celui-ci lorsqu’il lui indiqua :

— Je sais qu’on a été éduqué autour de valeurs comme la fidélité, mais il va falloir que tu mettes ça de côté, Peon. T’as besoin d’énergie pour ce concours, et qu’importe si elle ne vient pas d’Olek. 

— Fous-moi la paix. 

— T’en as besoin, et tu le sais. Waal va pas être très sympa demain, et tu dois alimenter ton feu avant le début des épreuves.

Parce qu’il savait que Vidal avait raison, parce qu’il sentait la fatigue envahir chacun de ses muscles et alourdir ses pensées, Peon finit par céder. Ils descendirent jusqu’au rez-de-chaussée où la plupart de leurs congénères attendaient avec plus ou moins d’impatience dans la vaste salle commune servant aux repas. Beaucoup avaient sorti des jeux de dés ou d’osselets pour tromper l’ennui, certains semblaient au cœur de discussion animées. La plupart se tournèrent vers Peon lorsqu’il pénétra dans la pièce. Vidal passa un bras autour de ses épaules et l’entraîna dans un coin de la pièce où deux fauteuils étaient encore libres. 

— Pourquoi tu m’as fait descendre s’il n’y a encore personne ? 

— Un vrai loup ne se cache pas devant ses proies. 

Peon leva les yeux au ciel. 

— T’es tellement persuadé que je vais aller loin dans ce concours, hein ? 

Vidal eut un sourire carnassier. 

— Je te l’ai dit, Krasny, y’a un truc en toi. Allez, décris-moi ton équipe. Comment ils sont ? 

— Tu vois, le Thaelin dont je t’ai parlé hier ? 

— Celui qui boîte ? Oh mince, la plaie pour les épreuves de Waal...

— Comme tu dis… Et les tiens ? 

Vidal eut une moue dubitative. 

— Pas aussi drôle que toi. La Mushadin nous prend de haut, le Thaelin s’engueule avec elle et l’Alayi semble complètement à côté de ses pompes, au sens propre comme au figuré. Ils ont quoi avec les chaussures, ils en mettent jamais ou quoi ? Ils marchent trop bizarrement. 

— Ouais, la mienne aussi, ricana Peon. 

— Quand je lui ai demandé comment ils pouvaient coucher avec les frères et sœurs, il s’est mis à m’expliquer en long, en large et en travers, c’était trop drôle ! Le Thaelin était rouge comme une pivoine, et la Mushadin comprenait rien.

Peon eut du mal à imaginer Mala au milieu d’une orgie. Par contre, son ami en train de parler d’un sujet aussi tabou de leur culture, non, ça le choquait pas. 

— Tu crois que ça va marcher, leur truc de nous réunir ? 

Vidal haussa les épaules. 

— Au moins si on s’entretue, ça accélérera le processus de sélection.

Peon éclata de rire. Son ami avait toujours eu le don de se moquer de tout.  Soudain, le brouhaha des discussions et des jeux fut interrompu par un battement de main. Irrité d’être pris encore pour un enfant, Peon poussa un soupir sonore : Leti se tenait à l’entrée de la salle commune.

— Bonsoir à tous, Waal vous présente ses félicitations pour ce matin. Il est fier de vous.

Ils furent beaucoup à s’en enorgueillir. 

— Comme vous le savez, demain débutent les épreuves de Waal. Vous pouvez donc, exceptionnellement ce soir, vous rengorger de l’énergie de ces jeunes gens ! 

Elle se décala pour qu’une flopée de beaux garçons et de jolies filles entrèrent dans la pièce. Peon s’humidifia les lèvres et se gratta la nuque. Vidal, en côté de lui, se redressa, comme le reste des Filles et Fils de Waal autour d’eux. 

— Je vous souhaite une bonne nuit, nous nous retrouverons demain ! 

La Donneuse de Waal les quitta. Peon remarqua qu’elle n’avait pas fermé la porte et fut tenté d’y disparaître à son tour. 

— Oh non, mon ami, ce soir tu vas nourrir ton feu. Tiens, regarde là-bas, y’en a un qui ressemble à Olek. 

Peon suivit la direction du menton de Vidal et reconnut le jeune homme aperçu dans la rue, lorsqu’ils étaient entrés dans la ville à la suite de Waal. Leurs regards se croisèrent. Peon tenta d’avaler sa salive, s’étrangla avec, ce qui fit naître un sourire sur le visage de l’inconnu. Vidal le poussa dans le dos pour le forcer à se lever. 

— Je ne partirais de là qu’à condition que tu l’amènes dans ton lit. 

Peon rougit furieusement. Alors qu’il osait s’approcher du jeune homme, il ne put s’empêcher de se rappeler du sourire qu’Olek avait toujours à sa rencontre. 

 

Le vent soufflait dans l’arène. Peon avait entendu quelques Thaelins murmurer que c’était un bon présage, ce qui l’avait fortement agacé : il ne s’agissait que d’un phénomène météorologiques. Après tout, Lan était absent : c’était Waal qui allait mener la danse, et aucun des dieux ne supportait la présence de sa fratrie pendant son moment de jeu égoïste. 

Peon suivit Vidal et s’installa à ses côtés au milieu de leurs congénères bruyants. Son ami prit aussitôt part dans les conversations autour d’eux, et sans aucune difficulté. Il l’écouta d’une oreille, souriant à quelques blagues et provocation dont Vidal avait le secret, en regardant l’afflux de candidats fouler le sable de l’arène et grimper dans les tribunes. 

Son attention fut attiré par un groupe de Thaelins, d’où Danaël dépassait d’une bonne tête. Sa démarche bancale était d’autant plus visible au milieu de ses amis aux mouvements fluides et aériens. Danaël croisa son regard et le lui rendit, plein d’animosité, avant de se détourner. Peon grimaça de dégoût. 

Comme la veille, la jeune femme héraut de l’empereur pénétra dans la tribune officielle. Le silence se fit petit à petit dans les gradins. Peon se demanda d’où est-ce qu’elle venait : grande, elle faisait penser à une Orgoï, mais ses cheveux lisses et ses yeux bridés étaient typiques des Mushadins. Hors, les individus de cette race avaient la réputation d’être plutôt petits. Aomi, elle aussi, en était le parfait contre-exemple.

— Waal, seigneur du feu et de l’hiver, premier des quatre ! 

Peon se joignit aux rugissement de ses congénères. Waal apparut alors, un sourire féroce peint sur ses traits. Il salua les siens avant de prendre place sur son trône et, après plusieurs minutes d’applaudissements sauvages et démesurés, il demanda à ses Fils et Filles d’un geste de la main de se calmer. Sa Donneuse le suivait de près. Le héraut pu poursuivre.

— L’empereur Maëlan, premier du nom, incarnation actuelle du Dieu père. 

Comme la veille, Peon fut frappé par le charisme puissant qu’il exhalait malgré la fatigue apparente de son corps. Son âme faisait vibrer l’air. Il s’installa en arrière, aidé par son héraut. Son regard se balada sur les gradins et, après avoir secoué la tête, il s’adressa à la foule : 

— Le fait de vous avoir séparés en équipes n’était pas anodin. Je veux qu’à partir de maintenant, dès que vous serez en ce lieu, vous soyez accompagné de vos coéquipiers. 

Évidemment. Peon serra les dents. Les jeunes gens se regardèrent puis, d’une mauvaise grâce plus ou moins dissimulée, obéirent à leur souverain suprême. Le brouhaha et le désordre enflèrent rapidement. Peon attendit le dernier moment pour se décider à bouger et, parmi toutes les personnes en mouvement, il eut du mal à repérer ses propres coéquipiers. Quand finalement il réussit à les voir, il s’aperçut que Mala et Aomi encadrait Danaël au bas des gradins. L’infirme avait choisi de ne pas grimper en hauteur. 

Il va m’handicaper, pensa une fois de plus Peon en les rejoignant. 

Il envoya un regard noir à une Alayi pour l’intimer à se pousser un peu, puis s’installa lourdement à côté d’Aomi. La Mushadin ne le regarda même pas. Maëlan attendit que tous les participants soient de nouveau assis dans les gradins pour faire un geste vers son héraut, qui reprit : 

— Les épreuves de Waal débutent aujourd’hui, et ce pour trois jours. Chacune d’entre elles vous attribueront des points individuellement en fonction de votre place dans le classement. Les vingt derniers du classement auront une dernière chance de rester dans la compétition s’ils sortent victorieux d’un duel d’élimination. 

Peon calcula rapidement : cela voulait dire, à chaque épreuves, dix éliminés. Étrangement peu. Il fronça les sourcils.

— Notre empereur a voulu ajouter une règle : chaque éliminé emportera dans sa chute ses trois compagnons. 

— Pardon ? s’insurgea Peon. 

Autour de lui des murmures de surprise et d’indignation parcouraient la foule. Il jeta un œil mauvais à Danaël et lâcha, plein de venin : 

— T’as pas intérêt de nous faire perdre. 

Danaël haussa le menton mais ne répondit rien. Ils s’affrontèrent du regard pendant une longue seconde, avant que la Mushadin ne soupire. Peon s’emporta :

— Quoi ? t’as un truc à ajouter, toi ? 

Elle roula des yeux et l’ignora. Profondément vexé, il s'apprêtait à lui répondre quand il ressentit une énorme chape de plomb lui tomber sur les épaules et le forcer à se taire. D’une œillade vers les tribunes, Peon comprit : Maëlan avait les deux paumes levées en direction des gradins et imposait le calme. Loin d’être apaisé, Peon bouillait de l’intérieur mais ne pouvait le manifester. 

Je me fous de ce que tu penses, mais tant que je serais en vie, c’est moi qui feras la loi dans cette famille. N’oublie pas que tu portes mon nom.

Son poing se serra et ses ongles courts lui blessaient la main.

— Les seules aides médicales qui vous seront apportées sont celles de vos coéquipiers. Les éliminations peuvent se faire pendant les épreuves en cas de blessure grave ou de mort du candidat. Le désistement n’est pas autorisé. 

Le héraut se tourna vers Leti Ioreik, qui s’avança à son tour au bord de la tribune. 

— Bonjour à tous. Au nom de Waal, je vais organiser cette série d’épreuves. Le but est de tester votre force physique, et d’en repousser les limites. 

Peon se rengorgea. Il foudroya Danaël du regard.

 

Il avait fallu une vingtaine de minutes à Leti pour diviser l’arène avec diverses activités : de la course de vitesse, du tir à l’arc, du lancer de poids de différents calibres, du saut en hauteur. C’était des épreuves individuelles, et à chaque stand, un censeur avait été dépêché pour surveiller et les évaluer. L’arène avait des allures d’énorme fourmilière géante. Peon es coéquipiers attendaient plus ou moins patiemment dans la file destinée à la course de vitesse. Il avait surveillé Danaël et si jusqu’alors il ne lui avait rien dit, c’était parce qu’il s’était plus ou moins bien débrouillé. Il avait touché la cible lors du tir à l’arc, son lancer de poids n’était pas très réglementaire mais correct et il s’était aidé lors du saut de sa maîtrise de l’air. C’était à la limite du règlement, car les autres n’avaient pas cet avantage, mais la Donneuse ne l’avait pas spécifiquement interdit. Et Peon, prêt à tout pour gagner, ne l’avait pas relevé.

Alors qu’un nouveau groupe passaient sur la piste, Danaël se pencha pour masser son genou droit. Peon lui lança d’une voix tranchante : 

— T’as pas récolté assez de points aux trois autres épreuves, tu ne peux pas échouer.

— Je sais, rétorqua Danaël sans le regarder. 

— Tu n’as pas… 

— Je sais, fous-moi la paix. 

— Parles-moi autrement. 

Danaël se releva. Il le dépassait d’une bonne tête. 

— Lâche-moi. 

— Oh Krasny ! 

Vidal s’approcha d’eux et fila un bourrade entre les omoplates de Peon. 

— Bien joué, ton tir de tout à l’heure ! 

Peon eut un sourire fier. 

— Merci ! Pas mal, ta course. 

— Oh, ce sont tes coéquipiers ? 

Le jeune homme les analysa rapidement du regard et sourit en croisant celui de Danaël. Il ne dit rien, mais l’analysa de haut en bas, s’attardant sur la jambe droite. Danaël, qui portait la majeure partie de son poids sur la jambe gauche, rectifia sa posture. 

— Mal barré, Krasny. 

De mauvaise humeur, Peon répliqua :

— Dégage. 

Vidal eut ce sourire supérieur qui donna envie à Peon de le cogner. Il trottina pour rejoindre sa propre équipe. 

— Sympa ton pote, l’Orgoï. 

— Va te faire voir.

Il avança d’un pas alors qu’un groupe supplémentaire passait son tour. Plus la ligne de départ s’approchait et plus l’envie d’en découdre lui tiraillait le ventre. Quand ce fut enfin leur passage, ils se rangèrent chacun dans un couloir, limités par des ficelles attachées d’un bout à l’autre par des piquets plantés dans le sol. À l’autre bout de la piste, deux censeurs, armé chacun équipé d’une petite boîte dorée sur laquelle deux cadran avaient été posés. Des montres à pendules, devina Peon. Il se pencha tandis que le troisième censeur leva lentement le drapeau pour le baisser brusquement. Peon partit comme une flèche, déployant tous ses muscles dans l’intensité de l’effort. Le vent lui battit le visage et s’éparpilla dans ses cheveux. La ligne d’arrivée, l’un des censeurs arrêta le chronomètre de sa montre à pendule dans un cliquetis mécanique. Peon reprit son souffle, une fierté indomptable explosant dans sa poitrine. Aomi le rejoignit quelques secondes plus tard. Un regard vers la piste l’informa que Mala était presque arrivée… mais que Danaël s’était arrêté au milieu de la piste, cassé en deux, les mains sur son genou. 

— Mais allez  ! l’exhorta Peon. Le chrono tourne ! 

Le Thaelin se releva, et le foudroya du regard. De la paume, il enfonça son genou et le craquement sinistre résonna dans l’arène. Il se remit en marche. Peon leva les bras en l’air pour les faire retomber de dépit contre ses cuisses. En marche ! Il allait y passer trop de temps ! 

— Bouge-toi ! On va perdre à cause de toi ! 

Danaël l’ignora et continua d’avancer. L’organisateur au drapeau gardait une expression impénétrable et sans pitié, et Peon ressentit une vague de soulagement quand enfin il fit baisser pour une quatrième fois la bannière. Soulagement qui fut vite remplacé par la colère. Il s’approcha de Danaël à grandes enjambée pour lui cogner l’épaule.

— Qu’est-ce que t’as foutu ? 

Il était hors de lui. 

— J’ai terminé l’épreuve. 

— Tu t’es arrêté au beau milieu ! Et t’as marché, bon sang ! 

Les traits de Danaël se figèrent dans une expression de colère. 

— J’ai fait de mon mieux ! 

— C’est pas suffisant !

— Écartez-vous de la piste, intervint le censeur au drapeau.

Ils s’écartèrent, et Peon roula des yeux face au claudiquement de Danaël. Il s’approcha de nouveau de lui, lui frappant l’épaule. Le Thaelin en fut déséquilibré quelques secondes avant que son air ne le remette sur pieds. 

— J’en ai rien à faire que t’aies pas envie d’être là, lâcha Peon, tu ne gâcheras pas mon moment. Alors tu te bouges le train ! 

Danaël lui rendit sa frappe avec violence. 

— Va te faire voir, l’Orgoï. On a terminé pour aujourd’hui ? Alors à la prochaine épreuve.

Il se tourna pour rentrer à sa tour, mais Peon le retint par le bras.

— Tu me laisses en plan ? 

— Peon, siffla Danaël entre ses dents, si ton dieu t’avait poussé depuis la falaise et t’avait handicapé à vie, je pense que tu te foutrais de lui apporter la gloire qu’il ne mérite pas et que toi aussi, tu chercherais le meilleur moyen de te barrer d’ici. Maintenant fous-moi la paix, je vais me soigner. 

Il se dégagea d’un coup sec et quitta l’arène. Trop estomaqué, Peon ne l’arrêta pas. 

 

Peon s’accrocha maladroitement au montant de la porte de sa chambre. Derrière lui, Vidal le railla dans un gloussement ridicule et ivre. Peon actionna la poigné d’un geste gauche, et foudroya son ami du regard avant de s’enfermer. Depuis le couloir, Vidal continua de se moquer. L’imbécile supportait mieux l'alcool que Peon et l’avait emmené dans le quartier des plaisirs une fois de plus. Peon se traîna jusqu’à la bassine de porcelaine en luttant contre son équilibre précaire. Le miroir lui renvoya un reflet rougi, les yeux brillants, et les traits tirés par la fatigue. Il poussa un soupir désabusé. L’énergie dépensée pour la première épreuve, couplé à l’ivresse circulant dans ses veines, lui ramollissait les membres. Il s’aspergea le visage d’eau, histoire de se rafraîchir un peu avant d’aller dormir Il s’apprêta à plonger les mains dans la bassine, mais l’eau s’éleva d’elle-même pour lui atterrir sur le visage. 

Complètement trempé, Peon prit plusieurs longues inspirations. Il secoua la tête pour finalement s’écrouler sur son lit.

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Isapass
Posté le 29/06/2021
Bon, je me doutais qu'ils seraient dans la même équipe :) Mais j'avais osé espérer qu'ils y mettraient un peu du leur, ce qui n'est pas le cas, surtout de la part de Peon.
Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit aussi agressif. Jusque là, je sentais comme une fragilité en lui qui me plaisait bien, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne la laisse pas transparaître ! Pauvre Danael, il en prend plein la gueule... Du coup j'ai bien aimé sa répartie où il explique pourquoi il n'a pas envie d'être là. J'espère que ça touchera un peu Péon (même si le chapitre suivant ne montre rien de tel).
J'ai aussi beaucoup aimé que Péon se "reconnaisse" en Aomi. Dommage qu'il n'en fasse rien. Mais il faut dire qu'Aomi n'est pas facile à aborder !
Bon, Péon, il va falloir faire preuve d'ouverture d'esprit !
Codan
Posté le 18/09/2021
Peon est agressif, mais c'est aussi sa façon de se protéger : il attaque avant de laisser l'opportunité aux autres de le faire ! Leurs premières interactions sont compliquées, mais ça va le faire.... on y croit !
Elenna
Posté le 28/10/2020
Un chapitre toujours aussi super mais un peu plus dur. Bon c'est décidé, je ne supporte pas Péon... ça ne risque pas d'être l'alliance la plus calme mais bon, il faudra bien qu'ils s'en sortent.
Codan
Posté le 28/11/2020
xDDDDD C'est marrant parce que je sais que d'autres lecteurs aiment bien Peon !
On va bien voir comment ils s'en sortent sans s'entretuer... xD
Gabhany
Posté le 02/08/2020
Hello Codan !

Alors dans l'ensemble j'ai bien aimé ce chapitre, l'alliance entre les 4 promet d'être mouvementée ! Il y a quand même quelque chose qui m'a gênée dans cette première discussion : pour moi ça va trop vite. Ils se connaissent à peine, même s'ils forment une équipe ils sont quand même ennemis à la base, et comme ça tout de suite ils se confient leurs secrets ? Je ne trouve pas ça très cohérent et du coup ça enlève aussi une part de tension que moi, lectrice, j'aurais aimé ressentir en me demandant ce qu'ils allaient faire pour ne pas justement que les autres connaissent leurs secrets. J'aurais aimé m'interroger avec Peon par exemple sur ses coéquipiers, en sachant que moi en plus j'en sais plus que lui, ça crée du suspense.
Le chapitre était quand même chouette, et j'ai hâte de voir ce que les épreuves leur réservent !
A bientôt
Gab
Codan
Posté le 30/08/2020
Merci pour ton commentaire ! J'ai eu la même impression que toi en finissant mon premier jet. Du coup, je dois reprendre une grosse partie de ce que j'ai écrit en tenant compte de mes impressions, et de ton commentaire qui m'a aidée à cerner le problème. Merci beaucoup !
Notsil
Posté le 23/07/2020
Coucou !

Oh ce mignon chapitre :)

La démo d'Aomi et de ses consoeurs, très classe !

Les 4 loustics qui se retrouvent ensemble, bon, soyons honnêtes, on s'en doutait, mais, leurs caractères font déjà des étincelles ^^ Je me demande comment ils vont tirer le meilleur d'eux-mêmes !

"Sinon, quelqu’un à une idée ? On fait semblant de s’entendre ou chacun va se son côté ?"
-> petites coquilles ici : "à/a" "se/de"

Le coup du rechargement côté feu est marrant comme tout ! J'adore voir Peon mal à l'aise ^^ Je me demande s'il va papoter un peu avec cet "inconnu", du coup.

Les choses sérieuses vont bientôt commencer, en tout cas, j'ai hâte :p

Prends ton temps pour la pause, c'est une période de vacances après tout, et puis un déménagement ça occupe beaucoup trop ^^ On sera patient ;)
Codan
Posté le 30/08/2020
Merci pour ce commentaire Notsil ! Comme d'hab je laisse des coquilles... je sais pas ce qu'ont mes lunettes quand je corrige, mais je ne vois rien c'est terrible...
Ah mais il a fait plus que papoter avec l'inconnu xD l'histoire de "rechargement", c'est comment ils rechargent leur énergie pour utiliser ensuite la magie. Ca se fait par le repos ou par le "papotage" ce qui est plus rapide xD
Merci pour ta patience en tout cas :)
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