VII - Noir

Les rugissements résonnaient, claquaient dans l’air, rebondissaient sur les troncs d’arbre pour venir marteler ses oreilles, à l’image de son cœur affolé. Ils se déplaçaient, se poursuivaient, se chassaient. Malkia suivit la piste de son père. La nuit alourdie par l’orage était plus noire que jamais. Elle se griffa les flancs dans les broussailles, ses pupilles dilatées à l’extrême dans l’espoir de capter une lueur.

Leur odeur était partout. Musquée, puissante, revendicatrice. Corrosive. Elle guida la jeune Chasseresse aux abois.

Les rugissements résonnaient, et celui de Kinga était noyé parmi ceux de ses ennemis.

La chasse au lion se déplaçait vers le grand bosquet. Vers la troupe. Vers Sichina et Binamu. Les Vagabonds n’attendaient même pas que leur prédécesseur soit mis à mort pour poursuivre ses descendants.

Malkia pressa le pas, encore. Ses muscles hurlèrent, elle les ignora. Elle n’entendait plus le rugissement de Kinga.

Ils étaient proches, emplis d’une violence qui la happa. Le martèlement furieux des pas, le sable crissant, les bruits sourds de coups portés. Le goût du sang qui imprégnait jusqu’à la terre.

Elle sauta par-dessus un buisson de ronces.

Ils étaient là.

Nombreux, bien trop nombreux. Ils entouraient Kinga dans une furie de crinières et de crocs. Elle percevait à peine leurs contours. Mais leur amusement la frappa.

Son père, son Protecteur, poussa un râle.

Abattu au sol, la croupe réduite à un amas de chair, il ne pouvait que menacer ses adversaires de ses canines tremblante. Eux tournoyaient autour de lui, le mordant, le griffant. Ricanant. Ils avaient déjà gagné, mais ils s’amusaient, se plaçant à la portée du vieux mâle pour le narguer, esquivant ses faibles coups au dernier moment.

L’échine de Malkia se tordit. Son pelage se hérissa. Ses griffes jaillirent. Ses crocs se découpèrent dans la pénombre.

Elle bondit.

Elle toucha à peine le sol avant de percuter un des Vagabonds. Elle l’envoya bouler loin de Kinga, elle avec. Elle s’accrocha à sa fourrure et referma sa gueule sur sa chair. L’arôme furieux du sang l’emplit, décuplant sa rage. Elle le lacéra de ses pattes arrière, tandis qu’il peinait à reprendre ses esprits. Mais très vite, un point de douleur la lança. Une masse la repoussa, lui asséna de puissants coups qui l’étourdirent. Elle tituba, une ombre encore plus dense que la nuit se dressa devant elle.

— Allons, allons, qu’avons-nous là ?

— C’est une Chasseresse, souffla un autre. Mais qu’est-ce qu’elle fait ?

— Moi je dirais que c’est un lionceau, ricana un troisième.

— Elle m’a fait mal, gémit celui qu’elle avait attaqué.

Elle déglutit, tentant de retenir les soubresauts qui l’agitaient. Ils l’avaient encerclé, inspirant son odeur, écoutant son pouls paniqué, détaillant sa silhouette recroquevillée.

— Tu es membre de la troupe de Kinga, toi, reprit la grande ombre. Enchanté de te connaître. Je me nomme Askari, je serai le père de tes petits.

— Toi ou un autre, siffla le ricaneur.

— Elle m’a attaqué, on devrait la punir, les pressa leur frère.

— Peux-tu cesser de geindre ? grogna Askari.

— On devrait la laisser, proposa un autre. C’est une Chasseresse. On a besoin d’elle. Et puis, elle pourra nous dire où sont les lionceaux.

— Tu as raison, Haraka. Dis-moi, fière Chasseresse, où sont les petits de ton regretté Protecteur ?

— Je ne suis pas encore mort !

Les Vagabonds se tournèrent vers Kinga. Il se trainait jusqu’à eux, sa respiration rauque projetait quelques gouttelettes de sang sur l’herbe poussiéreuse.

— Tu n’aurais pas dû venir, asséna-t-il Malkia. Va-t’en. S’il te plaît.

Il s’approcha encore, tirant ses pattes arrières sur le sol grinçant.

— Allons, allons, reprit Askari. Ce n’est pas raisonnable de s’acharner ainsi. Agonisez en silence, je vous prie.

Kinga lui porta un coup. Ses griffes effleurèrent la crinière du meneur des Vagabonds. Ce dernier soupira. Il fit un bond sur le côté ouvrit dans la gueule pour arracher un lambeaux de chair au flanc de Kinga.

— Non !

Malkia bondit et le frappa. Il recula, sonné. Elle en profita pour lui asséner un autre coup de griffes qui zébra son museau. Il gronda. Il la chargea. Elle ne put que voir sa gigantesque ombre l’engloutir, la heurter pour la jeter au sol.

— Je commence à me lasser de ton agressivité, ahana-t-il. Ton Protecteur respire mais il est déjà mort. Nous sommes les nouveaux maîtres de son domaine, reconnais-le.

Elle tenta de le mordre. Il se recula et abattit sa large patte sur son museau. Elle perdit ses repères. L’obscurité tournoya autour d’elle.

— Arrête ! cria le dénommé Haraka. C’est une Chasseresse, on doit…

Il fut happé. Une silhouette vive le jeta au sol, le roua de coups. Puis, toujours aussi terrible, sauta sur Askari. Malkia sentit le poids sur elle s’évanouir. Elle se redressa tant bien que mal.

— Wa… asi ? balbutia-t-elle.

— Elle-même !

— Non… gémit Kinga.

La balafrée lui jeta un œillade anxieuse.

— Ne m’en veux pas, mais je ne peux pas te laisser. Même s’il est trop tard, je ne t’abandonnerai pas.

Askari se releva en grondant.

— Mes frères, il semblerait que nous soyons face à une mutinerie. Il convient de la mater.

Les Vagabonds se ramassèrent sur eux-même. Waasi se colla contre le flanc de sa nièce.

— Tu sais quoi ? lui glissa-t-elle, fébrile.

— Quoi ?

— J’ai toujours rêvé de faire ça.

Elle se jeta sur Askari. Les combattants se transformèrent en un tourbillon de coups, de griffes, de crocs. Malkia, enivrée par la présence de sa tante, l’imita. Elle attaqua le ricaneur avec toute la force dont elle était la capable. Elle sentait à peine ses blessures, occupée à projeter son adversaire sur le sol. Elle rugit, elle frappa. Elle parvint à l’acculer contre un tronc. Elle attrapa sa gorge.

Puis, un choc la fit vibrer toute entière. Elle se vit basculer, s’étaler au sol. Une pente s’ouvrit sous elle. Elle dévala les gravillons. Elle roula. Elle tomba. Un nouveau choc se répercuta dans tout son crâne.

Le monde était noir, au-dessus d’elle. Elle comprit qu’il s’agissait du ciel orageux.

La lumière d’un éclair claqua, tranchant sa vision.

L’obscurité qui vint alors fut celle de l’inconscience.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Canopus
Posté le 04/11/2021
Quel retournement de situation l'arrivée de Waasi! Mais j'ai peur pour elle, je veux pas qu'elle meurt, y' a déjà assez de disparu comme ça!! (J'arrive pas à savoir si j'aime bien ou pas Askari XD C'est un psychopathe mais j'aime bien son caractère XD) D'ailleurs, je me demandais, comment est ce que tu trouves les noms? Je trouves qu'ils vont très bien pour des lions ^^
Bref, je me répète mais c’est vraiment génial ce que tu fais. Hâte de lire le prochain chapitre!
AudreyLys
Posté le 04/11/2021
Haha cool si ça t'emballe *^^*
Je traduis les caractéristiques des personnages en swahili et je choisis ce qui sonne le mieux. À la base, Askari en temps que signification c'est pas le meilleur, mais je trouve que ça faisait bien "chef des méchants un peu sophistiqué" (et ça fait un clin d'œil à Scar du Roi Lion) donc j'ai gardé. Et par exemple Malkia ça veut dire... reine x)
Merciiiiiii <3
Canopus
Posté le 05/11/2021
C'est vrai que les prénoms du Roi lion c'est comme ça aussi je crois. En tout cas, ça leur va très bien!
AudreyLys
Posté le 05/11/2021
Merci !
Vous lisez