V – Le revers de la médaille

Par Dan
Notes de l’auteur : Sonny and Cher – I've Got You Babe

Le revers de la médaille

En approche de Charon, lune-prison unionaire, couple Pluton | Charon

 

Ses cheveux mouillés lui faisaient comme une cape en lui collant à la peau jusqu’en bas du dos. Bowie passait toujours un temps fou à les laver, surtout depuis qu’il était parti de Miranda : sa tresse ramassait toutes les merdouilles et les nombreuses lunes visitées lui avaient laissé assez de souvenirs pour ouvrir boutique. Cette fois, c’étaient surtout des grains de sable qu’il avait délogés de sa tignasse ; et beaucoup de cheveux lui étaient carrément restés dans les mains quand il les avait peignés entre ses doigts.

Le Major Tom se rapprochait de Charon et le cœur terrifié de Bowie se rapprochait de celui de sa mère. Jamais il ne l’avait sentie aussi démunie et jamais il ne s’était senti aussi fragile. Seuls ses échos de colère le faisaient tenir, désormais ; c’était mauvais pour lui, mais c’était meilleur que l’abandon et la tristesse pour elle : ça voulait dire qu’elle avait retrouvé la force de lutter.

Bowie se contorsionna dans l’espace réduit des cabinets pour ne pas faire pleuvoir d’eau shampooineuse sur les affaires entassées. Le vaisseau n’avait jamais été très bien rangé du temps où Shelley y logeait – difficile de faire régner l’ordre avec des poupées trolls perchés sur toutes les tablettes et des yo-yo pendus à tous les loquets –, mais depuis que quatre hommes y vivaient à plein temps, on était passé du joli bazar à la fatrasserie totale. Enfin, Bowie n’aurait pas dû compter Nick dans le tas des bordéliques, puisqu’il n’avait jamais vu la moindre chaussette s’échapper de son baluchon.

Napoléon et Woody avaient en revanche un talent prodigieux pour laisser traîner des vêtements partout alors qu’ils étaient les seuls à être partis sans bagages. Dans leur cabine, c’était le pire ; y’en avait du sol aux armatures des bannettes et les drôles d’odeurs qui macéraient là-dedans n’arrangeaient rien au tableau. Bowie voyait Nick froncer le nez à chaque fois qu’il passait devant leur porte ; il devait admettre que ça le faisait marrer.

Bowie quitta la pièce à laver en enclenchant le mécanisme de ventilation, glissa sur un caleçon, vérifia que ce n’était pas le sien puis prit le chemin de la cabine qu’il partageait avec Nick. Allongé sur le lit du haut – il valait mieux pour les bobos invisibles de Bowie qu’il tombe de trente centimètres plutôt que d’un mètre cinquante pendant les nuits mouvementées –, il lâcha un moment sa tablette des yeux pour le regarder. Nick eut l’air de le regretter dès qu’il se rendit compte que Bowie ne portait que son braço et ses cheveux trempés.

Pardon, je voulais pas te gêner, pensa Bowie.

Ça ne me gêne pas, répondit Nick, qui avait déjà replongé les yeux dans son bidule.

Ses joues avaient pris une étrange teinte mauve dans la lumière de l’écran et Bowie sourit en enfilant son slip. Il n’avait jamais trop compris le principe de la pudeur. La plupart des Mirandiens tombaient le poncho dès qu’ils étaient au chaud à la maison. Pour ceux qui avaient complètement perdu le sens du toucher, ça pouvait être handicapant : une fois désapés, s’ils se laissaient distraire, ils oubliaient souvent de se refroquer avant de ressortir ou d’accueillir des invités. C’était un peu comme avec l’absence de douleur : il fallait toujours vérifier que tout était en place et que rien ne dépassait.

Pour d’autres, comme Austen, c’était plutôt l’incapacité à percevoir la température qui influait sur leurs tendances nudistes : qu’il vente ou qu’il soleille, ça ne faisait aucune différence. Combien d’heures Māma avait-elle passées à essayer de la convaincre d’enfiler sa parka, quand elle était petite ? Combien de fois avait-elle coursé ses petites miches dorées pour les glisser dans un sarouel ? Austen ne sentait pas le froid, mais les engelures étaient bien réelles et, le temps que la souffrance se fasse sentir, quelques doigts de pied pouvaient se changer en saucissettes congelées.

Mais en fait, dans leur coin, jouer les va-nues-fesses en sortant de la douche était simplement devenu une habitude ; pas pour les autres luniens du système. Ça n’était pas la première fois que Nick essayait de cacher son malaise quand Bowie se laissait aller à ce genre de légèreté et il n’arrivait pas à savoir si c’était l’aspect « Bowie » ou l’aspect « tout nu » qui le dérangeait le plus. Comme ni Woody ni Napoléon ne leur avaient encore fait la grâce de déambuler dans le Major Tom avec la bistouquette à l’air, Bowie ne pouvait pas comparer.

Il jeta un coup d’œil à Nick, qui entendait sûrement toutes ses pensées et qui ne daignait jamais y répondre. Au fond, ça n’avait rien d’étonnant : s’il ne supportait pas de voir son trilili, il ne devait pas avoir plus envie d’en parler.

En effet.

Scuze Qu’est-ce que tu fais ?

Nick le zieuta de biais.

Je règle les derniers détails pour notre plan.

Oh. Et je peux toujours pas savoir ce que c’est, ce fameux plan ?

Je t’ai déjà expliqué : on ne sait pas sur qui on peut tomber. Moins on est à le connaître, mieux c’est. Je sais blinder mon esprit, pas toi ; c’est plus sûr pour éviter qu’on nous surprenne.

Bowie acquiesça un peu mornement. Il lui avait déjà expliqué ça, oui, et il n’était toujours pas sûr de piger : il n’y avait que les télépathes pour fouiner dans les pensées des autres et les gardiens droïdes de Charon n’avaient pas ce pouvoir-là.

Mieux vaut être trop prudent que pas assez, argua Nick. Certains officiers de la PI étaient des luniens, tu sais.

Bowie le dévisagea. Non il ne le savait pas. Il s’était toujours figuré que les policiers étaient des planétiens, puisque c’était eux qui étaient le plus à dada sur les lois. Flic n’était pas une carrière très prisée sur Miranda, mais après tout, pourquoi pas ?

Faut quand même bien que je sache ce qu’on va faire si je veux parler à ma mère, non ? reprit Bowie. Y a bien un moment où je vais devoir participer J’espère ?

Oui, mais tu n’as pas à savoir comment jusqu’à ce que la voie soit libre.

Oki doki

Bowie rejeta ses cheveux mouillés sur son épaule en envoyant un éventail de gouttelettes à travers la cabine. Il prit autant de soin à choisir sa tenue qu’il en avait pris à choisir ses souliers en débarquant sur Europe : des tatanes qui tiennent au pied, un pantalon qui tienne aux hanches, des manches bouffantes, mais élastiquées – il était hors de question de tout faire capoter en se prenant les pieds dans ses savates ou en se coinçant à une poignée de porte.

Je crois qu’on approche, dit-il. On devrait manger un bout rapidement, histoire de se caler le bidou. Et puis se préparer.

Tu as raison. Laisse-moi juste terminer ça, je vous rejoins.

Bowie le jaugea un moment du regard. Il ne côtoyait pas Nick depuis très longtemps, mais il percevait la surface de ses émotions comme il percevait celles de Woody, dorénavant. Puisqu’on ne pouvait pas vraiment dire que la mayo avait pris au premier regard, entre les deux faux cousins, Bowie supposait que ça tenait plus à la force de ses sentiments qu’à leur amitié.

Copernic avait de plus en plus peur et il était de plus en plus énervé à l’idée de ne pas pouvoir le cacher à Bowie.

Celui-ci préféra le laisser tranquille et sortit. Il avait commencé à tricoter sa tresse quand il arriva dans la salle commune où Woody et Napoléon jouaient aux cartes en sirotant leur verre, accompagnés par la voix des Go-Go’s.

— Yo, Bo, frais comme la rosée et beau comme un coquelicot ! lança-t-il.

Si c’était de l’ironie, c’était assez vexant, mais puisque le gageur s’était montré étrangement agréable depuis qu’ils avaient rompu la brioche, Bowie décida de jouer le jeu :

— Vous buvez quoi ?

— Thé glacé. Il est pas dégueu. T’en veux ?

— Oké.

Napoléon lui attrapa un gobelet paille dans le placard, mesura deux cuillères de thé déshydraté, remplit d’eau jusqu’au bord et alla même jusqu’à touiller la boisson d’un roulement expert du poignet avant de la lui offrir.

Bowie essaya de cacher son hésitation ; il n’y parvint pas mieux que Napoléon avec son air d’excuse. Il n’était pas très subtil, dans le genre « J’essaie de me faire pardonner, tu vois ? » et Bowie se désolait de constater que son air de chien battu et ses sourires fendus d’un petit bonheur trognon fonctionnaient un peu trop bien.

— Qui est-ce qui gagne ? demanda-t-il pour déflotter l’instant.

Woody, qui profitait de la distraction de Napoléon pour jeter un œil à ses cartes rabattues, se redressa brusquement en se tripotant la barbe.

— Uff da, Popol, forcément, dit-il avec une flatterie un peu agressive et pas discrète pour un sou. Il a la meilleure poker face que j’aie jamais vue.

— Merci, merci.

— Et du côté de…, commença Bowie.

— Aucun vaisseau nous a encore repérés, alors j’imagine que le camouflage va tenir, dit Woody. Mais s’ils cherchent des empreintes thermiques…

— Y a aucune raison qu’ils cherchent une empreinte thermique, intervint Napoléon. Ils se servent de cette technologie seulement quand ils savent à peu près où et quoi chercher, pas en jetant un filet à la mer. Personne a jamais eu l’idée d’essayer d’entrer dans Charon, ils savent même pas qu’ils doivent se préparer à de la visite.

— J’imagine qu’il a raison, fit Woody devant l’air interrogateur de Bowie.

— Shì, j’imagine aussi.

Bowie avala son verre à petites gorgées, prit un fortune cookie et gagna le cockpit. « Courez ! », scanda le biscuit. Il faillit s’étrangler et, un peu précipitamment, il en piocha un deuxième dans la réserve. « À l’aide. Je suis retenu prisonnier dans une usine de fortune cookies. » Avec un soulagement mal contenu, il se dit que ces superstitions culturelles étaient quand même complètement débiles.

Ils étaient sortis de vitesse supraluminique depuis plus d’une heure pour pouvoir actionner le camouflage et rallier furtivement le couple Pluton | Charon. L’espace était encore noir derrière la vitre ; la base et la prison étaient encore réduites à deux points clairs droit devant. D’après le calculateur de trajectoire, ils seraient pourtant aux portes des enfers dans moins de trente minutes.

Bowie tenta de mettre un peu d’ordre dans la cabine. Ce n’était pas aussi efficace que de se recoiffer pour ranger ses pensées, mais ça devenait nécessaire : Napoléon était persuadé qu’aucun esquif ne les prendrait en chasse, mais comme disait Nick, on n’était jamais trop prudent. Bowie savait d’expérience que la dernière chose dont on avait besoin en pleine course-poursuite, c’était d’un envol chaotique de boules à neige et d’un coup de chien à ressort dans le pif.

Je pense que le mieux serait de se positionner entre Pluton et Charon.

Bowie jeta un coup d’œil oblique à Nick quand il vint s’asseoir dans le fauteuil copilote.

Non, entre, c’est trop dangereux, répondit-il. Avec les forces de gravitation, en cas de pépin, on pourra pas déclencher la super-vitesse. Il faudra d’abord s’éloigner et quitter les puits et on pourrait

Les forces de gravitation peuvent dissimuler le vaisseau, également, coupa Nick.

Mais l’entrée de la prison est au pôle Nord, là, dit Bowie en montrant le petit modèle trois-d de Charon. Mordor Macula. On pourra jamais s’approcher assez pour que tu télépathes avec ma mère en restant dans le vaisseau. Le niveau 3 est enterré super-profondément. Va falloir entrer. C’est bien à ça que toi et Napoléon cogitez depuis deux jours, non ?

Nick resta silencieux. Bowie coupa la boitazic sur un dernier « Vacation, all I ever wanted » en pensant :

Ouais, ouais, je sais, tu peux pas m’expliquer.

Il ajusta les coordonnées pour que le Major Tom fasse halte entre Pluton et Charon, non loin du point externe autour duquel la planète et le satellite gravitaient tous les deux. Pourquoi est-ce que Bowie s’acharnait à poser des questions ? Il suffisait de faire confiance à Nick. Après tout, sans lui, Bowie en serait sûrement à sa quarante douzième révolution autour de la prison, coincé là avec Elion, Woody et zéro idée de stratégie.

Les deux astres prenaient rapidement forme sous leur nez, maintenant. Pluton et sa drôle de tache en forme de cœur, à gauche, Charon et sa petite coupole ocre sur la tête, à droite. Même à cette distance, on devinait les éclats des vaisseaux automatisés qui patrouillaient à la surface et en orbite.

Qu’est-ce que je suis en train de faire ? se demandait Bowie en grattant ce qui restait de son vernis. Quelle énorme biscornouille je suis en train de faire ?

Et Nick qui ne disait toujours rien.

— C’est parti ? lança Woody en les rejoignant.

Napoléon le suivait de près.

On attend tes directives, confirma Bowie à l’adresse de Nick.

Bien. Je peux prendre les commandes ? Pour des réglages. Je ne touche pas à la trajectoire, je suis bien moins bon pilote que toi.

Bowie leva les fesses de la fourrure et les reposa sur les billes de bois en changeant de place, pendant que les ombres de Woody et de Napoléon se confondaient derrière eux. Ils n’arrêtaient pas de tanguer. S’asseoir ? Rester debout ? Se cramponner aux mains courantes ? Se préparer à se planquer ? Pluton était sorti de leur champ de vision et Bowie pouvait maintenant discerner l’étoile blanche à sept branches sur le flanc des escadrons de ronde. Il serrait les fesses tellement fort qu’il aurait pu s’en servir de casse-noix.

Ils allaient forcément les voir. Le générateur allait toussoter, les franges orange du Major Tom allaient clignoter et tous les canons des vaisseaux allaient pointer dans leur direction comme de petits yeux noirs et curieux.

Dire qu’il s’agissait seulement de se rapprocher de l’entrée, pour l’instant. Qu’est-ce que ça allait être quand ils passeraient des détecteurs thermiques ? La PI n’avait pas l’habitude de contrer des tentatives d’invasion, d’accord, mais elle devait quand même avoir un minimum blindé sa prison…

Je crois que c’est bon, dit Nick.

Bowie balaya le tableau de bord des yeux, mais les indications fléchées et les commentaires de l’ordinateur ne signifiaient plus rien pour lui. Il était trop paniqué.

— Uff da, on se calme, coco, lui souffla Woody. Tu vas nous faire mouiller nos culottes.

Bowie défit et refit sa tresse trois fois pendant que Nick pianotait quelques notes sur le clavier de communication. La peur avait une étrange texture, aujourd’hui : Bowie la sentait partout, chez lui, chez Nick, chez Napoléon, chez Woody, mais elle prenait des reliefs tellement différents autour de lui qu’il ne la touchait plus vraiment. Elle l’anesthésiait. Elle l’éloignait tant et si bien de la réalité qu’il ne sursauta pas quand le visage d’un policier apparut sur l’écran et qu’une alarme stridente leur vrilla les tympans.

Bowie aventura le regard par le hublot tribord. Les yeux noirs et curieux les scrutaient déjà.

— Qu’est-ce…, commença Woody.

Le coup de lampe lava que Napoléon lui retourna le fit taire et tomber. Bowie voulut bondir, crier, réclamer des explications, mais il n’arrivait même plus à ciller.

« Major Tom, nous prenons les commandes. Validez. »

Nick valida.

« Procédure d’abordage amorcée. »

Bowie ne bougea pas d’un iota quand le vaisseau rua sous l’impact de la nacelle d’appontage. Il ne bougea toujours pas quand le bruit des bottes résonna dans la soute. Il bougea seulement quand deux policiers le saisirent pour le hisser sur ses pieds, et encore, son corps ne fit rien d’autre que se laisser traîner pendant que Bowie dévisageait Nick sans comprendre.

— Vous ètes en état d’arrètance, lui dit-on.

Deux officiers ramassèrent Woody comme un vulgaire sac de pommes de terre.

— Désolé, Bo, lui dit Napoléon alors qu’il le contournait. J’apprécie les belles plantes, mais les affaires sont les affaires et…

Deux autres officiers encadrèrent le gageur pour le choper.

— Quoi ? fit Napoléon.

— Vous ètes en état d’arrètance, lui dit-on aussi.

— Moi ?

On évacuait déjà Woody et Bowie de la cabine. Complètement évaporé, ce dernier laissa ses yeux glisser sur les parois du vaisseau, à travers la salle commune où les cartes abandonnées et les vestiges d’une brioche traînaient sur la table, devant la collection de Barbies estropiées, dans les galeries décorées de drapeaux étoilés, au-delà des portes entrouvertes de leurs chambres puantes, parmi les caleçons et les doudounes éparpillées.

— Enflure ! hurlait Napoléon derrière lui. J’aurais dû m’en douter ! Sale crevure de menteur !

Bowie trouva la force de se retourner, rien qu’un peu, juste de quoi apercevoir le visage grave et creusé de Nick qui les suivait en retrait et sans escorte musclée. Bowie chercha quelque chose dans ces yeux-là, des yeux bien plus clairs et bien moins fouineurs que ceux des canons, des yeux blancs et plats comme une couche de plâtre sur une statue. Pourquoi ? leur demanda-t-il, à eux et à l’esprit qui se cachait si bien derrière. Pourquoi t’as fait ça ?

Le Major Tom disparut derrière lui. La navette de la PI l’engloutit.

Bowie marchait sur des jambes pas plus solides que du chewing-gum. Il y avait toujours plus de policiers et de peur autour de lui ; il se sentait flotter au-dessus. Il resta un moment hypnotisé par le motif des semelles de Woody qu’on remorquait devant lui, puis par la face énorme de Charon qui leur faisait coucou par la fenêtre. Son cœur était devenu tellement gros qu’il l’étouffait.

La lumière disparut derrière lui. Charon l’engloutit.

Couloir après salle après scanner après empoignade, le cœur de Bowie enflait, et enflait, et enflait.

— Trois primes pour lui tout seul au lieu de deux à partager, tu m’étonnes qu’il nous ait balancés, l’enfoiré ! continuait Napoléon.

Woody dodelinait de la tête entre les bras articulés des gardes qui les déshabillaient dans le vestiaire commun des nouveaux arrivants. Un fez roula aux pieds de Bowie qui contemplait ses chaussures. Ses bonnes godasses qui tenaient bien aux chevilles. On le fit asseoir, puis plus de chaussures. On le fit tendre les mains ; un coup de pince, puis plus de braço ; un coup de pschit, puis plus du tout de vernis.

— Ça va pas se passer comme ça, marmonnait Napoléon. Il a aucune idée de la mouise dans laquelle il vient de se fourrer ! J’ai des contacts, moi !

— Peut-être qu’il nous a pas trahis, dit Bowie.

Il la sentait. Il sentait la révolte. Il entendait presque le fracas des robots qu’elle écartait et celui des tôles qu’elle froissait pour s’échapper. Le tumulte de la panique et de la rage qu’elle déployait pour le rejoindre.

— Peut-être qu’il avait tout prévu.

Elle arrivait. Son cœur enflait encore.

— Réveille-toi, Bo ! s’exclama Napoléon. Il m’a demandé de l’aider à vous plumer, sur Encelade, avant-hier ! C’est pour ça qu’il voulait que vous me preniez avec vous : pour que je l’aide à vous piéger, puis qu’il me piège ensuite ! Panier garni, prix de groupe !

Bowie leva docilement les bras pour enfiler son uniforme gris. L’impression d’ouvrir les ailes pour s’envoler, haut et loin, comme les officiers qu’elle balayait d’un revers de la main. Elle était en chemin. Elle était tout près. Chaque roulis de poignet, chaque accès de télékinésie soufflait un vent de hargne sous ses côtes écartelées. Il gonflait. Un ballon. Une baudruche pleine de peur et de colère, prête à éclater.

— Peut-être qu’il savait que je voudrais pas le faire s’il m’expliquait.

Elle était là. De l’autre côté de la porte de la salle de préparation. Elle était là qui tapait du poing contre la lucarne, qui hurlait son nom, qui pleurait si fort, qui bombait son cœur pendant que les droïdes tentaient de la cerner.

— Peut-être que se faire prendre, c’était le seul moyen.

L’alerte retentit et une déferlante d’officiers fondit dans le couloir. On arma les choqueurs. Ballotté entre les pinces des robots, Bowie sourit à sa mère qui continuait à tambouriner et à crier. «  !  ! Va-t’en, Núnu ! Sauve-toi ! » faisaient ses lèvres et ses larmes. « Māma », répondaient celles de Bowie. « Māma ».

Il entendit le grésillement de la décharge, le gémissement étranglé de Shelley, puis un bruit de lame derrière lui. Quelque chose lui tira sur la nuque, autre chose chuta avec un bruit mat et il se sentit soudain pris d’une drôle de légèreté, comme une ivresse de cidre.

Bowie pivota, baissa les yeux. Sa tresse encore humide gisait sur les carrelages comme un animal mort.

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