Une Prostituée

Par Lyra
Notes de l’auteur : TW: Baaah, le titre dit pas mal de truc mais rien de graphique ;) Et on est à la moitiéeeee!!: Champomy!

Je suppose que vous voulez que je vous raconte comment j’en suis arrivée là.

Ne prenez pas cet air surpris, je sais que si vous êtes avec moi aujourd’hui ce n’est certainement pas pour me conter fleurette, quoique vous ayez de beaux yeux. Rougissez pas, ce n’est pas un mal bien au contraire.

Ce que vous êtes...conformiste.

Oui, je vois bien que je vous étonne.

Vous ne vous attendiez pas à ce que quelqu’un comme moi vous parle comme ça n’est-ce pas ? Ni avec ce ton ? Alors que je suis une pute, une catin, une prostituée, une..

Eh bien quoi ?Vous n’allez pas froncer les sourcils tout de même ! Vous les employez bien ces mots, plus ou moins discrètement d’ailleurs, sans que cela ne vous choque. Il faut savoir appeler un chat, un chat. Vos « péripatéticiennes », « fleurs des pavé » et autres « belles de nuit » ne nous mèneront pas à grand-chose sauf à perdre du temps. Et dans notre cas j’ai bien peur qu’il soit compté.

Quoi ? Vous pensiez que je l’ignorais ? J’arpente peut-être le trottoir mais je ne suis pas sourde. Ni aveugle. Encore moins folle.

Enfin, ce dernier point n’est visiblement pas sûre.

Bref. Puisque nous sommes ici pour un moment et qu’il y fait bon, causons.

C’est bien pour ça que vous êtes ici n’est-ce pas ?

M’écouter.

Les histoires, ça n’a jamais été mon truc. Oh, bien sûr, j’en connais quelques unes et j’aime qu’on m’en raconte comme tout à chacun. Mais de là à raconter la mienne…

Je ne sais pas trop par où commencer. Dans mon métier, moins on parle mieux on se porte vous savez.

Mon enfance ?

Pas la peine, je m’en fiche presque autant que vous à moins que vous ayez un drôle de penchant pour les poupées de chiffons et vieilles dentelles. Ne me répondez pas s’il-vous-plaît, je ne veux rien savoir de toute façon !

Tous les goûts sont dans la nature, ça j’en sais quelque chose…

Ce que vous voulez savoir c’est le moment où ça a « basculé » n’est-ce pas ? Le moment où j’ai « sombré dans les limbes de la société » ?

Pff ! Je suis quasiment sûre que vous vous dites que j’avais déjà développé des « tendances perverses » à l’adolescence, que je les ai réprimées et qu’un événement à haut potentiel tragique les a subtilement réveillées me poussant avec volupté dans cette vie de débauche à laquelle aucune honnête femme ne devrait même songer.

J’ai entendu parler de votre Freud vous savez. Ce n’est pas parce que j’officie dans la rue qu’il ne m’arrive pas de me rendre chez des gens comme vous de temps en temps.

Maintenant que j’y pense, vous me rappelez un des rupins de Lili la Rousse. Vous savez, celle qui a des cheveux comme un renard. Non, décidément plus je vous vois plus je trouve qu’il vous ressem…

Recentrer le sujet ? Bon, si vous le souhaitez mais nous y reviendrons.

Où en étais-je ?

Ah oui ! Merci.

Et bien non, je n’étais pas plus débauchée qu’une autre, ni plus mauvaise, ni meilleure.

Mes parents étaient des gens que l’on qualifierait d’honnêtes, paix à leurs âmes.

Enfin, surtout ma mère.

Vous savez, elle était servante au service d’une aristo, tout comme sa mère avant elle. Elle ne riait pas tous les jours mais il fallait gagner sa croûte.

Mon père ?

Travaillait aux mines, dans le Nord. Je suis née là bas.

L’alcool ? Non, il en était pas fou. Me battre ? Vous êtes malade ?! Il nous a donné des torgnoles certes mais jamais sans raison.

Remarquez, il est mort avant aussi. Un coup de grisou et pffiou ! Fini.

Ça fait drôle quand même.

De voir une personne le matin, guillerette, solide comme un roc et d’apprendre le soir qu’un courant d’air l’a transformé en cendres. Je pouvais pas m’empêcher d’y penser quand je voyais la suie retomber sur les maisons.

M’empêcher de penser que c’était mon père que je respirais.

Je crois que ma mère aussi devait y penser car peu de temps après nous sommes parties, toutes les trois.

Oui, trois, car j’avais une sœur, plus jeune d’un an. Ou deux, je ne sais plus.

Toujours est-il qu’on a pris nos baluchons et qu’on est montées dans la première diligence qui prenait pour pas trop cher.

Je sais pas si ma mère avait une idée de destination précise. Entre nous, je ne pense pas. Elle voulait juste s’éloigner de la cendre je pense, il n’y avait que ça qui comptait.

Et sa place ?

Elle l’aurait quitté de toute façon.

La comtesse - à moins que ça soit une baronne je me souviens pas - avait décidé d’aller voir si le temps était plus clément chez les bouffeurs de choucroute. Ma mère, ça lui disait rien d’aller fraterniser chez ceux qui ont combattu notre révolution.

Oh, c’était pas une républicaine ou quoique ce soit d’autre, hein !

Elle s’intéressait pas à tout ça, elle disait que ça la dépassait et que de toute façon c’était pas ça qui nous donnerait du pain et de la soupe tous les soirs. Elle avait simplement des principes, sûrement hérités de sa mère. Mais bon, pour ce que ça vous intéresse…

Vous avez regardé deux fois par la fenêtre et avez baillé trois fois depuis le début.

Comme je vous disais, je ne suis pas aveugle. Quand on exerce mon métier il vaut mieux être attentive à ce genre de chose, non ?

Bref, on est parties de là-haut pour aller s’installer à Forges-les-eaux. Je me souviens bien de la ville, le nom m’avait semblé si bizarre, presque exotique.

Pourquoi pas la capitale ?

Vous vous attendiez à ça n’est-ce pas ? Quoi de plus normal pour trois campagnardes issues de corons du Nord que d’aller nicher à Paris dont on nous rabâche tant les esgourdes ?

Bah, faut croire que le bon sens de ma mère avait une fois encore frappé.

Ou plutôt son pragmatisme. Sa mère était normande, ça s’oublie pas.

Toujours est-il qu’elle repose là-bas.

Mais j’avance trop vite peut-être ?

Cette partie n’est de toute façon pas très intéressante. Et au-delà, je ne veux pas m’étendre dessus.

Ma sœur s’est mariée, à un bon à rien. Ma mère est morte du choléra et moi je suis partie.

Ah, je vous vois vous redresser.

Vous sentez que nous venons enfin à la bascule.

Vous êtes comme un chien d’arrêt, à la différence que vous ne remuez pas la queux. Du moins pas encore.

Votre logique devrait maintenant être contente : je suis partie pour Paris. On commençait à trop me connaître à Forges. Car oui, je n’ai pas commencé à Paris.

Ah, moins satisfait d’un coup ! Ne me regardez pas comme ça, si j’avais su j’aurai commencé à Paris pour vous faire plaisir.

Ce n’est pourtant pas difficile à deviner, beaucoup de gens venaient prendre les eaux à Forges.

Des gens seuls.

Et nous nous avions besoin d’argent. Ma mère n’a jamais pu retrouver une place de servante et ma sœur… N’en parlons pas.

Ça se passait...ne disons pas bien, ce serait mentir, mais ça se passait mieux qu’ailleurs.

Mais tout se sait vite dans ce genre de villes. Le type qu’avait épousé ma sœur était un peu riche et très arrogant. Il a pas supporté que mon nom soit semblable à celui de sa femme et me l’a fait comprendre au lieu de nous aider.

Moi, je voulais pas d’ennuis donc voilà.

Paris.

Je leur ai tout laissé sauf le collier de ma mère, ça je l’ai gardé. Héritage familial. Je vous dis cela au cas où vous auriez la drôle d’idée de penser que je l’ai volé. Un esprit tordu imagine des choses tordues, c’est pas votre faute.

Y a quoi à dire ensuite ?

Ce que je pourrais vous dire est semblable à ce que vous dirons les autres filles que vous avez attrapé.

En passant, un sacré coup de salaud que vous nous avez fait là. Vous auriez idée d’arrêter des ouvriers ou des pharmaciens parce qu’ils sont au turbin ? Bah je pense pas, non.

Rien à dire, c’est dégoûtant. Quand on a pas envie d’être en tête à tête avec la veuve poignet, y a du monde mais quand faut assumer, pfiooou ! Envolés.

Mais passons sinon je sens que vous allez tirer la tronche.

Y aurait quoi à dire de plus, en effet ?

Déjà on oublie la carte postale de la « ville-lumière », le seul truc qui est impressionnant ici c’est la saleté. Jamais vu autant de crasse et d’ordures ! Et avec ça on se monte la tête, j’vous jure…

Ensuite c’est comment vous nous voyez.

Ce mélange de pitié et de dégoût. Vous vous rendez pas compte. Ça mine ça.

Encore que moi, je m’en suis bien sortie.

Savez-vous que j’ai été la maîtresse d’un duc ?

Non, bien sûr. Sa veuve a du étouffer l’affaire. Mais dans le métier, ça vous pose ça !

Satin, perles, brocart , bals, beau monde… Vous verrez, viendra le temps où on écrira nos histoires et où elles seront lues.

Si ça me plaisait ?

Une question crue docteur, aimeriez-vous vendre votre cul?

Merde, n’allez pas me clamser dans les bras quand même ! Vous voulez que je vous tape dans le dos ? Sûr ?

Je termine vite alors.

A votre avis, pensez-vous qu’il est plaisant d’attendre dans le froid toute la nuit ? D’attendre qu’un vieux type tout mou ou un jeune abruti rongé par l’absinthe viennent vous voir ? De faire attention à ne pas tomber enceinte ? A pas finir pourrie par la maladie ? A essuyer la violence, l’alcool et les regards ?

Alors oui, si je suis ici c’est parce que vous m’avez attrapé en train de racoler et que vous classez ça comme une sorte de maladie bizarre. Mais alors vous en faites quoi des clients ? Des hommes ?

Les violents, les menteurs, les hypocrites, les habitués, les passe rapides, les maqueraux.

Ceux qui viennent se faire galocher, pomper, vider, mordre, oublier.

Ceux qui paient, qui jouissent, qui tapent, qui volent, qui violent, qui tuent.

Ceux qui nous enferment le jour et nous blessent la nuit, qui haussent des sourcils indignés et viennent pourtant se décharger.

Je leur crache mon dégoût.

Ceux qui nous soûlent, nous exploitent, se nourrissent de notre misère, tétant jusqu’à notre moelle.

Ceux qui nous maintiennent sur le trottoirs.

Je leur crache mon mépris

Ceux qui construisent leurs palais sur nos corps.

Ceux qui sont dehors quand nous, nous sommes aliénées.

Je leur crache ma haine.

Ils ne veulent pas l’entendre, ils l’entendront quand même, même si pour cela il faut nous briser la voix.

Un jour, bientôt, très bientôt, nous ne serons plus celles qui regardent le monde d’en bas.

Un jour, bientôt, très bientôt, nous mettrons votre monde cul par dessus tête.

Et alors…

Et alors…

...

Puis-je partir maintenant?

Merci de m’avoir écoutée.

Oui docteur ?

Pourquoi je me suis retournée ?

Parce que ce n‘était pas à vous que je parlais.

C’était à toi.

 

Le silence tue.

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Pluma Atramenta
Posté le 28/11/2020
Lyra, Lyra... Tu sais que c'est mal d'écrire si bien ? :,)

Nous voilà dans un style bien différent de la précédente nouvelle, moins raffiné, plus "brut", mais comme ça correspond parfaitement au sujet, je n'ai rien à te reprocher. Je trouve justement super que cette femme parle de façon si butée, si renfrognée. Elle nous crache sa haine au visage, c'est si subtil que c'en devient magnifique. Pauvre femme, vraiment ! Elle me tue de peine.
J'ai toujours eu du mal d'ailleurs avec la manière dont les gens considèrent les prostituées. Avec... répugnance, en fait. Comme si, oui, elles faisaient cette "profession" de bonté de cœur. C'est complètement injuste, et j'aimerais beaucoup les tirer à jamais du "Lupanar", ces femmes qui ne demanderont jamais mieux. En fait, je pense qu'avec ton texte si... puissant, je vais carrément cracher au visage des gens ! XD
Petite Coquillette : "vous ne remuez pas la queux." (= queue)
Lyra, je tenais juste à te dire qu'à travers ce recueil, tu m'as absolument époustouflée et que maintenant que j'ai ouvert "Le Cavalier et l'Orphelin", je ne suis sans doute pas au bout de mes surprises... Plutôt dans l'historique j'ai remarqué, tu as une plume pleine d'émotions costaudes, de fluidité, d'efficacité telle que je l'a crois bien capable d'ouvrir les yeux aux plus aveugles, aux plus imbus d'eux mêmes. Tu y vas franchement avec tes idées, les causes à défendre, les morales à recevoir, et tout cela est absolument magnifique. J'ai hâte de découvrir la suite du recueil et, plus loin encore, l'un de tes textes en librairie <3

Puisse ton encre s'éclabousser à jamais d'imagination !
Pluma.
Lyra
Posté le 27/12/2020
Pluma, Pluma, Pluma...Tu sais que c'est mal de faire rougir les gens comme ça?
Je suis extrêmement touchée par tes remarques et compliments, merci de me rassurer sur ces textes surs lesquels je doute <3
Je ne sais quoi te dire de peur que cela sonne creux et vais donc m'arrêter là, mais merci. Sincèrement.
Oui, j'ai toujours aussi eu beaucoup de mal avec la façon dont notre société traite les prostituées. C'est sur elles que vont la honte et l'opprobre alors que ceux qui exploitent leur misère s'en sortent bien, que nous les croisons tous les jours sans réactions alors qu'elles, elles sont pointées du doigt. Nous n'avons pas beaucoup changés depuis le 19e siècle, quoi qu'on en dise. Mais un jour, peut-être, arrivera cette libération, du moins je l'espère. . Quoiqu'il en soit, je te remercie de m'avoir lue jusqiu'au bout, d'avoir partagé tes impressions avec cette plume si élégante qui te caractérise. Je vais me remettre à l'écriture de la prochaine nouvelle avec ces encouragements en tête, merci <3
Que jamais l'encre de ton imaginzation ne sèche ^^
Sincèrement.
Lyra
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