Septième fragment

Notes de l’auteur : J'ai oublié qu'on était dimanche, mais on est encore dimanche donc ça passe ! Cette semaine, le septième et dernier fragment, avant de continuer le plongeon vers la fin du roman... Bonne lecture :)

Les débuts ont toujours l’étrange manie de ressembler à des fins.

C’était ce que la mère de Myria lui avait répété, sur son lit de mort, trois ans plus tôt. Cela n’avait rien changé : Selina Nidré était tout de même morte, et Myria s’était retrouvée seule. Elle avait déjà perdu son père, lorsqu’elle était trop jeune pour se rappeler plus qu’une voix rugueuse et une main où manquait deux doigts. Elle n’avait jamais eu ni frère ni soeur, et n’avait plus pour seuls parents que des cousins, tantes et oncles qu’elle ne connaissait pas vraiment. Cette nouvelle vie, ce nouveau départ, si c’en était vraiment un, elle devrait le découvrir seule.

— Myria Nidré, si vous voulez bien me rejoindre sur l’estrade ?

Son coeur se gorgea de fierté, lorsque le directeur Sevila Nediro l’invita d’un geste de la main à traverser la foule. Une pointe d’angoisse perça aussi - serait-elle vraiment à la hauteur de la tâche qui l’attendait ? Avait-elle vraiment ce qu’il fallait, pour être une Soldate de la Nuit, dans ces temps troubles ? Myria était jeune, après tout. Mais elle avait du talent à n’en plus savoir quoi faire. Elle le savait, ses professeurs le savaient aussi. Myria Nidré avait toujours été promise à de grandes choses.

Alors elle laissa les célébrations et les cris d’approbation chasser cette pointe d’angoisse, et courut prendre sa place parmi ses pairs. La fête gronda bien assez vite, tout autour d’elle, comme à chaque fois qu’un nouveau candidat prenait le titre de Soldat.e, et Myria profita de la liesse de tout son coeur, de toute sa joie, de tous ses espoirs. De toutes ses peurs, aussi.

Parce qu’aussi fantastique que soit ce nouveau début, comme tous les débuts, il avait aussi un petit air de fin.

Elle s’éclipsa après une énième danse pour aller vider sa vessie, et sur le chemin du retour, décida de prendre une brève pause dans les couloirs. Juste un instant volé, le regard tourné vers la nuit dans son alcôve préférée, cela ne pouvait pas faire de mal…

Elle s’arrêta net, lorsqu’elle vit que quelqu’un s’y était déjà installé, et qu’elle reconnut la silhouette à la longue robe noire tissée de perles bleues. La Dame des Nahara, en chair et en ombre, seule et juste à quelques mètres d’elle. Myria et elle n’avaient aucun lien de sang, mais leurs familles étaient liées depuis des générations et appartenaient à la même branche de la noblesse valeni. La jeune femme n’avait jamais vu la Dame que de loin, jusqu’à présent. De près, ses grands yeux noirs, soulignés d’un trait blanc ivoire, semblaient avoir capturés à eux seuls toutes les lueurs du jour.

— Il y a bien assez de place pour deux, assura la Dame.

Myria cligna des yeux, et sentit ses joues bouillir, face au sourire qui l’invitait à la rejoindre. Plutôt que de rester debout dans le couloir à regarder la Dame en silence, elle se ressaisit et la remercia d’un signe de tête, avant de se glisser sur la banquette face à elle. 

— Félicitations pour ta promotion.

La Dame affichait toujours un sourire sincère, que Myria finit par rendre alors qu’elle acquiesçait avec gratitude.

— Je suis là pour vous servir, répondit-elle avec une courbette mi-sérieuse mi-moqueuse.

Son coeur bondit quand la Dame lui offrit un léger rire qui fit sourire Myria encore plus largement, aussitôt remplacé par une moue inquiète lorsqu’une grimace crispa les traits de la belle valeni. Elle porta les mains à son ventre, très rond sous la dentelle noire de sa robe, et ferma les yeux quelques instants pour reprendre son souffle.

— Vous avez mal ?

— Ce petit sauvageon ne prend jamais de repos, même pas une journée. 

Elle réajusta sa position, et Myria l’observa sans oser ni bouger ni rien dire. Jusqu’ici, elle avait à peine remarqué la petite ombre qui s’agitait au creux de celle de sa mère, comme si tout ce que le bébé attendait était de découvrir le monde dès aujourd’hui, tant que la fête battait encore son plein.

— C’est mon tout premier, admit la Dame. Et il fait mal, c’est vrai… mais le maître des Temps m’a assuré de sa bonne santé, présente et à venir.

— Je ne savais pas qu’il donnait des consultations pour les futures mères ?

— Il n’en donne pas, rit la Dame. Et je ne me risquerais pas à voyager au-delà du monde pour aller lui demander quoi que ce soit, même avec une combinaison.

Myria grimaça. Elle s’était déjà rendue sur la Toile, et connaissait la brûlure intense à laquelle tous les valenis en visite se soumettaient, même protégés. 

— Tu me demandes cela parce que tu as un projet avec quelqu’un de spécial ?

— Quelqu’un de… ? Oh, non, la vie d’une combattante est terriblement solitaire.

Elle prit une pose dramatiquement désabusée, le coude posé sur le dossier de la banquette et le regard perdu dans la nuit, avant de continuer.

— J’avais une copine il y a encore peu, mais elle avait trop peur du danger… peut-être qu’il nous reste encore une chance quand même ?

La Dame rit doucement, sincèrement amusée par ses bêtises. Myria trouva cela particulièrement encourageant. Encourageant pour quoi, elle n’en était pas encore tout à fait certaine.

— Tu n’as pas l’air très convaincue, pourtant, fit remarquer la Dame.

Myria haussa les épaules.

— Non, admit-elle. Et puis maintenant il y a ce garçon qui me courtise et qui n’est franchement pas vilain. J’ai presque envie de lui donner aussi sa chance… rien ne m’empêche de sortir avec les deux, si tout ça s’arrange ! Ou avec aucun, s’ils ne s’entendent pas... Peut-être qu’être juste moi, pour quelques temps, ce sera très bien aussi.

— Je comprends ce que tu veux dire, approuva la Dame avec un léger sourire. J’aurais aimé que mes trois amants se tolèrent, mais j’ai été obligée de choisir, malheureusement.

Myria leva un sourcil. Elle ne connaissait pas grand chose des relations qu’entretenaient la Dame. Etait-elle mariée ? Avait-elle un.e ou des amant.es ? Qui était l’autre parent du bébé qu’elle portait dans son ventre ? Aussi proéminentes que soient la famille des Nahara et la place de la Dame au sein de la communauté valeni, elle parvenait tout de même à maintenir son intimité inconnue du grand public.

— Comment vous avez fait, pour choisir ? demanda finalement Myria.

La Dame caressa son ventre, le regard légèrement troublé et une moue embêtée sur ses lèvres finement dessinées. 

— Je suis restée avec les deux personnes qui avaient la même vision de famille que la mienne, tout simplement. 

Donc, la Dame avait bien plusieurs amant.es - ce qui impliquait qu’elle était parfaitement capable d’aimer plusieurs personnes à la fois. Pourrait-elle - peut-être, qui sait, avec un peu de chance - apprécier Myria aussi ? Non, jamais. Parce que malgré ce qu’elle affirmait, la jeune fille avait toujours été trop timide en amour. Rêvasser éveillé lui suffisait largement, pour le moment.

— Pourquoi ça n’a pas marché, avec la personne avec qui vous vous êtes séparés ?

La Dame serra les lèvres et évita son regard. Peut-être la question était-elle un peu trop personnelle ? Elle y répondit, néanmoins, après quelques instants silencieux.

— Je crois… je crois qu’elle avait peur d’être aimée. Et j’ai bien peur que ce sera toujours le cas.

Elle soupira, et chassa la mélancolie qui troublait son beau visage avec un sourire qui fit de nouveau battre le coeur de Myria.

— Ou peut-être qu’elle se trouvait trop vieille ou moi trop jeune pour elle. Qui sait, avec ces maegis pluri-centenaires… Mais ce bébé est ma priorité, et mes deux partenaires seront de merveilleux parents pour lui, je le sais.

— Les débuts ont toujours l’étrange manie de ressembler à des fins, compléta Myria sans y réfléchir.

Le sourire de la Dame se teinta d’une chaleur nouvelle, à peine troublé d’une pointe de tristesse. 

— Ma mère disait cela, admit la Dame. Qu’en penses-tu ?

Myria haussa les épaules, et ramena ses jambes sous ses fesses, soudainement mal à l’aise d’être restée assise si longtemps.

— Je ne sais pas trop. J’aurais juste aimé que les fins n’existent pas, je crois. 

Elle se tourna vers l’extérieur et le ciel zébré de lumière ensorcelés. Ses yeux se piquèrent de larmes, mais avant qu’elle ne puisse lever la main pour les chasser, elle sentit les doigts chauds de la Dame contre les siens.

— Les fins deviennent plus douces avec le temps, assura-t-elle.

Myria rougit, sourit, et surtout, elle la crut. Les fins, elle finirait par les oublier, par les ranger quelque part pour ne plus y penser que de temps en temps. Myria n’avait rien à craindre, pas même les fins, et encore moins les débuts. Après tout, elle était la meilleure guerrière de sa génération - rien ne pourrait jamais l’arrêter, non ?

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nanouchka
Posté le 01/08/2022
C'était inattendu comme fragment, différent des autres, et soudain je me suis demandé si ce sont les derniers souvenirs qui défilent dans la tête de Myria au moment où elle meurt. Je ne suis pas encore très sûre du but de ce morceau, si ce n'est de mieux apprendre à connaître Myria comme personnage, mais est-ce que ça joue un rôle dans l'histoire ?
Vous lisez