Quatorze - Loup-Garou

Notes de l’auteur : La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera : Dreyfus n'est pas un loup-garou. Il est peut-être la petite fille, par contre.
Emile Zola

Le printemps s’était déjà bien installé lorsque la sonnette des Sherwood résonna, suivi par les aboiements habituels. Sélène et sa famille se tassait devant la porte encore close, dans l’attente que quelqu’un l’ouvre.

- Salut ! Comment ça va ?

Corine affichait un énorme sourire chaleureux, et Sélène oublia momentanément ses appréhensions. Elle ne savait toujours pas si Léo avait reçu l’enveloppe, et la jeune amoureuse était bien décidée à le lui demander de vive voix. Une après-midi décisive pour Sélène…

- Bien, et toi ? dit-elle en l’embrassant sur la joue.

Comme d’habitude, Léo et elle évitèrent tout contact physique, même des plus brefs.

<3

- A quoi voulez-vous jouer ?

- Qu’est-ce que vous dites d’une partie de Loup-Garou ?

- Avec plaisir !

Loïc passa rapidement les règles en revue de sorte que même Annie, la grand-mère des fils Sherwood, puisse également jouer. Il distribua ensuite les cartes ; Sélène fut une simple villageoise.

- Le village de Thiercelieux s’endort - les gens qui dorment ne parlent pas, Mathéo - et j’appelle Cupidon. Il me désigne les personnes qu’il souhaite unir jusqu’à la mort… Cupidon peut se rendormir. Je vais toucher la tête des deux amoureux, qui se jureront fidélité.

Sélène ouvrit les yeux et chercha son « amoureux » du regard. En face d’elle, Léo faisait exactement la même chose… Ce qui ne signifiait qu’une seule et unique possibilité : Cupidon avait encore frappé et décidé de les mettre ensemble. Qui était-ce ? Sélène ne se posa pas immédiatement la question ; pour le moment, elle profitait de l’instant présent, et de la joie que lui apportait cette situation si… particulière. Sous l’effet de l’adrénaline, ses mains tremblaient, elle avait chaud et rougissait légèrement. Léo, en face d’elle, éprouvait visiblement le même malaise que Sélène. Ils se « rendormirent » avec un dernier coup de d’œil envers l’autre. Seul Loïc avait été témoin de cet échange.

Peu à peu, les joueurs moururent, et il ne resta plus qu’Annie et les deux amoureux. Un des trois était loup, mais qui ? Sélène avait un léger doute sur Léo, mais elle ne pouvait pas le tuer, règles du jeu obligent. Ils se jetèrent un coup d’œil complice avant de désigner Annie d’un même geste.

- Eh bien, Annie…

Celle-ci retourna sa carte : un loup. Les amoureux avaient gagné. Ils étaient les deux seuls vainqueurs. Ils entourèrent ensuite le bar en marbre de la cuisine pour servir le goûter. Sélène pianota tout du long sur la table un menuet de Bach pour essayer de se calmer, avec plus ou moins de succès. Un clavier invisible courait sous ses doigts, mais malgré leur frénésie, l’adrénaline mit un temps considérable à disparaître. Sélène se souvenait encore du regard qu’elle et Léo avaient échangé lorsqu’ils avaient gagné. Durant une fraction de secondes, ils avaient été sur une autre planète, seuls au monde. Ce regard, si profond, si intense… La jeune fille avait eu l’impression que Léo essayait de lire en elle, de la déchiffrer, elle et ses intentions, elle et ses sentiments…

Sélène pensait qu’il avait demandé à son père de les mettre ensemble pour tester sa réaction, sa sincérité dans son texte. Mais dans ce cas-là, il aurait reçu sa lettre… Pourquoi n’aurait-il rien dit ? D’ailleurs, elle ne devait pas se laisser distraire par son but de l’après-midi : lui demander de but en blanc s’il l’avait reçue.

Après le goûter, il y eut un moment de flottement avant de préparer le souper, ils allèrent donc jouer dehors. Leurs deux cousins, Liam et Mathis, se trouvaient aussi chez les Sherwood. Sélène les observa consciencieusement les garçons jouer au tennis de table, et ses sœurs sur la slackline.

- Sélène ! Tu veux essayer de jouer ?

- Euh… Non merci.

Liam retourna se faire battre par Léo et Mathis. La jeune fille se plaisait là où elle se trouvait, et elle n’avait jamais essayé le ping pong, et elle ne tenait pas à se ridiculiser devant Léo.

Ils rentrèrent peu après et Coralie posa une devinette introuvable à Liam, qui ne la connaissait visiblement pas. Pendant qu’il essayait de la résoudre - en vain - Sélène proposa à Léo de jouer à Awalé, un jeu traditionnel africain auquel ils avaient déjà joué la dernière fois. Sélène n’en parlait pas beaucoup, car dès la première fois que Léo avait joué, il avait gagné contre Sélène. Elle n’avait jamais réussi à le battre.

Ils installèrent le plateau puis commencèrent à jouer.

- Pour une fois… j’ai l’air de gagner, dit Sélène alors qu’ils comptaient les points.

- À un point près.

Sélène, elle, était sur le point de demander s’il avait reçu sa lettre. Son cœur accéléra, ses mains devinrent moites… Et elle fit tomber une pièce du jeu, réduisant le charme créé par la partie. Elle avait roulé si loin sous le canapé qu’il fallut aller chercher le manche d’un balai. Sa chance était passée, d’autant plus que les adultes les appelaient pour mettre la table.

Après dîner, les enfants partirent jouer à cache-cache. Les cousins étaient partis peu avant, et il ne restait plus que les trois filles Gavillet et les Sherwood. Coralie commença à compter, et ils firent quelques parties avant d’être appelés par leurs parents pour venir jouer à Times Up. Alors que Mathéo comptait, Sélène alla se cacher dans la chambre de Léo, à l’étage. Très mal cachée, d’ailleurs. Léo débarqua peu après ; il lui jeta un coup d’œil avant de disparaître dans l’armoire. Sélène brûlait de lui demander, mais chaque fois qu’elle essayait, elle se dégonflait au dernier moment, comme dans l’escalier alors qu’ils rejoignaient les adultes.

- Léo ?

- Oui ?

- Non, rien…

Sélène partit le cœur lourd. Léo se tenait entre la porte de la cuisine et un meuble lorsqu’ils quittèrent les Sherwood. Elle bredouilla « Bye bye » en passant devant lui sans le regarder, sentant le poids de son regard sur ses épaules.

Léo

Ma tête bourdonne sous l’emprise de mes pensées tumultueuses. Et voilà que je deviens poète… Si Sélène le savait ! Elle ignore beaucoup de choses, j’en suis certain, mais je sais qu’elle parviendra à ses fins, malgré sa timidité naturelle. Elle écrit bien… mais pour parler… c’est une autre histoire. Je ne comprends pas l’acte de Papa, pour la deuxième fois en plus ! Pourquoi nous et pas Coralie et Mathéo ? J’en ai marre qu’ils croient pouvoir me faire tomber amoureux. Il n’y a qu’elle qui pourrait m’en convaincre, et je n’ai AUCUNE attirance pour elle. Du moins pour l’instant… Cette pensée me fait frissonner. On dit souvent que l’amitié qui se transforme en amour n’est jamais bon signe…

J’ai eu peur toute l’après-midi qu’il se passe quelque chose entre nous. Au Loup-Garou, quand on a tué Grand-Maman… le regard de Sélène à ce moment-là illustrait tant d’espoir que je ne pourrai jamais satisfaire… je la blesserai d’une façon ou d’une autre, c’est certain, mais je ne suis pas encore près… Comme je peux être égoïste !

Je l’ai testée, aujourd’hui… Quitte à être « amoureux » d’elle, j’ai essayé de voir si ses sentiments étaient réels, je voulais savoir comment elle réagirait devant mon silence. Je ne suis pas beaucoup plus avancé qu’avant, et j’ai un mal de tête insupportable : que dois-je faire ???

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