Printemps

Par Eska

Comme Octobre, Elle a tiré sa révérence par une nuit d’encre. Assise, le regard vissé dans le mien, Elle m’a parlé de ses erreurs et des miennes, de ses aspirations et des miennes. Ainsi, nous avons parlé d’Elle, de moi. Plus de Nous.

D’été, mon cœur a chaviré en hiver.

D’habitude en habitude, j’errais seul dans les méandres de nos souvenirs. Sur cette place où les dimanches son rire se mêlait au mien tandis qu’un café réchauffait nos mains. Le long de nos interminables déambulations sous les cent clochers de la vieille ville où nos regards s’invectivaient, se provoquaient. Alors j’ai cherché des chemins de traverse, des lieux où son fantôme n’était pas à quelques pas. En vain. Tout me ramenait froidement à elle, à cette ville, à nous. Allongé à l’entendre soliloquer sans discontinuer, pour finir assourdi par le silence qui l’avait remplacée. Maudissant la beauté froide du Gros-Horloge et le passé qu’il remuait de ses aiguilles, je sombrais, transi.

Pelotonné dans mon trou de souris, je laissais la neige étouffer ma peine. M’offrant au sommeil plus que de raison, j’en oubliais les jours qui fondaient comme février s’achevait.

Un matin pourtant, tout changea. Je passais le pas de ma porte aussi veule que la veille. Comme chaque fois, foulant le pavé d’un pas mesuré, je laissais mon regard fureter. Ce jour là, alors qu’elle s’était parée de ses gris favoris, ma ville me sourit. Le ciel laiteux se délita, et le soleil s’immisça entre Elle et moi. Sa chaleur enlaça mes épaules comme un ami l’aurait fait. Saturés de lumière, les hauts murs à colombages rayonnaient de leurs couleurs pastels, me toisant royalement ; m’invitant à avancer. Alors je marchais, jusqu’à ce square où hier encore dormaient les arbres. Autrefois figés dans leur éternelle danse, ils bruissaient maintenant de délice, maculés du vert tendre et translucide des premières feuilles. Loin au-dessus de moi, hirondelles et martinets s’égaillaient. Longtemps ils virevoltèrent, filant à des vitesses vertigineuses dans un ballet merveilleux. Le vent chargé de notes sucrées parlait d’été comme d’une promesse. Assis sur ce banc où nous nous étions rencontrés pour la première fois, je laissais partir ce dernier souvenir, ce timide ‘Bonjour’. Si la vie se contait en saisons, alors, notre amour avait été ce feu d’artifice estival, cette douceur d’Automne. L’hiver avait été sa fin, et longtemps, j’avais cru qu’il était la mienne. Mais voilà qu’arrivait le Printemps.

Tapi derrière les bourgeons gras et sucrés, derrière les larmes des bouleaux et les premiers bourdons engourdis, il m’avait surpris. Son éclosion subite, palette de couleurs fraîches et vivaces ravivant mes prunelles. Comme le monde, mes souvenirs d’Elle se coloraient alors. La toile cendrée de notre histoire se faisait aquarelle. Des rouges, des jaunes, des bleus, le bonheur faisait tache d’huile, rendant leur saveur à ces années que nous avions partagées. Ce jour de Mars, un sourire fendit mon visage. Brièvement, mais c’était bien assez. Alors je fermais les yeux, l’imaginant s’asseoir à côté de moi.

-Alors ça y est ? Tu m’oublies ? lança-t-elle souriant faiblement. -Non, enfin, je ne crois pas. Je crois simplement que je réapprends à m’aimer. Non plus en dépit de toi, ou à travers toi. Non. J’apprends à m’aimer pour moi, avec une pincée de toi, et de ce que j’espère t’avoir laissé de moi. -Plus d’amertume alors ? -Si, bien sûr, mais elle se mâtine de douceur, c’est une saveur qui me plaît.

On m’a souvent dit du Printemps qu’il était une renaissance. Depuis ce jour, il est pour moi cet éclair fugace ou, alors que l’hiver fléchit, la promesse de jours meilleurs nous rappelle ce qu’hier avait de bon. Il est un tendre retour en arrière, chassant de nos âmes ternies par le gel la brume qui obscurcit nos mémoires. La nature dont nous avions oublié les nuances nous rappelle qu’elle n’était qu’endormie. Que ce n’est pas parce que nous ne voyons pas la fleur, qu’elle ne sommeille pas sous nos yeux, attendant patiemment un rayon de soleil. Le printemps n’est pour moi qu’un réveil. À son arrivée, nous n’avons pas changé, nous nous abandonnons simplement à sa sarabande chamarrée. Car en lui ne résident que de vibrantes promesses, toujours plus riches à mesure que s’éclaircit l’horizon et s’étirent les jours. Il panse nos plaies, nous amène à nous rappeler qu’hier encore nous l’attendions et qu’il est finalement arrivé si vite ! Si nous faiblissons parfois pour ensuite nous ressaisir, alors, rien n’est plus printanier que le rire d’un enfant qui vient de tomber.

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Liné
Posté le 24/03/2023
Quelle heureuse coïncidence de découvrir ta plume en tout début de printemps... !

J'ai beaucoup aimé la personnalisation des saisons, du temps. Je me suis laissée brinquebaler en me disant que, après tout, ce texte pouvait aussi parler de relations humaines (amicales, amoureuses, etc.).
Eska
Posté le 07/04/2023
Hello Liné !

Merci pour ton petit mot :)
Ton intuition est juste, ce texte parle aussi, un peu, de ça !

Au plaisir de te lire,
laurene m.
Posté le 09/02/2023
le temps allège nos peines qui se transforment, alors, en souvenirs...
on les apprivoise, plus ou moins rapidement, à son rythme.
Il y a une jolie phrase qui dit, en substance, qu'il faut apprendre à vivre seul afin que les gens que nous fréquentons soient là parce que nous en avons envie et non parce que nous en avons besoin.
le secret du bonheur ?
Eska
Posté le 11/02/2023
Hello Laurene,

Une jolie phrase effectivement, si ce n'est le secret du bonheur, elle en est probablement une des innombrables clés :)

Merci pour ton joli commentaire et la lecture !
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