Mauvaises nouvelles

Par deb3083

Il faisait étonnamment chaud pour cette période de l’année. L’automne était pourtant installé à Jorren depuis plusieurs semaines. Le soleil qui brillait à travers les feuilles mordorées des arbres lui fit cligner des yeux. Il aimait s’échapper le soir et profiter d’un moment de calme à l’écart de la troupe. Dans ces instants de grâce, la forêt s’enveloppait d’une sérénité presque magique.

Il s’abreuva à la source qui jaillissait face à lui. Puis il se redressa et soupira. Encore un hiver et il pourrait enfin mettre ses projets à exécution. Il avait suffisamment nourri sa vengeance, il était temps de passer à l’action.

Il ne disposait pas d’une armée aussi puissante que celle de Korag mais les hommes et les femmes qu’il avait patiemment formés depuis de longues années étaient d’excellents combattants.  Il comptait sur l’effet de surprise et les nombreux renseignements patiemment collectés pour renverser celui qui usurpait le trône d’Efrijan depuis bien trop longtemps.

 

Un léger craquement retentit non loin de lui. Aux aguets, l’homme se dissimula derrière un buisson et saisit son arc. La crainte disparut de son visage dès qu’il reconnut le signal. Il sourit à Rory, son meilleur ami, lorsque ce dernier apparut de l’autre côté de la source :

—Tu t’inquiétais pour moi ? J’avais prévenu que je partais une ou deux heures pourtant.

— Lorcan et Eamon sont revenus. Ils apportent de bien mauvaises nouvelles.

 

L’Archer étouffa un juron. Il enjamba le mince filet d’eau qui serpentait entre les pierres et se mit à courir. Rory laissa échapper un cri de protestation :

— Tu aurais pu m’accorder quelques minutes de repos, bâtard !

 

L’autre stoppa sa progression et se retourna pour observer son ami qui s’avançait vers lui sans se presser :

— Je sais que tu as passé la journée vautré dans les bras d’Estrid. Tu n’es pas fatigué.

 

Après avoir adressé un clin d’œil à son ami, l’Archer reprit sa course. Rory parvint à le rattraper et ils parvinrent ensemble non loin de l’entrée de leur royaume souterrain. Les deux hommes s’arrêtèrent cependant à une centaine de mètres, non sans avoir au préalable signalé leur arrivée aux sentinelles.

Pendant quelques minutes, ils guettèrent le moindre signe d’une présence étrangère aux environs.

Assurés qu’il n’y avait aucun ennemi à l’horizon, les deux amis se dirigèrent d’un bon pas vers le passage secret.

Avant de disparaître dans les entrailles de la terre, Rory arrêta l’Archer d’un geste :

— Aaron, tiendras-tu ta promesse l’été prochain ? Vas-tu enfin nous révéler ton véritable nom ?

— Je le ferai, lorsque Korag sera hors d’état de nuire. Cela m’ennuie de te mentir depuis si longtemps mais je n’ai pas le choix. Je dois tous nous protéger.

— Tu sais que tu es comme un frère pour moi.

— Raison de plus pour que je demeure prudent. Si quelqu’un découvre qui je suis, nous sommes tous morts, Rory.

— Je me suis imaginé tellement de choses à ton sujet. Ce que tu faisais avant que tu n’arrives à Siborg, comment tu es devenu le prisonnier d’Ogrior, où se trouve ta famille…

— Ma seule famille c’est notre troupe de rebelles. Quant à mon passé, à ce qui précède notre rencontre, tu devrais arrêter d’y songer. Je t’ai promis des réponses mais pas maintenant. Et je garderai certaines choses pour moi.

— Désolé, je ne voulais pas te vexer.

— Allons retrouver Lorcan et Eamon.

 

Depuis son arrivée dans la forêt, l’Archer avait élu domicile dans les ruines d’un ancien château. Le temps et la végétation avaient fait disparaître l’édifice sous une véritable armure de bois, de ronces et de pierres. En surface, il ne restait pratiquement rien. La nature avait repris ses droits.

Mais en sous-sol le jeune homme avait découvert un gigantesque labyrinthe, un dédale de couloirs, de pièces et de cachots où il avait aménagé son repaire secret.

La destruction du château remontait à plus de cinq cents ans, personne ne se rappelait son existence. De plus, il était situé au beau milieu de la forêt de Jorren, dans un endroit particulièrement difficile d’accès et à plus de trois heures de marche de la civilisation. Le lieu constituait dès lors un refuge idéal.

Rory écarta plusieurs couches de lierre épais qui tombait en cascade et dissimulait à la perfection l’entrée de leur cachette. Il émit un curieux sifflement auquel un bruit similaire lui répondit.

Les deux hommes descendirent une trentaine de marches de pierre et se retrouvèrent devant une lourde porte en chêne surveillée par une autre sentinelle. L’Archer salua le garde avant que celui-ci le laisse accéder aux souterrains.

Un étroit couloir apparut, éclairé par de nombreuses lanternes. Deux nouveaux guetteurs firent leur apparition. L’Archer avait été intransigeant sur les mesures de sécurité. Personne ne devait découvrir cette retraite. Car le lieu n’hébergeait pas que des hommes.  Il y avait également des femmes et des enfants.

Celui que tout le monde connaissait sous le prénom d’Aaron se rendit dans l’un des cachots qu’il avait transformé en salle du conseil.  

Il y tenait de nombreuses réunions avec un petit groupe de rebelles qu’il avait choisi avec soin. Il s’agissait de quatre hommes et quatre femmes qui l’avaient rejoint dans sa croisade depuis plus de dix ans.  

 

Né et éduqué à Efrijan, Aaron veillait à ne pas se comporter de manière aussi rigide que dans le royaume voisin de Xangrath. Là-bas, les femmes étaient contraintes de rester chez elles. Elles n’avaient pas l’autorisation de rejoindre l’armée ou de travailler tout simplement. Elles devaient s’occuper de leur maison, des repas et de leurs enfants.  

Au sein de sa troupe, tant les hommes que les femmes s’occupaient des tâches domestiques. Chacun pouvait s’entraîner au combat et tous étaient de redoutables archers. De plus, les membres de la troupe avaient le droit de s’exprimer et de donner leur avis avant toute expédition punitive décidée par Aaron. Ce dernier tenait plus que tout à créer un climat de confiance et à impliquer tout le monde dans la vie de la communauté.

 

Les adjoints du jeune homme le rejoignirent très vite. Parmi eux, Lorcan et Eamon affichaient une mine sombre. Aaron comprit que les informations qu’ils s’apprêtaient à lui confier concernaient Korag.

Rory prit place à la droite de l’Archer. Nyssa, une jeune femme brune à la peau hâlée et aux yeux d’un noir profond, s’installa à gauche. Orpheline tout comme son mentor, c’est elle qui avait découvert les souterrains et qui avait proposé à Aaron d’y établir leur quartier général. À l’époque, ils avaient quinze ans tous les deux et formaient avec Rory un trio inséparable.

Aaron avait sauvé Nyssa d’une vie de misère et cette dernière lui avait promis son aide indéfectible.

La complicité qui unissait les trois amis n’avait jamais faibli. Au fil des années, elle s’était renforcée et personne au sein de la troupe ne songeait à remettre en question la position privilégiée que Nyssa et Rory occupaient auprès de l’Archer.

 

La jeune femme échangea un bref regard silencieux avec Aaron avant de se tourner vers Eamon :

— Qu’avez-vous découvert ?

— Korag a envoyé des émissaires à Xangrath.

— QUOI ? s’exclama Farrell, le dernier homme du conseil.

— C’est la vérité. Une dizaine de hauts dignitaires de la cour ont quitté la capitale hier soir, précisa Lorcan.

— Je ne comprends pas. Que cherche Korag ? s’interrogea Márgrég, la doyenne de l’assemblée.

— Je pense qu’il aimerait rattacher Xangrath à Efrijan. Depuis son accession au trône, il n’a jamais caché sa volonté de conquérir de nouvelles terres, précisa Eamon.

— D’autres informations au sujet de cette manœuvre ? s’enquit Aaron.

— Oui. Deux navires de guerre s’apprêtent à quitter le port de Terglen. D’après les indiscrétions de deux matelots, ils doivent mettre le cap vers les îles du Nord. Plus exactement Mazorn, Siborg et Yozar.

— Une date précise a-t-elle été décidée pour le départ ?

— Dans trois jours. Quatre tout au plus.

— Bien.

 

Aaron resta impassible malgré les frissons qui parcoururent son corps lorsque Eamon évoqua Siborg. Il se concentra de toutes ses forces sur le présent pour ne pas se laisser submerger par la colère. Il se tourna vers Saïra et Kalaris, les deux femmes qui n’avaient pas encore pris la parole :

— Vos espions pourraient-ils placer deux ou trois hommes sur les bateaux ? Nous devons absolument découvrir ce qu’il se trame.

— Cela devrait être possible, affirma Kalaris.

— Dans ce cas, j’aimerais que vous partiez au plus vite pour Terglen. Demandez à Skylar et Halim de vous escorter. S’ils refusent, qu’ils viennent me trouver. Oh, et demandez à vos contacts de causer quelques dégâts sur place. En attendant que le reste de la troupe agisse. Nous devons empêcher tout départ du port.

 

Aaron clôtura la réunion. Kalaris, Saïra, Márgrég, Lorcan et Eamon quittèrent la salle rapidement. Nyssa et Rory observèrent Aaron avec inquiétude.

— Pourquoi Korag enverrait-il des troupes à Siborg ? Ogrior ne se soumettra jamais, avança Rory.

— Je l’ignore. Mais si ce tyran a décidé de conquérir les îles du Nord, toute la région sera à feu et à sang. Ogrior se vengera sur la population d’Efrijan, c’est une certitude, grimaça Aaron.

— Que comptes-tu faire ? demanda Nyssa.

—  Comme je l’ai indiqué, empêcher le départ des navires. Et tout faire pour retenir Korag au pays. Nous devons trouver quelque chose qui le détourne de ses projets sans provoquer une déclaration de guerre.

— Tu as une idée ? s’enquit Rory.

— Peut-être. Je sais qu’il est tard mais rassemble tout le monde. Dès demain matin, nous devons nous rendre au port et nous assurer que la flotte de Korag ne quitte pas Terglen dans les prochaines semaines.

— Comment ?

— En les privant de nourriture, d’eau et d’armes. En endommageant les bateaux.

— Cela ne retardera l’expédition que de deux ou trois semaines. Un mois tout au plus. Ce n’est pas suffisant Aaron, indiqua Nyssa.

— Je sais. C’est pourquoi nous allons faire sauter l’arsenal qui se trouve à côté du port. Puis nous allons répandre des rumeurs au sein de l’armée de Korag. Les informations qui circuleront parmi les soldats seront si déplaisantes qu’elles déclencheront une mutinerie. Le temps que tout se calme, l’hiver sera là et ce fumier sera contraint d’annuler son offensive vers les îles du Nord. Nous ferons appel aux troupes de Darick. Ils sont les mieux placés pour s’occuper des soldats. Je vais faire une annonce, préparez vos affaires et allez dormir un peu. Nous partirons avant le lever du soleil.

— Et au printemps prochain, Korag essayera une nouvelle fois d’aller rendre une petite visite de courtoisie à Ogrior, exposa Rory.

— Je ne crois pas. Il fêtera ses cinquante ans. D’après mes renseignements, il a prévu de très nombreuses festivités et peut-être même un mariage.

— Et nous participerons à la fête, rassure-moi !

 

Aaron sourit à son meilleur ami :

— Nous ferons bien mieux que cela.

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Alex Banner
Posté le 14/04/2023
C'est un début intriguant, avec peut-être un peu trop de personnages, mais je sais déjà que je vais aimer Aaron ! Les descriptions des lieux sont magnifiques, la lecture est fluide et bien rythmée. J'aurais peut-être aimé un peu plus de description des personnages (ou qu'ils soient introduits plus lentement) : c'est quelque chose qui peut se rattraper en avançant dans le livre.

Au plaisir d'en lire davantage !
deb3083
Posté le 14/04/2023
Bonjour, je suis en train de retravailler l'entièreté des premiers chapitres pour y aller plus lentement justement ;-) un béta lecteur m'a fait toute une liste de points à améliorer je préfère donc retravailler le début tout de suite avant un manuscrit de plus 300 pages. Cela va me prendre un peu de temps car j'ai d'autres romans prioritaires. mais dès que je peux je posterai la nouvelle version ;-)
Alex Banner
Posté le 14/04/2023
Oh c'est super ! J'ai vraiment hâte de lire la prochaine version (mais y a pas le feu non plus).

Bon courage pour tes projets !
Elly Rose
Posté le 11/12/2022
Et voilà, il ne m'aura pas fallu trop longtemps pour sauter sur ce chapitre qui s'avère des plus plaisant.
Les personnages que tu évoques semblent tous passionnants autant dans leurs caractères que dans leurs histoires respectives.
Tout cela me donne vraiment envie d'en découvrir plus, de pouvoir me perdre dans ces contrées avec eux pour suivre leurs aventures.
C'est un très bon début, vraiment prometteur. J'ai beaucoup aimé!
Très belle soirée à toi et au plaisir de te lire!
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