Les petits pois

Par Kieren

Jouiez-vous aux billes lorsque vous étiez petits ?

Moi oui.

J'en avais toute une collection : des rouges, des vertes, en verre, en terre, grosses, petites. Les plus grosses, d'ailleurs, on les appelait « les mammouths ».

Mais je m'égare. C'était juste pour vous dire que les trucs ronds m'ont toujours fasciné. Il en est de même pour les petits pois. J'adorais les décortiquer, les retirer de leur cosse, c'était un véritable plaisir.

Mais avant, ils n'existaient pas, et c'était triste. Alors je vais vous raconter l'histoire de leur création.

 

Il n'y a pas que les petits pois qui sont ronds, il y a aussi les perles. Aah oui, on ne parle pas de la même chose. Les perles, c'est le raffinement le plus parfait venu tout droit de la mer. La pierre précieuse la plus majestueuse d'après moi, car il s'agit du travail d'une vie entière.

Et il s'agissait de l'emblème seigneurial d'une famille de quatre sœurs.

 

L’aînée, puissante et autoritaire, possédait une tiare resplendissante et dirigeait les soldats de son domaine.

La cadette, vive d'esprit et pleine de ressources, ornait sa main de nombreuses bagues, et commerçait avec tous les royaumes voisins.

La suivante, coquette et innocente, portait de magnifiques boucles d'oreilles, et usait de ses charmes sur les autres seigneurs pour obtenir ce qu'elle voulait.

La benjamine, encore enfant mais responsable, parait son cou d'un collier et aimait jouer dans la forêt bordant le domaine.

Vous l'avez remarqué et vous savez où je veux en venir : la tiare, les bagues, les boucles d'oreilles et le collier étaient constitués de perles et représentaient la richesse familiale. Les quatre sœurs gouvernaient proprement leur comté et étaient tenues en respect.

 

Un jour de pluie, la benjamine quitta la forêt avec hâte et rentra au château, ses vêtements sales et déchirés. Lorsque l’aînée la vit, elle poussa un cri d'horreur , non pas pour ses vêtements, mais pour son cou : le collier n'y était plus, il avait dû se casser dans la forêt.

L'aîné ordonna à ses soldats de fouiller le bois, mais ils ne trouvèrent rien. Elle ordonna alors de le brûler : il aurait été plus facile de chercher dans les cendres que dans les feuilles et l'herbe.

La benjamine s'y opposa. Il était hors de question que quoique ce soit perde la vie à cause de sa maladresse. Elle seule en devait payer le prix, et elle décida de se rendre tous les jours dans la forêt pour continuer les recherches. La cadette lui proposa des servants, des paysans, pour l'aider dans sa tâche, mais elle lui répondit que les braves gens avaient autre chose à faire.

 

Et elle chercha. Elle sonda l'herbe, elle regarda sous la pierre, elle explora les plus petits recoins de la nature, mais rien n'y fit, elle ne trouvait pas ce qui faisait d'elle un membre à part entière de sa famille. Et elle ne se découragea pas. Elle chercha, durant trois ans. Trois ans ! Été comme hiver, jour de soleil comme jour de pluie, jour de joie comme jour de deuil.

Et devant cette persévérance, la forêt finit par l'aider. Un jour comme les autres, la benjamine se rendit dans le bois, et elle remarqua un arbuste qui n'était pas là la veille. Il avait des cosses douces et joufflues. La fille les ouvrit et elle n'en crut pas ses yeux : ses perles étaient là, mais elles n'étaient plus de la même couleur, elles portaient maintenant celle de la vie, elles étaient vertes : les premiers petits pois.

 

Elle les récolta toutes, remercia la forêt, reconstitua son collier, et rejoignit ses sœurs pour annoncer la bonne nouvelle.

Ce ne fut pas pris pour une bonne nouvelle, pas du tout, surtout de la part de la troisième sœur qui se moqua d'elle pour arborer de vulgaires graines autour de son cou. La petite sœur ne s'en offusqua point, et elle ajouta qu'elle les préférait comme cela. Le sujet fut clos et la vie reprit son cours normal.

 

Pas très longtemps.

 

En effet, une guerre assiégea le comté, et les quatre sœurs furent obligées de fuir, n'emportant avec elles que leur trésor familial. Mais qu'est ce que cela représentait une fois dehors ?

 

L’aînée crut bon d'utiliser son autorité pour diriger les paysans. On la regarda, et on lui retira ses pouvoirs.

 

La cadette voulu vendre ses bagues, au moins pour leurs prix respectifs. On la regarda, et on lui vola ses dernières ressources.

 

La suivante usa de ses charmes et de son innocence pour trouver un toit. On la regarda, et on lui arracha son innocence.

 

La benjamine alla secourir ses sœurs. On la regarda, et à la vue de son collier de graines, elle fut reconnue par le petit peuple, et on la laissa tranquille.

Elle prit ses sœurs, honteuses, pauvres et terrorisées, et elles s'installèrent à l'orée d'une forêt. Mais contrairement à ce que ses aînées pensaient, la benjamine savait ce qu'elle avait à faire, il lui restait encore un atout. Un modeste, mais puissant atout.

Elle déchira son collier, encore une fois, et elle planta ses perles dans la terre. Aussitôt, de petits arbustes poussèrent, et dans leur sein, de nouvelles graines apparurent.

 

Et les quatre sœurs, à l'aube de leurs nouvelles vies, purent se remplir la panse. Elles en auront bien besoin de cette énergie, que nul argent ne peut apporter, mais que la terre, seule, donne généreusement à ceux qui se donne la peine de la connaître.

 

 

La Mousse

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Hortense
Posté le 10/07/2023
Un conte tout en crescendo émotionnel et dont la chute met en avant l'essentiel. Une belle leçon d'amour désintéressé ou l'essentiel n'est pas l'apparence et le pouvoir superficiel des choses mais le bien que la chose procure au plus grand nombre. Le petit-pois est un conte généreux.

Juste deux interrogations :
- En effet, une guerre assiégea le comté : une armée ?
- Elles en auront bien besoin de cette énergie : elles en auraient ?
Toujours un plaisir !
Kieren
Posté le 06/08/2023
Merci pour ton message Hortense, c'est sympa. Je me posais la question, les derniers contes que j'ai fait ont été écrits afin de rentrer dans un univers beaucoup plus vaste, et je ne suis pas convaincu que ce soit mes meilleurs. Si tu as l'envie et le temps je serai curieux d'avoir ton avis sur la chose.
Porte toi bien =)
Hortense
Posté le 07/08/2023
Je vais les lire avec attentions et je te donnerai mon sentiment sincère.
A bientôt
Kieren
Posté le 08/08/2023
Merci
Herbe Rouge
Posté le 15/06/2023
Coucou,

Encore un conte très sympa ! :)
Bon, j'avoue que par contre la phrase : "La suivante usa de ses charmes et de son innocence pour trouver un toit. On la regarda, et on lui arracha son innocence." m'a parue très dure par rapport au reste. Mais bon, c'est comme ça dans les contes parfois !

(ps : j'ai sauté le chapitre du thé volontairement, il parait qu'il y en a besoin pour certaines grilles du bingo en cours, alors j'y reviendrais, que ce soit pendant ou après le bingo!) ;)
Kieren
Posté le 16/06/2023
C'est vrai que parfois je change de ton très brusquement, mais ça ça doit être par rapport à ma personnalité : j'ai travaillé dans des hôpitaux, avec des gens qui ont parfois des histoires de vie très difficile. Et parfois ils les abordent de manière très détachée, alors qu'ils en souffrent encore. Ils essayent de faire leur deuil, et ils se sont rendu compte que lorsque qu'ils parlent de leurs problèmes, vraiment, leurs auditoires ont peur et les rejettent. Du coup ils abordent leur problème comme si de rien n'était.

Ce sont mes premières nouvelles, je ne pense pas que je les retravaillerai en profondeur, elles me servent d'entrée en matière sur plume d'argent, mais pour les prochaines histoires j'éviterai les changements de ton trop brutaux comme celui ci pour éviter de trop choquer.

Mais cela ne donne pas raison au fait que dans la vie on ne sera jamais à l'abri du bizarre, de l'inattendu et de la violence, et qu'il est possible de surfer sur la vague, afin de grandir et de faire grandir. Et dieu sait que l'humanité en a besoin.
Herbe Rouge
Posté le 16/06/2023
Je comprends tout à fait, et ce n'était pas une critique, juste une remarque que je me suis faite pendant ma lecture. Cela ne signifie pas forcément qu'il faut éviter de tels phrases à l'avenir.
Et les personnes qui parlent de leurs traumatismes de façon détachée, cela peut être également dû à la dissociation lors que le traumatisme est trop proche. Et oui, parfois, c'est également une façon de ne pas se faire rejeter. Ils font alors leur deuil ailleurs, d'une autre façon, et surtout hors des oreilles qui ne souhaitent pas les entendre.
Djina
Posté le 05/05/2020
Oh je suis tellement touchée par cette petite apologie des fruits de la terre, de la forêt, de cette sœur esprit ou nymphe des forêts. Malgré la tristesse de ce qui arrive aux jeunes filles, la benjamine les sauvant, c'est génial. :)

Tu m'emportes dans tes contes, et les petits pois ne seront plus jamais les mêmes à mes yeux, des petits diamants brutes ces petites bêtes là.. Et le début m'a fait pensé à gamine quand j'aidais ma maman à écosser ces petites bouilles ! <3

Merci !
Kieren
Posté le 06/05/2020
Capter un instant notre attention en parlant de notre enfance. De l'enfance des lecteurs, après ils s'identifient au conte. Et ils s'accrochent.
À la manipulation il n'y a qu'un pas =)

Enfin... Ça prouve au moins que j'ai eu une enfance moi aussi.
Djina
Posté le 07/05/2020
Hahahah si ta manipulation écrite qui n'en ait pas une mais plutôt une invitation au rêve, je préfère le voir car tu ne veux pas nous faire de mal :)
Espelette
Posté le 31/03/2020
J'ai directement sauté à celle-ci (moi aussi, j'adore les petits pois), je me garde les autres pour une prochaine fois. Une jolie fable écologique :)

Une coquille et une question :
- Jouiez-vous --> il faut un tiret
- "les trucs ronds m'ont toujours fasciné" --> si c'est un narrateur, "fascinée" si c'est une narratrice

J'aime beaucoup les infos personnelles que tu distilles pour introduire ton conte, les billes, la fascination pour les objets ronds,... ça donne une connexion avec toi avant d'entrer dans l'histoire.
J'aime aussi les changements de niveau de langue qui désarçonnent un peu : à l'aube de leur nouvelle vie, elles purent se rempli la panse. Ou, dans le conte des crêpes, le moment où la petite fille parle avec sa dent manquante.
Kieren
Posté le 31/03/2020
Je ne sais pas quand mettre les tirets !!!!
Et La Mousse est un mec, vous aurez droit à plus d'infos sur lui plus tard =)
Ce dernier va se construire petit à petit grâce à ces introductions, il est là pour poser la base.

Le coup de la dent manquante j'ai beaucoup aimé moi aussi, c'est apparu à l'instant même où j'ai commencé à la faire parler. Comme quoi, l'improvisation peut surgir n'importe quand !

Le Saltimbanque
Posté le 28/03/2020
J'ai adoré ce texte ! Un de tes meilleurs.
Surtout par le fait qu'il fait le plus "conte" que les autres, avec une "logique" succession des événements menant tout naturellement à la conclusion et à la morale.
J'ai vraiment eu la sensation d'une histoire plus cohérente et compacte, ce qui est un plus pour moi (moins de magie, plus de causes et conséquences logiques).
Toujours très créatif : bonne idée de mêler perles et petit pois. Créatif aussi dans l'écriture : le passage des différentes punitions des soeurs est très réussi.

La morale qui est ni moralisatrice ni niaise d'ailleurs ni trop bateau => bravo
Kieren
Posté le 28/03/2020
Merci mec, je pensais pas que tu la classerais parmi les meilleurs. Cette construction en mille feuilles était amusante à faire mais je n'avais pas mis plus d'espoir en ce conte ci que dans un autre. Ravi qu'il t'ait plus en tout cas =)
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