Les combles du château

Par Sebours

Mon cher Tristan,

Je suis fort satisfait de votre action à Bordura. Effectivement, la fondation de la colonie de Limitum permet de juguler quelque peu la démographie galopante des derniers nés de Nunn. J’aurai à présent un nouveau projet à vous proposer. Il s’agirait de creuser un tunnel reliant Bordura à un autel sacrificiel que nous placerions dans une clairière au plus prêt de la chaîne de volcans. Ce chantier présente deux avantages. Tout d’abord, ce type de travaux ayant généralement un coût en vies non négligeable, cela nous permettrait de poursuivre notre entreprise de « maîtrise » démographique des derniers nés de Nunn. De plus, une fois réalisé, cette infrastructure nous permettra d’y exécuter en toute discrétion, et sous couvert de sacrifices liturgiques à la gloire de Batum-Khal, tous les repris de justice et opposants politiques pour lesquels nous désirons éviter une cérémonie publique par crainte des mouvements de foule. Il vous permettrait également d’affirmer votre pouvoir, et celui de Zulla par la peur. Enfin, cet hôtel sacrificiel vous permettrait de revenir régulièrement à Zulla dans une fonction de haut représentant de la Justice du royaume.

Je compte sur vous pour transmettre à Slymock un budget prévisionnel détaillé ainsi qu’un calendrier dans les plus brefs délais.

Bien à vous.

Baron Ugmar, grand chambellan du royaume elfe

Lettre envoyée par pigeon voyageur


Seul face à son nouveau chaperon, Ome fut surpris de constater que la servante ressemblait à une vieillarde. Dans l’imaginaire collectif des derniers nés de Nunn, les elfes possédaient la jeunesse éternelle. Pourtant, de nombreuses rides sillonnaient le visage de la servante. Ses cheveux grisonnaient et sa posture courbée laissait pensée qu’elle était entrée dans le crépuscule de son existence. Seuls des elfes dans la fleur de l’age daignaient se rendre dans les quartiers des proscrits. La plupart le faisaient par obligation (principalement des militaires ou fonctionnaires affectés à une mission spécifique) mais d’autres, issus de la jeunesse dorée de la première caste cherchaient simplement le frisson de l’interdit. Ainsi donc, le peuple originel de Batum-Khal n’était pas seulement constitué de ces êtres quasi éthérés, cette vieillarde courbée en était le parfait exemple.

Lorsque Cléandre prononça ses premiers mots, la servante décatie sortit le garçon de ses réflexions. « Bonjour Ome. Le baron Ugmar m’a donné des consignes strictes. Considère-moi comme ta nouvelle duègne. Hormis les problèmes d’ordre financier, tu n’en référeras qu’à moi. » D’un déplacement lent et mesurée la gouvernante se dirigea vers un placard d’où elle extirpa une sorte de paquetage. Elle déposa celui-ci sur la table. « Voici pour débuter un nécessaire qui devrait suffire à tes besoins immédiats. Des draps propres, du linge de toilette et une livrée aux couleurs du grand chambellan. Si les habits ne sont pas à ta taille, dis-le moi, je les ajusterai. Prends tous ça et suis-moi. » La vénérable elfe avança d’un pas surprenamment alerte dans un dédale de couloirs et d’escaliers de services, montant toujours plus haut dans l’aile du palais. Elle en profitait pour parallèlement submerger Ome de consignes. « Sauf exception, tu prendras tous tes dîners dans la cuisine avec le personnel. Petit-déjeuner de cinq à sept heures, souper avant dix-neuf heures ou après vingt-trois...Tu emprunteras les escaliers de services, jamais ceux d’apparat...Le puits pour l’eau se trouve dans la cour Est, mais il y a un tonneau rempli tous les matins dans la cuisine… Méfie-toi de Stevenin, le marmiton, il est chapardeur et menteur comme pas deux ! »

Sur ces entrefaites, les deux protagonistes arrivèrent devant une petite porte de bois brut. Cléandre inséra une clef rouillée dans la serrure qui ne l’était pas moins. Une fois entré, Ome découvrit une minuscule chambre mansardée sous les toits. La poussière avait été faite, le sol balayé. Un vrai lit fraîchement rénovée occupait le mur de droite. Une table, une chaise et un coffre de bois étaient accolés à celui de gauche. En ouvrant la fenêtre pour aérer les lieux, la gouvernante expliqua au garçon. « Le baron Ugmar a préféré t’isoler de son personnel de maison. Voilà près de cent cinquante ans que personne n’avait logé dans cette partie du bâtiment. Tous les serviteurs habitent dans le quartier de la neuvième caste et n’ont ici que des appartements de fonctions qui leur servent pour le service de nuit. Je suis la seule à demeurer au château de façon permanente. »

Après avoir déposé son « paquetage » sur la table, Ome entreprit de faire son lit. Tout à sa tache, il tenta de nouer le dialogue avec la gouvernante avec un bon mot. « Si nous sommes les seuls à habiter cette aile, nous sommes les maîtres du château! »

La vieille servante posa les mains sur ses hanches, mimant un air sévère, mais ne put conserver son sérieux bien longtemps et elle se mit à sourire. « Eh bien, éh bien ! A peine arrivé que vous tentez de faire un coup d’État ! Il va falloir que je vous tienne à l’œil mon garçon. » Cléandre saisit les bords opposés du drap pour aider Ome dans sa tâche. Lorsque le lit fut fait, la vénérable efle s’assit dessus. « Je suis contente de ta venue mon garçon. Voilà bien des cycles que je suis seule ici et qu’en dehors de mes heures de services j’erre comme un fantôme dans les coursives du palais. Enfin j’aurai quelqu’un à qui parler ; quelqu’un avec des perspectives d’avenir, pas une de ces femmes de chambre qui sait juste se plaindre sur l’ampleur de ses tâches. »

« Moi aussi, je suis content de ne pas me retrouver tous seul. Vous êtes au service du grand chambellan depuis longtemps ? »

« Mais je l’ai vu naître. J’ai servi ses parents avant lui et leurs parents avant eux. J’ai été façonnée par Nunn lui-même ! Seuls les dragons sont plus âgées que moi ! »

Ome n’en revenait pas. Les écarquillés il s’exclama. « Vous êtes là presque depuis la création du bouclier-monde ! Vous devez en avoir des histoires à raconter ! »

« Oh oui, j’ai plus d’histoires à te raconter que tu n’auras jamais de temps dans ton existence pour les écouter. Mais je t’en raconterai peut-être… si tu le mérites. On verra ça plus tard, pour l’instant, l’important est que tu te laves et que tu te changes avant le souper. »

Ome ne parvenait plus à détacher son regard de la vénérable gouvernante. Incroyable, elle était presque aussi vieille que les dieux aux-même ! Il était persuadé que toutes les créatures de ces temps reculés, excepté les dragons, avaient trépassées. Des milliers de questions s’entrechoquaient dans son esprit et il ne parvint pas à toutes les retenir. « Vous avez rencontré les Sept ? Comment avez-vous survécu à toutes les batailles quand les hordes d’orcs d’Abath-Khal dévastaient le monde ? Existe-t-il beaucoup d’elfes aussi âgés que vous ? ... »

« Plus tard mon garçon. Nous aurons tout le temps pour toutes tes questions au souper. Pour l’instant, tu as à faire et moi aussi. Range tes affaires, va chercher de l’eau et lave-toi, essaie ta livrée et repose-toi un peu si il te reste un peu de temps. Nous nous retrouverons ce soir à dix-neuf heures souper. » Sur ces mots, la gouvernante quitta la chambre, sans doute pour aller vaquer à ses occupations.

Ome était seul dans sa chambre. Enfin seul. Seul pour toujours ? Certes non. Le premier contact avec madame Cléandre avait été plutôt cordial. Mais il devait apprendre à se méfier de tout et de tout le monde. Serait-elle une alliée ou bien une espionne à la solde de Slymock. Pour stopper la vague d’angoisse et de mélancolie qui semblait poindre, Ome décida d’occuper son esprit. Il était impératif d’effectuer une toilette avant de se changer. Descendre à la cuisine pour prendre de l’eau ne constitua pas une difficulté majeure, car une fois au rez-de-chaussé, les espaces étaient clairement délimités. Retrouver la chambre cachée sous les combles s’avéra être une autre paire de manche. Les couloirs et escaliers de services formaient un véritable labyrinthe pour le béotien. Ome tournait en rond dans ce dédale. C’était la sixième fois qu’il revenait à son point de départ au niveau de l’escalier central. Il avait traversé des couloirs où la poussière et les araignées avaient établi leur royaume. Cléandre n’avait pas menti, il serait quasiment le seul à loger ici. En fait, ces discrets couloirs pourraient parfaitement faire office de passages secrets en temps utiles. Il faudrait explorer tout ceci rapidement afin de les mémoriser et en connaître les moindres recoins, peut-être aurait-il le temps avant le repas. Et Slymock pourrait peut-être lui fournir un plan du palais. Il lui en parlerait lors de leur prochaine entrevue. Lors de son septième tour, Ome prit soin de tout observer et repéra enfin à une intersection l’escalier qu’il cherchait depuis vingt minutes. Celui-ci se trouvait dans son dos, hors de son champ de vision lorsqu’il marchait. Ma foi, il serait facile de le camoufler avec une porte pour le rendre quasiment invisible.

Le blanc-bec regagna alors sa chambre et put enfin faire sa toilette et quelques instants plus tard, il se retrouvait dans ses vêtements neufs quoiqu’un peu trop ample. Mais ceux-ci lui convenaient bien, avec les couleurs du grand chambellan sur les épaules, aucun elfe n’oserait l’importuner. Ome ouvrit le lourd coffre en bois vide et commença l’inventaire de ses biens. Il y avait tout d’abord son baluchon avec ses maigres possessions ramenées de Panamantra qu’il déposa délicatement dans le fond. Il plia par-dessus ses vieux habits qu’il n’utiliserait certainement plus. Puis il se tourna vers la table où était déposé son « paquetage ». Des sous-vêtements, une chemise de rechange, un bonnet, une écharpe et même une veste de velours, le proscrit qu’il était n’avait jamais possédé autant de linge ! Il le rangea donc par-dessus le reste. Par contre, il laissa les fournitures scolaires disposées soigneusement sur la table. Il était constitué d’une pile de feuilles de papyrus, quelques plumes d’oie, un couteau pour les taillés, un encrier et d’une bible de l’ordre de Batum-Khal. Ome hésita à ranger les pierres à feu, la lampe à huile et les chandelles dans le coffre. Après réflexion, il fourra le couteau, une chandelle et les pierres dans une de ses poches et trouva plus judicieux de laisser le reste sur la table à porter de main. Il était fin prêt pour lancer une première découverte du dédale des escaliers de service.

Le jeune explorateur prit le parti de se cantonner au dernier étage mais d’essayer de couvrir le maximum de superficie du château. Aucune trace de pas n’apparaissait dans l’épaisse couche de poussière qui jonchait le sol. A moins que des fées officient dans le palais, Ome était la première créature à emprunter ces coursives depuis des lustres. Les multiples chambres de bonnes ressemblaient plus à des débarras, l’une affectée au stockage des vieux draps et l’autre à la vaisselle dépareillée. Il y avait de véritables trésors à découvrir mais étant donné le nombre de pièces, une fouille minutieuse et rationnelle durerait des mois. Cette perspective réjouissait le garçon dont la curiosité avait toujours été insatiable. Mais pour l’instant, il se contenterait d’arpenter le couloir principal en laissant traîner son œil averti à gauche et à droite. Le cheminement suivait apparemment le faîtage des toits et au bout d’un moment, en regardant par la fenêtre d’une chambre, Ome constata qu’il se trouvait à présent dan l’aile Ouest du château. Il n’avait toujours croisé personne et la couche de poussière demeurait lisse et vierge. Ainsi, il venait de découvrir un moyen d’être invisible pour se déplacer dans le palais. Enfin presque, il laissait inévitablement derrière lui ses traces de pas ! Mais il était temps de redescendre aux cuisines pour souper avec Cléandre.

L’apprenti explorateur fit donc demi-tour et se contenta de remonter ses propres marques gravées dans la poussière. Il descendit l’escalier et l’affaire se compliqua. Comme il s’était perdu à cet étage, les traces de pas de ses précédents passages étaient innombrables et aucun chemin clair ne ressortait. Au hasard, il choisit un escalier afin de descendre les deux derniers étages.

En arrivant au rez-de-chaussé, Ome ignorait parfaitement où il se trouvait. Par une porte de service, l’escalier débouchait sur un couloir d’apparat qui desservait plusieurs appartements. Le garçon avançait dans le but de découvrir un point de repère pour rejoindre la cuisine. Son sens de l’orientation lui suggérait de tourner à gauche. Il s’exécuta donc à l’embranchement suivant et tomba nez à nez avec la plus délicieuse créature qu’il eut jamais rencontrée. La propre mère de Ome, Fame, possédait une beauté irrésistible, mais c’était une beauté charnelle, magnétique, chargée d’érotisme. L’elfe qui se tenait devant lui respirait la grâce, la douceur et l’innocence de la jeunesse. Dans ses yeux transparaissait la pureté de son âme, tous ses gestes étaient emprunts de délicatesse et de distinction. Totalement subjugué, Ome restait planter face à cette subite apparition.

Le ton sec qu’employa la jeune fille sorti le garçon de son état. « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici séant ? »

« Je m’appelle Ome. Et je viens de prendre mes fonctions auprès du grand chambellan. »

« Cela m’étonnerait bien ! Mon père n’a jamais employé que des elfes pour servir sa maison. Un dernier né de Nunn qui traîne dans les couloirs, ceci est intriguant. Ne te serais-tu pas introduit dans le palais pour commettre quelque rapine ? »

Effrayé qu’on le prenne pour un voleur, Ome argumenta prestement. « Je suis arrivé il y a moins de deux heures de Panamantra ! C’est pour cela que vous ne me connaissez pas ! On m’a installé dans une chambre des combles. J’y ai fait ma toilette et en redescendant pour rejoindre Madame Cléandre les cuisines, je me suis perdu. Ce palais est immense. »

Toujours suspicieuse, l’elfe déclara. « Tu dois retrouver Cléandre...aux cuisines. Je t’accorde pour l’instant le bénéfice du doute. Mais il se pourrait tout aussi bien que tu aies élaboré un mensonge à partir d’informations chapardées. Je vais t’accompagner et nous verrons si tu dis vrai. Dans le cas contraire, je ferais appel à la garde. Suis-moi et je te déconseille de tenter quoique ce soit, j’ai une certaine faculté à me défendre. » Joignant le geste à la parole, l’elfe sortit de sa cuissarde une dague longue de deux paumes. D’un pas alerte, les deux protagonistes traversèrent tel une tornade une dizaine de pièces pour aboutir dans les cuisines.

Penchée au-dessus de la marmite où mijotait le gruau, Cléandre se retourna, surprise par la promptitude de l’entrée. « Maîtresse Victoire ! Bonsoir ! Pourquoi venez-vous aux cuisines ? Avez-vous un souci ? »

« Bonsoir ma bonne Cléandre. J’ai besoin de vos lumières pour savoir si j’ai été dupée. Ce jeune curieux traînait du côté de mes appartements. Il prétend être au service de mon père et que vous l’attendiez pour souper. »

Ome s’offusqua. « Curieux moi ! J’étais simplement perdu. Ce palais est un labyrinthe ! Il n’est pas question qu’on m’accuse à tort ! »

« Que vous furetez dans le secteur de mes appartements, dans des couloirs que d’ordinaire je suis la seule, c’est effectivement curieux...pour ne pas dire plus ! Mon père a de hautes responsabilités et par conséquent de nombreux ennemis. Alors nous trouvons toujours curieux, qu’un personnage curieux déambule curieusement près des appartements de la fille du grand chambellan ! »

Le ton montait. Les deux jeunes gens rougissaient de colère. L’atmosphère était chargée d’une tension indescriptible.

« Allons ! Allons mes enfants! Cessez de vous chamailler ! Rassurez-vous maîtresse Victoire, votre père a bien accueilli Ome dans sa maison ce tantôt. C’est pourquoi vous ne le connaissez pas, qu’il s’est bien perdu dans les couloirs et qu’il ignore encore beaucoup de choses sur la vie dans cette demeure. » Cléandre se tourna alors vers Ome. « Quant à toi mon garçon, à présent que tu sais que maîtresse Victoire est la fille du grand chambellan, j’espère que tu lui montreras le respect dû à son rang ! »

Ome s’offusqua. La colère brûlait tel un brasier en lui. « Je ne me suis en rien montré irrespectueux. Par contre, je refuse qu’on me fasse un procès d’intention sur ma seule apparence, parce que je suis un dernier né de Nunn ! »

Victoire calma immédiatement les ardeurs du garçon. « Je m’excuse de ma méprise. Mon père m’a appris à me méfier de tout ce qui sort de l’ordinaire. Je ne pensais pas vous blesser. » Puis la jeune elfe contempla la pièce avec nostalgie et s’adressa à Cléandre. « Voilà des années que je n’étais pas venu ici ! Rien n’a changé, c’est incroyable ! »

Constatant que l’ambiance s’était calmée, Cléandre se radoucit. « Oui, rien n’a changé ici depuis le temps où vous jouiez dans mes jupons ! » Ome distingua dans la voix de la gouvernante une pointe de je ne sais quoi, une sorte de mélancolie teintée d’amour filial. La suite de la discussion confirma son intuition.

« Tu me manques ma bonne Cléandre ! Tes histoires me manquent ! Pourquoi refuses-tu que je vienne te voir pour souper avec toi de temps en temps ? »

Cléandre saisit la main de l’héritière et la caressa avec douceur. « Mais l’étiquette ne vous le permet plus mon petit ange ! Une jeune noble de votre rang ne doit pas se fourvoyer avec de simples serviteurs. Et même si je le voulais, vous devez participer à des repas protocolaires tous les jours. Par exemple ce soir, vous êtes conviée chez le fils du maître questeur Anémo. »

« Te voila bien renseignée Mamouchka ! En fait, tu continues à suivre tous les faits et gestes ! » Victoire affichait une surprise non feinte teintée de tendresse.

Mais la vieille servante ne s’émut pas plus que de raison et grâce à une volonté de fer coupa court à toute effusion. « Non, non ! Plus de Mamouchka ! C’est normal pour une gouvernante de se renseigner sur l’emploi du temps de ses maîtres. Vous n’avez plus rien à faire dans cette cuisine. Allez, allez ! A présent regagnez vos appartements maîtresse Victoire. Et toi, Ome, il est temps de mettre la table. Les assiettes sont dans ce placard. »

Les jeunes gens s’exécutèrent. Se retrouvant face à face avec la duègne, le garçon disposait à présent de toute latitude pour l’interroger tout en installant la vaisselle sur la table. « Dame Victoire semble très attachée à vous. Lorsque vous l’avez éconduite, cela lui a fait beaucoup de peine. »

« Moi aussi ça m’a brisé le cœur mon petit ! A la mort de sa mère, c’est moi qui ait élevé seule la fille unique du grand chambellan. Mais comme je lui ai dit et répété, c’est pour son bien que maîtresse Victoire ne doit pas s’enticher d’une vieille mégère comme moi. » Le visage de la grisonnante servante contredisait ses paroles.

« Pourtant, qu’y-a-t-il de mal à visiter sa nourrice ? Pour moi, c’est au contraire louable d’afficher une certaine reconnaissance auprès de ses serviteurs fidèles. »

« Je suis d’accord avec toi mon petit. Cependant la bonté d’âme se trouve rarement compatible avec l’Etiquette! Et on m’a fait comprendre que je devais couper les ponts avec ma petite princesse. » L’image de gouvernante inflexible et rigide se fissurait progressivement. Quelques serviteurs arrivaient peu à peu pour prendre leur repas. Ils se servaient dans la marmite de gruau puis allaient s’attabler par groupes. Personne ne se joignit à Cléandre et Ome. Était-ce dù à la présence du dernier né de Nunn ou bien la gouvernante était-elle ostracisée ? Bien qu’inquiet, le garçon n’osa demander à la vénérable elfe. D’autant que les regards qu’on portait sur eux laissaient penser que les deux raisons n’étaient pas incompatibles. Le souper se déroula donc majoritairement dans le silence, interrompu de temps à autre par une recommandation faite au futur apprenti fonctionnaire.

A la fin du repas, Cléandre déclara : « Je vais te raccompagner à ta chambre mon garçon. » Tous les regards de l’assemblée se rivèrent alors vers les deux personnages qui se levaient. Une fois à l’abris des oreilles indiscrètes, la vieille servante expliqua enfin les raisons de l’ambiance particulière du repas. « Excuse-moi d’avoir proféré cette déclaration à si haute voix. Je voulais que tout le monde entende bien que tu logeais au château. Que ces satanés soi-disant gens de peu se pose les bonnes questions à ton sujet au lieu de commencer à médire et de colporter de fausses rumeurs. »

Ome s’étonna de cette stratégie. « Pourquoi ne pas avoir simplement expliqué la situation madame Cléandre ? »

« Comme tu as pu le constater, je suis mise de côté par les autres serviteurs du palais. Mes seules discussions sont d’ordre professionnel avec les membres de la neuvième caste. J’ai toujours refusé d’appartenir à leur guilde et comme je suis née avant sa création, nul ne peut m’y obliger. Malgré leurs jalousies et leurs manipulations, le baron Ugmar m’a toujours maintenu à mon poste, car je l’ai élevé. J’étais déjà présente alors qu’il n’était encore qu’un petit nobliau. Et je lui ai prouvé ma fidélité à maintes reprises. C’est d’ailleurs pour ma fidélité et mon indépendance vis à vis des castes que le grand chambellan m’a choisi pour élever sa fille. »

« Vous avez fait de celle-ci une arrogante bien que jolie héritière ! J’ai encore son délit de fasciés en travers de la gorge. »

Le léger sarcasme du garçon suffit à enflammer Cléandre. « Ne dit pas de sottises ! Maîtresse Victoire est la bonté même. Elle ne t’a pas menti concernant la menace permanente qui pèse sur elle. Le grand chambellan possède d’innombrables ennemis. »

« Je plaisantai. Malgré un je ne sais quoi qui m’agace dans sa posture, dame Victoire semble telle que vous la décrivez. Et je ressens énormément d’amour entre vous deux. Un amour aussi fort que celui qui me reliait à ma mère. » Le regard perçant de l’enfant se plongea alors dans la mélancolie.

Les deux protagonistes arrivèrent alors à la chambre de Ome. La perspicace gouvernante remarqua alors l’évidence. « En fait, mon garçon, nous souffrons d’un mal similaire Nous avons du sacrifié cet amour. Bonne nuit mon petit. Demain je viendrais te réveiller pour que tu ne sois pas en retard ton premier jour. »

« Bonne nuit madame Cléandre. Et encore merci pour tout. »

Ome referma la porte et s’adossa contre. Il entendit les pas de la vieille servante s’éloigner. Les jambes du garçon flageolaient. Il respirait avec difficulté. Son cœur battait la chamade. Était-ce l’angoisse de ce nouvel environnement et de la tâche qu’il devait accomplir. Certes non. Il avait l’impression grisante de flotter, et ce sentiment lui procurait un plaisir infini. Un visage obnubilait ses pensées, celui de Victoire. Comment une personne qu’il avait rencontrée dix minutes à peine pouvait à ce point devenir une obsession ? Dans cet état second, Ome se changea et se coucha. Cette nuit-là, il rêva de Victoire.

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Peridotite
Posté le 16/03/2023
Coucou Sébours,

Ome s’installe et découvre le palais. Depuis un certain temps, tu as choisi d’opter pour un rythme plus lent. Pour autant, je trouve assez sympa, on ne s’ennuie pas. J’ai bien aimé les déambulations de Ome dans le palais. Il a l’air tout bonnement immense ! Et encore, il ne visite que les ailes des domestiques. C’est intrigant de les voir ainsi vides. Comment ça se fait ? La ville était plus étendue avant ? Ou ils ont dû réduire le nombre de domestiques par soucis économiques ?

Ce passage montre combien Ome est perdu et en même temps curieux d’entamer cette nouvelle vie. Et il ne compte pas rester à pleurer dans sa chambre !

J’aime beaucoup le nouveau personnage de la gouvernante. Elle a l’air touchante et aussi perdue que lui, mais pour d’autres raisons. On la sent très vieille et perdue dans ses souvenirs, égarée dans un passé lointain.

Et puis voilà-t-il que débarque la jolie Victoire. Je sens le petit Ome un peu fébrile …et amoureux ! 😊

Mes notes de lecture :

« que la servante ressemblait à une vieillarde. »
> Quelle servante ? « sa » servante ?

« de la servante. »
> Attention à la répétition de « servante », avec la phrase que j’ai relevée juste avant

« issus de la jeunesse dorée de la première caste cherchaient simplement le frisson de l’interdit. »
> Tu te contredis ici. Tu dis juste avant qu’aucune Elfe ne daignerait à se rendre dans le quartier de son plein gré. Mais en fait si !

« la gouvernante »
> Jusqu’alors tu ne l’appelais que « servante », tu devrais donc remonter cette info plus haut ? (une gouvernante est une servante en quelque sorte, mais aussi la cheffe des servantes, donc c’est pas n’importe quelle servante quoi)

« Une fois entré, Ome découvrit une minuscule chambre mansardée »
> Je pense que tu peux enlever « une fois entré ». Elle ouvre la porte, puis il découvre la chambre, pas besoin de cette précision

« Tous les serviteurs habitent dans le quartier de la neuvième caste et n’ont ici que des appartements de fonctions qui leur servent pour le service de nuit. »
> En général, historiquement, les serviteurs dormaient sur place. (je dis ça comme ça, c’est entièrement possible que les serviteurs elfes rentrent chez eux la nuit 😊)

« Ome n’en revenait pas. Les écarquillés il s’exclama. »
> Pas besoin de dire qu’il n’en evenait pas puisque tu nous montres sa surprise avec ses yeux écarquillés juste après.
> Et puis, il faudrait deux point (« : ») après s’exclama.

« On verra ça plus tard, pour l’instant, l’important est que tu te laves et que tu te changes avant le souper. »
> Elle le répète après (là : « Pour l’instant, tu as à faire et moi aussi. Range tes affaires, va chercher de l’eau et lave-toi, essaie ta livrée et repose-toi un peu si il te reste un peu de temps »), donc je l’enlèverais ici pour pas le dire deux fois.
> « s’il »

« Sur ces mots, la gouvernante quitta la chambre, sans doute pour aller vaquer à ses occupations. »
> « sans doute pour aller vaquer à ses occupations » ¬ pas utile selon moi

« Ma foi, il serait facile de le camoufler avec une porte pour le rendre quasiment invisible. »
> Je ne comprends pas ce que tu veux dire ici.

« Il était fin prêt pour lancer une première découverte du dédale des escaliers de service. »
> un peu maladroit. Part-il vraiment explorer les escaliers ou espère-t-il trouver quelque chose en particulier ?

« Mais pour l’instant, il se contenterait d’arpenter »
> « Il se contentait » ?

« Le cheminement suivait apparemment le faîtage des toits «
> L’adverbe n’est pas utile.

« Ainsi, il venait de découvrir un moyen d’être invisible pour se déplacer dans le palais. »
> Pourquoi se dit-il ça ? Il n’a pas trouvé de technique pour se cacher, non ? Il erre ici et là et n’essaie même pas vraiment de se cacher. D’ailleurs, il n’est même pas interdit pour lui de se trouver là non ?

« l’elfe sortit de sa cuissarde »
> De sa cuirasse ? Ça m’a surpris, elle est donc en armure ? Tu ne l’as pas dit avant. D’ailleurs à part dire qu’elle est belle, tu ne l’as pas décrite plus que ça.

« D’un pas alerte, les deux protagonistes traversèrent tel une tornade «
> Tel une tornade ? Carrément !
> et « telle », non ?

« dans des couloirs que d’ordinaire je suis la seule, »
> « à parcourir » ? Il manque la fin de la phrase ?

« Alors nous trouvons toujours curieux, qu’un personnage curieux »
> Phrase maladroite : tu as une répétition de curieux et puis j’enlèverais la virgule qui hache la phrase

« Une jeune noble de votre rang ne doit pas se fourvoyer avec de simples serviteurs. »
> Le verbe n’est pas le meilleur : « se mélanger » ?

« En fait, tu continues à suivre tous les faits et gestes ! »
> « mes » ?

« c’est moi qui ait”
> “ai”

“une arrogante bien que jolie héritière »
> Elle n’y est pour rien si elle est jolie 😊 Par contre, tu peux mettre « bien élevée »

« Je plaisantai.”
> Je passerais plutôt à l’imparfait

Un chapitre sympa, un rythme un peu plus lent où tu prends le temps de décrire le quotidien de Ome. J'aimerais presque la même chose pour Gal et la naine qui sont aussi des persos très cools
Sebours
Posté le 16/03/2023
C'est vrai qu'en y pensant, je prends plus de temps pour le seul personnage qui possède une vie courte! Est-ce inconscient pour symboliser le coté éphémère de son existence?
Si je détaille de la même manière Nomrad et Gal, il va me falloir dix milles pages pour finir mon histoire!

En fait, j'avais pas mal d'idées pour Ome parce que j'avais déjà un scénario dans mes cartons. La j'arrive au bout du premier jet et je me rends compte que je n'ai pas tout utilisé. Cléandre est devenue importante et je pense que je vais la développée dans la réécriture.
Le lien avec Victoire n'est pas trop développé par la suite, mais un peu quand même. Dans l'histoire d'origine, Ome se révoltait car on lui interdisait de se mariée avec Victoire. Il développait une haine des elfes et devenait le chef des hommes puis un empereur invincible et d'une noirceur d'âme sans nom. Du coup Victoire le repoussait. Ça fait un peu Star Wars prélogie en y repensant! Du coup, j'ai un peu mis ça de coté. Il y a toujours une petite intrigue amoureuse, mais Victoire est plus un moyen d'alliance pour les puissants qu'autre chose.
Peridotite
Posté le 18/03/2023
Oui, c'est ce que je me disais justement. Ce choix de prendre beaucoup de temps avec le seul personnage qui n'en a pas, de temps, est tout à fait surprenant. On s'attendrait plus à suivre la lignée généalogique d'Ome, plutôt que ses petites aventures et ce qu'il mange ou porte au palais. Je dis ça comparé aux autres personnages qui ont pourtant eu tout un tas de déboires dans leur vie, mais ceux-ci n'ont pas été développés. Je pense à Gal, à Persephone ou encore à Naine, sur qui tu passes très vite. Tu faus des sauts de 10-15 ans entre les chapitres, en oblitérant donc des rebondissements intéressants. Finalement, tu t'atardes plus sur la découverte du palais poussiéreux par Ome que sur comment la Naine développe son clan, éduque son fils, tisse des alliances. Ou Perséphone qui est enceinte mais dont le père de l'enfant est mort plutôt tragiquement et qui place ses espoirs de paix dans son enfant (entre autres). Enfin, il y aurait tant à dire si tu développais ces axes tout comme celui d'Ome quoi. D'autant que ce sont des personnages très solides. Même sa relation avec Victoire n'est pas tant intéressante comparé aux liens hommes/femmes ou plutôt Orc/orque de Gal, tout en domination, ou celle de la Naine avec le Nain d'Or au début, plus politique. Ou encore celle de Gal avec le satyre qui une fois développée pourrait être intéressante. Donc oui, je m'étonne de ce choix. Mais ça ne vaut pas critique forcément 🙂
Peridotite
Posté le 18/03/2023
*de Perséphone avec le satyre (je réalise que j'ai écrit nimp !)
Sebours
Posté le 20/03/2023
Ce ralentissement est du à un double facteur. D'abord, avec l'arrivée d'Ome, c'est tout le récit qui va ralentir.
Ensuite, la perception du temps est différente suivant ton age. C'est ce que j'essayais inconsciemment de retranscrire. Ome a dix ans. Si tu te rappelles, à cet âge là, une heure, un jour même une année c'est long! Et puis en vieillissant, la même heure parait s courte (enfin à part avec certaines personnes qui semble dilater le temps tellement elles sont rasoir). J'ai essayé d'imaginer la perception pour des créatures de plusieurs centaines voir milliers ou millions d'années. Pour elles, une journée, ce n'est qu'une goutte d'eau dans un océan.
Sylvain
Posté le 02/03/2022
C'est agréable de suivre Ome, après tous les chapitres de descriptions du monde-bouclier, ça nous immerge davantage dans l'histoire. Vu le regard que lui portent les autres, son ascension risque d'être compliqué.
Un nouveau personnage intéressant: La fille d'Ugmar. Je suis curieux de voir quel relation il entretient avec elle: Est-il comme il est avec tout le monde ou fait-il preuve d'amour paternel?
Tu fais également une brève allusion au décès de sa mère. Peut-être en saurons-nous davantage sur le passé du baron.

Dernière petite chose que je te dis trèès tardivement:
Le nom du baron Ugmar me trouble. Je trouve qu'il a plutôt une consonnance orc. J'ai beau savoir que c'est un elfe, je pense toujours d'abord à ton autre personnage orc quand je vois apparaître son nom.

J'ai hâte de voir en quoi va consister l'éducation de Ome, ça peut-être une partie intéressante.
A bientôt!
Sebours
Posté le 02/03/2022
Tu sens de l'orc dans Ugmar...coïncidence?
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