III.5 La Fuite

Par Flammy

 

~819 jours avant le cataclysme

 

~0~

 

Toute la culture et les coutumes des Athanoriens passent par des histoires contées par les anciens. Le respect des plus âgés et de la hiérarchie est extrêmement fort dans cette société matriarcale. Toute leur vie est codifiée dans les moindres détails, mais de manière très implicite et pleine de non-dits, ce qui rend leur compréhension difficile pour des non-initiés.

Notes de Max.

 

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Allongée sur un lit, Callune fixait le mur d’une chambre sans âme en tentant de vider sa tête de toutes idées parasites. Elle aurait adoré ne penser à rien. Juste, attendre que le temps passe sans ennuis, mais son cerveau ne lui laissait jamais de repos. Le souvenir de Xalos et du dimidius invisible revenait dans son esprit en boucle. Une résistance ? Pourquoi faire… Il faudrait aussi qu’elle trouve une solution. Elle doutait que Tomoe accepte de l’héberger à vie. Et puis, la manière dont elle s’était comportée avec Noelia lui tordait les entrailles. Réfléchir à une potentielle révolte aurait été plus doux et plus simple, mais l’image de Noelia continuait de l’assaillir inlassablement.

 

« Pour qui te prends-tu ?

Même des dimidius ne veulent pas de toi ! »

 

Quelle imbécile.

 

« Personne ne peut t’aimer,

ou même t’apprécier. »

 

Elle se leva, incapable de conserver son immobilité, et effectua les cent pas pour tenter de maîtriser son anxiété. Se recueillir dans la forêt. Voilà ce qui l’apaiserait. Une Sidhe-Rose restait à ses côtés, murmurant sans fin les mêmes paroles qui amplifiaient de plus en plus sa panique. Si seulement le monde pouvait l’oublier, elle pourrait sortir sans que cela n’intéresse personne et…

 

Alors qu’elle se trouvait dos à la porte, celle-ci s’ouvrit. Callune se figea. Elle essaya de se recomposer un visage neutre. Elle ne voulait pas qu’on se moque d’elle, pas comme au palais, elle souhaitait juste… Elle ne savait plus. Elle retint de justesse un mouvement d’abattement. Elle ne comprenait pas ses propres réactions et cette simple constatation l’écrasait de fatigue.

 

— Votre Altesse ? Je… Je suis désolée de vous déranger mais… Je…

 

Callune sursauta. Noelia. Pour la première fois, elle paraissait mal à l’aise avec elle. Logique, au vu de son comportement envers elle un peu plus tôt. Elle avait essayé de forcer les choses et… Incapable de se retourner et d’assumer ses actes, elle continua de fixer le mur en lui tournant le dos. Il fallait cacher le léger tremblement de ses mains.

 

— Je… Je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait pour Hawk. Je sais qu’il n’a pas toujours été agréable avec vous mais… merci beaucoup.

 

Callune se sentait étrangement triste. « Vous ». Noelia l’avait systématiquement vouvoyé. Elle ne l’avait jamais noté avant, tant cela lui semblait normal. Mais à force de côtoyer des gens qui se tutoyaient et qui faisaient preuve d’une vraie camaraderie, elle réalisait à quel point cette marque de respect envers la royauté la coupait des autres et l’isolait. Ce simple mot de quatre lettres mettait de la distance entre elle et Noelia. Comment se lier dans ces conditions ?

 

Et elle avait espéré…

 

Noelia ne la considérait pas comme une amie mais comme… Comme quoi ? Quelqu’un qu’elle devait servir ? Le rire de la Sidhe emplissait ses oreilles, l’empêchant de réfléchir correctement. Elle ne voulait pas ce genre de relation avec elle, mais comment l’exprimer et tenter de modifier cela sans sembler capricieuse et directive ? Noelia ne disait rien, probablement gênée de devoir la côtoyer. Elle…

 

Des cris interrompirent le cours de ses pensées.

 

Callune sursauta et se retourna sans même en avoir conscience. Noelia paraissait aussi surprise qu’elle. Les invectives provenaient de l’extérieur, en izanamien. Il y avait plusieurs personnes, toutes des hommes, qui… Callune n’était pas sûre. Elle tendit l’oreille pour décrypter la langue étrangère malgré la distance et l’accent prononcé.

 

— … Encerclement… Dimidius… Attaque… Pas de survivants…

 

Callune perdit les quelques couleurs qui lui restaient.

 

— Des soldats izanamiens, souffla-t-elle. Ils viennent pour… purifier Atlantide.

 

Noelia n’eut pas besoin de plus d’explications pour comprendre. Les compagnons de ceux qui avaient blessé Hawk avait fini par les retrouver.

 

~0~

 

Dans la salle commune, Tomoe resta imperturbable à l’entente des cris. Elle haussa simplement les épaules.

 

— Ils ont été plus rapides que prévu, mais de toute façon, tout est prêt. Apo ! Arty ! Récupérez la malle et mettez les dernières affaires manquantes dedans !

 

Apollon ne réagit pas, toujours somnolent. Sa sœur le quitta à contrecœur et commença à courir dans tous les recoins de la maison, un œil perpétuellement posé sur son frère. Pendant ce temps, Tomoe se contenta de se lever et se servir un verre d’eau. Son regard survola la pièce. Noor s’était figé, aussi pâle que sa peau sombre le permettait. Armita, d’abord inquiète, s’était apaisée en distinguant les expressions tranquilles et les sourires de Maxwell et d’Ewoomi. Ces trois-là ne risquaient pas grand-chose de toute façon. Un Izanamien, un professeur de l’académie et Asha Vahishta. Ils s’en sortiraient sans problème, s’ils n’étaient pas tués à vue.

 

Dès les premiers appels, même sans comprendre leur sens, Hawk s’était raidi et ses mains s’étaient posées sur ses dagues. Plaqué contre un mur, il s’était approché d’une fenêtre pour jeter un coup d’œil. Il n’essaya pas de retenir le juron. Tomoe le rejoignit, sans prendre de précautions. À quoi bon ? Les soldats savaient bien ce qu’il y avait dans la masure. Elle leur avait fourni elle-même les plans et les instructions pour les capturer.

 

À l’extérieur, un nombre impressionnant d'hommes se déployaient autour de la clairière. Une partie se cachait parmi les ombres, mais le piège paraissait parfaitement posé. Tomoe détailla Hawk du coin de l’œil. Elle pouvait presque l’entendre organiser sa fuite. Probablement en prenant les autres résidents de la maison comme appât pour détourner l’attention. Il était si évident à décrypter parfois que cela tira un sourire en coin à Tomoe, qu’elle camoufla rapidement derrière un masque sérieux.

 

— Ce n’est même pas la peine d’y penser, fit-elle d’une voix tranchante.

 

Hawk ne lui accorda pas le plaisir de paraître surpris.

 

— Il s’agit de troupes entraînées spécialement pour lutter contre ceux qui ont gardé leurs pouvoirs et les dimidius. Certains membres maîtrisent toujours leur magie. Cette opération est préparée depuis presque un fómhar et cela m’étonnerait qu’ils aient laissé la moindre possibilité de fuite.

 

Hawk fronça des sourcils.

 

— Tu m’as l’air bien au courant de tout ça…

— Depuis des timthrialls, les samouraïs izanamiens cherchent à se débarrasser de moi, sans une assez bonne excuse. Ils ont enfin leur occasion, ils n’allaient pas se faire prier.

 

Une femme avec autre chose qu’un rôle décoratif dans la société izanamienne était une notion difficile à accepter. Alors une stratège haut placée qui avait suivi les traditions que le moins possible… Depuis le début tout devait se régler ainsi et elle en avait toujours eu parfaitement conscience. Hawk serra les poings, furieux.

 

— Tu t’fous d’moi ?! Tu savais que ça allait arriver et tu nous as quand même attirés dans la gueule du dragon ?! Tu…

 

Tomoe posa un regard sévère sur lui et leva un doigt pour le faire taire, ce qui fonctionna.

 

— Si tu n’étais pas si individualiste et stupide, tu aurais réalisé qu’il y a un moyen pour nous de nous enfuir. Je ne suis pas totalement écervelée à attendre qu’on m’abatte. Et ces soldats aussi devraient le savoir.

 

Hawk paraissait furieux, mais tenta de se contrôler, conscient de la précarité de sa situation. Il inspira plusieurs fois profondément avant de se rendre compte que la solution se trouvait juste sous son nez. Apollon. Avec son pouvoir de téléportation, il pourrait les amener loin d’ici sans le moindre problème. Tomoe hocha la tête, satisfaite qu’il ait enfin compris. Elle entreprit de réveiller Apollon au maximum.

 

Callune et Noelia pénétrèrent à cet instant dans la pièce. Noelia paraissait inquiète et se dirigea immédiatement vers son ami, probablement pour connaître ses projets. Callune garda un visage impassible, étrangement raide. Sans s’approcher d’une fenêtre, elle jeta un coup d’œil à l’extérieur, comme si tout cela ne la concernait pas vraiment. Artémis termina de préparer la malle lorsque le silence revint. Elle traîna derrière elle la lourde caisse et la laissa à côté de son frère. Essoufflée, elle se redressa ensuite et esquissa une pâle tentative de salut militaire, à la façon izanamienne.

 

— Finiii ! claironna-t-elle.

 

Tomoe hocha la tête. Son regard posé sur Armita, elle hésita pour la première fois.

 

— Nous pouvons nous enfuir grâce à Apollon. Mais cela nécessite un contact physique.

 

Ewoomi comprit l’origine de son trouble. Une Asha Vahishta ne pouvait être touchée par aucun être impur, et donc par personne. Il s’agissait même de la manière la plus simple de les reconnaître. Ewoomi s’extirpa de son fauteuil d’un bond et esquissa une profonde révérence en direction de Tomoe.

 

— Ne vous tourmentez pas, noble dame. Nous aurions nettement préféré éviter de devoir en passer par là, mais nous nous en sortirons sans que le moindre outrage ne nous soit occasionné.

 

Armita n’en paraissait pas aussi convaincue que lui, mais elle hocha toute de même la tête. Elle lui vouait une confiance absolue.

 

— Bien. Dans ce cas, pardonnez-nous de cette séparation un peu rude, mais nous, nous risquons nos vies. Apollon, commence par la malle et ta sœur. Noor, nous pouvons t’emmener où tu le souhaites, une fois que nous serons partis d’ici.

 

Tomoe, toujours si sûre d’elle, marqua une hésitation.

 

— Et pour Callune… Je…

— Tomoe ! Je… Je… J’y arrive pas !

 

Apollon s’était redressé et levait des yeux écarquillés vers elle. Il ferma durement les paupières, se concentra avant de secouer la tête dans tous les sens. Enfin sorti de sa torpeur, il paniquait, visiblement terrorisé. Tomoe resta interdite quelques secondes puis s’accroupit devant lui et lui saisit les épaules. Elle avait sous-estimé les conséquences des crises d’apathie.

 

— Focalise-toi. Réessaie. Ce n’est pas un jeu, c’est sérieux.

 

Apollon semblait prêt à pleurer. Sa sœur sautillait à côté de lui, angoissée pour lui. Tout autour, des personnes s’étaient rapprochées, curieuses ou inquiètes pour la suite des événements. Il tenta une nouvelle fois de se téléporter, de toutes ses forces.

 

Il n’y arriva pas. Sans redresser la tête, il versa des larmes silencieuses. Tomoe le laissa tranquille et se releva sans perdre de temps. Elle s’adressa à Hawk, d’un ton qui ne laissait place à aucune contestation.

 

— Est-ce que tu peux toujours utiliser ta magie ?

 

Le visage fermé, il leva un doigt sans répondre. Un verre s’illumina et s’éleva avant de retomber doucement sur la table.

 

— Ce n’est donc pas ça le souci, murmura pensivement Tomoe. Mais qu’est-ce qu’il veut ? Que peut-il espérer avec…

 

Elle se tut lorsqu’elle réalisa qu’elle parlait à voix haute et que tout le monde l’écoutait avec beaucoup trop d’attention. Elle redressa la tête et survola du regard toutes les personnes présentes. Dans son dos, les tresses qui tombaient de son chignon s’entrechoquèrent. Elle devait trouver une autre solution et très rapidement.

 

— Eh bien. Il semblerait que nous ayons quelques soucis et que nous devions passer au plan de secours.

— Et c’est quoi ton idée miracle ?

 

Tomoe ignora la pointe de sarcasme de Hawk. Elle haussa les épaules, comme si la réponse était évidente. Dans leur cas, il n’y avait de tout façon pas beaucoup de possibilités.

 

— Attaquer les premiers et espérer qu’ils seront assez surpris pour que nous puissions nous enfuir, quelle question.

 

Personne ne commenta cette suggestion qui tenait du suicide. Tomoe ne se laissa pas abattre. Ce genre de situations dramatiques avait toujours été sa spécialité. Les Izanamiens allaient comprendre à quel point ils l’avaient sous-estimée.

 

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Callune se sentait particulièrement inutile et impuissante. Cet état de fait lui était tellement habituel que cela ne la perturbait pas outre mesure, au contraire de toutes les personnes présentes. Depuis l’annonce du chef de la garde, la peur et la tension régnaient. Il leur laissait du temps pour réfléchir et se rendre. Il leur avait promis que le sang ne coulerait pas et qu’ils seraient « juste » expulsés du teikoku izanamien. Tomoe avait immédiatement levé les yeux au ciel en secouant la tête.

 

— Il s’imagine vraiment que quelqu’un va le croire ? Ils cherchent à terminer de consolider leurs positions.

 

Depuis, elle planifiait leur fuite, seule. Elle ne requérait l’aide de personne, elle questionnait les uns et les  autres sur leurs capacités. Mais pour le reste, elle réfléchissait, remuant juste parfois les lèvres en silence. Au bout d’un long moment, elle sortit une carte de ses affaires et traça plusieurs chemins du doigt, commentant pour elle-même sans que personne ne parvienne à suivre le cours de ses pensées.

 

Personne sauf Callune. Elle n’était pas assez proche pour détailler précisément la carte, mais elle connaissait suffisamment la géographie d’Atlantide pour comprendre ce que Tomoe faisait. Elle cherchait le trajet le plus optimal. Pas simplement le plus court vers la frontière, il fallait tenir compte du relief pour ne pas se laisser piéger par des soldats postés en hauteur, lister les difficultés du terrain et d'une végétation trop luxuriante. Callune fronça légèrement les sourcils. Tomoe n’était pas qu’une guérisseuse très ouverte d’esprit par rapport aux dimidius. Il s’agissait d’une véritable stratège, qui n’en était pas à son coup d’essai. Et ses mains, calleuses… C'était des paumes de guerriers, pas d’une femme izanamienne classique.

 

Comment avait-elle pu apprendre tout cela dans un clan aussi rigide que celui des Izanamiens ?

 

Callune se rapprocha de la table. En suivant le doigt de Tomoe, elle pouvait deviner ses hypothèses et à chaque fois l’argument qui la faisait renoncer à un trajet. Callune se pencha et interrompit les réflexions de Tomoe.

 

— Non, pas par ici. La route est bordée de saules pleureurs, il doit y avoir beaucoup d’eau, des rivières temporaires et de la boue. Je… Je ne pense pas que cela soit pratique pour…

 

Callune se tut. L’œil sombre de Tomoe la toisait, visage fermé.

 

— Comment sais-tu qu’il y a des saules à cet endroit ?

— Les pictogrammes et la façon de colorier les zones. Il s’agit des méthodes de cartographie classiques des Mokochiens, adaptées par les Izanamiens.

 

Tomoe ne répondit rien. Plusieurs fois, dans la suite de ses réflexions, elle demanda des précisions à Callune sur les informations cachées dans la carte.

 

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Des bruits métalliques. Des cris.

 

Tantôt une course effrénée, tantôt un arrêt brutal...

 

Tout allait tellement vite que la peur avait déserté Callune. Les halètements, l'odeur de transpiration et de sang qui ne la quittait pas, ses compagnons qui la bousculaient parfois sans ménagement... Tout cela se fondait en une seule masse informe d'évènements qu'elle n'arrivait plus à distinguer individuellement. Trop d’informations, trop rapidement, trop violentes. Son cerveau refusait de les analyser correctement.

 

Callune trébucha sur une racine masquée par le sol boueux, mais Maxwell la rattrapa durement par l'épaule. Dans un même mouvement, il la tira en arrière pour permettre à Hawk de reculer sans être gêné et de riposter ensuite aux attaques de son adversaire. Il s'agissait sûrement d'un garde izanamien mais Callune n’eut pas le temps de l'apercevoir, englouti par les ombres, à peine éclairé par les fruits lumineux. Le poids du sac qu'elle portait lui sciait de plus en plus l'épaule et elle peinait à se tenir droite.

 

Elle vit Armita la dépasser, courant du mieux qu'elle pouvait sur le sol glissant, elle aussi handicapée par le poids d'une sacoche. Ewoomi l'appelait d'un cri à peine audible dans le silence mais Maxwell lui avait fait signe d'y aller. Il prenait toujours le soin de tout observer pour ne rien rater. Armita, d'habitude si blanche, était couverte de sang. Sans elle, le petit groupe serait déjà mort depuis longtemps, elle guérissait les blessures dès qu'elles apparaissaient, rapidement et sans précautions. Les vérifications seraient pour plus tard.

 

Il y avait urgence.

 

Callune poussa un cri et arrêta d'avancer.

 

Elle n'en pouvait plus. Ses poumons étaient en feu, les muscles de ses jambes complètement tétanisés et la fatigue la faisaient trembler violemment. Elle n'avait toujours pas récupéré de ses trois timthrialls de coma, et même avant cela, elle aurait été incapable d'un tel effort physique. La seule raison pour laquelle elle avait réussi à dépasser à ce point ses limites résidait dans le fait qu'elle ne réalisait plus ce qui lui arrivait, la rapidité des évènements ayant effacé un temps la douleur. Noor lui prit le bras pour l'aider à avancer. Elle leva des yeux brillants d'incompréhension vers lui et elle recommença à courir, à moitié portée par Noor.

 

À cet instant, elle ressemblait juste à un enfant perdu et déboussolé.

 

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La distribution des rôles avait été minutieuse. Malgré la précipitation, tous les détails cruciaux avaient été listés et répétés de nombreuses fois. Callune, Armita, Noelia et Noor porteraient des sacs en restant groupés près des combattants. Asha Vahishta aurait tout de même une charge moins importante car elle devrait dans un même temps soigner les blessures qui apparaîtraient. Hawk se battrait avec ses dagues, Maxwell avec un long bâton, Ewoomi à l'épée et Tomoe à l’arc. Maxwell superviserait de plus les non-combattants. Le rôle des deux garnements demeurait plus flou. Tomoe avait évoqué une mission.

 

Noor avait beaucoup hésité avant de proposer son aide d'une autre façon. Il pouvait commander aux animaux, mais aussi communiquer avec eux. Envoyer un oiseau en éclaireur serait la meilleure manière d'obtenir des informations. Tomoe avait immédiatement approuvé et après avoir appelé un volatile par un sifflement, Noor lui donnait des instructions.

 

— Enfin quelqu'un qui sert à quelque chose.

 

Hawk avait lancé son commentaire en jetant à regard noir à toutes les personnes présentes, seule Noelia et Armita y échappèrent. Maxwell et Ewoomi lui adressèrent un sourire semblable qui montrait leur complicité et qui ne fit que l’agacer.

 

L'oiseau s'envola peu après pour chercher où se postaient les soldats.

 

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Un battement d'ailes frénétique attira le regard de Noor. Il tenait toujours Callune par le bras et tentait de l'encourager à poursuivre leur course à travers les combats, mais il leva tout de même la tête vers le volatile. Quand l'animal sut qu'il avait capté son attention, il se mit à piailler rapidement en volant en cercle. Noor avait du mal à comprendre ce qu'il disait, entre les bruits de bataille et tous les mouvements, mais il saisit l'essentiel.

 

— Il faut aller vers la gauche ! Cela nous fait un détour mais il n'y a presque plus de gardes postés par là jusqu'à la frontière !

 

Compte tenu des évènements, c'était une phrase particulièrement longue qui termina d'essouffler Noor, sans que tous l'entendent. Maxwell s'était rapproché pour l'écouter et il partit ensuite en direction d'Ewoomi qui menait le petit groupe dans le bois pour lui répéter l'ordre. Hawk repoussa magiquement un épéiste qui aurait blessé Armita avant qu'une flèche se plante dans son bras.

 

La direction changea, la course recommença, plus rapide que jamais. Les combattants ne prenaient même plus la peine de tuer leurs adversaires. Ils faisaient le minimum pour protéger leurs compagnons et libérer le chemin. Rien d'autre ne comptait plus, il fallait économiser ses forces tout en se donnant entièrement dans cette bataille. Insensiblement, les choses évoluèrent, mais personne ne le remarqua.

 

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Il restait un sablier avant la fin de l'ultimatum posé par les gardes, mais Tomoe imposa de partir avant que tous les soldats soient sur le pied de Senso. Personne n'objecta. Tout était prêt, les sacs fermés et chaque porteur possédait le sien, les armes avaient été vérifiées, l'oiseau était revenu faire son compte rendu...

 

Ils devaient juste s'élancer dans le danger.

 

Callune sentit une boule se former dans son ventre. L'attente l'éprouvait peut-être encore plus que l'action en elle-même. Elle tenta d'arrêter le tremblement de ses doigts mais elle n'y parvint qu'à moitié. Assise sur sa chaise, le dos raide, personne ne venait lui parler ou la réconforter, chacun avait assez à faire avec lui-même. Tomoe resta près d'elle et posa une main sur son épaule en lui souriant légèrement.

 

— L'heure la plus sombre de la journée. Nous ferions mieux d’y aller.

— Désolé, mais je dois avoir gardé les yeux fermés sans m'en rendre compte parce que je ne vois pas de différence entre la nuit et... la nuit, railla Hawk.

 

Tomoe se contenta de lui lancer un regard noir et ce fut Maxwell qui répondit.

 

— Selon les Izanamiens, depuis la Grande Extinction, on peut distinguer beaucoup plus facilement le jour et la nuit, comme si l'obscurité éternelle commençait à disparaître... Sans le pouvoir d'Izanamie, le jour reviendrait.

— Magnifique, heureusement qu'on est prévenu, on aurait pu être ébloui par la lumière éclatante du jour.

 

Maxwell renonça et leva les yeux au ciel. Un instant de gêne flotta avant qu'Ewoomi s'étire et sorte son épée de son fourreau.

 

— Il serait malpoli de faire patienter ces pauvres gens qui n'exercent que leur métier.

 

Pour une fois, son visage gardait un air grave. Tomoe adressa un geste de main à Apollon et Artémis. Ils s'enveloppèrent chacun dans une cape noire et émergèrent silencieusement de la maisonnette. Postée près d’une fenêtre, Tomoe semblait attendre un signe.

 

— C'est bon, on peut y aller.

 

Noelia la fixa sans comprendre mais elle ne fit aucun commentaire. Hawk ne se gêna pas.

 

— Après le jour, le signal. J’dois vraiment pas être assez intelligent pour vivre ici on dirait.

 

Personne ne prit la peine de lui répondre, même si seule Tomoe savait de quoi il retournait en réalité. Elle jeta un dernier regard à sa maison puis fit signe à ses compagnons. Il était temps de partir. Elle ouvrit la porte et laissa passer tous les autres avant de sortir elle-même. Elle referma le battant, alors qu'à l'évidence, la bâtisse brûlerait dans peu de temps.

 

Étrangement, le silence régnait dans la clairière. On n'entendait plus le moindre cri de soldat ou un quelconque bruit de préparation à une attaque. Cette atmosphère étouffante écrasait encore plus Callune que s'il y avait eu un vacarme assourdissant. Ses mains tremblantes récupérèrent la fiole rosée qu’elle gardait avec elle depuis des jours. La potion de renforcement remise par le dimidius invisible. Elle la but d’une traite, sous le regard appréciateur de Tomoe.

 

— Une bonne chose que tu en aies. Tu ne tiendrais pas sans.

 

Noor sursauta, tendu face au moindre son. Il prit la parole malgré ses doutes.

 

— On n'attend pas les enfants ?

— Non, ils nous rejoindront plus tard.

— Ce n'est pas...

 

Maxwell lui tapota doucement l'épaule et lui fit signe de se taire. Ce n'était pas à cause du silence qu'il n’y avait aucun risque. Le groupe traversa la clairière, à pas lents. Leurs respirations perturbaient à peine le calme de la forêt. Ils n'avaient même pas parcouru quelques pas au milieu des arbres qu'un long bruit sourd retentit, rapidement suivi par plusieurs autres, plus lointains.

 

— Les ennuis commencent, tenez-vous prêt.

 

Tomoe avait parlé paisiblement, presque indifférente aux sons qui remplissaient maintenant les environs. Trois gardes apparurent en face d'eux. Ewoomi dégaina son épée et Hawk sortit ses dagues. Le combat s'engagea dans un crissement métallique.

 

~0~

 

Callune s'écroula par terre, sans que Noor puisse y faire quelque chose, lui tenir le bras ne suffisait plus. Ses jambes étaient agitées de tremblements incontrôlables et elle avait des difficultés à respirer. Il lança un regard perdu à la ronde, sans savoir ce qu'il devait faire. Tomoe s'arrêta à son tour et, bientôt, ce fut tout le groupe qui stoppa. Il n'y avait plus le moindre garde dans les environs.

 

Tous trahissaient des signes de fatigue plus ou moins grande. Armita s'était à son tour laissée tomber au sol pour reprendre son souffle, une main sur la poitrine. Cela faisait un moment que Tomoe lui avait interdit de soigner les blessures non mortelles pour la ménager un peu. Si elle s'était évanouie avec le contrecoup, cela aurait signifié soit l'immobilité du groupe soit son abandon. Les combattants étaient trempés de sueur et de sang, et quelques plaies sans gravité apparaissaient toujours sur leur corps à divers endroits. Ewoomi avait planté son épée rougie dans le sol et s'appuyait dessus pour reprendre son souffle tandis que Hawk s'était adossé à un arbre et qu'il peinait à manipuler la bandelette de cuir pour rattacher ses longs cheveux sombres.

 

Les autres ne valaient guère mieux. Maxwell avait eu plusieurs blessures, mais tout comme Noelia, elles avaient immédiatement été soignées, car considérées comme trop graves. Eux aussi se remettaient difficilement de leur course. Noor n'avait pas du tout combattu, mais il était tout de même plus épuisé que certains à cause de Callune qu'il avait dû porter sur une partie du trajet. Seule Tomoe réussissait à rester à peu près droite pour reprendre son souffle et, malgré sa fatigue, elle gardait un air neutre.

 

Elle s’approcha de Callune et commença à s'occuper d'elle. Après une auscultation rapide, elle se redressa et annonça le verdict.

 

— Il va falloir faire une pause, d'au moins un sablier. Si on continue à ce rythme, ce n'est pas que Callune que l'on risque de perdre.

 

Son regard s'attarda du côté des combattants. Hawk renifla dédaigneusement, même si à l'évidence, il n'en pouvait plus. Ewoomi fut beaucoup moins fier.

 

— J'avoue moi aussi éprouver quelques difficultés...

 

Et sur ces paroles, il se laissa tomber à son tour par terre. Tous ceux qui étaient encore debout suivirent son exemple, à l'exception de Hawk qui restait avec obstination contre son arbre. Le groupe donnait vraiment une image pitoyable, après plusieurs sabliers de courses et de luttes. Au moins, cela n'avait pas été vain. Ils étaient enfin sortis du périmètre de surveillance des gardes et ils les avaient semés pour le moment. Tous avaient conscience que cela ne durerait pas et que la chasse à l'homme s'engagerait bientôt, mais sans repos, ils ne pourraient jamais tenir jusqu'à la frontière. Frontière qu'il fallait traverser pour obtenir un semblant de sécurité.

 

Plusieurs minutes passèrent dans un silence absolu, simplement troublé par des respirations de moins en moins saccadées. Seule Callune gardait un souffle qui ressemblait à un sifflement. Tomoe s'approcha d'elle et prit son pouls, avant de lui conseiller de s’allonger.

 

— Tu récupéreras plus rapidement ainsi. Par contre... À cause de ta condition physique, il te faudra plusieurs jours de repos pour te remettre totalement.

— Et vous vous attendiez à quoi avec elle ?! cracha Hawk.

 

Il respirait de nouveau plus ou moins normalement même s'il paraissait toujours fatigué. Sa remarque jeta un froid et personne ne sut que répondre. Ce n'était un mystère pour personne qu’il était loin d'être l'amabilité, mais de là à s'en prendre à Callune sans véritable raison, cela laissait une impression de malaise. Même Noelia ne parvint pas à protester pour une fois.

 

Callune ne réagit pas, encore sous le contrecoup autant physique qu'émotionnel de la fuite. Tout ce sang, rouge, si rouge... Et ces cris... Si... Insupportables... L'ambiance devenait réellement embarrassante sans personne pour la rompre. Une Sidhe se matérialisa, mais les bourdonnements dans ses oreilles l’empêchèrent de l’écouter. Un rire nerveux la secoua. Les douleurs dans tout son corps avaient au moins un avantage.

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