I. 9 - Les souterrains

Notes de l’auteur : Nouveau chapitre, bonne lecture !

C’est seulement le lendemain, au milieu du jour, qu’ils atteignirent enfin le Lac Rouge, comme l’avait annoncé Tilham. Ils entreprirent de traverser une large rivière afin de le contourner et atteindre la Ville.

- Pourquoi l’eau a-t-elle cette couleur ? demanda Nadah alors que Julaff traversait avec difficulté la rivière écarlate.

- C’est à cause du lac, répondit Dahim à côté d’elle. Il contient des minéraux particuliers qui lui donnent cette teinte. D’ailleurs, en aval, l’eau reprend une couleur ordinaire. Des légendes racontent, ajouta-t-il en baissant la voix, que le lac est rouge parce qu’un monstre blessé y vit.

Le Pilleur affichait une mine inquiète qui fit rire Nadah.

- Tu crois à ces légendes, Dahim ?

- Tu croyais bien à celle du Dessous, lui répartit-il avec un léger sourire.

La jeune femme opina du chef, vaincue, tandis que Julaff émergeait de la rivière en s’ébrouant.

La jour touchait à sa fin quand la délégation établit campement à une centaine de mètres du lac. Nadah, après s’être rapidement occupée de son Hari et donné un coup de main à ses compagnons, s’éloigna un instant pour admirer le Lac Rouge.

Le soleil couchant embrasait le ciel et s’y reflétait, le faisant briller de mille et une nuances différentes. Le lac, immense, ondulait légèrement sous l’action du vent, donnant naissance à de légers friselis. Eau et ciel se fondaient en un myriade de couleurs toutes plus éclatantes, plus éblouissantes les unes que les autres. La Pilleuse poussa un soupir d’extase.

- C’est magnifique, murmura-t-elle.

- C’est le plus bel endroit de la Surface.

Nadah tourna la tête, surprise. Kijk se tenait à côté d’elle. Le jeune femme ne l’avait pas entendu approcher, mais surtout c’était la première fois que celle-ci lui adressait la parole. Elle fixait la surface du lac avec un visage empreint de mélancolie.

- C’est là que je suis née, précisa la Guerrière.

Elle se tourna vers Nadah.

- C’était à l’époque ou notre Clan était beaucoup dans ces environs. À l’époque, il n’y avait pas de Charognards, nous circulions ou bon nous semblait, et ce, sans aucun risque.

Elle marqua un temps.

- Nous sommes des nomades, nous n’avons pas d’habitat fixe, continua-t-elle dans un soupir. Mais pourtant, quand je vois ce lac, j’ai l’impression d’être revenue chez moi.

C’était chose étrange de voir cette Guerrière, d’ordinaire si impassible, être aussi émue. Si elle fut surprise, Nadah n’en laissa rien paraître et lui adressa un grand sourire, tout en cherchant quoi répondre.

- Je comprends, Kijk. Nous avons tous besoin d’un lieu où nous pouvons nous raccrocher.

Au moment ou elle formulait sa phrase, la jeune femme pensa amèrement qu’elle n’en avait pas. Elle ne connaissait ni le lieu de sa naissance ni ses origines. Sa mère était du Clan de l’Aube, mais qui était son père ?

Kijk acquiesça en silence, perdue dans la contemplation du lac qui l’avait vue naître.

 

*      *      *

 

Lorsque Nadah ouvrit les yeux le matin de ce dixième jour, sa première pensée fut pour le Dessous. Ils y descendaient aujourd’hui même ! Refrénant son excitation, la jeune femme sauta dans ses vêtements et s’extirpa de sa tente.

Une heure plus tard, la délégation avait pris son petit-déjeuner. Puis se dirigea vers la Ville en contournant le Lac Rouge.

Malgré tous ses efforts, les pensées de Nadah revenaient sans cesse au Dessous. Les milles questions de la veille s’étaient faites un milliard, et elle tourbillonnaient à une vitesse folle dans son esprit. Elle avait beau interroger Fahrek, il lui servait systématiquement une réponse évasive qui ne la satisfaisait pas.

 

*      *      *

 

Le soleil étaient haut dans le ciel quand ils s’arrêtèrent enfin. Nadah sauta à bas de son Hari et leva la main pour se protéger les yeux et observer à son aise.

La Ville se dressait devant eux. Elle était encore plus impressionnante que de loin, et bien plus imposante que la dernière que la Pilleuse avait eux l’occasion de visiter.

Après le repas, Tilham se leva et prit la parole.

- On fait comme on a dit. He’m et To’r, vous restez ici avec Roj pour vous occuper des bêtes. Je ne pense pas qu’on en ai pour plus de deux ou trois jours. Les autres, préparez un sac par personne. On part dans vingt minutes.

La délégation s’éparpilla, chacun partant préparer ses affaires. Nadah s’apprêtait à faire de même quand elle se figea. To’r était resté assis, les bras croisés autour de ses jambes ramenées près du torse, la mine sombre. La jeune femme s’approcha de lui et s’assit à ses côtés. Sans vraiment savoir quoi lui dire.

- Je te rapporterai un souvenir, si tu veux, finit-elle par dire. Trois jours, ce n’est pas si long.

Le Chasseur se tourna vers elle et ses lèvres dessinèrent un sourire narquois.

- Pas si long ? Avec un vieux grincheux et un tas de muscle qui n’articule jamais un seul mot ? Super dis donc !

La Pilleuse sourit malgré elle.

- Allez, To’r ! Imagine un peu les exploits extraordinaires que tu pourra raconter au Clan à notre retour ! Tu sera un véritable héros !

Le jeune homme esquissa un sourire triste.

- Ouais, enfin, trois jours sans rien faire, c’est pas vraiment ce que j’avais imaginé.

- Mais qui a dit ça ? Moi je suis sûre que tu va trouver plein de choses à faire !

- Oui, tu as sûrement raison, répondit-il avec lassitude.

Il marqua un temps, puis soudain une lueur nouvelle brilla dans ses yeux.

- Oh, mais je sais ! s’exclama-t-il. Je vais capturer le monstre du Lac Rouge ! À côté de mon exploit, votre délégation de paix aura l’air ridicule, ajouta-t-il en bombant ostensiblement le torse.

Nadah éclata de rire.

- J’ai hâte de le voir, ton monstre !

To’r prit un air de défi. Il avait retrouvé son expression habituelle. Et son éternel sourire espiègle.

- À dans trois jours, alors.

 

*      *      *

 

- C’est ici.

Fahrek désignait un grand bâtiment gris, avec un grand toit en coupole.

Ils n’avaient fait que quelques pas à l’intérieur de la Ville, et pourtant elle affichait déjà le même état piteux que celle dans les Landes de Brume.

Nadah rajusta le sac à dos sur ses épaules -contenant le strict nécessaire- et s’engagea à la suite de Fahrek. Derrière elle, le reste du groupe suivit le mouvement.

Ils grimpèrent une volée de marches. Puis passèrent une porte métallique pour entrer dans une vaste salle circulaire, anciennement aménagée. Au centre de celle-ci, entouré par une barrière métallique, un conduit, de la largeur d’un homme, se découpait dans le sol, fermé par une lourde trappe.

L’entrée du Puits d’évacuation.

Nadah leva la tête. La lumière du soleil leur parvenait par une véranda au sommet de la coupole, et les rayons lumineux nimbaient la scène d’un halo lumineux, lui donnant un caractère irréel.

- C’est ça, votre Puits qui conduit au Dessous ? lâcha Val avec une pointe d’ironie.

- Oui. Et c’est là que nous descendons, répondit Tilham à la Chasseuse.

Il montra aussitôt l’exemple en s’approchant du Puits. Il ouvrit la trappe qui ne lui offrit aucune résistance et s’engagea dans le conduit.

- Kijk, tu passes la dernière, lança-t-il avant de disparaître complètement.

Dahim descendit à son tour, suivit de Val. Fahrek lui adressa un sourire moqueur et lui fit un geste pour l’inciter à passer la première. Une boule dans la gorge, la jeune femme entreprit de descendre les barreaux.

Juste avant de s’y engager complètement, elle jeta un dernier regard vers la véranda au dessus d’elle et à la lumière du jour, puis se coula résolument dans l’obscurité.

Le Puits l’avala.

Elle descendait en Dessous.

 

*      *      *

 

- Attention, Val, tu me donnes des coups de pieds.

La voix de de Dahim résonnait dans tout le Puits, la déformant au point de la rendre grossière.

- Désolé, Dahim.

Le Puits qu’ils descendaient depuis bientôt un quart d’heure était en tous points similaires à celui au fond duquel ils avaient trouvé Fahrek, si ce n’était sa longueur. Nadah avait entreprit de compter les barreaux, mais avait fini par s’emmêler les pinceaux vers le millier.

Barreau après barreau, Nadah se concentrait sur sa descente. Sans arriver à faire taire ses pensées, qui lui répétaient toutes la même chose. Je vais voir le Dessous ! Je vais voir le Dessous ! Je vais...

Soudain, un un choc sourd retentit. Tilham était arrivé au bout du Puits.

Quelques minutes plus tard, tout le groupe était réuni en bas. Le Guerrier sortit deux lanternes qui alluma et en tendit une à Kijk. Une lumière tamisée chassa l’obscurité, révélant deux couloirs qui partaient dans des directions opposées. Tilham se tourna vers l’ambassadeur.

- Fahrek, tu passes devant pour nous guider ?

L’homme hocha la tête et prit la tête du groupe. Il prit à droite sans la moindre hésitation.

- J’ai mémorisé tous les plans de ce Puits, et c’est un véritable labyrinthe, informa-t-il.

Le conduit s’élargissait au bout de quelques mètres, permettant ainsi à trois ou quatre personnes de marcher de front. Au bout de quelques minutes, ils débouchèrent dans un espace immense.

- Une grotte mineure, expliqua Fahrek. Ce sont des cavités naturelles, en partie agrandie par l’homme. Mais rien de comparable à celles où les gens du Dessous vivent.

Nadah se tordit le cou en vain en tentant d’apercevoir le plafond de la grotte. Elle avait des dimensions démentielles. Si cette grotte était petite, à quoi donc ressemblaient les grandes ?

Au bout de quelques pas, la jeune femme ne voyait même plus la sortie du conduit derrière eux. La seule lumière qui provenait des deux lanternes tenues par Tilham et Kijk semblait prise en étau par l’obscurité des lieux. L’atmosphère était suffocante et les seuls bruits perceptibles étaient les pas et les respirations de la délégation.

La Pilleuse sursauta quand la voix bourrue de Tilham se fit entendre.

- Cette grotte est inhabitée ?

- Oui, répondit Fahrek, très sûr de lui.

Sa voix aux intonations cassantes résonnait encore quand un léger bruit vint la contredire. Comme un seul homme, le groupe se figea et retint sa respiration. Le bruit se répéta, plus fort, et résonna plusieurs fois dans le silence de la grotte. On aurait dit que quelqu’un avait fait tomber un objet. Lentement, Tilham décrocha deux pistolets dans son dos et scruta intensément l’obscurité.

Le bruit retentit à nouveau, plus près. Plusieurs longues secondes passèrent, et Nadah s’apprêtait à ouvrir la bouche pour demander la cause du bruit, mais elle n’en eut pas le temps.

Tout se passa très vite.

Une déflagration assourdissante explosa, et Val s’écroula à terre dans un cri de douleur. Les deux mains serrées convulsivement contre son ventre. Nadah fut plaquée sans ménagement au sol. Un bruit de verre explosa et les deux lanternes s’éteignirent brusquement. En quelques secondes, l’enfer tout entier s’était déchaîné au sein de la grotte.

De nouvelles détonations retentirent dans leur direction sans pouvoir les atteindre. À chacune d’elle, un rayon de couleur fusait dans l’obscurité, et le temps d’un quart de seconde, Nadah put apercevoir des silhouettes, portant des masques à plumes.

Des Charognards.

- Des désintégrateurs ? C’est... impossible. Comment se sont-ils procurés ces armes ?

Nadah tourna la tête, et, à la faveur de nouveaux éclairs lumineux, reconnut le visage terrorisé de Dahim plaqué contre le sol.

Nadah ouvrit la bouche pour lui répondre, mais un chuchotement de Tilham l’interrompit.

- Dahim et Nadah, fuyez le plus vite possible vers la Surface, je vais rejoindre Kijk pour tenter de les retenir.

Un flot de panique envahit le jeune femme.

- Mais… Tilham… bégaya-t-elle.

- Écoute-moi, Nadah. Vous devez partir le plus vite possible. Ils sont trop nombreux, on va se faire massacrer.

Sa voix prit une intonation autoritaire.

- Vous remontez. Vous retrouvez Roj, He'm et To’r. Et vous partez le plus vite possible. Compris ?

La gorge nouée, Nadah acquiesça faiblement. Elle désigna Val allongée à quelques mètres.

- Et… Val ? Fahrek ? demanda-t-elle.

- Val est morte, répondit froidement Tilham. Et Fahrek n’est plus là.

La détonation d’un désintégrateur fit briller ses deux yeux de mille feux. Il les planta dans ceux de Nadah.

- Nadah. Courage.

L’éclair suivant, le Guerrier avait disparu, avalé par les ténèbres, et les détonations redoublaient. Plus loin, des hurlements éclatèrent.

Tilham était rentré en action.

Nadah se leva péniblement, les jambes tremblantes, et croisa le regard de Dahim. Sa propre terreur se reflétait dans ses yeux. Elle jeta un dernier regard à Val, prostrée par terre, puis fit un signe à Dahim. L’un derrière l’autre, ils s’éloignèrent en courant le plus loin possible des fusillades.

Après quelques minutes qui semblèrent interminables aux deux Pilleurs, ils arrivèrent au bout de la grotte. Le conduit se découpait dans la paroi, dans lequel ils s’engagèrent sans hésitation. Une trentaine de mètres plus loin, Dahim s’arrêta et farfouilla dans son sac. Il en sortit une lanterne qu’il alluma. La lumière aveugla Nadah qui ferma les yeux.

- Nous sommes suffisamment loin de la grotte, désormais. Les Charognards ne verront pas la lumière de là où ils sont, chuchota Dahim d’une voix sourde.

Nadah tendit l’oreille. Le vacarme de l’affrontement et des désintégrateurs s’étaient tus. Elle n’avait plus conscience que des battements affolés de son cœur.

Elle ouvrit lentement les paupières. Dahim la regardait d’un air inquiet.

- Nadah ? Ça va ?

Nadah aurait voulu répondre, mais elle avait la gorge trop serrée. Elle se contenta de hocher la tête. Dahim lui adressa ce qui ressemblait à un sourire, puis fit volte face et se remit en marche.

Le sang-froid du Pilleur avait pris le dessus. C’était tout l’inverse pour Nadah. La jeune femme le suivait, en état de choc, une panique folle lui enserrant le cœur. Elle était incapable d’aligner deux pensées correctement, mais elle était sûre d’une chose : il fallait sortir de cet endroit.

Soudain, un détail attira son attention du coin de l’œil. Elle leva la tête. Au plafond du conduit, des inscriptions étaient gravées dans la pierre. Elle était sûre de ne rien avoir vu de cela à l’aller.

- Dahim.

La voix de Nadah était inaudible, comme un souffle. Le Pilleur continuait d’avancer prudemment. Il n’avait pas entendu.

Nadah poussa sur sa voix, la gorge terriblement serrée.

- Dahim ?

Cette fois-ci, il l’entendit et se retourna.

- Nadah ?

- Je… je crois qu’on s’est trompé de conduit.

La jeune femme déglutit difficilement, prenant conscience de ce qu’elle allait dire. Elle avait un goût horrible en bouche.

- Celui-ci ne mène pas à la Surface.

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