I. 5 - L'arène

Notes de l’auteur : Bonne lecture ;)

Le Guerrier observait attentivement la fille qui lui faisait face. Son sabre tenu à deux mains, elle attendait calmement, un air d’ennui flottant sur le visage.

Il ricana intérieurement. Si elle pensait encore le battre, elle se trompait. Il était prêt.

Il fit lentement craquer ses jointures, puis dégaina rapidement les deux épées accrochées dans son dos dans un mouvement impressionnant de fluidité, témoin de nombreuses années d’entraînement. Il s’avança vers son adversaire qui ne bougeait toujours pas. Et attaqua le premier.

La fille s’écarta imperceptiblement afin d’éviter le coup, et, dans un même geste, se fendit latéralement. Il para le coup qui allait lui entailler la hanche et rompit dans un glissement métallique, avant d’attaquer de nouveau.

Ils virevoltaient l’un autour de l’autre, évitant un coup ici, en portant un autre là. Les lames tournoyaient de plus en plus rapidement et le Guerrier commençait à être en difficulté. Il se maudit intérieurement d’avoir sous-estimé son adversaire, et chercha comment prendre l’avantage. Soudain, il repéra une faille dans sa garde. Sans plus réfléchir, il s’y engouffra, virevolta et s’apprêtait à assener le coup final lorsqu’il se rendit compte que la fille n’était plus là.

Et qu’il avait une lame sur la gorge.

- Malh’in, Malh’in… Si tu faisais un peu moins le malin, tu ferais sûrement un excellent guerrier… prononça une voix moqueuse derrière lui.

Des rires retentirent autour d’eux. Le Guerrier écarta l’épée et se retourna pour faire face à la jeune femme. Elle affichait un sourire insolent, heureuse de sa victoire.

- Bien joué, Elya, répondit le dénommé Malh’in avec un grand sourire.

Il était bon joueur, et il fallait reconnaître qu’elle l’avait bien eu. Ils se serrèrent la main et autour d’eux, les applaudissements redoublèrent.

Tilham s’approcha d’eux.

- C’était pas trop mal, lança-t-il. Bien vu, Elya, pour la garde. Mais fais attention, ton flanc droit est toujours un peu à découvert. Si Malh’in avait eu un peu plus de jugeote, il l’aurait vu.

La jeune femme hocha la tête tandis que son voisin rougissait.

- Et toi, ne sous-estime jamais ton adversaire ! C’est une erreur qui se révèle presque toujours fatale.

Il sourit, puis ajouta :

- Mais c’était un beau combat. Allez, filez.

 

Une petite partie du Clan venait toujours assister aux habituels duels qui se déroulaient dans l’arène le matin. Ce matin, ils étaient particulièrement nombreux. Parmi eux, appuyés contre la barrière de l’arène, Fahrek et Nadah observaient les duels.

- Ils se débrouillent pas trop mal, commenta placidement l’ambassadeur.

Nadah se tourna vers lui, surprise. Pas trop mal ? Elle se sentait si nulle à côté d’eux !

Elya et Malh’in se dirigeaient vers eux, tout sourire. Ils sautèrent la barrière de l’arène et saluèrent Nadah.

- Alors ? Comment tu as trouvé ça ? demanda Elya.

La Pilleuse adressa un grand sourire à ses deux amis.

- Incroyable. Vous êtes tellement plus fort que moi, vous pourriez me battre les yeux fermés et en maniant l’épée avec le pied.

Ils éclatèrent de rire en imaginant la scène.

- Déjà, tu dis n’importe quoi, répliqua Malh’in. Tu te débrouilles très bien au combat. C’est à peine si je connais quelques bottes secrètes de plus que toi ! Et tu sais faire tellement plus de choses que nous ! Tu es une vraie Pilleuse, ce qui veut dire que tu peux récupérer tout ce que tu trouves pour en faire ce que tu veux. C’est extra ! Je suis incapable de faire ça.

- Pareil pour moi, surenchérit Elya.

Nadah sourit malgré elle.

- Arrêtez ça, vous dites n’importe quoi. Vous êtes des Pilleurs autant que moi, c’est dans les gènes même de notre Clan. Simplement, vous savez faire des choses en plus. Et puis, ajouta-t-elle en voyant que Elya voulait rétorquer, on va pas débattre de ça pendant quinze ans.

Le sujet de discussion revenait régulièrement entre eux : savoir lequel était le plus talentueux, mais ils n’arrivaient jamais à se mettre d’accord.

- Où est To’r, d’ailleurs ? demanda Malh’in.

- Il est parti à la chasse de ce matin. Je soupçonne notre meilleur Chasseur de faire le plein d’histoires farfelues à raconter plutôt que de nourriture pour le Clan ! répondit Elya.

Les trois amis éclatèrent de rire.

Nadah examina ses amis. Malh’in était grand, les cheveux bruns coupés court. Il était le plus âgé du groupe et approchait la vingtaine. Ses traits juvéniles laissaient de plus en plus à un visage adulte. Il avait un regard franc, toujours pétillant de défi, toujours très sûr de lui.

Parfois trop.

Elya, plus jeune, avait eu dix-huit ans quelques mois plus tôt. Ses longs cheveux roux ondulaient librement sur ses épaules, sans qu’elle se préoccupe de les coiffer. La même lueur joyeuse brillait au fond de ses prunelles, mais plus assagie. Plus réfléchie.

- Alors comme ça tu nous quittes, Nadah ? demanda la Guerrière. La question avait été posée sur un ton léger, mais elle recelait un fond d’inquiétude.

La jeune femme répondit par l’affirmative. Ses amis allaient lui manquer.

- Je suis désolée que vous ne puissiez venir, je…

- Mais non, t’inquiètes ! rétorqua Malh’in. C’est une délégation officielle, normal qu’ils prennent pas des bleus comme nous.

Il avait tenté de parler d’une voix exempte de déception, mais Nadah connaissait trop bien son ami. Il voulait faire partie de cette délégation. Elya aussi. Même s’ils n’attachaient pas la même importance qu’elle au Dessous, ils voulaient le découvrir.

- Je trouves normal aussi que tu viennes. Après tout, tu es la fille du chef.

Son visage se fendit d’un sourire goguenard.

- Par contre, To’r… Quel escroc !

- Quoi ? To’r fait partie de la délégation ? s’exclama la Pilleuse.

- Mais oui ! C’est scandaleux !

Le Guerrier affichait un air faussement outré. Tout comme Nadah, il était heureux que le Chasseur puisse se joindre à la délégation.

Un temps passa, puis Elya s’adressa à quelqu’un dans le dos de la Pilleuse en élevant la voix.

- À propos du Dessous ! Monsieur l’ambassadeur, est-ce que chez vous les gens apprennent à se battre ?

Nadah se retourna. Elle avait oublié la présence de Fahrek juste derrière elle, qui les écoutait depuis le début de leur conversation. Elle s’écarta pour lui laisser une place dans le cercle, et il s’avança.

- Tu peux m’appeler Fahrek. Et me tutoyer. Je n’ai que vingt-sept ans. Pour répondre à ta question, non. Chez nous, les gens qui apprennent à se battre sont rares.

- Et tu en fais partie ?

Un fin sourire étira les lèvres de l’homme.

- Je me débrouille.

La réponse sembla satisfaire la Guerrière, qui tira aussitôt une épée d’un des fourreaux de Malh’in, trop rapidement pour que celui-ci ait le temps de protester. Elle la tendit à l’étranger qui la saisit.

- On va voir ce que tu vaux, alors.

Sans attendre de réponse, elle sauta la barrière souplement et se dirigea vers le centre de l’arène. Fahrek, sans se départir de son sourire moqueur, suivit la jeune femme.

Les deux jeunes gens restants s’accoudèrent à la barrière pour mieux regarder le combat. Il ne restait plus qu’eux quatre, le reste du Clan était parti vaquer à ses occupations.

- Il va se faire laminer, lança Malh’in, laconique.

- Je n’en serais pas si sûr, si j’étais toi.

- Quoi, tu veux me faire croire que ce type est un guerrier redoutable ?

- Non. Simplement…

Nadah s’approcha de son ami et le fixa dans les yeux, un sourire au coin des lèvres.

-… ne sous-estime jamais ton adversaire.

Le Guerrier secoua la tête, faussement vexé.

- Pfff… N’importe quoi, répondit-il. Tu veux parier ?

Elle réfléchit un instant, jouant du bout des ongles avec le bois de la barrière. Puis hocha la tête.

- Ok. Une semaine de corvée.

Ils échangèrent un regard amusé plein de défi.

Au même instant, le combat s’apprêtait à commencer. Elya, prête, se tenait dans un position de combat irréprochable. Une mèche rebelle retombait sur son visage tendu par la concentration.

Fahrek, debout de l’autre côté de l’arène, attendait, l’épée le long du corps. Immobile.

Quelques longues minutes passèrent, puis, n’y tenant plus, Elya décida de passer à l’attaque. Elle raffermit sa prise sur son épée, tendit chacun de ses muscles. Planta ses deux talons dans la poussière du sol. Puis s’élança vers son adversaire.

Elle s’approchait rapidement de celui-ci sans qu’il tente d’esquisser le moindre geste. Lorsque qu’il fut à sa portée, Elya assena un premier coup.

Fahrek l’évita. Si vite que son mouvement sembla flou. La jeune Guerrière, surprise, se ressaisit aussitôt. Elle esquissa quelques pas de côté et se fendit à nouveau. Mais l’homme se déplaça et évita de nouveau le coup qu’elle voulait lui porter.

Si Elya fut déstabilisée, elle n’en laissa rien paraître. Elle enchaîna aussitôt sur une série d’attaques, essayant de porter chaque coup plus rapidement que le précédent. Elle feinta une fois, deux fois, trois fois. Puis porta un coup latéral.

Il le contra sans difficulté.

La Guerrière ne put empêcher un sentiment de frustration l’envahir. Son adversaire évitait tous ses coups, comme s’il les devinait à l’avance. Il ne prenait aucun risque et se contentait de défendre. Mais sa défense était parfaite. Il attendait simplement qu’elle fasse une erreur, et celle-ci finit par venir.

L’affrontement se prolongeait sans qu’Elya arriva à déborder son adversaire. Agacée, elle voulut tenter une botte -apprise de Tilham-, mais dans sa précipitation, laissa un instant son flanc droit à découvert. Le temps qu’elle réalise son erreur, Fahrek s’était brusquement engouffré dans la brèche, et la seconde d’après, la désarmait. Le sabre de la Guerrière s’envola dans les airs et alla se planter quelques mètres derrière elle.

Le combat était terminé.

Le regard de l’homme n’avait pas changé, comme s’il savait quelle issue allait prendre le combat depuis le début. Et cela frustra davantage Elya. Néanmoins, elle se força à sourire.

- Bien joué, lui dit-elle en lui serrant la main.

À quelques mètres de là, Nadah affichait un regard victorieux.

- Tu me dois une semaine de corvée, Malh’in.

Son voisin ne répondit pas tout de suite, trop abasourdi par ce qui venait de se passer.

- Mais… attends… balbutia-t-il. Tu as vu ça ? Cet homme est hyper fort ! Je n’avais jamais vu personne se battre de cette façon !

- T’inquiètes, tu va t’en remettre. C’est pas comme si c’était la première fois que tu perdais un pari, je me trompe ?

Tout en parlant, elle s’était approchée de son ami.

- Attention, derrière toi !

Sans réfléchir, le Guerrier fit volte-face. Et le regretta aussitôt amèrement. Avant qu’il puisse ouvrir la bouche pour crier à la trahison, il était à terre, le bras droit tordu dans une solide clé de bras.

- T’as de la chance d’être une fille, marmonna-t-il.

Sa joue était écrasée contre le sol, rendant ses propos quasiment inintelligibles.

- Sinon, je t’aurais déjà fait regretter tes infâmes agissements.

Nadah éclata de rire et relâcha son ami qui se releva, chassant la poussière sur ses habits dans un semblant de dignité.

- C’est ma défaite qui vous fait tant rire ?

Elya s’approchait, suivie de Fahrek.

- Non, c’est juste ce zigoto qui va devoir essuyer une semaine de corvée à ma place.

- Eh, oh, je ne vous permets pas, protesta Malh’in.

- Tu as parié contre moi ? demanda Elya, faussement vexée.

- Je ne prenais aucun risque, je pars dans trois jours, répliqua Nadah avec un regard entendu à Malh’in.

Le Guerrier soupira. Il s’était fait avoir.

 

*       *      *

 

- Alors, Nadah ? Ton avis ?

La jeune femme réfléchit quelques instants à sa réponse.

- Je crois qu’on peut lui faire confiance. Il a l’air honnête, et je crois... qu’il nous apprécie.

- Bon. Je crois aussi.

Bahr sourit et ébouriffa les cheveux de sa fille adoptive.

- Donc pas de panique, Nadah. Vous partez demain, comme prévu.

Demain ! Nadah frémit à cette pensée. Déjà ? Les trois jours étaient passés en un éclair. À présent les derniers préparatifs de l’expédition étaient presque achevés.

- Et le reste du Clan, reprit Bahr, comment le considèrent-ils ?

- La plupart sont assez intrigués et n’osent pas lui parler, comme s’il était un fantôme. Il faut croire que certains ont encore du mal à accepter l’existence du Dessous !

Elle songea avec amusement que d’autres avait le comportement inverse. Comme Malh’in. Depuis le duel de Fahrek avec Elya, le jeune Guerrier avait fait de l’ambassadeur son héros. Elya, en revanche, l’évitait soigneusement. To’r, de son côté, parvenait à le faire rire et discutait parfois avec lui. Mais rien d’étonnant à cela. To’r arrivait à faire rire tout le monde.

- Comment leur en vouloir ? argua le Chef du Clan de l’Aube avec un petit sourire. Ça fait cent cinquante ans que tout le monde répète que c’est une légende stupide. Heureusement que tu es plus maligne que moi, fille !

Nadah accepta volontiers le compliment. Si Bahr avait eu du mal a accepter son erreur, à présent il en riait. Elle l’admirait beaucoup pour cela. Il avait son orgueil et sa fierté, mais savait les ravaler et ne garder aucune rancœur quand il le fallait.

- Tu devrais y aller, fille. Tu as encore des choses à préparer pour demain.

En effet. Son sac n’était pas terminé et il fallait encore apprêter les sacoches que porteraient les Haris.

La jeune femme salua Bahr et quitta la tente de son chef pour aller vers la sienne. Une boule d’émotions lui enserrait le ventre, à l’approche du grand départ.

Le départ pour le Dessous.

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Emmy Plume
Posté le 02/07/2021
Hello Petrichor ! ^^

Ça fait un bail, mais me revoilà ;)

Et quel chapitre, mes aïeux !
Tes scènes de combats sont prenantes et claires (c'est siii important et siii difficile à rendre bien, chapeau bas ^^). On sent bien se dégager la personnalité de chaque personnage à travers leur manière de se battre, et ils ont tous (ou presque) leur défaut et leurs points fort.

J'aime beaucoup l'interaction entre amis / combattant, c'est toujours réjouissant de voir comment leur amitié s'exprime lors d'un combat (et se transforme en rivalité).

Notre cher Fahrek reste si mystérieux et si passionnant à la fois... je l'aime déjà d'amour, mais je n'arrive pas à me décider quant à lui faire confiance ou pas. Il n'en dit pas assez pour me persuader de la pureté de ses intentions. Je le garderais bien à l’œil les chapitres suivants (il est tellement doué, c'en est suspect XD )

Bonne continuation et à bientôt ! =^v^=

Emmy
Pétrichor
Posté le 18/07/2021
Re !

Alors, d'abord, merci pour tes commentaires ! C'est tellement chouette d'avoir un retour sur ce qu'on écrit !

En tous cas, si tu as des critiques plus négatives à formuler, n'hésite surtout pas ! (Je dis ça parce qu'à force j'ai l'impression que ce que j'écris est parfait, sauf que je sais que c'est loin d'être le cas XD).

J'ai passé pas mal de temps sur les scènes de combat, content que ça te plaise ! C'est vrai que c'est assez dur de trouver l'équilibre entre "on arrive pas à savoir ce qui se passe" et "trop de descripition, pas de dynamique".

Ahaha... Fahrek...
Je pourrais en parler pendant des heures je pense... C'est clairement mon perso préféré, avec une personnalité un peu complexe. Je te conseille en effet de le garder à l'oeil, après tout on sait jamais :D

A très vite !

Pétrichor
Blanche Koltien
Posté le 11/04/2021
Trop trop cool comme chapitre!!!
Les combats sont vraiment une bonne idée, ça donne à la fois un peu de légèreté et à la fois un côté sérieux et martial!
On sent l'amitié qui lie tous ces gais lurons, et ça fait plaisir à voir, c'est vraiment chouette! Quand ) cette histoire de paris, c'est fou mais j'ai une impression de déjà vu... ^^

Bref, trop génial!!
Une petite remarque très insignifiante: "L’affrontement se prolongeait sans qu’Elya arriva à déborder son adversaire." j'aurais plutôt mis "arrive" ou "arrivasse" mais le subjonctif imparfait c'est pas fou comme forme ^^

Voili voilou!!
Hâte d'avoir la suite!!
Pétrichor
Posté le 12/04/2021
Du déjà vu ? Ah bon ??? :D

Merci pour ton commentaire, c'est toujours trop cool de les lire !
Merci pour la coquille ! C'est juste une faute, c'est bien "arrive". Je vais corriger ça.

Oui, j'avais très envie de mettre des entraînements, pour renforcer la touche fantasy (ce genre de choses est assez courante dans le genre). Pareil pour leur amitié et leurs incessantes boutades ! Moi ça me fait toujours beaucoup rire.

La suite arrive la semaine prochaine ! À bientôt alors !

Pétrichor
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