Hakima la furtive

Dans un paisible village vivait Hakima. Orpheline depuis son plus jeune âge, cette enfant espiègle avait été élevée par son oncle et sa tante. Mais jamais elle ne s’était sentie aimée d’eux. « C’est une aumône que l’on s’occupe de toi. C’est une aumône », répétait souvent sa tante. Hakima était curieuse, vive et pleine d’énergie, mais son entourage ne la comprenait pas. Une fille était un fardeau, une tâche dont la famille devait s’occuper jusqu’à s’en décharger au mariage. Ils auraient bien préféré que Hakima soit un garçon.

Aussi ne les écoutait-elle plus. Elle préférait partir, sortir du village pour jouer avec la nature. Les arbres la réchauffaient, la rivière lui parlait, le vent chantait avec elle. C’était en cet endroit qu’elle se sentait la plus heureuse. Au diable son oncle, sa tante, ses cousins et le reste des villageois. Hakima embrassait la forêt comme la solitude. Chaque jour, lorsqu’elle le pouvait, elle se glissait comme un serpent hors de la vue de sa tante, se faufilait comme un fennec entre les habitations, puis se volatilisait pour retrouver son bien aimé bois. Cela arrivait si souvent qu’on la désignait comme la furtive.

Les villageois avaient peur de s’aventurer trop loin dans le bois. Les rumeurs et les légendes s’accumulaient et se répandaient de bouche-à-oreille. On racontait que, tapis dans l’ombre, les créatures de la nuit se repaissaient des voyageurs perdus. Certains disaient même que les mauvais esprits volaient les âmes des imprudents afin de les tourmenter pour l’éternité. C’étaient les raisons pour lesquelles on ne s’aventurait jamais seul dans la forêt, et encore moins lorsqu’il s’agissait d’enfant. Hakima se moquait de ces rumeurs car jamais elle n’avait vu le mal dans la nature.

Comme à son habitude, elle était parvenue à destination. Hakima riait avec les oiseaux dans le ciel, gambadait entre les arbres, les pieds flottants presque au-dessus du sol. Dans son évasion, elle oubliait qu’elle était seule même au sein de sa propre famille. La nature lui montrait à sa façon que ses parents étaient toujours là, à travers le soleil et les arbres pour veiller sur elle. La sérénité qu’elle inspirait, son tableau de verdure et sa chaleur apaisaient Hakima. Ainsi faisait-elle plus confiance en cette entité qu’en l’humanité.

Soudain elle entendit un craquement étrange. C’était derrière un grand buisson, éloigné de son chemin habituel. Elle s’en approcha à pas feutrés, pour ne pas attirer l’attention sur elle. Lorsqu’elle se pencha pour voir ce que pouvait bien se cacher derrière ce couvert, elle fut étonnée de sa découverte. Une grande créature était assise derrière le buisson. Elle ressemblait vaguement à un être humain, mais sa grande taille et sa corpulence étrange trahissaient sa vraie nature. L’étrange chose mangeait des fruits.

Hakima recula doucement de quelques pas. D’abord parce qu’elle ne voulait pas la déranger pendant qu’elle se nourrissait. Mais aussi parce qu’elle en avait très peur. La fillette se retourna lentement pour tenter de s’éclipser, mais elle fit accidentellement rouler un caillou devant elle, qui se cogna à un arbre… Cela suffit à attirer l’attention de cet être inconnu. Hakima tremblait, elle désirait fuir, mais l’effroi la tétanisait. Et puis, cette créature était si grande pour sa petite taille : si elle courrait, il la rattraperait en quelques foulées à coup sûr !

La chose s’approcha d’elle. Hakima crut son heure arrivée. Au-dessus d’elle se penchait un visage humain, pourtant son corps était trop grand et ses bras trop longs. Il ne portait pas de vêtements, mais sa peau était dissimulée sous une épaisse mousse, ellemême recouverte de feuilles. Elle n’esquissa aucun mouvement, tandis que son cœur cognait sa poitrine. La créature ne se montra pourtant pas hostile :

— Je ne pensais pas qu’un humain me trouverait. 
— Il peut parler ! s’étonna-t-elle.

Elle en était bouche bée. La créature fit quelques pas de plus dans sa direction :

— N’aie pas peur. Je ne mange que des fruits. Je ne veux pas te faire de mal. 
— Depuis quand vivez-vous ici ? Je ne vous avais jamais vu avant. 
— Oh, j’étais là avant que tes grands parents soient 
nés…

Il soupira :

— Je me cache des Hommes, je suis à la nature, non à eux. 
— Je me balade tous les jours dans cette forêt, mais j’en sais si peu sur elle. 
— Je peux te montrer quelques de ses secrets.

Ainsi, Hakima devint l’amie de cette étrange chose. Il était un esprit de la nature, et s’appelait Ilwan. Il se montra patient durant cette première rencontre, prenant soin de ne pas effrayer l’enfant tout en lui révélant des lieux dont elle ne soupçonnait même pas l’existence. Pour Hakima, ce fût un jour différent, celui où elle avait pu rire et s’émerveiller comme elle ne l’avait plus fait depuis longtemps. Ilwan quant à lui était heureux de la voir aussi enjouée. Lassé de la solitude, cette jeune compagnie lui faisait plaisir. Loin des vices qu’il avait décelés chez les Hommes adultes, il retrouvait en Hakima l’innocence qu’il avait oubliée avec l’âge.

À la suite de cet événement, ils passèrent les jours suivants à se retrouver au même endroit, lieu de leur rencontre, pour passer leurs journées ensemble. Ilwan lui dévoila quelques secrets de la forêt, lui apprit à se servir d’elle pour devenir légère comme le vent et se rendre bien plus discrète. Hakima, dans son euphorie, ne voyait pas le temps passer, si bien qu’elle rentrait de plus en plus tard au village, au grand dam de son oncle et de sa tante, qui la préféraient à l’abri de la maison. Mais pour Hakima, c’était devenu une prison. Quand elle contemplait le ciel radieux et jouait avec le vent, il n’y avait pas aussi heureuse enfant qu’elle. Avec Ilwan à ses côtés, elle se sentait en sécurité en plus d’avoir un ami qui lui était devenu cher en si peu de temps.

Cela faisait maintenant une lune que Ilwan et Hakima se fréquentaient. Ce matin-là, Hakima s’était encore glissée furtivement loin de son village pour rejoindre l’esprit de la forêt. Elle arriva près de l’arbre, et quelques minutes plus tard, Ilwan sortit de sa cachette.

— C’est lui ! cria une voix derrière elle. Capturez-le ! 

Elle eut à peine le temps de se retourner que son oncle la saisit par la taille pour la traîner vers les hommes du village. Des flèches furent décochées en direction de Ilwan.

— Arrêtez ! C’est mon ami !

Mais ses cris ne suffirent pas à arrêter les hommes. Ilwan s’écarta des arbres pour s’enfoncer plus loin dans le bois, mais une flèche toucha son épaule.

— Non ! hurla Hakima. Arrêtez je vous en prie ! 
— Tais-toi, petite folle ! maugréa son oncle. Tu n’as pas honte de fréquenter ce monstre ? C’est comme ça que nous t’avons éduquée ? C’est comme ça que tu nous remercies ?

Hakima fondit en pleurs lorsqu’elle vit Ilwan ligoté et emporté par les hommes vers le village avec elle. Elle eut beau répéter à son oncle et aux hommes près d’elle qu’il était un esprit de la nature, on la força à se taire, arguant qu’une enfant de son âge ne savait rien des dangers des mauvais esprits. Les larmes n’avaient toujours pas fini de rouler sur ses joues lorsqu’elle arriva au village. Son oncle l’emmena tout de suite auprès de sa tante. Cette dernière l’enferma dans sa chambre et lui fit la terrible promesse que plus jamais elle ne sortirait sans sa permission.

Ilwan fut ligoté à un tronc d’arbre, pour être à la vue de tous. À l’annonce de sa capture, tous les villageois s’attroupèrent autour de lui pour l’observer. Aussi, les rumeurs allaient de bon train : certains racontaient qu’il serait bientôt exécuté, tandis que d’autres prétendaient qu’il serait vendu au plus offrant. De la bouche de son oncle, Hakima entendit que certains villageois l’imaginaient devenir l’attraction de leur village. Ces ragots brisèrent le cœur de la petite fille. Elle devait faire quelque chose pour Ilwan comme il en avait fait tant pour elle.

Jamais sa tante ne la laisserait partir. Hakima se souvint des bons conseils d’Ilwan, et des dons que pouvaient procurer la nature. Elle pouvait glisser comme le vent, devenir une brise grâce à sa petitesse et son agilité. Il lui suffisait de faire confiance en ses sens et en ses capacités. La fillette se concentra, puis ouvrit la porte de sa chambre d’une légère pression. 
Sa tante était dans la pièce commune et lui tournait le dos. Sur la pointe des pieds, elle se laissa porter par l’air ambiant, elle devint légère et discrète comme une brise. Elle traversa discrètement la demeure tandis que ses pieds flottaient très légèrement au-dessus du sol. Son cœur manqua un battement ; un bref instant sa tante avait tourné la tête sur sa droite, comme si elle avait senti quelque chose. Alors, dans un ultime souffle, Hakima ouvrit la porte de la maison et en sortit. Elle fut enfin à l’air libre.

Sur la terre ferme, elle avança à pas feutrés entre les maisons, se plaquant contre les murs quand elle distinguait des silhouettes dans l’ombre. Petit à petit, elle approcha la place centrale du village, pour voir son ami de grande taille ligoté à un arbre. Son cœur se serra quelques secondes, puis Hakima songea que bientôt, tout cela serait fini.

Prenant son courage à deux mains, elle progressa encore le plus discrètement possible le long de la place, puis se glissa derrière Ilwan. Ce dernier l’avait vue s’approcher, mais Hakima lui avait intimé le silence d’un geste de la main. La fillette détacha non sans peine les liens qui immobilisaient l’esprit de la nature. Quand il fut enfin libéré, Ilwan se massa les poignets en prenant soin de rester le dos contre l’arbre.

— Que fais-tu ici ? l'interrogea-t-il, inquiet. 
— Je viens nous libérer, répondit-elle. Partons loin d’ici, je déteste mon oncle, je déteste ma tante, je déteste ce village. 
— En es-tu sûre ? Je ne veux pas que tu sois triste, loin de ta famille. 
— Maintenant, c’est toi ma famille. Je veux voyager avec toi, je ne veux plus que nous soyons séparés. 
— Ça me touche, Hakima.

Toute la tristesse, toute la rancune et la haine avaient quitté les épaules et les esprits des deux amis à cet instant. Ils se comprenaient, ils étaient désormais liés. Ilwan saisit l’enfant dans ses bras, et sans se soucier du regard des villageois, courut à grandes foulées en direction de la forêt. Quelques hommes tentèrent de les poursuivre, mais il était trop tard : Ilwan avait de si longues jambes qu’il courrait comme une bourrasque au printemps.

Lorsqu’ils furent arrivés dans les bois, seule la lune éclairait leurs pas. Hakima glissa la main dans celle d’Ilwan et lui sourit.

Plus rien ne les séparerait. 

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Pouiny
Posté le 24/03/2021
Pour le coup c'est une écriture très efficace et très fluide ^^ Mais des fois j'ai l'impression que c'est un peu pressé : Par exemple, il a fallu que je relise avant que je comprenne qu'Ilwan était le prénom de la créature. Ca donne envie d'en savoir plus : Pourquoi Ilwan ? Est-ce que c'était déjà son prénom, ou est-ce qu'a donné Hakima ?

Je me dis que tu aurais vraiment de quoi faire et de quoi étoffer avec cette histoire !
Encre de Calame
Posté le 24/03/2021
Coucou !

Ah oui, en effet il se présente en discours indirect, peut être qu'en dialogue ça serait mieux passé. C'est bien son prénom et pas un nom donné par Hakima, Ilwan est un prénom berbère, je trouvais que ça sonnait joliment.

Oui, je pourrais pousser avec une suite de leurs aventures x)

Merci pour ce commentaire !
Ana Dunkelheit
Posté le 31/01/2021
Très jolie petite histoire ! J'ai bien aimé tes personnages, on a très envie de savoir à quoi ressemble leur nouvelle vie ensemble, leur nouvelle maison, leur nouveau quotidien ! Ton texte est bien rythmé, j'ai vraiment accroché ! Je m'en vais lire le texte suivant ! ❤️
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