Grisélidis

Par Elga
Notes de l’auteur : Pour retrouver le conte d'origine, c'est facile cette fois: le titre est le même.

Grisélidis

 

Au cœur du plus agréable des collèges, où les enfants s’agitent, cogitent et s’égaient, un des plus charmants jeunes hommes qui soit se la coulait douce. Dimitri était comblé de tous les dons : beau comme un dieu, la peau douce comme celle d’un nouveau-né après le bain, sociable comme devait l’être un prince : c’était la star du collège. Chaque jeune homme souhaitait en secret être lui et s’approchait de son idéal en devenant son ami, chaque jeune fille se pâmait sur son passage. Mais ce tempérament héroïque était terni par une douleur qu’il portait tel un fardeau dans son cœur de jeune prince : il haïssait les femmes. Un jour, il avait surpris l’une de ses douces amies en train d’emballer un bellâtre, il n’avait pas su quoi dire et, comble du ridicule, était resté bouche bée quand elle était passée devant lui, un sourire narquois et un reste du baiser de l’autre sur les lèvres. Dès lors, il n’en démordait pas : le deuxième sexe était infidèle et trompeur. Aussi occupait-il ses journées avec ses potes, à parler foot, à les poursuivre dans la cour pour un duel durant lequel il avait toujours le dessus, non pas qu’il fût très fort, mais que l’autre voulait gagner des points de vie dans le cœur du brave Dimitri.

Un jour, pourtant, le garçon se retrouva seul ; tous ses amis étaient occupés à embrasser les jeunes filles dont il ne voulait pas. Alors, Tibout – que l’on surnommait ainsi à cause de sa petite taille s’approcha et lui dit :

_ Ben alors mec, t’es tout seul ?

_ C’est bon, qu’est-ce que tu me veux ? Casse-toi petite merde !

Tibout, qui n’avait plus peur des grands depuis qu’il s’était fait casser la figure deux ou trois fois, répondit :

_ Franchement mon gars, si tu te trouves pas une copine vite fait, tu vas être trop un vieux mec ! T’as déjà l’air d’un sac poubelle tout merdeux.

_ Tibout, tu me casses les couilles, barre-toi ou je te pète les jambes !

Tibout qui, malgré tout, n’avait pas l’âme d’un martyr, s’éloigna en se jurant qu’il ne deviendrait pas aussi con une fois grand. Pendant ce temps, Dimitri réfléchissait ; Tibout n’avait pas tord. Il décida d’aller méditer dans les bâtiments déserts du collège.

Dans le couloir des sciences, il tenta de rationnaliser, dans celui des arts, il se prit à rêver à une âme idéale semblable à la sienne, pure et belle. Il s’apprêtait à tourner dans le couloir de l’histoire quand se fit voir, dans un coin, un objet des plus simples et des plus beaux : une jeune fille était assise en tailleur, sa chevelure d’or tombait sur sa poitrine naissante, sa peau, que nul bouton d’acné ne venait enlaidir, semblait aussi douce qu’un pétale de rose. Surprise dans sa lecture, la jeune fille leva la tête et Dimitri put apercevoir le bleu de ses yeux firmament et une rougeur soudaine rehaussa la splendeur du teint de la belle. Face à tant de charme, Dimitri, le grand, le fort, le beau, ne sut que bégayer : « Euh, t’aurais pas vu mon i-phone, j’crois que je l’ai paumé en sortant d’art plastique… Ouais, non, laisse tomber. Tu dois pas savoir ce que c’est en plus ! » Sur ce, il tourna les talons et s’enfuit. Non loin des vestiaires, il s’arrêta, en sueur : « Putain, mais je suis con, je suis con, je suis con ! Qu’est-ce que j’ai dit ? N’importe quoi ! » Une douleur oubliée l’envahit. Dimitri marcha, hagard, dans la cour, traversa le préau sans s’en rendre compte. Il tremblait de honte en pensant à la fille à la chevelure d’or : il était amoureux et la souffrance qu’il éprouvait déjà lui fit savoir qu’il était trop tard, qu’il mourrait d’ennui et de tristesse s’il ne la retrouvait pas.

Dix minutes après, Dimitri retourna dans le couloir et rejoignit la jeune fille qui lui offrit d’abord la plus belle des colères avant d’entendre la déclaration enflammée de son prince et de lui pardonner aussitôt sa phrase malheureuse. Une heure après, Dimitri avait appris qu’elle s’appelait Grisélidis et qu’elle vivait seule avec son père dans une pauvre maisonnette, loin de la ville et de ses richesses. Avec un bonheur grandissant, Dimitri se confia à elle sans toutefois lui avouer sa haine des femmes.

                Le lendemain, il annonça à ses potes qu’il avait décidé de se mettre en couple, qu’il offrait, en fait, une reine à son groupe. Tibout fut le plus heureux car il savait, et ne se priva pas de le dire, qu’il était pour quelque chose dans la décision du prince Dimitri ! Cheikh, le bras droit de Dimitri, mit une claque sur la tête du petit pour le punir de son impertinence. Quelques élèves, qui avaient entendu la bonne nouvelle, se joignirent à la bande pour aller voir la promise. Bientôt, il n’y eut plus grand monde dehors si bien que la CPE regarda par la fenêtre pour voir si la neige était la cause de ce dépeuplement.

                Grisélidis fut surprise de voir toute la cour arriver ainsi en grande pompe et ne put croire tout de suite que c’était pour elle. Pourtant, Dimitri s’approcha et après l’avoir embrassée goulûment, fit d’elle son officielle. Tous acclamèrent la nouvelle et toutes auraient voulu être à la place de Grisélidis. Le temps cependant n’était plus à la jalousie mais aux réjouissances et le lendemain, on décida de fêter dignement l’alliance de deux si belles personnes. Certains vinrent déguisés, d’autres firent même sauter des pétards et furent renvoyés quelques jours pour mise en danger d’autrui. Mais même l’intervention du principal dans les classes, pour rappeler les règles de sécurité, ne gâcha pas la fête.

                Les jours suivants, on vint de tous les coins du collège pour voir le couple magnifique. Certaines jeunes filles demandèrent des conseils de cœur à Grisélidis qui leur répondit avec une telle prudence et une telle simplicité que toutes furent charmées. Le bon sens de la belle émerveillait, sa bonté était sans pareil et Dimitri ne se lassait pas de la regarder. Pourtant le jeune homme ne se départissait pas de sa crainte ; il surveillait toujours les éventuels prétendants de sa bien-aimée et chargeait Cheikh de donner quelques coups de poings en cas de doute. Un beau jour, il décida que seules les jeunes filles auraient le droit d’approcher Grisélidis. Cette dernière, pour plaire à son ami, laissa faire. Au fond, elle appréciait qu’il se montrât jaloux. Elle lui montrait chaque jour plus de marque d’affection, plus d’amour et n’accordait ses regards qu’à lui. Pourtant Dimitri doutait toujours et voulut encore mettre sa belle à l’épreuve. Il lui interdit de se maquiller, l’obligea à ôter tous ses bijoux, même le bracelet de perles à paillettes qu’il venait de lui offrir. Bientôt Grisélidis fut contrainte de ne porter que des joggings. Elle se trouvait bien laide mais, si c’était là le prix à payer pour rassurer l’homme de sa vie, elle le ferait car le sacrifice était la plus belle des preuves d’amour ; elle en était persuadée au plus profond d’elle-même. Peut-être les sens de Dimitri étaient-ils obscurcis par un mal quelconque car il ne voyait dans ces preuves d’amour que perfidie et malignité. Il passait ses journées à l’observer, à la suivre sans qu’elle le sache ; il la faisait espionner par ses sbires qui le tenaient au courant minute par minute des activités de Grisélidis, en lui envoyant des textos même pendant les cours. Il s’était également entraîné à regarder à 180 degrés afin de pouvoir scruter la jeune fille sans qu’elle s’en aperçoive. Etait-il heureux ? Il n’avait plus le temps de se poser la question. Il finit par lui reprocher de devoir s’occuper d’elle en permanence : la demoiselle l’empêchait de vivre voilà tout ! Comment pouvait-il rester alors que le seul but de Grisélidis était de lui pourrir la vie ? Ils n’avaient, en plus, rien en commun : à peine la belle prenait elle un livre que Dimitri, tout juste revenu de son énième match de foot de la journée, lui reprochait de perdre son temps en foutaise. « Qui aime bien châtie bien », se disait Grisélidis qui posait alors calmement son livre et se consacrait tout entière à l’être aimé. La belle aux cheveux d’or souffrait mais elle le savait – elle en était persuadée ! – tout s’arrangerait et Dimitri comprendrait bientôt que rien ne servait de la tester ; elle était aussi blanche que la colombe.

                Grisélidis avait pour habitude d’écrire à une amie qui se prénommait Julie et qui habitait la ville voisine. Toutes deux ne se connaissaient pas et Julie se faisait appeler Lili et Grisélidis, Grigri. Elles s’étaient rencontrées sur un forum de lecture et, depuis, tchataient sur facebook autant qu’elles le pouvaient. Cette douce amitié égaillait le quotidien de Grisélidis. Dimitri, qui épluchait tous les soirs le mur de sa mie, décida que cela suffisait. Il ordonna à sa belle de couper tous les liens avec sa confidente. Grisélidis accepta sans sourciller après que son chéri lui eut déposé un tendre baiser sur la joue. Perdre une amie valait mieux que perdre son âme sœur ! Pourtant, le soir, elle se jeta sur son lit et éclata en sanglots. Quand Dimitri vit les sillons laissés par les larmes sur ses joues, il fut pris de remords. Mais il ne céda pas. Il devait à tout prix lui faire autant de mal qu’elle lui en faisait. Et qui disait qu’elle ne feignait pas la souffrance ?

L’ultime test, le coup de grâce qu’il allait lui assener quelques jours plus tard, germait déjà en lui : il allait la quitter. Il verrait bien alors dans les bras de qui elle irait se consoler car il ne doutait pas qu’elle le fît ! Grisélidis eut beau le supplier de revenir, elle eut beau se jeter à ses pieds en disant que tout était sa faute, qu’elle allait, promis, faire plus d’efforts, Dimitri tint bon et retourna, derechef, jouer au foot avec ses potes, laissant là la pauvre enfant éplorée.

                Quelques jours plus tard, voyant que Dimitri ne reviendrait pas sur sa décision, Grisélidis alla le voir et lui dit : « Excuse-moi, s’il te plait ! Je ne pourrais être heureuse que si tu me pardonnes. » Grand prince, Dimitri haussa les épaules – en signe d’acquiescement – et lui tourna le dos. Alors Grisélidis se retrancha du monde et retourna dans son couloir, en compagnie de ses livres. Elle avait le cœur triste et chaque histoire d’amour lui tirait des larmes. Mais elle ne se plaignait pas. Tout juste observait-elle de loin, dissimulée derrière un poteau, son beau Dimitri à jamais perdu.

                Avec toute cette histoire, le bellâtre avait cependant perdu de la notoriété. Tibout, qui était devenu son conseiller officiel, lui suggéra de se trouver une nouvelle copine afin de remédier à cela. De plus, il savait que Dimitri avait toujours Grisélidis en tête ; prendre une nouvelle copine pourrait  encore être un moyen de tester la fidélité de son ex. L’idée était tordue, elle plut aussitôt à Dimitri. Une nouvelle était justement arrivée au collège. Il s’avéra qu’elle s’appelait Julie et qu’elle était, comme Dimitri le comprit assez vite, l’amie perdue de Grisélidis. Le jeune homme alla aussitôt la trouver et lui expliqua que, si elle voulait s’intégrer rapidement dans le collège, il fallait qu’elle accepte de le suivre partout : il la protègerait de tous et elle serait admirée de toutes. Julie accepta : à cette période de l’année, les groupes étaient déjà formés et personne, pour le moment, ne lui avait adressé la parole. Julie, chaque jour, accompagnait Dimitri qui lui présenta sa bande puis la cour entière. Une rumeur naquit : Julie devait être la nouvelle élue ! Seule Grisélidis retranchée dans son couloir n’avait pas eu vent de cela. Dimitri la fit alors chercher. Elle, pleine d’espoir en entendant que son amour voulait la voir, sentit battre son cœur et se précipita à la suite de l’émissaire. Quelle ne fut pas sa déception quand Dimitri lui présenta Julie, la nouvelle. Mais elle n’en fit rien paraître et accueillit Julie avec amabilité et gentillesse. Cette dernière fut charmée par tant de bonté et pria Dimitri de bien vouloir que Grisélidis les accompagne le reste de la journée. Celui-ci, ravi, accéda à sa demande. Les deux jeunes filles parlèrent gentiment tout le temps et Grisélidis fut autant charmé par la nouvelle que Julie le fut par l’ex de Dimitri.

                Grisélidis ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle se rappela toutes les souffrances que lui avait faites endurer le jeune homme. Aussi alla-t-elle le trouver au matin et lui dit : « Dimitri, prends soin de Julie, ne la fais pas autant souffrir que tu m’as fait souffrir moi car j’étais forte mais elle semble plus fragile et j’ai peur qu’elle ne supporte pas aussi bien ta cruauté. Fais-le en souvenir de ton amour pour moi. » Face à tant de bonté, à tant d’amour, à tant d’abnégation, Dimitri sentit son cœur fondre. Des larmes lui montèrent aux yeux et il ne put s’empêcher de serrer très fort celle qu’il avait toujours aimée. D’abord surprise, Grisélidis s’abandonna dans les bras de son aimé. Mais bientôt sa bonne conscience reprit le dessus : « Tu ne peux pas me prendre dans tes bras et tromper ainsi Julie ! » Ivre de joie, Dimitri lui expliqua tout et, en l’espace d’un instant, Grisélidis retrouva et son amour et son amie. 

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Jowie
Posté le 12/02/2016
Salut Gaëlle !
Ah, alors cette fois-ci, on retrouve l'atmosphère pure et dure du conte : le ton, la morale, j'ai beaucoup aimé :D Je plains la pauvre Grisélidis par contre, Dimitri est un sacré cas ! J'ai juste été surprise que Dimitri ne fasse pas allusion à l'épisode de la princesse orientale au début (et là je chipote, c'est vraiment un détail).
Je ne connaissais pas du tout le conte de base, mais j'ai bien apprécié la petite histoire et tu l'as bien adaptée à l'univers du collège :)
Vivement la suite !! ^^
Jowie
Elga
Posté le 12/02/2016
Merci encore Jowie!
c'est agréable d'avoir une lectrice assidue. Tu as raison de chipoter. Au début, je ne pensais pas faire un recueil et du coup, je n'ai pas pensé forcément aux liens, mais là, ça me semble évident qu'il faut en faire un!
Pour la suite, faudra attendre un ti peu mais ça viendra :-)
 Gaëlle 
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