Genèse : À l'aube du temps

Par Sabi
Notes de l’auteur : Les événements rapportés dans les "Genèse" ne sont pas placés dans un ordre strictement chronologique. Vous lisez en acceptant le devoir de remettre dans l'ordre les fragments de temps que l'auteur a pu retrouver en partant fouiller son monde intérieur.

Le vent marin trainait sa robe piquetée de fragments d’écume sur la prairie d’où jaillissaient par intermittence des boutons d’or. C’était le printemps, et les souffles d’air apportaient dans leur fraicheur une vitalité qui embaumait tout le paysage alentour.

Tout promettait le renouveau, tout disait : « Nous sommes là. Nous sommes en vie. Hourra ! »

Hormis que ce n’était pas un renouveau. C’était en effet le tout premier des printemps de cette terre. L’aube du temps ; la première inspiration à la naissance.

À ses yeux verts, tout transpirait une nouveauté tellement nouvelleque chaque brin d’herbe, chaque embrun de la mer, chaque particule de nuage semblait scintiller de mille feux.

 

Le monde venait d’être créé, et tout était alors d’une perfection inachevée qui élevait l’âme de quiconque la contemplait.

Il perdait son regard dans les flots de la mer, à l’écoute. Tout restait à faire. Que pouvait-il imaginer qui puisse encore améliorer ce qu’il avait sous les yeux ? Méditatif, il s’amusait à repérer la vague qui monterait le plus haut avant de s’écraser sur la plage de sable doré. Il sentait en lui le ressac de la beauté monter et refluer en lui. Il se voyait dauphin s’élançant entre les vagues, plongeant dans les fonds marins. Il sentait la beauté l’entourer, l’englober, l’accepter dans son entièreté.

 

Le jeune homme entendait des pas approcher derrière lui. Il ne se retourna pas. Il avait reconnu la démarche, la légèreté des pas et le léger frottement du tissu sur les herbes.

Une main se posa sur son épaule, et bientôt, un visage féminin aux cheveux noir corbeau et aux yeux améthyste apparut dans son champ de vision.

« Bonjour, mère. »

 

*

 

Le palais se dressait au milieu de la prairie constellée de fleurs sauvages. Au-delà se trouvait la plage et l’océan s’étendant à perte de vue.

Ils n’étaient pas encore habitués à la vie en ce monde. Cela ne faisait que quelques semaines qu’ils avaient pris pied dans la réalité. Leurs corps leur paraissaient tantôt trop grands, tantôt trop petits. Ils s’y sentaient maladroits, empêtrés dans une enveloppe de chair lourde et peu pratique. 

Alors parfois, ils reprenaient leur état antérieur. Ils sublimaient la matière, comme l’eau s’évapore, et redevenaient quelques temps immatériels. Libérés des contraintes, ils pouvaient redevenir un avec le vent, avec les herbes des champs, avec l’écume des vagues s’écrasant contre les rochers.

C’était simple, si simple. Et pourtant, toujours ils reprenaient forme humaine. C’était celle qu’elle leur avait donnée. Ils étaient nés, et ils avaient conscience que retourner en arrière était impossible.

 

Au départ, ils l’avaient fuie. Ils avaient eu peur, très peur. Elle était la première personne qu’ils avaient vue à leur entrée en ce monde inconnu et étrange. Ainsi, en apercevant ses yeux améthystes posés sur eux, ils étaient allés se cacher au loin.

Ils avaient couru à l’autre extrémité de la terre pour lui échapper. Au départ, ils avaient cru qu’elle les poursuivrait sans relâche. Mais elle n’en avait rien fait. Au bout de plusieurs jours, curieux mais prudents, ils avaient rebroussé chemin. Survolant les forêts et les montagnes, les lacs et les mers, ils étaient revenus en vue du palais au milieu des fleurs sauvages. Là, ils s’étaient cachés derrière une colline recouverte de boutons d’or, et ils avaient observé.

Elle était là, assise sur un banc de pierre, dos au palais, immobile et souriante. Elle les attendait, ils le surent aussitôt qu’ils la virent. Intrigués, certains courageux s’approchèrent d’elle, guettant le moindre geste suspect, patauds dans leurs corps encore mal habités. Patiente, elle se contenta de les regarder approcher en souriant.

Ceci dura jusqu’à ce que l’un d’entre eux ne fût plus qu’à un pas d’elle. Alors, le regardant dans les yeux, elle lui dit : « Ton nom sera... ». 

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