Ethan • « ... et même au-delà ! »

Les uniformes reposent nonchalamment sur le dossier de la chaise, près de la fenêtre. Je jette un dernier coup d’œil à notre chambre à coucher, devinant les courbes de ma tendre sous les draps, avant de quitter notre cocon de douceur pour filer vers la cuisine. Les rayons du soleil peinent à percer la couche nuageuse de ce début de matinée. Je m’attarde un instant sur la vue et esquisse un sourire ; dire que nous nous sommes fait plaisir pour ce magnifique duplex serait un euphémisme. Mais, nous en avons eu les moyens et même si j’avais préféré avoir vu sur la mer, je dois admettre que cet appartement en plein cœur de Pretoria a tout son charme.

Les lattes du plancher craquent, et je souris, attendri. C’est aussi une des raisons pour laquelle nous avons été séduits par ce logement. Sauf que ce matin, j’aimerais autant que possible qu’Eireann ne se réveille pas tout de suite.

— Tu es matinal, même quand t’es en perm !

Je hausse un sourcil. C’est un échec ! Je ne sais pas à quel moment elle a pu se réveiller, mais vu les cernes sous ses yeux, je m’interroge.

— Tu as bien dormi ?

— J’ai fait des cauchemars, me dit-elle simplement. Mais ça va aller. Et toi ?

— Je dors beaucoup mieux à la maison que sur le Tisiphone !

Elle dépose un baiser sur ma joue, vient se plaindre de ma barbe qui repousse et moi, j’éclate de rire. Mon regard coule sur sa silhouette ; elle est enfin sortie de l’enfance, songé-je. Ses joues pleines ont disparu, son corps s’est musclé. D’un geste du menton, je lui désigne la table à manger.

— J’ai envie de te préparer un petit quelque chose, j’imagine que t’es toujours autant une bille en cuisine ? la taquiné-je.

— Aussi nulle que ton humour n’est pas fameux, Ethan.

La réplique me touche en plein cœur et je feins de défaillir, lui causant un éclat de rire qui retentit avec force dans l’appartement. Une fois dans la cuisine, je fouille notre frigidaire pour trouver de quoi nourrir ma végétarienne de compagne.

— J’imagine que tu vas te faire des œufs, du bacon et des saucisses ?

J’entends dans sa voix le dégoût que de mentionner la viande lui provoque et je m’en amuse intérieurement. Si je la sais végétarienne par goût plus que par conviction, ses réactions outrées à chaque fois qu’elle aborde le sujet me font rire. Évidemment que je vais me faire un petit déjeuner so british ! Si Eireann est fortement attachée à sa culture et son identité d’Irlandaise, je ne suis pas mieux de ce côté-là.

Après quelques minutes de silence, uniquement entrecoupé des gargouillis de la bouilloire dans laquelle l’eau chauffe tranquillement ou du crépitement de la graisse dans la poêle, je termine enfin la préparation du petit-déjeuner. Et tandis que je coupe le feu sous la plaque de cuisson, l’appréhension monte en flèche dans mon esprit. Mon estomac se serre et mon cœur bat plus fort. J’ai même l’impression qu’il a migré dans mes oreilles. Je me fustige intérieurement ; je suis un foutu commandant de bord d’un vaisseau et j’angoisse à l’idée de faire une demande en mariage ? J’ai vingt-six ans, je suis officier et je n’arrive pas à me mettre à genoux devant la femme que j’aime sans avoir l’impression que mon esprit quitte mon corps.

Et pourtant… Dieu, que je l’aime ! Nos assiettes dans mes mains, je me fige sous l’intensité de son regard. Son fin sourcil rouge se hausse, et ses lèvres s’étirent en un sourire amusé.

— Quelque chose ne va pas, Ethan ?

Je ne réponds pas immédiatement. Je m’extirpe de mon immobilisme pour poser nos repas sur la table, puis lui sers son thé à la vanille. Sans la regarder directement dans les yeux – parce qu’elle serait bien capable d’y lire mes pensées, la fourbe ! – je lui demande à voix basse, presque solennel :

— Depuis combien de temps sommes-nous ensemble ?

Et puis, je n’ai pas non plus besoin de jeter un coup d’œil à son expression pour deviner ses mimiques. Je l’imagine très bien hausser, à nouveau, un sourcil, puis secouer la tête. Le tout sera saupoudré d’un claquement de langue contre son palais. Elle s’agace, souvent, lorsque je lui pose ce genre de questions. Seulement, aujourd’hui, plus que jamais, j’ai bêtement besoin d’être rassuré.

— Huit ans aujourd’hui, répond-elle du tac au tac. C’est le jour où tu m’as très humblement demandé si tu pouvais m’embrasser.

Je me sentirai presque rougir alors qu’elle ramène à notre mémoire commune ce souvenir. Dieu, j’ai bien cru que j’allais me prendre un râteau ce jour-là. Parce que ça aurait été le comble de l’humiliation, sachant que j’avais été voir ses parents deux jours avant pour leur demander leur accord, un peu comme si je la demandais en mariage. Bien que notre différence d’âge ne soit pas énorme, j’avais dix-huit ans, elle, tout juste seize ans. Je voulais être certain que ses parents ne s’opposent à rien. Et s’ils avaient exigé de moi que j’attende, je l’aurai certainement fait.

Un sourire étire mes lèvres, alors que la nostalgie gonfle mon cœur. Je revois Thomas, circonspect quand, ce jour-là, j’ai dit avec panache que j’étais amoureux de sa fille, mais que j’attendais son autorisation avant de faire quoi que ce soit. Moïra a dû se moquer de moi mentalement, mais je ne me rappelle que d’un sourire compatissant. C’est un sourire terriblement chargé en amour que j’offre à ma jeune compagne, déposant mes lèvres sur le haut de son crâne, me perdant un instant dans cette tignasse rouge emmêlée. Elle me demande pourquoi je l’interroge à ce sujet, et mon cœur loupe un battement. Je la rassure ; ce n’est pas un test. Ça m’a juste traversé l’esprit, ce qui n’est pas faux.

Alors que nous badinons désormais sur des conversations plus légères les unes que les autres, mon corps est parcouru d’un tremblement que je ne contrôle pas, et ce n’est pas le froid. C’est comme si je me retrouvais en plein rêve, un rêve que je m’apprête à atteindre, à étreindre ; fonder une famille, pouvoir toujours trouver un foyer chaleureux auprès de celle que j’aime. Elle finit sa galette de panais et je débarrasse la table, mais la voilà qui revient sur le sujet :

— Cette question… Est-ce un test, Mo ghrà ?

— Pas du tout ! me défendé-je un peu précipitamment.

D’ailleurs, ça ne manque pas de lui faire hausser de nouveau un sourcil.

— Je sais juste à quel point tu as une excellente mémoire des dates, me reprené-je plus calmement. Et comme je te l’ai dit, ça m’a juste traversé l’esprit.

Elle est méfiante, et dans son regard, je retrouve un peu de son père, il y a huit ans en arrière. Est-elle une idiote ? Je ne la considérerai jamais comme telle. Je préfère disparaître dans la cuisine à toute vitesse. Ça me laisse le temps de respirer, pendant que je m’y affaire. Je fais juste passer ma tête par l’entrebâillement de la porte, et profite d’un moment d’inattention de ma compagne pour filer jusque dans la chambre et y récupérer la boîte à bijoux.

Je suis nerveux, stressé. Mes doigts tremblent, je pourrais presque me transformer en shaker. Je suis un soldat, j’en ai déjà vécu quelques-uns, des combats, et pas des tendres. Et je suis pire qu’un gosse pris sur le fait. Oui, là, maintenant, tout de suite, je préférerais affronter une escouade de Panoptès plutôt que de devoir faire face à Eireann. Quand je reviens, le miroir du buffet me renvoie un visage marqué par le trouble et la crainte qui m’habitent.

Je me glisse dans le dos d’Eireann et glisse une main entre ses deux omoplates, pour attirer son attention, certes, mais aussi pour jouer avec ses longueurs rouges. Après une profonde inspiration, qui fait se tourner Eireann vers moi, je m’agenouille devant moi.

— Je n’ai jamais été très à l’aise avec le romantisme, et de toute façon, tu n’es pas très réceptive à ce genre de chose. Sauf, que je voudrais quand même faire les choses correctement.

Mes doigts viennent attraper les siens. Elle courbe l’échine, mais n’a pas tout à fait l’air de réagir à ce qui se trame. Ma main libre se glisse dans la poche de mon jean, et j’en retire la boîte en velours noir, que je maintiens encore fermée.

— Tu te rappelles cette phrase qu’on se disait tout le temps avant ?

— Je franchirai mille lignes ennemies, mille étoiles…

— et j’irai même au-delà pour être à tes côtés, terminé-je à voix basse. Mais c’était foutrement long. Alors… On a réduit ça à… Mille lignes ennemies, mille étoiles et même au-delà.

Du pouce, j’ouvre le boitier pour dévoiler l’anneau qui repose au centre du couffin ; il s’agit d’une simple bague en or blanc, incrustée de sept petits diamants qui scintillent délicatement quand les rayons du soleil viennent les caresser. Mon cœur bat une impitoyablement chamade, et ma gorge se serre tant l’appréhension me gagne. Je n’ai aucune raison d’accuser un refus, mais la possibilité n’est pas non plus nulle. Pourtant, je peux dire sans hésitation que je crois bien que c’est la symbolique de l’acte en lui-même qui me rend bien tendu.

— Eireann Deirdre O’Brian, voulez-vous m’épouser ?

Un long silence s’installe durant lequel la jeune femme se contente d’observer l’anneau, comme s’il s’agissait du nouvel ennemi du moment. Ses sourcils se froncent, son nez se retrousse. J’angoisse et tente, tant bien que mal, de ne pas montrer l’inquiétude qui m’envahit à mesure que les secondes s’égrainent. Elle glisse de sa chaise, pour se retrouver à genoux devant moi. Ses mains viennent épouser le bas de mon visage et un sourire tendre étire ses lèvres.

Je m’enivre de cette odeur de vanille qui lui est si particulière. Je m’abreuve de chacun de ses sourires, de chacun de ses rires. Elle peut être casse-pied, têtue, incroyablement bornée, obstinée, voire obsessionnelle. Mais, je l’aime, aussi simplement que ça puisse paraître. Je l’aime pour la délicatesse dont elle peut faire preuve, la fascinante mesure qu’elle peut manifester, notamment lorsqu’elle prend la parole et que, dans un souffle, elle se contente de répondre :

— Bien sûr !

Je ne l’aurai jamais imaginé sauter de joie au plafond ou fondre en larmes, ce n’est pas son genre. Par contre, le long baiser langoureux trahit bien le bonheur qui l’envahit. Soucieux de respecter les traditions, je glisse l’anneau le long de son annulaire. Une vague de satisfaction m’envahit, alors que j’avance, toujours un peu plus, dans ce rêve que je chéris depuis des années, et que je sais partager avec elle.

Rien ne pourrait me sortir de ce petit moment de douceur, pas même la voix un peu rauque d’Eireann, de n’avoir que peu parlé, qui finit par percer la bulle de silence :

— Tant qu’on en est dans les demandes un peu spéciales… J’ai quelque chose à te demander…

Assis à même le sol, j’enroule mes bras autour d’elle, mais prends le temps de l’observer, d’analyser toutes ces petites lueurs qui traversent son regard émeraude. Elle rougit, tant à cause de l’émotion provoquée juste avant que, peut-être, par ce qu’elle veut me demander. Je plonge mes doigts dans ses boucles carmin, et remets chacune des longueurs emmêlées derrière son épaule. D’un mouvement de la tête, cependant, je l’invite à me dire ce qui la travaille.

— Hum… Tu sais, j’ai fini mon année de formation sur l’Alecto et tout, et… Bon, j’ai accepté il y a quelques mois d’intégrer la Confédération, mais ce n’est pas le sujet et ce n’est pas une surprise non plus. En fait, Nivens va quitter le commandant et… Bordel… c’est complètement dingue !

Elle fronce des sourcils et je souris. Il ne m’en faut pas plus pour comprendre ce qui s’est passé dans la tête du capitaine de l’Alecto. Tout comme celle de la tête de ma belle-mère et des autres officiers généraux. Pour autant, par égard pour les menues difficultés de communication qu’éprouve ma compagne – surtout quand ça la concerne – je reste silencieux. Elle doit venir à bout de ce sujet par elle-même.

— Ouais, c’est totalement dingue parce que les amiraux et lui, ils veulent que ce soit moi qui reprenne le commandant du vaisseau. Mikhaïlovna, elle ne peut pas pour des raisons personnelles, mais bref ! Je ne m’en sens pas capable, Ethan. Je ne sais pas, enfin, je ne me vois pas, au quotidien, diriger des hommes et toute une faction.

— Et pourquoi pas ? m’étonné-je. Quand j’étais encore à l’école et que tu me demandais de jeter un œil à tes synthèses ou tes simulations, je n’ai jamais rien vu de choquant. Tu es logique dans tes réflexions, quand tu ne te laisses pas emporter par tes émotions, et tu as beau dire que tu ne te sens pas capable de commander, je pense, honnêtement, que tu te rabaisses. Pour moi, c’est quelque chose que tu as dans le sang.

Je n’irais pas lui parler de son charisme, elle me dirait que je ne suis pas objectif parce que je l’aime. Je reste cependant bien pragmatique parfois à son sujet et Eireann a ce petit quelque chose en plus qui fait qu’on l’écoute. Elle ne parle pas forcément beaucoup, non pas qu’elle soit avare de paroles, mais surtout parce qu’elle n’a jamais vraiment eu l’occasion de pouvoir se mettre en avant. Ce qui fait que, quand elle doit le faire, c’est avec force et éclat et tout le monde n’a plus d’yeux que pour elle.

Comme le jour de cette simulation où elle a volé un chasseur pour prouver à tout le monde qu’elle valait mieux que les autres ; ce n’était pas légal, elle a été punie, mais elle a effectivement prouvé sa supériorité – même si elle s’est mise en danger. Je m’amuse de sa moue renfrognée et viens attraper sa pommette crispée, pour la pincer doucement. Très vite, cependant, je lui octroie une caresse, avant que mes doigts ne partent s’échapper dans ses mèches carmin.

— Tu as toujours su fédérer autour de toi, avoué-je finalement. Même à l’école. Enfin, jusqu’à ce que tu décides de ne plus rien foutre parce que tu avais décidé que tu serais en conflit ouvert avec ta mère. Pourtant, tu es tout aussi capable que Nivens, Nakamura ou moi-même à gérer un équipage, un vaisseau, une faction.

La moue contrariée de la jeune femme se renforce. Mon index et mon pouce viennent coincer son menton, pour lui relever le visage, et j’attrape ses lèvres pour un baiser chaste, avant de poser mon front contre le sien.

— J’ai toute confiance en toi, en tes capacités. Je serais extrêmement fier de me dire que ma compagne, ma fiancée, malgré tous les bâtons qu’elle s’est mis toute seule dans les roues, a quand même su déjouer tous les pronostics, même les siens, pour prouver ce qu’elle vaut. Tu as été en mesure, pendant cette année, de suffisamment te dépasser pour qu’on te propose un avancement exceptionnel pour te permettre de rattraper ton retard.

Je raffermis ma prise autour d’elle et viens glisser mes lèvres près de son oreille.

— Mais, ce n’est pas à la question « est-ce que je suis capable » que tu dois répondre, mais plutôt, « est-ce que je veux » ?

Je la sens se tendre et mon pouce vient caresser son dos, tandis que j’appuie finalement ma joue contre sa tête.

— C’est un choix qui te revient entièrement et toi seule peux le faire.

— D’ailleurs, en parlant de choix, dit-elle sûrement dans un vain espoir de changer de sujet. Même si on n’a pas la meilleure des relations au monde et que je l’esquive comme pas possible… Tu as demandé ma main à ma mère ? Non, parce que c’est bien beau de vouloir faire les choses de manière traditionnelle, mais si tu oublies les choses en cours de route…

Et merde !

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drawmeamoon
Posté le 09/02/2021
Mais ils sont trop mignons!
J'aime vraiment beaucoup Ethan, je suis heureuxse de le retrouver dans ce chapitre tout fluff c'est vraiment super agréable et j'adore en connaître plus sur leur passé commun et sur comment il voit Eireann !
Leur phrase est si mignonne ? 🥺
Et la fin m'a fait sourire, je m'y attendais pas a ce retournement de situation aussi petit soit-il mais c'est touchant !
AislinnTLawson
Posté le 10/04/2021
Oui très mignonne comme phrase ♥ Je suis contente que ça te plaise (et je sais vraiment plus comment répondre aux commentaires xD)
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