Épilogue

Monsieur Eth’Arken remonta la passerelle du dirigeable Émilius et emprunta d’un pas pressé le couloir menant à ses appartements. L’appareil venait de quitter la ville et survolait les champs vallonnés de Tarmax, mais il n’avait pas l’esprit à se perdre dans la contemplation du paysage.

Il pénétra dans son bureau, où un Sandéen moustachu d’une quarantaine d’années au veston coloré l’attendait, assis à côté de sa bibliothèque. En le voyant entrer, l’homme leva un sourcil étonné.

— Tu es bien pâle. Tu ne supportes plus les décollages ?

Monsieur Eth’Arken secoua la tête et lui tendit le journal qu’il tenait à la main.

— J’ai des raisons de me sentir mal, Daniel, et elles sont de taille.

Sur la première page, on lisait un titre en grosses lettres :

UNE ANNÉE HISTORIQUE :

SEPT NOUVEAUX PORTEURS DE SYLPHES POUR DÉFENDRE L’EMPIRE !

En dessous, les photos des Filleuls concernés prenaient la quasi-totalité de la feuille. L’homme approcha son monocle de celle d’une jeune femme aux cheveux très pâles.

— Mais c’est ta fille ! jura-t-il dans sa moustache. Bon sang ! Elle l’a fait ! Elle en a eu un.

Il releva la tête vers Monsieur Eth’Arken qui s’était écroulé sur la chaise de son bureau.

— C’est pas bon, ça. Comment vas-tu faire ? Ta fille va quand même devoir… enfin, avec la guerre qui reprend…

— Je sais. Et malheureusement, je n’y peux rien. Avec toute ma fortune, je ne peux rien. À quoi me sert-elle, on se demande...

Il se passa la main sur le visage.

— Le pire, c’est que je me doutais qu’elle en aurait un. J’espérai seulement qu’elle aurait l’occasion d’apprendre à s’en servir en temps de paix…

Le moustachu fronça les sourcils en parcourant l’article.

— Avec la mort d’Artag, nous pouvons oublier ce mot. Il était le dernier rempart entre nous et la guerre. C’est bien pour ça qu’ils l’ont éliminé…

Une ombre passa sur le visage des deux hommes. Daniel ferma les yeux, comme pour chasser une émotion trop vive.

— Je n’en reviens toujours pas… Il était si prudent !

Monsieur Eth’Arken sortit de la poche de son veston un écu en argent, où était gravé un renard s’enroulant autour d’une clef. Il le fit jouer dans la lumière, ses iris clairs ternis par la tristesse.

— Il m’a télégraphié, la veille de sa mort. Un message crypté, depuis son dirigeable.

Daniel se redressa d’un coup dans son fauteuil, lâchant le journal qui tomba sur le tapis.

— Que disait-il ?

— De ne plus nous réunir. Il voulait dissoudre l’organisation.

— Mais pourquoi ?

— Il m’a écrit qu’il avait échoué. Que ses études étaient un échec, et que la piste que nous tenions était sans issue.

Daniel pâlit et écarquilla les yeux. Son monocle tomba sur son veston et se balança au bout de sa chaîne.

— Il n’a pas pu… comment a-t-il pu dire ça ? C’est le travail de toute sa vie ! De la nôtre…

Un coin des lèvres de Monsieur Eth’Arken se releva et il secoua la tête.

— Il ne m’a rien dit, Daniel, il m’a écrit. Et tu sais ce que ça signifie. C’était son seul moyen pour mentir.

Son sourire s’élargit et il fit tournoyer son écu dans les airs.

— Ce qui veut dire qu’il pense que notre théorie sur l’origine des Sylphes est vraie.

— … mais aussi qu’il était surveillé, non ? Il ne choisirait de recourir au mensonge qu’en cas d’extrême urgence.

Monsieur Eth’Arken attrapa son écu au vol et le remit dans sa poche.

— C’est bien ce qui m’inquiète. Nos prochaines réunions devront être beaucoup plus discrètes. Pour les mois qui viennent, mieux vaut faire profil bas : pas de rencontre, pas de courrier avant d’être certain qu’ils n’iront pas s’attaquer les autres membres.

Daniel acquiesça gravement.

— Et pour ta fille ? Avec un Sylphe, elle va être au cœur de la tempête qui s’annonce. N’y a-t-il rien que nous puissions faire pour elle ? Ne devrions-nous pas lui partager notre théorie ?

Monsieur Eth’Arken secoua la tête.

— Je ne peux pas risquer de la compromettre par un message que d’autres pourraient trouver. Ils la tueraient aussi. Non… J’ai déjà fait tout ce que je pouvais sans la mettre en danger en lui offrant l’un de mes carnets de recherche personnelle.

— Edmund, tes carnets sont codés. Comment veux-tu qu’elle y comprenne quelque chose ?

Le sourire de Monsieur Eth’Arken s’élargit, et une lueur de fierté s’alluma au fond de ses iris glacés.

— Oh, ne t’en fais pas. Ma fille est maligne. Elle trouvera.

Fin du tome 1