En obseravtion

Sylvia se leva et s’approcha du cocon d’Aliette. Son amie était toujours immobile et absente. Elle prit ses mains dans les siennes. Aucune réaction. Les gestes de Mme Albert pour réveiller Emma lui revinrent en mémoire. En douceur, toucher le petit objet métallique caché dans le cou. Mais Sylvia était inquiète. Et si cela perturbait le processus de paramétrage de l’implant d’Aliette ? Et si cela avait des conséquences négatives ? Mieux valait attendre.
La pièce était froide et silencieuse. Sylvia scrutait ce décor glacial avec agacement et appréhension. Hormis les sièges-cocons, rien n’était confortable ici, rien ne donnait envie de rester, rien ne la rassurait. Les parois blanches des murs brillaient. La jeune fille se demanda si du personnel l’observait à travers ce qui était sans doute des écrans interactifs. Elle lâcha son amie pour aller poser les mains sur ces surfaces immaculées. Elle explora tout le local. Aucun hologramme n’apparut, aucun message, aucune réaction. Si elle était en observation, Sylvia n’avait rien à examiner de son côté. Pas d’indice sur ce qui se passait, sur ce qui l’empêchait d’être déjà implantée.
Encore et toujours des mystères. Comme avec son père. Pourtant Sylvia commençait à se demander s’il n’avait pas raison, s’il n’y avait pas des inconvénients cachés par HuMo à propos de leurs implants. Et Amélie savait, était forcément au courant puisqu’elle l’avait prévenue, lui avait dit que ses paramètres n’étaient pas compatibles. Pourquoi est-ce que les adultes ne parlaient jamais clairement ? Pourquoi cultivaient-ils autant de secrets ? Et où étaient-ils maintenant qu’elle avait besoin de réponses, de comprendre ce qui se passait et ce qui l’attendait.
Sylvia sortit sa tablette perso et composa le numéro de la maison. Tant pis. Elle était prête à avouer à son père où elle était, ce qu’elle avait fait, mais elle ne pouvait plus rester seule avec ses questions, avec son amie inconsciente, à attendre des adultes incapables de la rassurer. Que son père vienne la chercher et qu’il lui explique ce qu’il savait, voilà ce qu’elle espérait en l’appelant. Hélas, elle n’obtint pas de tonalité. Il n’y avait visiblement pas de réseau mobile dans ce local, un comble pour un centre truffé de technologies de communication.
La jeune fille tenta en vain de réinitialiser les réglages de sa tablette pour retrouver une connexion. Peine perdue. Agacée, elle se dirigea vers la porte dans l’espoir de trouver du réseau dans le couloir, ou une personne qui pourrait l’aider. Poignée bloquée. Sylvia transpira soudain, elle insista brutalement et plusieurs fois, sans plus de succès. Ses mains à présent moites glissaient sur le mécanisme qui avait dû être verrouillé de l’extérieur.
— Aaah ! s’emporta-t-elle. Y a quelqu’un ? Ouvrez-moi !
Seul le silence répondit à sa requête. Sylvia souffla, prit une profonde respiration et revint s’asseoir sur le tabouret au chevet de son amie.
— Aliette ? dit-elle. Dépêche-toi de configurer ta messagerie interne. Je vais avoir besoin de toi. Il faut que je prévienne mon père.

Sylvia cherche enfin une vraie connexion, un lien à la vie. Nous pouvons l’aider. Son appel est entendu. Son message sera transmis. Hedera humanis grandit et a besoin de l’aide de ses sœurs.

Harry Trusk venait de rejoindre la salle de contrôle du centre d’implantation d’HuMo. Plusieurs membres du personnel l’attendaient devant un mur-écran qui offrait une vision intégrale du local où se trouvaient les deux adolescentes.
— La fille essaie de contacter son père, prévint l’hôtesse.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, coupa court l’homme. On est en train de s’occuper de lui.
Le PDG s’approcha du chef de service et d’un technicien qui continuait à superviser l’analyse d’échantillons sanguins.
— Est-ce qu’on a enfin des résultats complets ? s’enquit-il.
— Presque, monsieur.
— Presque, ce n’est pas suffisant ! s’agaça Harry.
Le responsable d’équipe se rapprocha de l’écran où d’un geste, il fit apparaître des données en surbrillance.
— Assez pour confirmer que le sujet est bio implanté, commenta-t-il. Nous avons identifié la présence de molécules végétales complexes et organisées. Cependant, nous ne sommes pas encore parvenus à en déterminer l’origine. Il s’agit de micro-organismes totalement inconnus jusqu’ici. HuMo n’a donc aucun corpus de base à mouliner. Il cherche des éléments de comparaison signifiants qui lui permettraient d’échafauder et d’examiner des hypothèses. L’analyse des données est toujours en cours.
— Comment cela peut-il être aussi lent ? s’impatienta son patron.
— Les molécules sont réfractaires.
Un silence gêné s’établit dans la pièce, tandis que, sur le mur-écran, Sylvia s’acharnait à secouer la poignée de la porte du local où elle était enfermée. Harry Truck l’observa un instant avant de s’adresser à nouveau à son équipe.
— Je ne suis pas certain de comprendre ce que cela implique, reprit-il. Expliquez-vous.
— Les molécules agissent comme des êtres autonomes et doués de conscience, commença le scientifique en chef.
— Voyez-vous ça !
— Elles semblent anticiper nos analyses, continua-t-il sans se laisser déconcentrer par l’agacement de son patron. Elles modifient leurs comportements.
— Vous voulez dire qu’elles mutent ? précisa Harry. Comme un virus ?
— Plus vite et moins aléatoirement, confirma son interlocuteur. Puis surtout, avec ce qui est une attitude assez déroutante pour nous, elles semblent avoir pour principale intention de détruire toute nanoparticule que nous tentons d’introduire dans l’échantillon.
— De détruire nos nanoparticules ?
— Oui.
— Avec quelles conséquences pour notre système ?
— Si elles parvenaient à infecter un implant, précisa l’homme, ce serait fatal pour l’appareil.
Un nouveau silence s’installa. L’équipe se tenait en suspens devant l’image de Sylvia à présent assise au chevet de son amie.
— Et si elles parvenaient à se connecter à HuMo ? reprit Harry.
— HuMo a envisagé cette option, répondit le scientifique. Elle comporte des risques, toutefois ils devraient être limités, car HuMo aurait ainsi accès à l’ensemble des données de cet organisme et il pourrait apprendre à l’intégrer à ses bases de références.
— Et les autres options ?
— Autopsier le sujet, souffla l’homme.
Le calme qui se fit cette fois dans la pièce était de ceux, électriques, qui précèdent les décharges. La tension était palpable entre les membres de l’équipe. À l’écran, Sylvia discutait à présent avec Aliette, mais leur dialogue restait muet. Le son avait été coupé. Tous étaient tendus. Les notifications de leur messagerie interne ne cessaient de s’activer. Les données et les avis de tous les spécialistes étaient compilés et synthétisés en direct pour que Harry Trusk puisse en avoir le tableau le plus complet. Son équipe était-elle en mesure, oui ou non, de retenir la jeune fille contre son gré, sans que l’information filtre à l’extérieur, de l’emmener au laboratoire central, en secret, et de l’y disséquer, de l’opérer à l’aveugle pour trouver la source de ces anomalies organiques ? HuMo n’était qu’une intelligence artificielle. Il avait rassemblé les données et analysé la situation. Mais il ne prendrait de décision qu’en fonction des critères que lui dicteraient les programmeurs. Et celui qui décidait des critères, c’était le PDG lui-même, Harry Trusk. Tout le système reposait sur sa seule intelligence humaine. L’homme que sa réputation de choisir avec la froideur d’une machine et l’exaltation d’un entrepreneur précédait, avait les sourcils froncés et le front orageux. Ses subalternes attendaient ses instructions. La suite ne tarderait pas à éclater.
— Préparez son transfert vers le siège central, trancha-t-il. Nous ne prendrons plus aucun risque. Je veux savoir ce que Jeff Vaneyck a implanté dans le corps de sa fille !
À ce moment-là, le mur-écran se brouilla et surprit les techniciens en plongeant le centre de contrôle dans la pénombre.
— Que se passe-t-il ?
— Je ne sais pas !
— Qui a coupé le système ?
— La messagerie est HS !
— Réparez-moi ça !
— On s’en occupe, monsieur !

Nous n’avons pas besoin d’yeux pour voir, d’oreilles pour entendre, de nez pour sentir. Nous vibrons ensemble. Nous nous immisçons partout. Nous savons sans cesse où est la terre, où est la lumière. Entre les deux, aucun déséquilibre ne nous échappe, car nous n’avons qu’un seul objectif : protéger la vie. Et répondre à son appel.

Sylvia sentit Aliette tressaillir. Les paupières de son amie tremblaient comme si elles allaient bientôt se relever, comme si elle allait se réveiller. Au même moment, les lumières principales, blanches et fortes, s’éteignirent, aussitôt remplacées par un éclairage plus tamisé, quelques ampoules discrètes au niveau du sol et une lampe de secours au-dessus de la porte. Le visage d’Aliette s’apaisa. Sylvia posa la main sur sa joue, mais se retint encore de glisser dans son cou pour toucher l’implant. Soudain, son amie déglutit, se redressa et ouvrit les yeux.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-elle la voix pâteuse.
— Ton tutoriel est terminé ?
— Je ne sais pas, répondit son amie. Tout s’est arrêté. Tu m’as déconnectée ?
— Non !
Aliette plongea la main derrière son oreille et palpa son implant. Elle regardait Sylvia avec suspicion.
— Je ne comprends pas, s’agaça-t-elle. Ça ne fonctionne pas. Qu’est-ce que tu as fait ?
— Je n’ai rien fait, je te dis ! J’attendais que tu te réveilles. J’ai besoin de toi pour contacter mon père.
— Ton père ?
— Oui, avec ta messagerie interne !
Aliette s’énervait et se frottait le cou.
— Je ne sais pas comment faire ! s’agaçait-elle. Plus rien ne marche !
Sylvia était elle-même tendue et stressée. Tout son corps avait la chair de poule et semblait tenter de la prévenir d’un danger imminent. La tension dans l’air lui était palpable. Elle ne savait ni comment aider son amie ni comment sortir de cette situation. Elle voulait appeler à l’aide, mais n’y parvenait pas, comme quand on parle à quelqu’un à travers une cloison, sauf que la personne n’entend pas. Sylvia sentait qu’elle avait des alliées à portée de mains, de voix, sans savoir qui ils étaient et ce qu’elle pouvait faire pour les contacter.

Fais-toi confiance, Sylvia. Fais-nous confiance. Nous t’avons entendue. Essaie à ton tour de nous écouter, de nous sentir, de te relier à nous. Nous sommes là.

Soudain, la porte de la pièce s’ouvrit, à la grande surprise des deux ados. Amélie, dans sa blouse blanche de laborantine, se tenait dans l’encadrement, l’air contrarié et pressé.
— Qu’est-ce que vous faites là, les filles ?
— Ben, c’est plutôt à nous de te poser la question !

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Gab B
Posté le 28/02/2023
Re !

Ce qui m'a un peu gênée :
- de comprendre ce qui se passait et ce qui l’attendait. ==> manque un point d'interrogation
- Harry Truck ==> Trusk ?
- La tension dans l’air lui était palpable. ==> une phrase similaire est déjà plus haut ("La tension était palpable entre les membres de l’équipe")

Mes phrases préférées :
- Mais il ne prendrait de décision qu’en fonction des critères que lui dicteraient les programmeurs. ==> j'aime bien, car ça remet l'intelligence artificielle à sa place ^^ je suis de ces gens qui croient qu'une IA ne peut rien faire qu'on ne l'ait pas programmée à faire :)
- Tout le système reposait sur sa seule intelligence humaine ==> la balance intelligence artificielle/humaine est bien posée
- Sylvia sentait qu’elle avait des alliées à portée de mains, de voix, sans savoir qui ils étaient et ce qu’elle pouvait faire pour les contacter ==> courage Sylvia !

Remarques générales :
La solitude de Sylvia est frappante pendant tout le début du chapitre. Je suis contente qu'elle se décide à appeler son père, même si ce n'est pas fructueux.
Beaucoup d'explications dans ce chapitre, c'est chouette ! C'est très intéressant toute cette histoire de particules qui luttent contre les implants. Du coup je me pose la question : est-ce que la maman de Sylvia était comme ça, et c'est pour ça que l'implant n'a pas fonctionné, ou est-ce que Jeff a fait ça à Sylvia pour s'assurer qu'elle ne soit jamais implantée ?
Un peu déçue par la décision de Harry, j'espèrais un personnage moins "méchant" ! Il ne veut quand même pas l'autopsier ??
Oho est-ce que ce sont les plantes qui ont réussi à faire tout planter ? Que fait Amélie ici (j'espère qu'elle est de mèche avec Harry) ? Heureusement que le prochain chapitre me tend les bras ;)
MichaelLambert
Posté le 05/03/2023
Excellent cette nouvelle remarque sur Harry trop "méchant" : je vais vraiment retravailler le perso pour développer cet aspect "faux gentil" avec de l'humour ! Merci à toi de mettre le doigt sur cet aspect !
Puis j'espère ne pas trop m'embrouiller moi-même dans les développement entre les implants technologiques et végétaux, les limites de l'IA, les intentions cachées de Jeff, le rôle d'Amélie. J'avoue que je m'arrache moi-même un peu les cheveux et que mon rythme d'écriture n'est pas celui que j'espérais car je cale souvent sur des problèmes de structuration de mon scénario et la psychologie de mes personnages. A suivre...
Vous lisez