Eireann • « Dans l'œil du cyclope »

Notes de l’auteur : TW suffocation, peur de la mort, violences physiques (combats)

Ne pas me focaliser sur mon état, ni sur les avaries que mon IV embarquée m'envoie. Ma spécialisation a toujours fait que les combats spatiaux ne m'étaient pas destinés. Moi, tout ce que je veux, c'est rester sur Terre, ou au pire sur une colonie, mais pas aller dans l'espace. C'est pour ça que je n'ai jamais ressenti le besoin de modifier les paramètres de mon armure.

Je regrette. Et maintenant, c'est trop tard. Les deux premières minutes n'ont pas été difficiles à encaisser, mais les suivantes, c'est une autre affaire. Dans la visière de mon casque, plusieurs messages d'urgence sont apparus. Tout d'abord, l'assistance à la motricité s'est rompue. Tant pis, je n'en serais que moins aisée sur la terre ferme et subirait un peu plus la gravité.

Je commence cependant à être beaucoup plus inquiète quand l'aide à la visée se retrouve mise en hors-service. Si je comprends les choix de l'IV, de conserver le maximum d'énergie pour le générateur de bouclier et le respirateur. Le problème, et de taille, c'est que la prochaine étape de la désactivation, ce sont justement ces deux éléments. C'est réactivable, certes, mais être en apnée, c'est pas ce qui me branche.

Surtout que je commence à avoir froid. Que mon cœur s'emballe quand l'IV m'annonce l'arrêt de générateur de bouclier. La buée est de plus en plus importante dans mon casque. Mes oreilles bourdonnent, mes yeux pulsent. Je suis rendue aveugle par la buée. J'inspire une première fois.

Une deuxième fois.

Mes poumons vont éclater ! Je frappe le torse de Mikhaïlovna, la peur panique contrôlant mes gestes. Tremblante, complètement inconsciente des risques que je prends, mon esprit rationnel se fait la malle. C'est mon cerveau reptilien qui réagit.

— Ne touchez à rien !

J'entends à peine ce qu'Anastasia me dit. Mes doigts sont au bord de mon casque, je recherche frénétiquement les encoches pour l'enlever, sans comprendre que je suis toujours dans l'espace. Le froid s'engouffre, s'infiltre dans mes veines, dans ma chair. J'essaie de respirer.

C'est le respirateur qui a lâché. Des larmes au coin des yeux, j'ai perdu le décompte dans mon esprit. Je ne sais pas où on en est. Mais je n'arrive plus à trouver mon souffle. Je vais mourir. Putain, je vais mourir connement !

Le sol est la première chose que je sens sous mon corps. La lumière agresse mes yeux et je prends une importante goulée d'air quand on retire mon casque. Mon cœur cogne si fort, mes poumons se gonflent tellement que j'ai encore la sensation que tout va éclater.

— Allez y doucement !

Une couverture de survie sur les épaules, le corps transi de froid, j'essaie de me calmer et de contrôler ma respiration, pour en prendre des petites goulées. Le soulagement n'est pas encore suffisant pour me permettre de reprendre pied avec la réalité. Quand je veux me relever, Anastasia se penche pour m'aider, mais je la repousse. Je dois le faire, me débrouiller seul. Je doute déjà de mes capacités à pouvoir mener à bien cette mission, à contrecarrer les attaques de Panoptès qui s'infiltre encore plus dans la station, ce n'est pas le moment de m'infantiliser ! J'inspire profondément, lentement, alors qu'un torrent enflammé envahit mes poumons. Et je tousse, crache même tant c'est douloureux. Un goût métallique envahit ma bouche, je m'appuie contre le mur.

Le manque d'oxygène m'octroie quelques vertiges, et il me faut encore plusieurs secondes pour retrouver la pleine maîtrise de mon corps. Je doute de moi, maintenant, je crains de ne même pas pouvoir retenir l'assaut. Je lève le regard vers Anastasia, l'air troublé :

— À deux contre un certain nombre d'individus, c'est du suicide, lieutenante !

— Non, ricane-t-elle. Être à deux n'est pas une condition de suicide. N'oubliez pas ce que je suis.

Ses doigts se portent à son casque, qui se divise en deux sur son crâne pour dévoiler son visage ; si les circuits imprimés sur ses joues et sa nuque sont extrêmement discrets en temps normal, je réalise désormais à quel point la Russe est augmenté. De la base de sa mâchoire jusqu'à la racine de ses cheveux blonds, les circuits marquent sa peau blanche d'un vert éclatant. Mêmes ses yeux sont parcourus des signes spécifiques à l'augmentation. Elle irradie d'une puissance que j'ai rarement vu. Ethan est augmenté, mais pas à ce niveau. Alors, c'est ça une Sentinelle. J'esquisse un léger sourire ; peut-être que, finalement, à deux contre je-ne-sais combien on peut y arriver ? Parce qu'après tout, les Sentinelles sont les « nettoyeurs » de la première ligne de combat, et sont réputés pour être redoutablement efficaces dans leur genre. D'autant qu'on les dit sans regret, sans pitié.

L'espace d'un instant, une brique tombe dans mon estomac : est-ce qu'Anastasia, derrière son visage d'ange, est capable d'autant de cruauté qu'onen attend des soldats de sa classe ?

Et moi ? Le pourrais-je ? Pourrais-je ôter la vie d'un autre être humain sans éprouver de remords ou détat d'âme ? Les membres encore frigorifiés, mais la respiration déjà beaucoup plus facile, je vérifie les statuts de mes équipement. Cette idiote d'IV a désactivé le respirateur artificiel, sans comprendre que j'étais dans l'espace. Par chance, mon bouclier tient encore le choc.

— Mieux ?

— Oui, ça va mieux. Allons-y !

La porte du sas s'ouvre et nous nous élançons désormais dans un couloir atrocement silencieux. Mon ICP affiche désormais le centre des laboratoires, là où se trouvent les ansibles destinées à recevoir des messages venant d'au-delà du nuage d'Oort. Tout est calme ; il n'y a pas le moindre coup de feu, pas la moindre discussion. Rien d'autres que le bruit de nos pas emportés dans une cavalcade effrénée.

De la cerise. C'est subtil, léger, presque trop délicat, mais surtout, c'est surprenant. Je m'immobilise brusquement près d'une porte, alors que je redresse le nez, presque comme un chien humant l'air. C'est la première fois que je sens une odeur aussi précise.

— Vous sentez ?

L'odeur est trop sucrée et je trouverais ça presque écœurant. Anastasia s'oblige à freiner des quatre fers et fait volte-face.

— Sentir quoi ?

Je ne suis quand même pas la seule à sentir ça ? Je fronce des sourcils, mais ne réponds pas. J'inspire profondément, sentant encore plus la cerise et j'ouvre une porte.

— Qu'est-ce que vous...

— Ca vous arrive souvent de sentir de la cerise dans une station de communication, vous ?

Elle ouvre la bouche, mais ne trouve rien à redire et je lui lance un regard sans équivoque. La porte coulisse dans un chuintement fatigué, et c'est Anastasia qui passe en première. Nous évoluons lentement dans une salle d'archives tout ce qu'il y a de plus banale. La longue pièce héberge une multitude de serveurs. Les lumières vertes et bleues clignotent à intervalles réguliers, là où les néons blancs du plafond tressautent, comme si l'énergie étaient parfois insuffisantes pour tout alimenter correctement.

— Vous avez vraiment senti de la cerise, vous ?

— Oui... Enfin... J'ai cru percevoir une odeur vraiment... spéciale. Comme si on venait d'en écraser tout un panier.

— Ah... ? Non, désolée, je ne sens rien, affirme finalement Anastasia après avoir plus ostensiblement reniglé l'air.

Mais, l'information n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde, puisque la lieutenante a glissé sa main sur son arme de poing. Un fusil à pompe ferait trop de dégâts dans cette salle. Si je n'ai aucune idée des données qui peuvent y être stockées, elles ne sont certainement pas là pour rien. Le silence est intense, lourd comme une chape de plomb. Quoique non, il n'est pas parfait. J'entends distinctement les ronflements des serveurs et les engins qui bipent. Chacune des occurences mécaniques, cependant, me fait grimacer. Mon oreille droite devient plus sensible que la gauche pour le coup et ça me fatigue encore un peu plus. Entre ça et la lumière trop vive, je ne suis pas servie ! Rajoutez que maintenant, même mon odorat s'en mêle et je suis vernie !

Puis, une ombre s'étire, nous forçant à nous immobiliser. Un peu plus loin, une silhouette se dessine. L'armure blanche, siglée d'une plume de paon avec un œil grec fait bouillir mon sang. Je ne réalise même pas qu'à cette distance, je discerne un peu trop bien les détails. Anastasia met en joue l'individu.

Approcher, doucement, le neutraliser sans qu'il fasse griller sa puce mémorielle – et son cerveau par la même occasion – tels sont nos objectifs. Les doigts vaguement tremblants, je déglutis non sans difficulté. Discrètes, nous devons rester aussi silencieuses que des souris ! Hélas ! Notre bonne volonté est mise à mal par un serveur qui lâche une longue plainte défectueuse.

Le terroriste relève la tête ! Le voilà qu'il fuit maintenant qu'il est repéré !

— Hey ! On n'bouge plus ! vociféré-je en me lançant à sa poursuite.

Sans m'inquiéter de savoir si Anastasia me suit, je tente autant que faire se peu de calquer le rythme de ma course à celle du fuyard. Ce dernier fait tomber une étagère de serveur pour me barrer la route. Un sourire étire mes lèvres : il croit vraiment que ça va me ralentir ? Parce que je passe l'obstacle comme s'il ne s'agissait que d'un entraînement, sans savoir où cette folle course-poursuite m'emmène. Je garde mes yeux river sur ma cible, alors que le terroriste se contente de mettre des objets sur mon passage !

Pourquoi il ne tire pas ?

Et pourquoi, moi, je ne tire pas ?

Toujours à cause de cette putain d'histoire de puce mémorielle ! Un nouveau couloir s'allonge devant moi, désormais, un peu plus encombré, et le terroriste en armure pousse par moment chariots et autres objets dans ma direction pour me freiner. Parfois souple, je parviens à esquiver sans soucis. À d'autres moments, je perds du temps. Je chute au sol, me redresse non sans déraper, mais reste toujours relativement proche du poursuivi.

Un sourire victorieux étire mes lèvres lorsque le couloir finit sur un cul-de-sac. L'individu se stoppe et je jubile presque. Je dégaine mon arme, sans en avoir l'intention d'en faire usage pour autant.

— Retournez-vous ! Lentement ! ordonné-je. Et les mains loin de votre puce mémorielle !

L'agent de Panoptès reste longuement immobile et une voix masculine, presque suave, s'élève.

— Appuieras-tu sur la gâchette ?

— Retournez-vous ! Les mains loin de votre puce mémorielle ! craché-je en haussant le ton.

Un ange passe. Le silence flotte au-dessus de nous, comme une chape invisible qui cherche à nous envelopper et, finalement, l'homme se tourne. Le visage toujours casqué, il garde les bras le long de son corps.

— Seras-tu capable d'appuyer sur la gâchette, Eireann O'Brian ?

Mes sourcils se froncent.

— Panoptès sait tout, susurre-t-il. Je te connais. Je connais ton impulsivité, ton inaptitude à obéir aux ordres. Tout comme je me doutais que tu me poursuivrais bêtement à travers un dédale de couloirs sans veiller à protéger tes arrières.

Je me fige et tend l'oreille. Il n'y a aucune autre respiration que les nôtres, pas même de bruits de pas. Nous sommes seuls, pour le moment. Sauf si un second est caché par un camouflage tactique. Mes bras se raidissent un peu plus, le canon de mon arme pointée vers le terroriste.

— Ne m'obligez pas à sévir !

— Tu ne feras rien, tu n'en es pas capable, je le vois. Ta prise tremble et ta position n'est pas sûre. As-tu déjà ôté une vie, jeune fille ? As-tu déjà senti le sang couler sur ta peau ?

L'homme, provocateur, s'approche d'un pas lent, mais je ne bouge pas. Je darde mon regard sur lui, l'inconnu dont le visage est toujours dissimulé par son casque. Je pourrais chercher à le blesser, mais le risque qu'il parvienne à faire sauter sa puce demeure trop élevé.

— Tu restes à ta place ! craché-je de nouveau.

Il se fige et moi, je me maudis. Il a raison sur un point, ce salopard : mon impulsivité et ma précipitation m'ont séparée d'Anastasia, qui ne peut pas couvrir mes arrières. Je me retrouve dans la gueule du loup, sans aucune possibilité de faire demi-tour. Parce que cet individu, peu importe son identité, se trouvait dans une salle de serveur. Il a sûrement collecté des données et les informations qu'il peut détenir, qu'il a pu envoyer à son organisation, sont trop précieuses pour être bêtement perdue. Alors, je tente le tout pour le tout :

— Si tu coopères, la Confédération et la justice internationale pourront te proposer un marché. Si tu coopères, tu ne seras pas...

— Tu ne seras pas quoi ? Exécuté ? Emprisonné ad vitam æternam ? Tu es si désespérée de ta situation que tu souhaites négocier avec moi ? ricane l'homme. Quoi d'autres ? Tu voudrais que j'intègre un programme de protection des témoins ? Mais, ma pauvre enfant, je suis tout ce qu'il y a de plus reconnaissable. Quand bien même je le désirerais, ton marché est caduc. Je serai mort dès l'instant même où j'aurai osé accepter et tu n'auras même pas le temps dire « ouf ».

Sa tête remue, je déglutit. Plusieurs grésillements mécaniques retentissent et vrillent à nouveau mon oreille quand le casque se scinde en deux sur le haut de son crâne. La protection file se cacher dans l'encolure de métal de l'armure, dévoilant à mes yeux le visage de mon adversaire ; l'homme aux yeux bleu trop clair me sourit, sarcastique. Son visage anguleux est encadré de mèches blanches qui se sont échappées de sa petite queue de cheval. Ses tempes et les côtés de son crâne sont dégagés par un rasage bien précis.

Sur sa peau lunaire scintillent, de plus, de multiples circuits imprimés verts, signes de son évidente augmentation cérébrale. Le pied droit de l'albinos glisse sur l'arrière tandis que ses doigts se portent au couteau à sa cuisse.

Il ne me craint pas. Je m'en rends compte à la manière qu'il a de me regarder, de me sourire avec ce petit air supérieur et presque prétentieux. Je ne suis rien à ses yeux, rien, si ce n'est peut-être un misérable insecte qu'il se fera un plaisir d'écraser.

— Alors maintenant qu'on sait tous les deux à quoi ressemble l'autre, je vais te proposer, moi, quelque chose : tu fais demi-tour, bien sagement, la queue entre les jambes, et tu vas venir en aide à tes petits copains qui sont en train de subir les attaques de mes pairs.

— Hors de question ! m'écrié-je en secouant la tête. J'ai des ordres, et je...

— Tu es une incapable, tout le monde le sait ! Tu n'as même pas été capable d'être diplômée du premier coup. Tu n'es même pas fichue de...

Une nouvelle explosion retentit, couvrant sa voix. L'homme essaie de profiter du chaos soudain pour me fausser compagnie, mais cette fois, je ne me suis pas laissée surprendre par le bruit, qui est malgré tout loin de nous. Je me jette sur lui et nous chutons au sol, mon arme glissant à bonne distance. Fermement agrippée aux hanches de l'albinos, mon poing se lève et se serre, mais il est plus rapide ! Ses doigts s'enroulent autour de mon poignet, les circuits imprimés de son visage brillent un peu plus alors qu'une poussée me propulse télékinétique contre un mur.

Le fracas est violent et mon armure, déjà fragilisée par le petit voyage dans l'espace, n'amortit qu'une partie du choc, tandis que son générateur de bouclier explose. Merde ! C'est la dernière chose dans cette situation qui devait éclater ! Un peu plus sonnée, un goût métallique qui me tire de mes étoiles dansantes : dans ma valse aérienne, je me suis mordue la langue.

— Pauvre Naturelle... Vous êtes tous si pitoyables ! crache l'albinos avant de s'enfuir de nouveau.

— Attends ! soufflé-je, le timbre rauque.

Pas question de le laisser filer ! Mes jambes tremblent lorsque je me redresse et la voix d'Anastasia retentit faiblement dans mon oreille.

— Bordel, O'Brian ! Vous êtes où ?

— J'en sais rien ! J'dois lui coller au train !

— Dites-moi où vous êtes ! Maintenant ! Vous ne pouvez pas rester seule, c'est trop dangereux !

Je ne réponds pas, j'interromps même la communication pour rester focalisée sur ma cible. Je préfère traquer l'albinos, quitte à m'exposer à de graves conséquences. Je peux compter sur ma rapidité et mon agilité pour rattraper la distance entre le terroriste et moi.

Ne me rappellé-je donc pas l'avertissement qu'il m'a donné ? Les laboratoires et le centre d'observation sont proches et il est hors de question que ces zones soient détruites par cet homme ! Dans ma juste colère, je me laisse aveugler, sans me rendre compte du danger latent qui danse et rôde autour de moi, tandis que je m'enfonce un peu plus au cœur de la station.

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TheRedLady
Posté le 18/12/2021
Ouaah l'effet super sayan de Nastia est hyper bien rendu ! j'en ai eu des frissons !
et la pauvre Eireann qui souffre le martyre dans sa combi dans l'espace ;-;
J'adore aussi comment tu décris les armures, c'est hyper réaliste, les termes sont approprié et ça rend le tout plus tangible. GG
Eireann est bien imprudente vers la fin du chapitre, mais bon, peut-on vraiment lui en vouloir de poursuivre Nate ? uwu
drawmeamoon
Posté le 08/02/2021
Bordel Eireann, je t'aime, mais t'es trop impulsive bon sang !!!!
Comme toujours un chapitre excellent, qui me donne tellement envie de lire la suite ;; <3 (Mais je suis un peu trop fatiguæ pour ce soir, j'ai hâte de reprendre ma lecture demain )
En tout cas j'adore ton méchant déjà hihi, je sais que c'est lui qu'on a vu dans l'entract la dernière fois !!!! Petit con va
Anastasia est vraiment trop stylé
Vraiment, j'ai jamais eu de coups de cœur pour autant de perso réunis dans une même œuvre so merci : j'ai vraiment l'impression d'aimer toustes tes persos sans exception
Je suis beaucoup trop à fond c'est géniale T-T
AislinnTLawson
Posté le 10/04/2021
Son impulsivité will always be un gros problème mdr

Contente que le méchant te plaise en tout cas *insérer un smirk ici*
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