Cobaye

— Maman ?
La petite Sylvia venait d’être secouée par une rafale d’éternuements. La fillette reniflait. Elle avait le nez qui coulait, les joues rouges et les yeux gonflés. Le chaton, qu’elle tenait serré contre elle un instant auparavant, s’était enfui, terrorisé par la tempête qu’il avait essuyée.
— Viens ici, ma chérie.
Sa mère la moucha délicatement, avant de la prendre dans ses bras. Maria n’était pas en meilleur état que sa fille. Elle avait le teint pâle, de grands cernes noirs et se sentait épuisée.
— Jeff ? appela-t-elle. Tu peux me passer les flacons de basilic et d’eucalyptus, s’il te plait.
Son mari grommela en fouillant le meuble de la cuisine où trainaient les huiles essentielles de plantes, parmi l’amoncellement de tout ce qui n’était plus rangé depuis des semaines dans cette maison.
— Tu es certaine que c’est ce dont elle a besoin ? s’inquiéta-t-il.
— En tout cas, ça ne peut pas lui faire de tort.
Maria fit couler quelques gouttes dans la paume de sa main et frictionna la poitrine de sa fille qui pleurnichait.
— Si ce rhume traine trop, insista Jeff. Je ferais bien de l’emmener chez le médecin.
— Arrête, s’emporta son épouse. Tu vois bien que c’est une allergie au chat, non ? Ah ! Mais pardon, notre fille n’a pas d’implant ! Et sans implant, toi, tu ne vois rien !
Jeff souffla et leva les bras au ciel en signe de reddition.
— D’accord, dit-il. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— Que tu m’en débarrasses ! s’emporta Maria au bord des larmes.
Sylvia, troublée par la tension de sa mère, se remit à pleurnicher doucement, son petit nez encombré. Jeff les observait, dépité et perplexe. Son regard allait du cou de sa femme, où brillait un minuscule éclat métallique, à sa fille qui scrutait la pièce dans l’espoir de trouver la cachette où s’était réfugié le jeune animal.
— De quoi est-ce que tu parles ? demanda-t-il déconcerté.
— Le chaton ! s’impatienta-t-elle. On ne peut pas le garder.
— Mais enfin, je l’ai ramené il y a à peine quelques semaines. Laisse-nous le temps de nous habituer.
Maria se leva brusquement et fit les cent pas dans la cuisine encombrée. Jeff prit sa place auprès de Sylvia pour réconforter leur petite fille éplorée.
— Justement ! s’emballait la mère. Elle n’a pas eu le temps de s’habituer. Elle n’a que deux ans, Jeff ! Si on agit maintenant, elle oubliera vite !
— Maria, arrête ! essaya Jeff. Sylvia est là. Elle est avec nous. Elle t’entend. Elle comprend ce que tu dis.
— Alors, ne m’oblige pas à me répéter et fais ce qu’il faut ! Tout ça ne lui fait pas du bien !
Le père se saisit d’un mouchoir propre et aida sa fille à se dégager le nez pour respirer un peu mieux.
— D’accord, murmura-t-il.
Maria revint s’écrouler dans le canapé à leurs côtés.
— D’accord ? répéta-t-elle d’un ton implorant.
— Oui, confirma Jeff avec lassitude. Je le ramènerai au collègue qui me l’a donné. Ça devrait aller.
Sa compagne recommença à sangloter.
— Maman ?
Jeff poussa la fillette dans les bras de sa mère et se leva.
— Ne bouge pas, ajouta-t-il à l’adresse de son épouse. Je vais prendre tes paramètres.
Maria le repoussa.
— On me les a pris toute la journée au labo.
— Je sais, se justifia-t-il, mais je préfère être prudent.
Jeff lui passa un thermomètre qu’elle glissa sous son aisselle de mauvaise grâce.
— Donne-moi ton bras.
Elle dut lâcher sa fille pour tendre sa main libre à son mari qui releva sa manche et lui installa le brassard de son tensiomètre.
— Sylvia, l’invita-t-il. Tu veux m’aider ?
La fillette renifla et sourit à son père qui lui prit la main. Ensemble, ils pressèrent la petite poire qui permettait de gonfler l’appareil.
— Parfait ! s’exclama-t-il devant l’air concentré de l’enfant. Quatorze, neuf.
— Tu trouves que c’est parfait ? bougonna Maria.
— Pardon, se reprit-il. Tu as raison, c’est un peu élevé.
Le thermomètre sonna. Machinalement, son épouse le retira de sous son bras et le lui tendit.
— Trente-six, six, constata-t-il. C’est bien ça !
Elle grimaça, mais fut distraite par Sylvia qui tentait de s’emparer de l’objet de leur attention.
— Donne-moi ton doigt, continua Jeff.
Il préleva une goutte de sang. Puis, pendant que sa machine analysait l’échantillon, il se saisit d’un ordinateur portable où il encoda les premiers résultats. Maria s’était levée pour aller donner à manger à sa fille. Jeff resta concentré sur ses données.
— Voilà ! annonça-t-il. Ta prise de sang est bonne aussi.
Maria s’appuyait à la porte du frigo à moitié vide.
— Et mon implant ne savait pas te donner ces infos-là ? soupira-t-elle.
— Si ! se justifia Jeff. Tu sais bien que le protocole veut qu’on vérifie si tout concorde. Et là, c’est parfait. Ton implant me donne les mêmes mesures.
La mère et la fille s’installèrent à table autour d’un yaourt aux fruits et deux cuillères.
— Alors, ton implant ne comprend pas ce que j’ai, affirma Maria.
— Moi, non plus, je ne comprends pas, reconnut son mari.
Elle laissa Sylvia se débrouiller seule et tenter d’ingurgiter le maximum de cuillerées sans bavoir. Une œuvre d’art.
— Parce que ton implant ne mesure pas ce qui pose problème, continua-t-elle.
— Qu’est-ce qu’il ne mesure pas ?
— Il ne m’écoute pas.
Jeff vint s’asseoir à leurs côtés.
— Dis-moi ce qu’il n’écoute pas, l’encouragea-t-il.
— Depuis que j’ai cet implant, je dors mal, je rumine, mais je ne sais pas pourquoi, commença-t-elle. Au matin, je ne me souviens plus de mes rêves. La journée, je ne m’intéresse plus à rien.
— Tu es un peu surmenée…
— Non ! le corrigea-t-elle. On m’a volé mes rêves et ma curiosité !
Il lui prit la main.
— Ça va aller, l’encouragea-t-il. Fais-moi confiance.
— Maman ! intervint Sylvia. Encore !
Maria se releva pour amener un deuxième petit pot à sa fille. Elle resta debout, appuyée au dossier de sa chaise.
— Toi, je te fais confiance, Jeff, déclara-t-elle. Mais je n’ai plus confiance en l’implant.
— Mais on est toute une équipe ! On va…
— Je n’ai pas confiance en l’équipe ! le coupa-t-elle.
— Harry a développé une intelligence artificielle qui doit réguler tes paramètres !
— Arrête ! cria-t-elle.
— Doucement, l’interpella son mari. Pense à Sylvia !
— Mais elle doit savoir ! insista Maria. Moi aussi, je veux savoir. Qu’est-ce qu’Harry mijote ? Je ne suis plus moi-même depuis que je sens que son HuMo manipule mon cerveau !
— Tu racontes n’importe quoi ! s’emporta Jeff.
— C’est Harry qui te raconte n’importe quoi ! exulta-t-elle. HuMo, ce n’est pas Human More, c’est humain en moins bien ! Je ne suis plus seule dans ma tête, je ne suis plus seule à décider, je suis le jouet d’une machine !
— Maman ?
Sylvia avait renversé tout son yaourt sur la table. Son deuxième pot était vide. Elle agitait sa cuillère devant elle, mais elle n’avait plus rien à se mettre en bouche.
— Encore !
Maria s’écroula sur la chaise à côté de sa fille en sanglotant et en tentant de ramasser le yaourt répandu.
— Attends, la rassura-t-il en retenant sa main. Je m’en occupe. Je m’occupe de tout. Demain matin, je vais exiger une réunion avec Harry. On va tout arranger, tout régler. Ton implant va fonctionner, je te le promets. Il va t’aider.
— Maman ?

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Gab B
Posté le 30/01/2023
Et me voilà pour ce dernier chapitre :)

Ce qui m'a un peu gênée :
- de grands cernes noirs ==> je viens d'apprendre que ce mot est masculin, je suis toute perturbée
- les huiles essentielles de plantes, ==> la précision "de plantes" rend la lecture un peu laborieuse, est-elle bien utile ?
- On m’a volé mes rêves et ma curiosité ! ==> c'est intriguant qu'elle le formule comme ça. Je trouve que c'est très précis comme accusation, alors qu'elle décrit des symptômes plutôt vagues (mal dormir, sensation d'apathie... il peut y a voir plein d'autres choses que lui fait son implant et qui ont ces conséquences) (d'ailleurs elle accuse ensuite Henry de manipuler son cerveau, c'est plus logique !)
- Elle resta debout, appuyée au dossier de sa chaise. ==> ça fait deux fois de suite qu'elle s'appuie sur quelque chose (d'abord la porte du frigo, maintenant la chaise) ; soit elle va pas bien (pourtant elle a 14 de tension, elle devrait pas être fatiguée), soit c'est une petite répétition


Mes phrases préférées :
*secouée par une rafale d’éternuements ==> j'adore ! (avec le petit rappel "tempête" derrière !)
* Son regard allait du cou de sa femme, où brillait un minuscule éclat métallique ==> ah j'avais bien compris qu'elle parlait du chat, mais l'instant de panique de Jeff qui pense qu'elle parle peut-être de l'implant me plait
* Une œuvre d’art. ==> ouh des plantes sarcastiques, j'aime bien


Remarques générales :
Quel bonheur de retrouver la petite Sylvia et sa maman ! Par contre, elle n'a vraiment pas l'air d'aller bien Maria. Et la fin est un peu abrupte ! Est-ce que tu as coupé ce chapitre en deux ?

A bientôt pour la suite !
MichaelLambert
Posté le 31/01/2023
Et encore merci ! Je vais régler ce que tu pointes du doigt... et revoir ma manière de finir cette scène ! ;-) Un peu abrupte, moi ? Mais pas du tout voyons !!!
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