Cléomène : Le frisson de l'aventure est communicatif

Par Sabi
Notes de l’auteur : Du 5 juillet au 6 août 1075 après le Débarquement
thème musical : le Rohan
https://www.youtube.com/watch?v=LUO5qhpD2pA

Le Haut Domaine n’avait pas eu besoin de recevoir des nouvelles de la bataille du Col pour savoir que l’ennemi avait fait une percée dans le Nord. Eux qui étaient aussi en contact avec Sorsombre sur la face nord avaient vu la présence des Ombriens apparaître à l’Ouest. Ainsi, l’entrée du plateau au sud étant en péril, Cléomène avait donné l’ordre d’en préparer la défense. Pour l’heure, leur unique voie de sortie vers l’extérieur n’avait pas encore été découverte, mais ce n’était probablement qu’une question de temps. 

Une atmosphère glauque s’était emparé des alentours du plateau des chèvres. Il était on ne peut plus sûr que les troupes ennemies encerclaient désormais le Haut Domaine, et cependant elles ne se montraient pas, restant sous le couvert des forêts alentours, accentuant encore le malaise des soldats postés le long des falaises. Les regards étaient tirés, le moral bas.

Depuis sa demeure, Cléomène s’efforçait de coordonner les efforts de guerre de son domaine. Bien entendu l’encerclement qu’ils subissaient était stressant, mais ce qui l’inquiétait vraiment était la possibilité plus que probable que les Ombriens découvrissent la grotte donnant accès à l’ensemble du plateau.

Bien qu’ils pussent en effet faire s’effondrer le tunnel d’accès afin d’empêcher l’invasion, Cléomène ne voulait envisager cette option qu’en dernier recours. Car s’ils en venaient là, cela voudrait dire qu’ils seraient coupés du reste du royaume : seuls les pigeons pourraient passer, et encore, s’ils n’étaient pas abattus en cours de route.

Cependant, son inquiétude s’apaisa un peu lorsque son chef d’État-Major, Alexis Sylvepeyre, un de ses cousins éloignés, lui assura que la défense d’une voie d’accès restreinte était bien plus facile que sur une route dégagée, car cela signifiait que les forces ennemies ne pouvaient pas se déployer en toute liberté. Au contraire, correctement utilisés, un petit nombre de défenseurs pouvaient tenir tête et repousser pendant des jours un flot constant d’assaillants. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle le Royaume de Corvefel à ses débuts avait préféré accepter les demandes du Haut Domaine en vue de son intégration, au lieu de le conquérir par la force. Ainsi donc, en réalité, leur situation n’était pas aussi mauvaise que ce qu’il semblait au premier coup d’oeil. D’autant plus que leur auto-suffisance dans tous les domaines vitaux leur permettait de ne craindre aucun siège. Autrement dit, ils étaient quasi imprenables, et les experts ennemis en poliorcétique le savaient parfaitement bien.

Enfin, lors d’une réunion stratégique, son chef d’État-Major la rassura sur une éventuelle descente prochaine des Ombriens sur le sud de Corvefel:

« Tant que nous sommes là, Cléomène, l’ennemi aura du mal à descendre vers le sud. S’ils le faisaient, nous pourrions les prendre à revers.

-Alors, tant que Tervire tient bon, le reste de Corvefel est encore à l’abri ?

-C’est cela.

-Penses-tu qu’Érica Marjiriens ait une chance ?

-Très franchement, elle est mince. Le rapport de force est clairement en faveur de Sorsombre. »

Que faire ? Que pouvait-elle faire ? Cléomène ne pouvait raisonnablement pas envoyer des troupes pour les aider. C’était courir le risque de voir la grotte être plus rapidement découverte. Cela, et la probabilité de voir les renforts se faire attaquer en plein trajet jusqu’à Tervire était réelle.

La Dame se sentait prisonnière de son Domaine, embourbée dans une situation où l’initiative était aux mains de l’ennemi.

Cléomène avait bien sûr envoyé des appels à l’aide au roi, mais le temps qu’il envoyât des renforts de ses propres troupes ou d’autres duchés, le Nord avait mille fois le temps de tomber pour de bon.

En somme en était-elle réduite à attendre, une des choses les plus crucifiantes à faire en pareille situation. Alors, lorsque la jeune femme n’en pouvait plus, elle partait faire le tour des forts de falaise afin de voir par elle-même ce qui s’y passait ; pour s’occuper.

Lorsque Cléomène longeait la falaise occidentale, à pied ou à cheval, elle avait pris l’habitude de s’arrêter parfois et de regarder l’horizon, en direction approximative de Tervire. Savoir ses amis en danger et ne rien pouvoir y faire pour l’heure la plongeait dans un état de frustration et d’inquiétude que jamais elle n’aurait cru pu ressentir un jour.

Tout en bas, des forêts de saules et de sapins dissimulaient les troupes ombriennes. Cependant, les trainées de fumée noire indiquaient sans nul doute possible leur présence. Ce jour-là, elle avait choisi la fin de l’après-midi pour effectuer le trajet d’un fort à l’autre sur la part d’occidentale de la falaise. Le plateau était encore baigné dans les rayons rouge orangé du soleil couchant, tandis que la plaine en bas était déjà plongée dans l’ombre. Ce faisant, le noir des panaches de fumée prenait un étrange bleu de gris.

Contemplant ce spectacle, Cléomène se surprit à voir ses pensées revenir à Xylothée.

 

Lorsque Cléomène était une toute jeune enfant, ses terrains de jeu se composaient de champs et pâturages entourant le village central. L’enfance au Haut Domaine n’était pas un prétexte pour passer son temps à s’amuser. Au contraire, on cherchait à canaliser l’énergie de la jeunesse dans des activités utiles, comme le gardiennage des troupeaux de moutons, chose alliant utilité et oisiveté. Dans les faits, cela permettait aux enfants de se défouler pendant de longues heures dans les champs et les prés, tout en gardant un œil sur les bêtes. C’est dans l’un de ses pâturages que Cléomène avait rencontré Xylothée, sa meilleure amie d’enfance.

De par le type d’environnement, le statut politique, et la culture du Haut Domaine, le peuple de Cléomène n’était pas très porté sur l’exploration et les voyages. Ainsi, la plupart des gens nés sur le plateau grandissait, vivait, vieillissait et mourait sur le plateau. Mais il existait des exceptions. Et Xylothée en était une. Dès leur première rencontre, elle avait entraîné Cléomène avec elle dans ses aventures. Aller voir ce qui se trouvait derrière le gros rocher à l’angle du pré du père Stéphane, grimper dessus ; découvrir l’animal qui poussait de tels grognements lorsqu’elles passaient devant les étables, etc. Et l’échelle de soif de découverte chez Xylothée n’avait fait que grandir avec l’âge. Bientôt, les prés et les champs alentours ne suffirent plus, puis la région, et enfin l’extrême limite : les falaises. Pour un esprit épris d’aventure, comprendre que son lieu de naissance est un espace tout ce qu’il y a de plus clos était un défi à relever. C’est ainsi que Xylothée commença à fureter de plus en plus autour de la crevasse circulaire au coeur du village central, la porte vers le monde extérieur. Et alors que Xylothée et Cléomène avaient quinze ans, son amie réussit à se faire admettre dans une troupe de marchands de passage venue récupérer des fourrures en échange de quelques outils impossibles à fabriquer sur le Haut Domaine. Du jour au lendemain, Xylothée était partie après lui avoir fait ses adieux. Aux yeux de Cléomène, cette séparation fut assez brutale. Jamais elle n’aurait pu croire que son amie la quitterait aussi rapidement. Cependant, cela avait eu un effet imprévu sur elle. Xylothée partie, Cléomène s’était rendue compte au fil des jours que le frisson de l’aventure était communicatif.

Elle qui n’avait jamais pensé avec sérieux à partir découvrir le monde s’était retrouvée à rêver à ce là-bas qui n’était pas ici. Plus souvent qu’à son tour, la jeune fille s’était assise au bord de la falaise australe à regarder au loin les grandes plaines jusqu’à l’horizon, à se demander où pouvait être Xylothée à ce moment.

Un an plus tard, la jeune fille était devenue la Dame, et un temps, elle crut qu’elle allait pouvoir accomplir ce désir de voyage. Mais l’attentat s’était produit, et la guerre avait enterré tout espoir de partir sur les routes. Si bien que Cléomène se retrouvait au même endroit à faire la même chose qu’auparavant : soupirer sur les falaises à souhaiter être ailleurs. Il fallait croire que certaines choses ne changeaient pas si facilement !

À l’horizon, le soleil avait basculé sur l’autre versant de la terre. Quand cette guerre serait finie, Cléomène pourrait-elle de nouveau voyager malgré ses responsabilités ? Une part non négligeable d’elle-même l’espérait de tout son coeur. Sur un soupir, la jeune Dame se détourna des lueurs du couchant et se remit en route vers le prochain fort.

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Edouard PArle
Posté le 29/05/2022
Coucou !
C'est intéressant de parler du passé de Cléomène et de son amie d'enfance partie en voyage. De ce que tu en dis, j'ai bien envie de la rencontrer cette Xylothée (=
Pauvre Cléo, bloquée dans son domaine sans rien pouvoir faire. J'ai de gros doutes sur la stratégie de rester emmurés en se croyant en sécurité prônée par ses conseilles. Ca ne sent vraiment pas bon cette histoire...
Mes remarques :
"présence des Ombriens apparaître à l’Ouest." -> l'arrivée des Ombriens à l'Ouest ?
"elle n’aurait cru pu ressentir un jour." pu en trop
"fut assez brutale" assez et brutale ça ne va pas trop ensemble je trouve, j'enlèverais l'atténuation pour donner plus de poids à la phrase.
Un plaisir,
A bientôt !
Sabi
Posté le 10/06/2022
Hey !
Pardon du retard, je croyais avoir déjà répondu !
Merci pour ce commentaire sur axe chapitre que je considère comme une sorte de pause, de respiration entre deux gros événements.
Un nouveau personnage apparaît au loin, Xylothée. J'ai voulu donner une profondeur supplémentaire au personnage de Cléomène en lui donnant une enfance plus tangible sur le plateau des chèvres.
Qu'est devenue Xylothée ? Où est-elle maintenant ? Aura-t-elle de l'importance pour la suite de l'histoire ? À voir !
Prochain chapitre : Halderey et le siège de Terrevire (le début au moins).
Merci encore de continuer à lire !
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