Chapitre XV

Point de vue : lui

Dans ma dernière vision, il n'y avait pas cette femme sale que je vois d'habitude. Pourquoi était-elle là avant alors ? Elle y est pour quelque chose, dans toute cette histoire. J'en suis sûr. Je ne crois pas l'avoir déjà croisée dans les rues. De toutes façons, même si ça avait été le cas, je ne l'aurai pas remarquée. Je ne sais pas d'où elle vient, ni même qui elle est ou même son prénom. Pourtant, j'ai l'impression de la connaître depuis un certain temps déjà. Il y en a un qui s'est réalisé sous mes yeux mais je sens au fond de moi que les autres se sont aussi produits dans le monde réel.

Mon portable vibre, ce n'est pas très surprenant. Si je te montre des choses qui te choquent, dis-le moi rapidement. Je n'ai désormais plus de temps à perdre. D'autres messages suivent, ce sont des liens vers des articles. C'est intriguant, je clique. Je lis en diagonale par simple curiosité. Ils parlent de ce vieux monsieur mort d'une crise cardiaque et retrouvé chez une étudiante qui affirme ne pas le connaître. Le second article montre une suite de photos de l'accident de voitures. Elles sont assez professionnelles. Peut-être de la police. Non, mon expéditeur aurait galéré pour se les procurer. Ou alors c'est un flic, mais ça m'étonnerait tout de même, vraiment. Le dernier papier parle du cimetière. Une enquête a été ouverte, les cinq cadavres seraient les victimes d'un assassin, ayant utilisé du chloroforme. On n'a pas encore identifié de suspect et on a toujours aucun témoin.

La panique monte en moi, j'ai besoin un endroit pour réfléchir. Je prends deux ou trois biscuits de maman. Je mets mon casque sur les oreilles. J'attrape mes clés avant de sortir de l'immeuble en vitesse. Je traverse la rue. J'entre dans la librairie, le seul refuge auquel j'ai pensé. Je viens assez souvent et je connais plutôt bien le vendeur. Il est sympa, je l'aime bien. Il me pose quelques questions courantes. Celles qu'on pose toujours, pour tuer le temps. Papa n'approuve pas que je sois si proche de personnes qu'il ne connaît pas trop. Il ne trouve pas normal que je partage autant de choses avec Mme Hawthorn. Quand on met le sujet sur la table, il se révolte presque. Je crois que la jalousie l'emporte un peu parfois. Je ne leur parle pas trop, à mes parents. De toutes façons, je ne suis pas trop du genre à dévoiler mes sentiments ou ce que je pense. J'intériorise beaucoup. J'aimerais leur dire qu'ils sont importants pour moi, qu'ils ont déclenché pas mal de choses en moi. Une passion improbable, un intéressement soudain et insoupçonné. Je ne serais sûrement pas allé à l'université s'ils n'avaient pas été là. Je ne serais pas aussi heureux s'ils n'avaient pas été là quand j'avais besoin d'eux. Mais je ne suis pas prêt à le leur dire.

Je trouve ça vraiment con de ne pas arriver à parler ouvertement de ce qu'on fait à certaines personnes parce qu'on a peur de leur réaction. Après, je n'en ai pas tellement l'envie non plus. Je n'en vois ni l'utilité, ni le besoin. En fait, je ne crois pas que ça leur apporte grand chose, de le savoir. « Oh ! Je t'avais pas dit : mon fils écrit ! ». C'est certainement la dernière phrase qu'ils placeraient dans une discussion. Et encore, ce serait qu'en cas de grande nécessité. Parce qu'ils feront tout le possible pour ne pas arriver aussi bas. C'est triste d'en venir à se dire que nos parents ne seraient même pas fiers de ce qu'on fait, du chemin qu'on a choisi d'emprunter. De se dire que quoi qu'on fasse, ça leur importe aussi peu, au final. Qu'ils préféreraient presque ne pas savoir ce qu'on fait.

Je parcours les rayons de chaque bibliothèque. Je ne cherche rien de particulier. Ça m'importe peu, au final. Je lis les titres sur les tranches. Je regarde en diagonale les résumés de trois ou quatre livres. Je pioche quelques livres dans les bacs et dans les piles. Je jette un coup d'œil aux nouveautés et aux arrivées du jour. Le libraire va jusqu'à la réserve pour m'amener un ouvrage qui pourrait m'intéresser. Je patiente à la caisse, accoudé sur le comptoir. Je laisse mon regard vagabonder d'un côté à l'autre de la pièce, dans tous les coins. Quelques clients entrent dans le magasin. Je n'y fais pas vraiment attention. Le bouquin que le libraire m'amène a les pages jaunies et des reliures anciennes. La Mort et moi d'une écrivaine inconnue. Ce bouquin me tente bien.

« - Je le prends.

- Vous n'avez même pas lu le résumé.

- Quand mon libraire m'amène un ouvrage, je pars du principe que je peux lui faire une confiance aveugle.

- Autre chose peut-être ? »

Il sourit en disant ça. Ma réponse a dû lui faire plaisir. Je paie. Il me donne un sac en papier en me remerciant.

« - A bientôt ! »

Je prends le chemin en sens inverse pour rentrer chez moi. Je pose le livre sur la table de la cuisine. Je me fais des pâtes au beurre que je mange devant la télé, affalé sur la canapé. Ça devait être un genre de pressentiment, tout à l'heure. Je devais inconsciemment savoir qu'il y avait quelque chose qui m'attendait ici. Pourtant, je ne crois pas tellement aux prémonitions. Je vais devoir m'y faire, je crois. Parce que j'ai pas d'autres solutions de toutes façons.

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Benebooks
Posté le 06/03/2022
C'est un chapitre intéressant
Andrew commence à avoir des réactions un peu plus logiques, même s'il semble se retenir, peut-être par peur de trop se laisser emporter ?
J'aime ce genre de personnages, qui semble froid et stoïque, mais qui finit quasi-indéniablement par craquer et devenir au final plus humain que certain (ce qui est paradoxale pour un héros visiblement destiné à devenir la nouvelle Mort, c'est donc encore plus intéressant)
InTheKiosk
Posté le 06/03/2022
Je suis contente de voir que ce chapitre te plaît !
Heureuse de savoir qu'Andrew est plus logique...c'est une possibilité ! Je suis d'autant plus ravie si ce personnage te plaît (c'est un peu l'effet que j'espérais provoquer donc ça me fait plaisir de voir que tu le ressens).
Merci beaucoup pout tes commentaires !
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