Clic, clic, clic, clic. Des bouts de métal qui s’entrechoquent. Clic, clic, clic, clic, clic. Des pas qui se suivent. Clac. Ils s’arrêtent. Cliclilclicliclicliclicliclicli…
La cascade infinie des clefs qui se collisionnent, toutes ensemble, toutes, longte…
CLAC
Le verrou tourne.
La porte s’ouvre.
Les gardes entrent. Un courant d’air glacial s’infiltre avec eux. Il le ressent sous sa couverture, comme s’il revivait la prison. Frisson. Ils le délivrent de ses chaînes. L’interrogatoire… Ils le mènent à l’interrogatoire. Une vague de terreur lui noue la gorge. Il griffe ses paumes.
Dehors !
On le rejette contre le mur.
Faut stimuler la bête.
On le balance par terre. Ils lui refusent ses béquilles. Ramper… Il n’a pas d’autre choix que de ramper. Ramper sous les moqueries et les rires des geôliers, sous leurs coups et leurs ricanements interminables. Cauchemar plus vrai que nature. Temps rembobiné.
Le silence.
À droite, à gauche, des fantômes, rouges du sang qu’ils ont contribué à verser par leurs verdicts. Leurs sentences résonnent. Leurs voix s’entremêlent.
Nous, Juge Instructeur Simonaud,
Accusé,
au nom de Sa Majesté et du Parlement,
La Cour met tout en œuvre pour obtenir le salut de votre corps,
entendons en interrogatoire,
ou au moins celui de votre âme
ce trois décembre de l'an de grâce 1664
Nous vous exhortons à coopérer
dans le cadre d'une procédure criminelle,
au nom de la Justice du Roy
le dénommé Hyriel
écourtez les peines qui vous attendent
ici présent
La première séance est levée !
CLAC
Un retentissant coup de maillet.
Les soldats le dévêtent. Morsure du froid. L’hiver est un serpent.
Ils cherchent des marques sataniques sur son corps. Le déplient sous toutes ses coutures. Les veinules entre les briques mal jointes lui sifflent leur vent.
Un garde lui montre le chevalet qui écartèle.
Les poulies qui suspendent.
Les étaux qui broient.
clic clic clic clic clic Bourreaux, commencez votre office. clic clac clic Les brodequins. Clac clac clac clac clac clac clac
CLANG
la brûlure la douleur
l’écho de ses cris
la chaleur du sang
le craquement des os
Ce sont quatre épaisses planches autour de ses jambes torves
C’est un marteau.
Ce sont des coins de fer, formes triangulaires, pointus comme des clous
Un tourbillon de douleur le prend, l’emporte dans cette torture
Un clou, coup de marteau, douleur
Ton pacte avec Satan, quel est-il ?
Allons, parle !
Un clou, coup de marteau
douleur
craquement d’os
brûlure du sang
Accusé
sanglots... dents serrées
donne le nom de ta famille.
clou
Il doit tenir… La Question ne peut pas aller au-delà des heures imparties.
Il doit tenir.
marteau, doul…marteau
marteau, supplication... marteau
le nom de ton village natal.
Avoue !
le sang, les brûlures
Il se débat, il hurle
ta maudite engeance
Tenir… tenir… Ce soir, ce sera fini.
les craquements
Avoue !
la douleur
la brûlure
l'odeur de ses chairs qui se consument
Le fer rouge.
Tes complices, démon !
La douleur persistante, continue, infinie
Une planche à bascule. Les bourreaux l’attachent de partout. Poids de sa tête qui dépasse dans le vide. Au-dessus d’une eau remuante
le clapotis de l’eau, la chute, la noyade
Tes complices et tes clients.
L’assourdissant bruit du choc, le froid, l’eau
Les noms !
le manque d’air, la brûlure
Tout de suite !
la claque de l’eau
la noyade
le crâne comprimé
l'eau dans le nez, dans les poumons
Reconnais ta sujétion au Démon !
il se débat, il veut en sortir
la tenaille
soubresauts
une lamelle de peau qui s’en va
l’écorchement
la douleur
la brûlure
Détachez-le.
Faites le nécessaire à présent.
Il a avoué.
La torture s’achève.
Sa liberté aussi.
Rendu fou par les tourments, il a raconté avoir envoûté tous les autres
Ses compagnons de route, ses clients, les gens qui l’ont caché
Au moins, il espère qu’ainsi, il ne leur arrivera rien
Il est caché dans une ferme. Petit jardinier sans histoire, avant la torture, avant la souffrance... Caché pour qu’on ne l’arrête pas. Protégé par ses patrons. Les gardes sont à sa recherche. Il ne sort pas. Ils le trouveront bientôt. Il est en sécurité ?
On frappe à la porte, il se dissimule, on ouvre, les gardes, il doit fuir, ils recherchent le sorcier, il ne doit pas rester là, ils viennent l’arrêter, mais comment fuir ? C’est impossible. Impossible. La poigne des gardes, les lances, cling, cling, cling, cling, cling…
Ils le jettent en cage, le métal assourdissant s’entrechoque à ses oreilles. Le voilà capturé, comme un animal sauvage entre des barreaux. On s’approche pour le regarder, l’insulter, le rassurer, le narguer, l’encourager. On l’approche pour savourer cette victoire. Menton levé, visage pincé, perruque poudrée, rhingrave extravagante et pourpoint coloré garni de rubans : Diodore de la Fontenelle, qui l’a fait arrêter. Le claquement de sa canne d’apparat résonne aux tympans d’Hyriel alors qu’il avance vers lui et se penche. Un sourire mauvais lui barre le visage.
On se revoit au bûcher, sorcier. Je te saluerai de loin.
La cage s’ébranle, le métal cliquette, on l’emmène en prison. À La Barthe. On le jette au cachot, froid, puant.
Il y reste des jours et des jours.
clic, clic, clic, clic
Des jours.
CLAC
Les rires, gras, cruels, tonitruants des gardes.
Les revoilà, les rires qui résonnent, les rires qui l’encerclent,
les rires qui recouvrent les cliquetis des clefs et les claquements des cuirasses, les rires, les rires,
Serpent !
les rires, partout autour de lui, dans ses oreilles,
contre la membrane de ses tympans, les rires des enfants du village,
Estropié !
les rires de moquerie, le ricanement de Georn,
Georn qui pouffe et qui raille et qui rit
les rires cruels de l’abject gardien,
les rires des gamins qui le raillent et le rire de Georn qui le frappe,
Demi-corps !
les rires des gardes de la prison et les rires de la racaille du recteur,
les rires les rires les rires les rires les rires
oOo
Et bien, la Question posée comme ça, je ne m'étonne pas que la réponse qu'ils voulaient entendre ait été dite...
On devinait les tortures qu'il avait subi, mais ce cauchemar est bien placé et nécessaire pour plonger le lecteur dans l'horreur- un peu plus encore - des pratiques de la justice de l'époque.
Diodore de la Fontenelle, j'aime beaucoup ce nom et je m'empresse de le retenue. Je ne sais pas comment va tourner la suite de l'intrigue, mais j'espère bien le revoir un jour... une visite courtoise pourrait être sympa à lire !
A très bientôt dans votre monde fascinant, sombre, et touchant ! Vous jongle très bien entre tous ces sentiments oppressants en y incorporant de la tendre humanité. L'équilibre est au poil !
C'est Helasabeth qui a trouvé le nom très stylé de Diodore de la Fontenelle. Contentes qu'il te plaise - et tu auras l'occasion de recroiser le personnage un peu plus tard dans le récit =)
Merci encore pour tes impressions ! <3 Rendre la torture et son absurdité en mode "post traumatisme", vouep, c'était un petit challenge ~
La violence et la malaisance de ce chapitre woah.
J’ai été un peu confusioné au début avec les paroles du procès qui se croisent, mais après j’ai très vite compris que c’est Hyriel qui revit ses traumatismes en rêve et là ça coule tout seul.
Enfin "ça coule tout seul", je me comprends xD C’est horrible, on ne reste pas indifférent à ce qui se passe dans ce rêve. C’est brut, direct, sans filtre, on ressent en même temps qu’Hyriel toute cette douleur. C’est brillant d’avoir mélangé comme ça les différentes temporalités, tout à fait crédible dans le cadre d’un rêve. Votre choix de morceler le texte est audacieux, mais moi j’aime beaucoup, ça colle complètement avec la violence de ces supplices et on dirait que le texte suffoque en même temps que la victime.
Autre très bon point : les aveux d’Hyriel. Rien de plus normal que de craquer sous ce genre de tortures et ça aurait été trop gros qu’il résiste. Il avoue qu’il a envoûté ses amis et ses complices, ironiquement ça a le mérite de sauver au moins les autres. Je suis étonné qu’Hyriel n’ait pas fini sur le bûcher en avouant tout ça. Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant son procès pour qu’il n’ait pas la peine de mort mais « juste » l’enfermement ? On le saura peut-être plus tard, mystère.
Nous voulions en effet quelque chose de très immédiat, très abrupt pour rendre l'horreur des tortures. Comme tu le soulignes, c'est de l'ordre du traumatisme - Hyriel les revit dans son cauchemar comme s'il y était encore.
Tu auras l'occasion de découvrir par la suite pourquoi Hyriel a échappé au bûcher héhé ^^ Et sinon, effectivement, on disait tout et surtout n'importe quoi dans ce genre d'interrogatoires et Hyriel n'échappe pas à la règle.
Eh ben, quelle horreur... Au début, sur la partie du procès, j'étais un peu perdue, je pensais que les passages en italique se lisaient par rapport aux passages à gauche, ou qu'il y avait une continuité, mais c'est un détail
En tout cas, j'apprécie beaucoup cette approche pour montrer sa souffrance, cette incursion dans les pratiques en usage à cette époque. C'est absolument horrible de suivre cette descente aux enfers... Le pauvre Hyriel :') déjà que j'avais beaucoup trop de peine pour lui, voilà que ça se démultiplie
En tout cas, très belle idée que ce chapitre !
Merci beaucoup pour ton passage =)
Nous avons voulu tenter une forme un peu atypique oui pour les chapitres d'analepses - nous sommes très contentes que ça t'ait plu <3
Et Hyriel prend le soutien moral héhé
Au plaisir !
Bravo, belle prouesse que de nous faire vivre de l'intérieur les souffrances d'Hyriel. Le rythme saccadé évoque tout à la fois l'alternance d'extrême souffrance et les moments probablement d'inconscience, comme si la douleur réveillait l'esprit et comme si l'esprit s'effaçait pour échapper à la douleur. C'est ce que j'ai ressenti, je ne sais pas si je l'exprime bien.
Encore bravo et à bientôt
Contentes de te recroiser par ici et un grand merci pour ces impressions qui nous font chaud au cœur ! Tu les exprimes très bien au contraire et elles nous touchent :D
Au plaisir !
Eh ben ! Sacré pari que ce chapitre. Pour moi ça fonctionne en tout cas, j'ai trouvé ces souvenirs d'Hyriel très intéressants et le format choisi est très sympa. Ca permet de ressentir qu'il se passe quelque chose d'anormal, la douleur de la torture. Franchement j'ai été surpris en bien. Ca me semble judicieux toutefois de ne pas avoir fait un trop long chapitre.
Je découvrirai la deuxième partie de chapitre avec curiosité...
Un plaisir,
A bientôt !
Ow merci beaucoup =D Contentes que l'intensité de souvenirs aussi durs arrive bien à passer via cette forme. Et effectivement oui, c'est un chapitre beaucoup plus court, les quelques chapitres "flash-back" sous cette forme qui émaillent le roman sont plus réduits -
A bientôt donc !
Je ne sais pas si ce chapitre est un souvenir, ou un rêve, en tout cas le rendu est intéressant dans sa forme, comme si toutes les actions étaient saccadées,
Il y a encore des informations qu'on n'a pas, sur le passé d'Hyriel, j'espère que ça viendra.
Oui, cette section et la suivante sont des rêves - Hyriel a des reviviscences traumatiques. Quant à son passé, yes le puzzle se reconstitue au fil du récit -
Merci pour ta lecture et contentes que tu apprécie ce petit essai de forme pour les "flashbak" :)
Pour le coup, c'est original. Je suppose que les avis seront divers et partagés...
J'ai bien aimé le fond (les pensées qui s'entrechoquent, les bruits, le mélange des époques...), je suis moins convaincu par la forme...
À +
Ah oui là pour le coup, on a tenté un truc xD Nous aimons bien les variations de style même niveau visuel et ça nous paraissait coller avec ce court chapitre de "rêve" - ou plutôt cauchemar x) - qui se déroule sur cette section et la suivante.
Comme tu dis, faudra prendre la température avec les différents avis
A une prochaine ! Encore merci pour ton passage :D