Chapitre V - 1/2

Notes de l’auteur : [Version mise à jour le 18/10/22 après les premiers commentaires. Merci pour vos lectures et nous vous souhaitons, à vous qui arrivez, bon chemin du repentir ~]

Clic, clic, clic, clic. Des bouts de métal qui s’entrechoquent. Clic, clic, clic, clic, clic. Des pas qui se suivent. Clac. Ils s’arrêtent. Cliclilclicliclicliclicliclicli

La cascade infinie des clefs qui se collisionnent, toutes ensemble, toutes, longte…

CLAC
Le verrou tourne.
La porte s’ouvre.

Les gardes entrent. Un courant d’air glacial s’infiltre avec eux. Il le ressent sous sa couverture, comme s’il revivait la prison. Frisson. Ils le délivrent de ses chaînes. L’interrogatoire… Ils le mènent à l’interrogatoire. Une vague de terreur lui noue la gorge. Il griffe ses paumes.

Dehors !

On le rejette contre le mur.

Faut stimuler la bête.

On le balance par terre. Ils lui refusent ses béquilles. Ramper… Il n’a pas d’autre choix que de ramper. Ramper sous les moqueries et les rires des geôliers, sous leurs coups et leurs ricanements interminables. Cauchemar plus vrai que nature. Temps rembobiné.

Le silence.
À droite, à gauche, des fantômes, rouges du sang qu’ils ont contribué à verser par leurs verdicts. Leurs sentences résonnent. Leurs voix s’entremêlent.

Nous, Juge Instructeur Simonaud,

Accusé,

au nom de Sa Majesté et du Parlement,

La Cour met tout en œuvre pour obtenir le salut de votre corps,

entendons en interrogatoire,

ou au moins celui de votre âme

ce trois décembre de l'an de grâce 1664

Nous vous exhortons à coopérer

dans le cadre d'une procédure criminelle,

au nom de la Justice du Roy

le dénommé Hyriel

écourtez les peines qui vous attendent

ici présent

La première séance est levée !

CLAC
Un retentissant coup de maillet.

Les soldats le dévêtent. Morsure du froid. L’hiver est un serpent.

Ils cherchent des marques sataniques sur son corps. Le déplient sous toutes ses coutures. Les veinules entre les briques mal jointes lui sifflent leur vent.

Un garde lui montre le chevalet qui écartèle.

Les poulies qui suspendent.

Les étaux qui broient.

clic clic clic clic clic    Bourreaux, commencez votre office.     clic clac clic    Les brodequins.     Clac clac clac clac clac clac clac

CLANG

la brûlure la douleur

l’écho de ses cris

la chaleur du sang

le craquement des os

Ce sont quatre épaisses planches autour de ses jambes torves
C’est un marteau.
Ce sont des coins de fer, formes triangulaires, pointus comme des clous

Un tourbillon de douleur le prend, l’emporte dans cette torture

Un clou, coup de marteau, douleur

Ton pacte avec Satan, quel est-il ?

Allons, parle !

Un clou, coup de marteau

douleur

craquement d’os
brûlure du sang

Accusé

sanglots... dents serrées

donne le nom de ta famille.

clou

Il doit tenir… La Question ne peut pas aller au-delà des heures imparties.
Il doit tenir.

marteau, doul…marteau
marteau, supplication... marteau

le nom de ton village natal.

Avoue !

le sang, les brûlures
Il se débat, il hurle

ta maudite engeance

Tenir… tenir… Ce soir, ce sera fini.

les craquements

Avoue !

la douleur

la brûlure
l'odeur de ses chairs qui se consument

Le fer rouge.

Tes complices, démon !

La douleur persistante, continue, infinie

Une planche à bascule. Les bourreaux l’attachent de partout. Poids de sa tête qui dépasse dans le vide. Au-dessus d’une eau remuante

le clapotis de l’eau, la chute, la noyade

Tes complices et tes clients.

L’assourdissant bruit du choc, le froid, l’eau

Les noms !

le manque d’air, la brûlure

Tout de suite !


la claque de l’eau
la noyade

le crâne comprimé
l'eau dans le nez, dans les poumons

Reconnais ta sujétion au Démon !

il se débat, il veut en sortir

la tenaille
soubresauts
une lamelle de peau qui s’en va
l’écorchement

la douleur
la brûlure

Détachez-le.
Faites le nécessaire à présent.

Il a avoué.

La torture s’achève.

Sa liberté aussi.

Rendu fou par les tourments, il a raconté avoir envoûté tous les autres
Ses compagnons de route, ses clients, les gens qui l’ont caché
Au moins, il espère qu’ainsi, il ne leur arrivera rien

Il est caché dans une ferme. Petit jardinier sans histoire, avant la torture, avant la souffrance... Caché pour qu’on ne l’arrête pas. Protégé par ses patrons. Les gardes sont à sa recherche. Il ne sort pas. Ils le trouveront bientôt. Il est en sécurité ?

On frappe à la porte, il se dissimule, on ouvre, les gardes, il doit fuir, ils recherchent le sorcier, il ne doit pas rester là, ils viennent l’arrêter, mais comment fuir ? C’est impossible. Impossible. La poigne des gardes, les lances, cling, cling, clingcling, cling

Ils le jettent en cage, le métal assourdissant s’entrechoque à ses oreilles. Le voilà capturé, comme un animal sauvage entre des barreaux. On s’approche pour le regarder, l’insulter, le rassurer, le narguer, l’encourager. On l’approche pour savourer cette victoire. Menton levé, visage pincé, perruque poudrée, rhingrave extravagante et pourpoint coloré garni de rubans : Diodore de la Fontenelle, qui l’a fait arrêter. Le claquement de sa canne d’apparat résonne aux tympans d’Hyriel alors qu’il avance vers lui et se penche. Un sourire mauvais lui barre le visage.

On se revoit au bûcher, sorcier. Je te saluerai de loin.

La cage s’ébranle, le métal cliquette, on l’emmène en prison. À La Barthe. On le jette au cachot, froid, puant.

Il y reste des jours et des jours.

clic, clic, clic, clic

Des jours.

CLAC

Les rires, gras, cruels, tonitruants des gardes.
Les revoilà, les rires qui résonnent, les rires qui l’encerclent,
les rires qui recouvrent les cliquetis des clefs et les claquements des cuirasses, les rires, les rires,

Serpent !

les rires, partout autour de lui, dans ses oreilles,
contre la membrane de ses tympans, les rires des enfants du village,

Estropié !

les rires de moquerie, le ricanement de Georn,
Georn qui pouffe et qui raille et qui rit
les rires cruels de l’abject gardien,
les rires des gamins qui le raillent et le rire de Georn qui le frappe,

Demi-corps !

les rires des gardes de la prison et les rires de la racaille du recteur,
les rires les rires les rires les rires les rires

oOo

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ClementNobrad
Posté le 01/03/2023
Bonjour,

Et bien, la Question posée comme ça, je ne m'étonne pas que la réponse qu'ils voulaient entendre ait été dite...
On devinait les tortures qu'il avait subi, mais ce cauchemar est bien placé et nécessaire pour plonger le lecteur dans l'horreur- un peu plus encore - des pratiques de la justice de l'époque.

Diodore de la Fontenelle, j'aime beaucoup ce nom et je m'empresse de le retenue. Je ne sais pas comment va tourner la suite de l'intrigue, mais j'espère bien le revoir un jour... une visite courtoise pourrait être sympa à lire !

A très bientôt dans votre monde fascinant, sombre, et touchant ! Vous jongle très bien entre tous ces sentiments oppressants en y incorporant de la tendre humanité. L'équilibre est au poil !
JeannieC.
Posté le 02/03/2023
Re !
C'est Helasabeth qui a trouvé le nom très stylé de Diodore de la Fontenelle. Contentes qu'il te plaise - et tu auras l'occasion de recroiser le personnage un peu plus tard dans le récit =)
Merci encore pour tes impressions ! <3 Rendre la torture et son absurdité en mode "post traumatisme", vouep, c'était un petit challenge ~
ZeGoldKat
Posté le 21/10/2022
Oh. Mon. Dieu.
La violence et la malaisance de ce chapitre woah.
J’ai été un peu confusioné au début avec les paroles du procès qui se croisent, mais après j’ai très vite compris que c’est Hyriel qui revit ses traumatismes en rêve et là ça coule tout seul.
Enfin "ça coule tout seul", je me comprends xD C’est horrible, on ne reste pas indifférent à ce qui se passe dans ce rêve. C’est brut, direct, sans filtre, on ressent en même temps qu’Hyriel toute cette douleur. C’est brillant d’avoir mélangé comme ça les différentes temporalités, tout à fait crédible dans le cadre d’un rêve. Votre choix de morceler le texte est audacieux, mais moi j’aime beaucoup, ça colle complètement avec la violence de ces supplices et on dirait que le texte suffoque en même temps que la victime.
Autre très bon point : les aveux d’Hyriel. Rien de plus normal que de craquer sous ce genre de tortures et ça aurait été trop gros qu’il résiste. Il avoue qu’il a envoûté ses amis et ses complices, ironiquement ça a le mérite de sauver au moins les autres. Je suis étonné qu’Hyriel n’ait pas fini sur le bûcher en avouant tout ça. Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant son procès pour qu’il n’ait pas la peine de mort mais « juste » l’enfermement ? On le saura peut-être plus tard, mystère.
JeannieC.
Posté le 22/10/2022
Wow, ça nous touche beaucoup <3
Nous voulions en effet quelque chose de très immédiat, très abrupt pour rendre l'horreur des tortures. Comme tu le soulignes, c'est de l'ordre du traumatisme - Hyriel les revit dans son cauchemar comme s'il y était encore.
Tu auras l'occasion de découvrir par la suite pourquoi Hyriel a échappé au bûcher héhé ^^ Et sinon, effectivement, on disait tout et surtout n'importe quoi dans ce genre d'interrogatoires et Hyriel n'échappe pas à la règle.
Alice_Lath
Posté le 30/01/2022
Hello salut, je passe faire un petit coucou par ici haha
Eh ben, quelle horreur... Au début, sur la partie du procès, j'étais un peu perdue, je pensais que les passages en italique se lisaient par rapport aux passages à gauche, ou qu'il y avait une continuité, mais c'est un détail
En tout cas, j'apprécie beaucoup cette approche pour montrer sa souffrance, cette incursion dans les pratiques en usage à cette époque. C'est absolument horrible de suivre cette descente aux enfers... Le pauvre Hyriel :') déjà que j'avais beaucoup trop de peine pour lui, voilà que ça se démultiplie
En tout cas, très belle idée que ce chapitre !
JeannieC.
Posté le 31/01/2022
Coucou !
Merci beaucoup pour ton passage =)
Nous avons voulu tenter une forme un peu atypique oui pour les chapitres d'analepses - nous sommes très contentes que ça t'ait plu <3
Et Hyriel prend le soutien moral héhé
Au plaisir !
Hortense
Posté le 18/12/2021
Bonjour à vous,

Bravo, belle prouesse que de nous faire vivre de l'intérieur les souffrances d'Hyriel. Le rythme saccadé évoque tout à la fois l'alternance d'extrême souffrance et les moments probablement d'inconscience, comme si la douleur réveillait l'esprit et comme si l'esprit s'effaçait pour échapper à la douleur. C'est ce que j'ai ressenti, je ne sais pas si je l'exprime bien.
Encore bravo et à bientôt
JeannieC.
Posté le 20/12/2021
Bonjour Hortense,
Contentes de te recroiser par ici et un grand merci pour ces impressions qui nous font chaud au cœur ! Tu les exprimes très bien au contraire et elles nous touchent :D
Au plaisir !
Edouard PArle
Posté le 04/12/2021
Coucou !
Eh ben ! Sacré pari que ce chapitre. Pour moi ça fonctionne en tout cas, j'ai trouvé ces souvenirs d'Hyriel très intéressants et le format choisi est très sympa. Ca permet de ressentir qu'il se passe quelque chose d'anormal, la douleur de la torture. Franchement j'ai été surpris en bien. Ca me semble judicieux toutefois de ne pas avoir fait un trop long chapitre.
Je découvrirai la deuxième partie de chapitre avec curiosité...
Un plaisir,
A bientôt !
JeannieC.
Posté le 07/12/2021
Hey !
Ow merci beaucoup =D Contentes que l'intensité de souvenirs aussi durs arrive bien à passer via cette forme. Et effectivement oui, c'est un chapitre beaucoup plus court, les quelques chapitres "flash-back" sous cette forme qui émaillent le roman sont plus réduits -
A bientôt donc !
Eryn
Posté le 17/11/2021
Coucou
Je ne sais pas si ce chapitre est un souvenir, ou un rêve, en tout cas le rendu est intéressant dans sa forme, comme si toutes les actions étaient saccadées,
Il y a encore des informations qu'on n'a pas, sur le passé d'Hyriel, j'espère que ça viendra.
JeannieC.
Posté le 18/11/2021
Hello =D
Oui, cette section et la suivante sont des rêves - Hyriel a des reviviscences traumatiques. Quant à son passé, yes le puzzle se reconstitue au fil du récit -
Merci pour ta lecture et contentes que tu apprécie ce petit essai de forme pour les "flashbak" :)
Yannick
Posté le 04/11/2021
Salut!
Pour le coup, c'est original. Je suppose que les avis seront divers et partagés...

J'ai bien aimé le fond (les pensées qui s'entrechoquent, les bruits, le mélange des époques...), je suis moins convaincu par la forme...
À +
JeannieC.
Posté le 05/11/2021
Salut ! :D
Ah oui là pour le coup, on a tenté un truc xD Nous aimons bien les variations de style même niveau visuel et ça nous paraissait coller avec ce court chapitre de "rêve" - ou plutôt cauchemar x) - qui se déroule sur cette section et la suivante.
Comme tu dis, faudra prendre la température avec les différents avis
A une prochaine ! Encore merci pour ton passage :D
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