Chapitre I

Lahira, ma voisine, se leva en retard, car elle n’avait plus de réveil. Je me levai donc aussi en retard parce que c’était son foutu réveil qui normalement me réveillait tous les matins. Malheureusement, il était passé par la fenêtre du 5e étage, la veille, comme victime collatérale, avec la fenêtre, qui était fermée à ce moment-là, de la mère de Lahi. Je le vit s’envoler avant de s’écraser en mille morceaux parce que j’étais sur le balcon. C’était l’un des seuls endroits où je n’entendais pas sa mère.

Donc sa très chère mère, appelée Marthe et que l’on surnommait le dragon entre nous, se fit un plaisir de réveiller mon amie, et moi-même. J’entendis le dragon crier qu’elle ne devrait pas lever sa fille quand elle a déjà 17 ans et commença à garnir son sermon d’insultes. A ce moment-là, j’ai su que ça allait dégénérer et que des coups allaient pleuvoir. Je suis sortie en trombe de mon appart pour arracher Lahi des griffes du dragon sans qu’elle subisse les coups qui allaient suivre. On a couru jusqu’au lycée.

Les grilles légèrement rouillées étaient déjà fermées, un signe que les cours allaient bientôt commencer. On fit le tour par l’arrière du vieux bâtiment décrépit pour rentrer par la porte du personnel qui ne fermait plus ; je m’en étais d’ailleurs assurée en enfonçant un chewing-gum dans la serrure et je savais pertinemment que le lycée n’avait bien évidemment pas l’argent nécessaire pour changer ladite serrure. Ils devaient sûrement se dire que tant que personne ne le savait, ça passait. On courut dans les couloirs vides et nos pas résonnèrent contre les murs d’un gris délavé. Nous ralentîmes et nous nous incrustâmes dans un groupe d’élèves de notre classe, puis nous entrâmes parmi les derniers sans se faire remarquer et nous nous installâmes au fond.

Le reste de la matinée se déroula sans encombre. En tant que digne représentante du gang du fond de la classe, nous nous installâmes confortablement en mettant nos pieds sur la table tout en écoutant de la musique avec nos écouteurs. Pour s’occuper, Lahi commença par caricaturer notre prof et je me fis un plaisir de la critiquer en imitant le dragon. Il est vrai qu’elle n’avait aucun talent pour le dessin même si elle dessinait mieux que moi, mais sa mère était un sujet sensible et en ce moment elle était sur les nerfs. J’aurais mieux fait de me taire. Pour changer ses idées, j’ai essayé de faire des blagues, beaucoup trop sonores pour le prof, qui dans une tentative désespérée de se faire respecter, décida que la classe irait bien mieux sans nous. On sortit et on se balada le long des canaux.

Les quais fourmillaient de gens comme toujours. Nous n’étions pas les seuls à tuer le temps, d’autres bandes de garçons faisaient l’école buissonnière. On était connues dans le quartier alors personne ne nous cherche des noises. Les rixes étaient fréquentes et les policiers patrouillaient souvent par ici. Entre deux hangars gisait un vieux matelas et une table basse. C’était notre QG avec Lahi. Elle préférait largement passer du temps ici avec moi que chez elle et plusieurs fois elle avait dormi ici. Nous nous assîmes et Lahi posa sa tête sur mon épaule. De l’eau coula sur mon sweat, Lahi pleurait. L’air marin piquait légèrement les yeux, mais je savais que ce n’était pas à cause de ça qu’elle pleurait. Elle ne dira rien si elle n’en a pas envie alors je la laisse pleurer mais ne la laisse pas seule. Elle se mit à parler.

Si elle avait des sautes d’humeur, c’était parce que le dragon pour x ou y raison se défoulait sur elle comme toujours et qu’elle dormait mal. Elle me raconta que ses cauchemars se centraient autour d’ELLE, ELLE venait la voir toutes les nuits, ELLE lui parlait, lui disait que c’était sa faute, que si elle avait agi autrement ce jour-là, ELLE serait toujours en vie. D’après ce que j’ai compris de ses rêves. ELLE était à ce moment-là, ce qui se rapprochait le plus d’un fantôme. ELLE était habillée avec une robe bleue élégante de la fin du XIX. Un chapeau à larges bords, surmontée une plume et une voilette cachait son visage.

Mais cette nuit-là, elle m’expliqua qu’ELLE ne l’avait pas culpabilisée. Au contraire, ELLE avait essayé de lui faire passer un message. Et si ELLE était toujours en vie quelque part, et si ELLE était en danger, et si…

Nous nous levâmes pour aller chercher à manger et Lahi continua de parler. Nous étions tellement concentrées sur ça que nous traversâmes la route, absorbées par nos pensées et mous ne vîmes pas le camion de pompier, les sirènes hurlantes nous rentrer dedans.

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