Chapitre 9 | Adan Villanueva

Planqué aux abords du parking, j'échappe la fumée de ma cigarette, la voiture du coach Foaster en ligne de mire. Une magnifique Pollo rouge, assez sombre pour se fondre dans la masse et assez imposante pour qu'on la remarque. Mon mégot rejoint le sol humide par l'averse de cette matinée. J'inspire profondément et songe au prochain match. Végéter sur le banc de touche n'a jamais fait partie de mon plan. Néanmoins, je n'en veux pas à Connor. Après tout, c'est mon pote et je peux comprendre ses intentions. Nous ne sommes pas si différents en fin de compte.

— Il reste une place ?

Quand on parle du loup, voilà que celui-ci se présente à moi, la queue entre les jambes. Dès qu'il cale une clope à sa bouche, je propose naturellement de lui allumer à l'aide de mon briquet. Il tire une taffe si longue que ses yeux bruns se plissent d'une lueur que je ne lui connais pas.

— Il y a toujours de la place sur le banc des perdants.

Je pouffe à cette réflexion quand ma poche arrière se met à vibrer. Intrigué, je récupère mon téléphone portable et le déverouille. J'esquisse malgré moi un rictus.

— Pourquoi tu souris bêtement ? Ta copine t'a envoyé un nude ?

Alors que sa remarque se voulait humoristique, je décèle une pointe amère dans sa voix. Pourtant, je n'y porte pas plus attention que ça, trop concentré à relire la réponse à l'écran avant de l'éteindre pour échapper à la curiosité de Connor.

— Et si je te disais que c'était la tienne qui m'en avait envoyé un ?

Des volutes de fumée se forment autour de sa bouche. En temps normal, il m'aurait sauté au cou pour me menacer de retirer mes paroles. Cette fois, il se contente d'un regard noir. Quelque chose cloche, c'est certain.

— La ferme, grogne-t-il sans entrain.

— Chien qui aboie ne mord pas.

— Tu veux dire que tu es prêt à mordre, toi ?

Sa réponse au tac au tac m'amuse, car il n'est pas si loin de la vérité en fin de compte.

— C'est pour ça que tu fixes la caisse du coach depuis tout à l'heure ? Si tu la raies, n'oublie pas de signer pour moi.

— Tu as pris le temps de m'observer on dirait.

Connor tire une nouvelle bouffée de sa cigarette. La fraicheur du vent commence à me geler les phalanges.

— Je me méfie, ça peut être n'importe qui.

N'importe qui, il a raison. Mais le fait qu'il aborde le sujet aussi facilement m'intrigue au plus haut point.

— Et d'après toi, c'est qui ?

Il frotte nerveusement sa main dans ses cheveux.

— J'en ai aucune idée. Je pensais à ces crétins d'intellos, mais les gens ont l'air d'aduler ce putain de groupe. Et si j'étais un geek en quête de reconnaissance, je l'aurais déjà crié sur tous les toits.

Sa théorie se tient. De mon côté, je la partage en partie, le Vortex se compose très certainement de membres assez avisés pour ne pas laisser d'indices sur leur identité.

— Tout à l'heure, tu parlais de lettres du Vortex. C'est quoi ?

— Tu n'écoutes pas les rumeurs ? Pour demander de l'aide au Vortex, il parait que ça se passe à une adresse privée. Tu expliques ton souci, tu signes et tu envoies.

— C'est tellement old school, n'importe qui pourrait aller défoncer leur boite pour récupérer les lettres et les retourner contre leurs expéditeurs.

Connor se renfrogne contre le grillage et jette son mégot par terre, examinant la fumée qui s'échappe des dernières cendres.

— C'est une idée.

— Tu penses vraiment que ces types font le bien ?

Sa question trahit le discours qu'il tenait jusqu'ici. Il remarque directement le trouble provoqué par celle-ci et rectifie ses propos :

— Je veux dire, on nous a toujours appris qu'on est une équipe, qu'on doit se défendre. Alors pourquoi les gens ont-ils besoin d'une aide extérieure pour se venger ? Pourquoi en venir à empoisonner nos amis ?

Son interrogation reste sans réponse. Même si j'ai ma petite idée sur la raison qui pousse tous ces étudiants à se rebeller de cette manière.

— Tu crois que nous aurions été suspendus si le Vortex s'était chargé du cas de Kelly ?

Le blondinet me dévisage longuement, puis fixe ses chaussures. Les vibrations de son téléphone perturbent le silence installé entre nous. C'est sûrement Cheryl qui s'étonne de ne pas le voir revenir.

— Peut-être pas, mais nous ne l'aurions pas été si le Vortex ne s'était pas attaqué à Eve et Brice.

Naturellement, j'acquiesce à son analyse. Il est clair que ces pseudojusticiers ne prévoient jamais les conséquences de leurs actes, aussi cruels soient-ils.

— Je vais dire au coach de lever la sanction pour toi. Je suis le seul à avoir merdé, ce serait stupide de te punir alors que l'équipe a besoin de toi.

Son élan de gentillesse me cloue sur place, je l'observe calmement et hésite à l'en empêcher. Cela ne servira probablement à rien, le coach revient rarement sur ses décisions. Je ne suis même pas sûr de vouloir participer au prochain match en l'absence de notre capitaine. Au bout d'une énième vibration, Connor attrape enfin son téléphone portable. Il grimace, mais ne dit rien.

— Bon, je dois filer, déclare-t-il en me lançant un coup d'œil. On se capte plus tard.

Tandis qu'il s'éloigne d'un pas lent et non assuré, je pousse un long soupir. Tout n'est peut-être pas perdu pour lui.

— Co' !

Il jette une tête par-dessus son épaule.

— Dolly Road, boite 32 !

Ses traits se crispent, alors que les miens se détendent. Maintenant, c'est à lui de choisir. Quand la cloche retentit, je déniche mon smartphone et pianote une réponse sur mon clavier.

Adan

Je pense que tu vas changer d'avis.