Chapitre 9

Par Dan

Milton possédait un appartement étriqué situé juste au-dessus du magasin. Ses solides recettes et la notoriété croissante de son établissement auraient pu lui permettre d’acquérir un logement plus décent, mais il appréciait la proximité immédiate de ses locaux – la liberté de circuler entre environnements professionnel et personnel à toute heure du jour et de la nuit.

Sans cette commodité, la dernière expérience de Milton aurait d’ailleurs tourné court : autopsier des chats errants et raviver des corbeaux domestiques, c’était une chose – et relativement discrète –, mais manipuler un sujet aussi délicat que celui-ci ? Négliger toute prudence et tenter de réitérer ses exploits sans analyses ni contre-mesures intermédiaires ? Un acte de foi et de folie qui nécessitait tous les secrets du monde.

Ce soir, la nuit tombait sur Garden Row et plus aucun air d’arlequinade ne sourdait des interstices du volet clos. Carré dans un fauteuil rapiécé entre la table et la cuisinière, fondu dans le foisonnement des plantes qui envahissaient les lieux, Milton observait ce décor familier d’un nouvel œil. La lumière des lampes glissait à la surface lisse ou duveteuse des feuilles de sureau ou de molène qui se disputaient l’appui de fenêtre ; sur les étagères étroites dont les murs étaient bardés, elle allumait les pétales de camomille et les boutons de bétoine. Et pour la première fois, Milton se sentait oppressé dans leur étroit cocon parfumé.

Il chercha du courage dans les quelques esquisses encadrées qui complétaient les rangs : des croquis de cactus, des aquarelles de fleurs trop délicates pour survivre dans ces contrées, des copies de précis d’herboristerie et de botanique… des ébauches d’espèces imaginaires, aussi. Milton avait inauguré cette galerie à six ans, en dessinant les bouquets d’aubépine et les couronnes de gui dont sa mère se servait pour ses remèdes et ses potions. Il sourit en repensant à ses exclamations d’admiration exagérée : elle avait toujours loué ses aptitudes au dessin, pleine de cette indulgence dont seules sont capables les mamans confrontées aux œuvres d’art discutables de leur progéniture.

Milton s’était incontestablement amélioré depuis ; sa dernière production – représentation d’un pied de noxombre, une autre essence fictive proche de la belladone dont il aimait détailler les clochettes et les baies –, gisait encore sur la table parmi les pinceaux et des encriers. Une bouteille trônait au centre du chaos comme un instituteur mécontent.

Milton s’en empara. Il troquait cette fois sa dose d’élixir frelaté contre un peu de laudanum : le meilleur de sa cave, composé d’alcool, de safran et d’opium, adouci par un miel riche et épais. Il fit rouler la première lampée sur sa langue avant de tout avaler d’un trait, mais même les prémices de l’ivresse ne suffirent pas à détendre ses muscles et son esprit fourbus.

— Et après tout, à quoi bon lambiner ? Autant nous mettre au travail immédiatement.

Milton oubliait souvent que Bodb n’était plus là pour ponctuer ses monologues de quelques croassements appropriés. Le cœur lourd et enfiévré, il prépara les instruments, vérifia les dispositifs, le mécanisme de la minuterie, les quantités de préparations, la température de la pièce, et contrôla l’ensemble une nouvelle fois. Quand il ne trouva plus rien à régler, Milton prit une grande inspiration et installa son huitième sujet sur le lit grinçant.

Ce sujet, c’était lui.

Milton avait hésité, failli écumer les hôpitaux et les prisons à la recherche de cobayes de substitution, envisagé de promettre à de pauvres hères déjà condamnés une chance d’échapper à la mort ou au moins de vivre une aventure incroyable avant de trépasser ; puis il s’était ravisé.

Par crainte de trop attirer l’attention sur lui, d’abord – compte tenu des risques qu’il courait quotidiennement en menant des recherches hérétiques dans le sous-sol de sa boutique, en gérant son commerce ou en s’habillant comme il s’habillait, il préférait faire profil bas. S’il fallait être honnête, cependant, Milton devait admettre qu’il s’était surtout rétracté par fierté : il avait une absolue confiance en ses chances de succès et quitte à proposer une aventure incroyable, autant en être le héros.

De mauvaises langues auraient peut-être affirmé que Milton s’était octroyé ce dangereux privilège parce qu’il était certain d’échouer, au contraire ; parce que ses récentes errances scientifiques couplées à de nouveaux excès de laudanum lui avaient insufflé l’envie inavouable d’en finir. Une langue parmi celles-ci était peut-être même la sienne : pâteuse, un peu engourdie, cherchant maintenant le goût du miel derrière ses dents serrées.

Étendu sur les couvertures rêches, Milton observa longuement l’araignée qui tissait sa toile entre les poutres noueuses du plafond, songeant à toutes les créatures innocentes qu’il avait sacrifiées dans ses entreprises. Quelles que soient ses motivations profondes et subconscientes, il avait suffisamment causé de dégâts – voilà au moins un argument qui confortait son choix.

Milton ajusta sa position sur la couche en lissant son veston, puis il s’empara de l’interrupteur, ferma les yeux et appuya.

Et Milton mourut.

Mais pas tout à fait.

Il en viendrait peut-être à le regretter : dans sa poitrine, dans sa nuque, dans son aine… la douleur dépassait l’entendement et la conscience de Milton la supportait à peine. Ce qu’il concevait très clairement, en revanche, c’était la magnifique et terrible vérité qui pesait sur son torse comme une Night Hag : aucune torpeur salvatrice ne pourrait jamais l’en libérer. Il survivait, et il en payait le prix.

La vie poursuivait son cours autour de lui : le galop crissant d’une souris sur le plancher, le chatoiement de la flamme du quinquet, l’odeur capiteuse de la bouteille de laudanum qu’il n’avait pas rebouchée. Prisonnier d’un corps réduit à une cage de souffrance, Milton percevait ce monde si proche et si distant avec une acuité blessante. À l’intérieur de sa torture, tout était silencieux, et noir, et vide.

La douleur finit par décliner, non pas en s’estompant, mais en devenant indiscernable du reste : Milton avait perdu tout repère et tout élément de comparaison. La douleur était, il était à travers elle ; le reste évoluait hors de sa portée, dorénavant. Lui-même se trouvait presque hors d’atteinte – dissocié. Avec une curiosité lointaine, il observait la scène selon deux focales superposées : l’image du plafond chargé de crinières de lierre auquel ses yeux restaient rivés et celle déformée de la chambre tout entière, semblable au reflet d’un judas.

Oh, comme c’était étrange ! Comment Bodb aurait-il pu l’exprimer à travers de pauvres cartes de tarot ? Milton doutait même qu’il existe des mots suffisants ; « transcendant » ? « mystique » ? « Divin », s’il avait fallu donner raison à son père. L’impatience qu’il éprouvait maintenant à la perspective de retranscrire son vécu surpassait celle qu’il éprouvait à la perspective que la souffrance s’efface. Heureusement, le compte à rebours ne tarderait plus à le délivrer.

— Monsieur ? Monsieur ! La livraison est là !

Comment ? Par son double regard, Milton voyait désormais de fines lames de grisaille fendre la poussière en suspension. Le petit matin grouillait derrière la fenêtre en contrebas : claquements des sabots, carillon des litrons de lait, dizaines de voix pressées. Comment ? Milton voulait examiner son installation et en cerner le défaut, comprendre et réparer, mais ses points de vue ne déviaient pas d’un iota et la terreur en émoussait les franges ; un voile épais tombait sur ses sens.

— Encore fermé !

Midi, peut-être. Milton suffoquait et convulsait toujours dans l’immobilité la plus totale, incapable de dompter ses maux et incapable d’y succomber. Ailleurs, le temps s’écoulait non plus comme un ruisseau, mais comme un torrent.

— La lumière semble allumée chez lui, pourtant…

La nuit de nouveau, et la panique, au contraire de la douleur, ne semblait vouloir ni se fondre ni se faire oublier. Allait-il mourir de soif ou de fatigue, finalement ? Se regarder décliner du dehors et du dedans ?

— Vous croyez qu’il…

L’odeur dut alerter les voisins ; non pas vraiment celle de la décomposition, mais celle des déjections dont Milton s’était souillé sans s’en apercevoir. Quand la porte s’ouvrit à la volée sur les visages livides de son père et de son frère, alors, enfin, Milton regretta de ne pas être mort.

— Qu’est-ce que… Mon Dieu… lâcha son père derrière ses mains, derrière le geste dont il se signait et derrière le crucifix qu’il embrassait fébrilement. C’est… Nous ne pouvons pas… Tu imagines ? Il faut que nous… Que crois-tu qu’il s’est passé ? Tous ces appareils…

— Peu importe, Père, répliqua son frère. C’est ce qui se produit lorsqu’on s’oppose aux desseins du Tout-Puissant, ne diriez-vous pas ?

Milton le vit s’approcher : sa figure blême en contre-plongée et ses cheveux auburn depuis le point surélevé où sa conscience s’était juchée. Son frère manipula quelques instruments et renifla le laudanum avant de braquer ses yeux noirs sur Milton en disant :

— Bon débarras.

Milton n’éprouva aucune nouvelle sensation lorsque les employés de la pompe funèbre le soulevèrent de sa couche pour l’évacuer sur un brancard, mais la seconde focale suivit le mouvement. S’agissait-il vraiment d’un dédoublement, en fin de compte ? Milton songeait distraitement qu’il voyait le monde comme Bodb l’avait vu du haut de ses perchoirs, et l’idée saugrenue que son ami le veille dans cet entre-deux lui causait une tristesse aussi intolérable que ses douleurs sans fin.

Dehors, une foule de curieux s’était formée devant le magasin ; Milton crut même voir quelques yeux humides au creux des visages les plus ridés : des clients dont il avait soulagé les articulations et écouté les chagrins, à qui il avait offert un flacon de camphre ou une tasse de thé. Une angoisse inédite alourdit son martyr tandis qu’il glissait parmi leurs murmures jusqu’au plateau d’une charrette, mais il n’osait pas la définir.

Quand le temps recracha de nouveau Milton sur sa rive, il se trouvait étendu sur une table, au sein d’une pièce aussi moite qu’une tombe, sous la lumière d’une lanterne qui aveuglait tous ses yeux.

— C’est une situation peu orthodoxe, j’en ai bien conscience, disait la voix nouée de son père dans un recoin de ténèbres. Je suis prêt à payer. Je suis prêt à payer tout ce que vous me demanderez à condition que vous teniez votre langue.

Un homme apparut pour déshabiller Milton quand son père s’enfuit – la honte, le blasphème, il ne pouvait pas assister à la scène. Milton ne voulait pas y assister non plus, mais il n’avait pas le choix : son regard suspendu vit s’effeuiller ruban de cravate, veste, chemise, bretelles, pantalon, chaussures… Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que son sous-vêtement et le carcan des chutes de tissu qui lui barraient le torse. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien que son intimité crûment exposée.

— On m’a fait venir pour un jeune homme, remarqua le médecin, à la limite de la réclamation, lorsqu’il se présenta pour une ultime auscultation.

Le croque-mort haussa les épaules – la promesse du pot-de-vin commençait à faire effet et le docteur ne tarderait pas à se voir offrir le même gage de secret. La mine contrariée, il entama ses examens de routine avant de s’intéresser aux lésions longilignes qui traversaient la petite poitrine de Milton. Celui-ci ne percevait rien de son contact au-delà de la souffrance qui l’étreignait, mais il n’eut jamais autant envie de disparaître qu’au moment où les doigts blancs du médecin lui frôlèrent les seins.

— Je ne saurais déterminer les causes du décès, finit-il par déclarer. Vous dites que le corps a été trouvé entouré de dispositifs étranges ?

— Moi, je dis plus rien.

Le fossoyeur s’attela à la toilette de Milton, effaçant le fard dont il s’était servi pour accentuer l’épaisseur de ses sourcils et le creux de ses joues, diluant la teinture qui révéla l’auburn sous le brun de ses cheveux. Puis vint l’accoutrement, et finalement, ce ne fut ni l’élixir ni l’asphyxie qui le tuèrent, mais la robe, le bonnet et les souliers de femme dont on para son corps.

Milton était mort et Emilyse ressuscitait.

 

Longtemps après, ou quelques secondes seulement, on lui ferma les yeux ; un noir infini collait à l’intérieur de ses paupières comme des larmes, annonciateur du noir infini vers lequel on l’acheminait. Un sursaut parcourut Emilyse, toujours statufiée ; un sursaut qui raviva la souffrance et l’angoisse et l’urgence, qui la déchira de l’intérieur, qui hurla dans le silence impossible de son cœur mais que personne ne remarqua. Six clous, autant de coups de marteau ; le noir était scellé.

Il fallait qu’elle se réveille. Elle entendait le crissement des roues sur la terre, désormais ; le couinement des essieux, le pas des bottes, le frémissement des herbes couchées et Londres, au loin. Il fallait qu’elle se réveille. Elle discernait presque le parfum de la terre et celui de la pierre mouillée, les relents de sueur et ceux de la pourriture. Il fallait qu’elle se réveille. Il fallait. Il fallait. Oh…

Le grincement des cordes et la pluie des gravillons sur le bois. Oh, non. Le choc sourd des pelletées. Non, non pitié… Les bruits, les mouvements, le monde, de plus en plus étouffés. Si Dieu existait, qu’il l’entende. Par tous les saints et tous les anges qu’elle avait répudiés, que quelqu’un l’entende. Que quelqu’un…

 

Elle rêva. De hautes herbes, de taillis de ronces et de troncs noueux : pas un jardin, mais un sous-bois, aux odeurs riches d’humus et de résine, aux reflets pâles de brume et de rosée. Un tableau issu d’un temps reculé où seules les bêtes avaient déposé l’empreinte de leur course et l’éclat furtif de leur pelage : renard et chien de chasse.

Elle y était allongée dans un nid de joncs et de graminées et quelqu’un l’accompagnait. L’immense ombre moulée contre son corps n’avait ni contours ni visage, mais elle en percevait la tiédeur, le réconfort : ils avaient fui, couru, échappé aux pires dangers pour finalement se réfugier ici. Un feu silencieux brûlait au creux de leurs membres enchevêtrés et leur souffle nourrissait le brouillard qui les drapait. Les feuilles humides leur faisaient un berceau ; ou un tombeau ? Peu importait.

Elle n’avait plus peur, plus mal. Une main tenait la sienne, et elle pouvait enfin se reposer.

Mais la main serra soudain ; elle lâcha un cri auquel le craquement de ses phalanges brisées répondit. Elle voulut se débattre, en vain. Elle s’engluait dans la mélasse terreuse qui exsudait de son lit de prairie pendant que la douleur la submergeait. Une odeur chaude et métallique la couvrit alors comme un linceul et l’ombre grandit. Elle vit le rouge : le rouge sur les tiges et les fleurs et ses cuisses dénudées. Le rouge qui remontait du sol et qui noyait les fourrés. Puis une souffrance lancinante la saisit à l’entrejambe et elle comprit d’où le rouge provenait.

L’ombre se coucha sur elle.

Que quelqu’un…

 

Quelqu’un. Il y avait quelqu’un. Dans le noir, là, quelque part. Cauchemar ? Quelqu’un. Colère, fureur, elle débordait. Était-ce ça, la mort ? Quelqu’un. C’était trop tard. Elle en avait trop vu. Ou pas assez. Elle ne voulait pas continuer. Pas recommencer. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait plus. Elle ne voulait pas.

Quelqu’un. Quelqu’un venait.

Quelqu’un était là. Fureur, rage, elle implosait. La fièvre. Elle se consumait. Qu’on la laisse brûler, là, dans le noir, pour l’éternité. Qu’on la laisse. Pitié, qu’on la…

Les sons, les odeurs, de nouveau, à rebours : bois et terre et ciel. Ville. Homme. Frottement de la toile sur sa peau, douleur, douleur, et lumière. Lumière voilée, lumière mouvante, lumière de la nuit qui nimbait le cimetière et qui tombait dans ses yeux grands ouverts.

Elle rua – elle bougeait. Instinct, réflexe. Elle mordit, courut, tomba. Perdit le combat. Fatigue, fatigue, faim. Serait-ce seulement ça, maintenant ? Le manque et le besoin ? Homme. Étreinte – presque. Fatigue, douleur, elle renonça. Vide, froid, peur. Peur, peur, peur, peur peur peur peur.

Hommes. Chaleur. Qui était-elle et que faisait-elle là ?

— Allons, Mr Clayden, vous ne croyez quand même pas que… Mrs Kinkle, vous me pensez réellement capable de… Miss Marbrand, faites quelque chose !

« Miss Marbrand ». Elle émergea juste assez pour que son sentiment de déjà-vu l’éperonne et la ranime tout à fait : la vue d’un plafond, le cliquetis des instruments et la prison d’un corps qui ne lui appartenait plus vraiment depuis des années – depuis qu’elle avait dû apprendre à mentir et à ruser.

Mais déjà la sensation s’effilochait et la terreur avec elle. Emilyse ne se trouvait ni sans son lit, ni dans son cercueil, et si l’odeur astringente des produits et le tintement des outils perduraient, elle n’en concevait plus la moindre crainte : quelque chose dans la douceur de l’atmosphère et la proximité des hommes la rassurait.

Elle se souvenait de cette nuit à Cross Bones, du cabinet de l’anatomiste, de la chambre du résurrectionniste, de ses rivaux, de ses blessures et de sa propre perdition, surtout. De ce néant intérieur qui l’appelait dans le sommeil et la trouait d’un appétit insatiable, qui avalait ses mots, ses rêves, ses larmes et son envie même de revenir à la vie. Oh, comme elle se souvenait…

Elle ouvrit des yeux lourds, banda ses muscles, bougea à peine. Au pli de son bras, l’incision de la saignée laissa perler quelques gouttes écarlates. Puis, enfin, son regard trouva Alister au bord de ses paupières – Alister qui se libérait de la poigne de Mrs Kinkle pour s’élancer.

— Gnnn…

Emilyse allongea le bras au prix d’un énorme effort, paume ouverte vers l’avant, droit sur le ventre blessé d’Alister qui s’arrêta net. Elle n’avait pas la moindre force et elle ne pouvait rien énoncer, mais elle espérait qu’il comprendrait à travers ses yeux et à travers son geste.

— M… miss…

Elle devait lui prouver qu’elle avait consenti à tout ça, qu’elle l’avait réclamé. La main d’Emilyse retomba alors, mais pas sur la table : sur celle d’Henry qui se cramponnait à son scalpel. Ses yeux clairs semblaient voir à travers les siens, jusqu’aux tréfonds d’une âme qu’elle pensait avoir perdue et qui lui revenait maintenant avec la violence d’un coup de poing.

Emilyse parvint à se redresser sans le lâcher, tendant l’autre main vers les vêtements trop larges dont on l’avait dépouillée ; Henry et Alister avaient déjà vu tout ce qu’il y avait à voir, compris tout ce qu’elle n’avait jamais voulu raconter, mais avec les souvenirs, c’était la pudeur qui lui était revenue : la vulnérabilité et la prudence.

— Vous ne… Vous avez pas… bredouilla Alister, ahuri, désemparé, trahi, peut-être.

Emilyse termina d’enfiler sa chemise et allongea le bras vers le visage du résurrectionniste. Ses doigts écartèrent le foulard qui dissimulait à peine la marque de sa morsure, et Alister parvint à camoufler son mouvement de recul ; quand la frayeur laissa place à la tristesse dans son regard, il inclina très légèrement la tête pour mouler sa joue barbue dans la paume d’Emilyse.

Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait envie de pleurer, subitement. Il lui semblait qu’elle ne s’était jamais sentie aussi vide, et paradoxalement, jamais aussi vivante qu’en cet instant. Pour la première fois depuis qu’elle était morte, Emilyse avait l’impression qu’elle pouvait de nouveau sentir le monde qui l’entourait ; le sentir avec son vrai poids et sa vraie texture, ses vraies odeurs, sa vraie température.

Sa vraie douleur.

Un spasme l’ébranla : une crampe profonde qui la saisit de l’aine à l’estomac, bruyante comme un cri de famine à l’arrière-goût de fièvre et de bile. Emilyse était creuse, mais lourde, et fragile, et souffrante, et seule, et déplacée dans ce monde qui lui faisait payer l’affront de sa résurrection à chaque seconde écoulée. Elle ne comprenait pas ce qu’était cette torture qui l’achevait et la ravivait tout à la fois, elle ne savait pas si elle devait la fuir ou l’espérer, ni ce qu’elle devait saisir de son reflet dans le regard qu’Alister vrillait sur elle, désormais. Elle savait seulement qu’elle avait fait une erreur en revenant et qu’elle devait la comprendre pour espérer la réparer.

Elle raffermit la pression de ses doigts.

« Merci », voulait-elle dire, « mais je n’ai jamais demandé à être sauvée ».

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Rachael
Posté le 07/03/2020
Il est fort ce chapitre, avec la révélation, que je n’avais pas vu venir non plus. Bon, on se doute bien que Milton va avoir un rapport avec le reste, mais pas celui-là… Et cela jette une lumière vraiment intéressante sur le personnage, dont on avait a priori deux images totalement différentes. Il faut réconcilier les deux, puisque c’est la même personne… J’avais plutôt tendance à plaindre Emilyse, et trouver Milton sans moralité ou au mieux dérangé…
La partie ou Milton partage ses expériences de la douleur et où il flotte dans une demi conscience de la réalité est bien flippante à souhait, très évocatrice.
Désolée, je n’ai pas fait de relevé de détails sur ce chapitre…
Dan Administratrice
Posté le 02/05/2020
Huhu tant mieux, une de plus que j'ai réussi à piéger ! C'est justement ça qui m'intéressait, devoir rassembler deux images opposées, alors ton retour me fait vraiment plaisir :D Merci pour tout !
SalynaCushing-P
Posté le 24/11/2019
Salut, quel rebondissement ! Génial, je ne l'ai vu venir celle là ! J'aime beaucoup ce chapitre, très belle description.
J'ai trouvé une petite coquille : " Emilyse ne se trouvait ni sans son lit, ni dans son cercueil,". Tu voulais dire "ni dans son lit" je pense.
Dan Administratrice
Posté le 02/05/2020
Hehe merci ! Contente que ça ait fait son petit effet !
(et merci pour la coquille !)
Keina
Posté le 29/10/2019
Woooh, la révélation ! Alors, autant, j'étais pas loin quand je disais que Milton était sans doute à l'origine de la morte-vivante, autant j'avais pas du tout vu venir Milton=Emilyse. Mais du coup, Milton était une fille ? Ya des indices là-dessus ?
Du coup, c'est pernicieux, parce qu'autant Milton je l'aimais pas trop (ce qu'il/elle a fait à Bobd, zut !), autant j'adore Emilyse, et en même temps elle a l'air de souffrir tellement, la pauvre... :'( Du coup je ne sais plus que penser, parce que c'est de la faute de Milton et de ces expériences à la noix qu'Emilyse est dans cet état... enfin, je me comprends !
Bref, ne reste plus qu'à espérer que les deux résurrectionnistes vont mettre définitivement fin à ses souffrances, parce que là, c'est pas une vie/mort, quand même.
Dan Administratrice
Posté le 31/10/2019
Mouhaha !
C'est vrai que tu tenais un bout de la réponse, mais tant mieux si t'as pas pu tout deviner non plus, ça aurait été embêtant x'D

Alors il y avait surtout des indices qui rapprochaient Emilyse de Milton, dans les chapitres du point de vue d'Alister ou de Graham : les dents jaunies par le tabac, le fait qu'elle ressemble à un ado, les cheveux courts, etc. Du point de vue de Milton, je crois pas avoir insinué que c'était une fille, aussi parce que vu ses préoccupations (et comme c'est normal pour lui) il y pense pas à longueur de journée. Mais si ça te semble trop parachuté, je verrai ce que je peux faire !

Oh et c'est intéressant du coup ces sentiments contraires ! Je pensais pas que ça pourrait provoquer ça mais j'aime bien l'idée de le/la détester et de l'aimer en même temps.

"C'est pas une mort" xD Magnifique ! Merci pour ta lecture et ton commentaire Keina ♥
Flammy
Posté le 26/10/2019
ARGH.

C'était EVIDENT pourtant ! Rha, je me déteste. Le pire, c'est que je me suis demandé si, à un moment, l'adorable paternel avait pas vendu sa fille à Milton pour qu'il fasse ses expériences dessus et se débarrasser d'elle. Et pourtant, j'avais compris que Milton voulait le faire sur lui. Mais j'avais pas fait le lien. Et puis, quand le père et le frère trouve le "cadavre", je m'étais fait la réflexion que c'était peut-être eux mais je comprenais pas. Il a fallu le début de l'autopsie pour que je comprenne.

Rha, je te déteste. C'était évident, et pourtant.

Bon, au moins, ça explique beaucoup beaucoup de choses sur les compétences de Emilyse ^^ Et sa phrase à la fin, c'était un tel crève coeur :'( Je le sens gros comme une maison que le but de la fin ça va être de la retuer proprement, mais c'est quand même trop triste. Pourquoi fallait faire cette expérimentation à la con ? Fallait continuer sur les chats, c'est pas grave les chats.

Et quand Emilyse délire après sa mise en terre, j'ai eu un bug. Elle a été violé à un moment ? Ou j'ai pas compris ? Mais du coup, je suppose que ça remonte à un peu plus loin dans ses souvenirs, me rappelle pas que Alistair ait fait ça à un moment. Ou il va vachement baisser dans mon estime ='D

Un chouette chapitre <3

Et maintenant, j'ai hâte de savoir comment tout ça va se terminer !

Pluchouille zoubouille !
Dan Administratrice
Posté le 31/10/2019
Coucou Flammou !

Ne te flagelle pas, moi ça me va bien si c'était évident MAIS surprenant ! J'avais quand même peur que les indices soient trop gros, à force, d'autant qu'il y a pas beaucoup de personnages et d'événements, donc je suis soulagée si la révélation fonctionne ^^

Et oui effectivement, ses talents de guérisseuse lui sont pas tombés du ciel ! Oh allons mais tu me prends pour quel genre d'autrice sadique, avec une fin pareille ? :p C'est vrai que les chats c'est plus safe, mais que veux-tu, c'est une aventurière...

Alors pour le "rêve" c'est un peu délicat. Y a pas officiellement d'histoire de viol (surtout pas par Alister xD), par contre l'aspect sexuel (de ce rêve et des autres) est important pour la novella suivante. C'est un peu le risque avec ce recueil, les histoires sont indépendantes mais il faut quand même que j'établisse des correspondances. J'avais peur que ça crée des mystères auxquels la novella elle-même répondrait pas, ce qui est un peu le cas ici, du coup j'espérais qu'on puisse juste imaginer que c'était une illustration de """l'enfer""", et pas trop se poser de questions.

Conclusion : tu te poses trop de questions :p

Mais tu me diras avec la fin si ces interrogations sans réponses très claires sont gênantes ou pas... Il y a encore un élément à venir qui va faire écho à ce passage.

En tout cas merci pour ton retour ! J'espère que la suite et bientôt fin te plairont ♥
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