Chapitre 8 – Vers l’infini et l’au-delà

Par Samy

Le Grand Saint radota pendant une éternité, insistant sur le non-professionnalisme des  Faucheurs et blâmant mon manque de savoir-mourir.

Les remontrances que les trois croque-mitaines subissaient, m’emplissaient de joie : bien fait pour eux, il ne fallait pas me forcer à aller en enfer ! Déjà que je n’appréciai pas forcément l’idée d’être une macchabée...

Pour ma part, rien ne m’affectait plus depuis bien longtemps alors les réprimandes de l’ange me passaient largement au-dessus de la tête. Et puis, je n’étais pas très contente moi aussi. Non pas que la vie sur terre me manquait, mais je n’avais pas eu le temps de profiter de mon pognon. Toute cette fortune amassée pour rien et perdue à jamais… Ce fric, je l’avais eu la sueur de mon front – avec des méthodes peu recommandables certes – mais il s’agissait du fruit de mon dur labeur, bordel ! Et maintenant, je pouvais aller me brosser dessus.

Dire que tout ceci est parti en fumé à cause d’une voiture payée une blinde, mais incapable de rouler correctement ! Si seulement j’avais acheté une Ferrari à la place ; j’en aurais eu pour mon argent et ma mort aurait été plus classe.

— … que des incapables ! continuait le Grand Ange en tapant rageusement du pied sur le sol qui craqua sous l’impact.

En attendant la fin de cet accès de fureur inutile, j’admirai l’endroit : la pièce faisait la taille d’un terrain de football, la hauteur sous le plafond était ahurissante, et le sol, ainsi que les murs, étincelaient d’une blancheur immaculée qui m’éblouissait les yeux.

Tout en mangeant mes derniers biscuits, je tournais la tête vers mes camarades de fortune pour me gausser de leur malheur. Rouquin passa alors son pouce horizontalement sur son cou en grimaçant, Blondinet me fit les gros yeux, et Brunette me regarda écœuré comme si j’étais un cafard qu’il allait écraser dès que nous sortirons d’ici.

— Je vais donc me renseigner sur la procédure à suivre, annonça enfin le Saint Seigneur. En attendant, charge à vous de vous en occuper.

Un chœur de protestations scandalisées lui répondit aussitôt.

— Pas question de me trimballer ce boulet ! s’indigna Rouquin. Et puis, je suis très occupé avec tous les morts qu’il y a en ce moment !

— Moi aussi, j’ai trop de boulot avec toutes ces guerres et ces virus ravageurs pour faire du baby-sitting ! affirma Blondinet.

— Cette chose est insupportable ! Elle ne ferait que me perturber et m’empêcherait de faire mon travail convenablement ! avança Brunette.

Le Grand Ange soupira d’énervement devant tant d’enfantillage et les trois idiots se turent instantanément lorsqu’ils aperçurent la veine qui saillait sur son front.

Croisant les mains devant lui, Saint Michelangelo me darda de son regard un instant, avant de me demander calmement :

— A votre avis, qui est le responsable de cette situation ?

— Lui ! désignai-je sans hésiter mon voisin le plus proche.

Quitte à être dans la bouse, autant l’entraîner avec moi dans ma chute.

— Brunette, ordonna l’ange, vous vous occuperez de Calie. Elle sera désormais une Accompagnatrice, le temps de trouver une solution. Je compte sur vous pour bien la former !

Pivotant son fauteuil de PDG pour indiquer par-là que la conversation était terminée, il nous congédia de la main sans plus de cérémonie.

Le chemin jusqu’au rez-de-chaussée de l’imposant immeuble se déroula dans un calme religieux.

— A plus ! lança Poil de carotte en se ruant aussitôt vers la cafeteria.

— Hé psst, Mama’zelle ! héla notre Blondasse de service poursuivant une nouvelle proie.

Une fois dehors, je me retournai vers mon nouveau collègue de travail qui feuilletait désespérément son Livre de la Mort, récupéré il y a peu au service des Dépôts des Ouvrages Élyséens.

Je patientai en regardant le magnifique paysage si beau avec sa douce luminosité, si resplendissant avec sa nature foisonnante qui courait à perte de vue, adoubé d’une propreté immaculée et d’un calme salvateur. Et puis tous ces anges éthérés étaient tellement gracieux, tellement gentils, tellement souriants…

Mais ce parfait endroit baigné de lumière bienfaisante, me dérangeait et me mettait mal à l’aise. C’étaient sûrement les impressionnants gardes ailés et postés un peu partout qui y étaient pour quelque chose. Je n’avais jamais vraiment aimé les flics ; de vrais empêcheurs de tuer tourner en rond ceux-là.

— Avez-vous déjà été au paradis ? demandai-je pétrie d’ennui à mon geôlier.

— Non.

— Et en enfer ?

— Il est interdit d’y aller sans autorisation spéciale ! Bon, concentrez-vous sur notre prochaine destination qui est… ici ! m’annonça-t-il en pointant un lieu précédé d’un nom, d’une date de décès, ainsi que tout un tas d’autres renseignements.

— Se concentrer ? Comme pour se téléporter ?

— Ouiiiiii, c’est ça ! Bravo ! railla-il comme si j’avais le QI d’un fœtus.

Saisissant furieusement son bouquin miteux, je tournai les pages sans me préoccuper de l’adresse indiquée, pendant qu’il m’expliquait à grands renforts de gestes la technique extrêmement compliquée et dangereuse que même un Faucheur chevronné comme lui craignait encore.

— Ok super, coupai-je en lui refourguant son ouvrage dans les bras sans plus de cérémonie.

Fermant les yeux, je me concentrai comme si j’allais faire un gros popo.

— Attendez ! Ce n’est pas la bonne adre…

Trop tard : la sensation d’étourdissement et de vertige m’indiqua que ma fuite avait été couronnée de succès.

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Flame and Darkness
Posté le 22/01/2023
Ce titre de chapitre mais oh mon dieu c'est si bien pensé.
J'aime beaucoup tout le sarcasme de l'héroïne et aussi du narrateur, c'est vraiment quelque chose que j'adore.
Samy
Posté le 18/09/2023
Merci, ça fait plaisir comme commentaire ! :-)
Pouiny
Posté le 09/12/2021
J'aime bien comment a chaque chapitre, la situation dégénère un peu plus et que tu vas toujours plus loin dans la conception de "l'après vie". Au début on aurait presque pu croire à une histoire "normale" et là on est vraiment dans un style unique et quand même assez drôle !
Samy
Posté le 27/12/2021
Merci Pouiny ! ;-)
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