Chapitre 8, La Course Poursuite

Par Melau

Magalie s’assit par terre, les genoux remontés contre la poitrine, les coudes posés sur les genoux et la tête entre les mains. Elle sanglotait. Non seulement elle avait perdu l’un des vaisseaux de la brigade interstellaire, mais en plus elle avait perdu ses seules quelques notes et indices sur l’affaire Sindy Grassier. Dégoûtée, le lieutenant se trouvait dans l’incapacité de réfléchir à quoi que ce fut. Elle n’avait pas d’idée. Ils étaient bloqués là, sur un petit bout de terre flottant en plein milieu de nulle part, sans ressources, et tous alcoolisés – information qui était loin d’être anodine dans le cas présent. Magalie souffla lourdement. Non, décidément, cette journée était merdique. Et elle avait mal aux pieds maintenant que le rhum se dissipait dans ses veines. La seule chose qui lui remontait le moral, c’était de voir le tout-nouvel-insigne-qui-brille accroché à sa poitrine. Heureusement qu’elle ne l’avait pas perdu. Qu’aurait-elle fait sinon ? Exactement pareil que maintenant : elle se serait assise, se serait morfondue et aurait attendu que quelqu’un trouve une solution. Elle réalisa alors la chose suivante : vu leur état et vu qui se trouvaient être ses compagnons en cette soirée, il n’y avait qu’elle qui était capable de les sortir de cette impasse. Bon dieu. Ils n’étaient pas sortis de l’auberge, hein ?

« Qu’est-ce qu’on fait lieutenant ?

- J’en sais rien Léopold.

- Comment on fait pour rentrer ?

- J’en sais rien Léopold.

- Et puis, y avait tout le dossier de l’affaire dans le vaisseau, comme vous allez faire pour résoudre l’affaire maintenant ?

- J’en sais rien, me… Léopold, se rattrapa-t-elle de justesse. »

La fatigue, l’énervement, la situation et le rhum : tout cela se mélangeait, ce n’était pas bon. Magalie Pierce qui, d’ordinaire, était une jeune femme agréable à vivre avec un grand sourire tendait actuellement à se transformer en petit démon. Du moins, c’était comme ça qu’elle se voyait après avoir retenu le juron à la dernière seconde. Elle soupira.

« Est-ce que quelqu’un a une idée ? demanda-t-elle, se doutant déjà de la réponse. »

Elle releva la tête pour regarder ses compères. D’un geste vif elle essuya les larmes qui avait coulé sur ses joues et qui perlaient sur ses cils. Il fallait qu’elle réfléchisse. Rester assise par terre à pleurer ne lui servirait à rien. Ce dont elle avait besoin là, maintenant, tout de suite, c’était d’une solution. Une vraie solution. Et son cerveau avait beau tourner à plein régime, rien ne lui venait. Pas d’idée. Pas de miracle.

« On pourrait faire comme dans les films, proposa l’ignorant, Richard MacHolland.

- On n’est pas dans un film, fit remarquer le lieutenant alors qu’elle tournait la tête pour l’observer pleinement. Vous pensiez à quoi ?

- Réquisitionner le véhicule d’un civil, déclara-t-il comme s’il s’agissant d’une évidence. »

Magalie réfléchit à l’idée. Il fallait avouer que ce n’était pas bête. Mais ils étaient dans la vraie vie, pas dans un film. La police interstellaire n’avait pas autorité sur tout, et le lieutenant craignait de se trouver dans une impasse. Ici, sur le parking de cette boîte de nuit, en plein milieu de l’espace, ils pouvaient être en dehors de l’autorité policière. Si tel était le cas, alors elle ne pourrait pas mettre l’idée de Richard en action. Impossible. Elle aurait pu vérifier, mais les papiers dont elle avait besoin pour cela se trouvaient tous dans le vaisseau. Vaisseau qui pouvait être n’importe où dans l’espace à l’heure actuelle. Vaisseau qui leur avait été volé parce qu’ils étaient tous sortis alcoolisés et que personne n’avait pensé à retirer les clés du contact ou à fermer la trappe en sortant. La belle équipe.

« Je ne crois pas qu’on puisse le faire, dit Maggie après une bonne minute de réflexion silencieuse. On n’est sûrement pas dans la juridiction de la police interstellaire.

- Mais lieutenant, qui peut le savoir ? »

Richard était sûr de lui. Seuls les policiers et les avertis savaient quels étaient les droits exacts de la brigade interstellaire. Lui, en tant que terrien, n’en savait absolument rien. Il était prêt à parier que c’était le cas des trois quarts des personnes dans la boîte de nuit. Peut-être qu’ils n’étaient pas dans un film, mais rien ne les empêchait d’en reproduire une scène, non ?

« Personne, finit par souffler le lieutenant, tombée d’accord malgré elle avec l’architecte. Personne ne peut savoir. Mais je risque de me faire virer pour ça, ou…

- Pas de « mais », lieutenant Pierce. »

Le ton de Richie était ferme, presque sec, il était profondément sérieux. Magalie le voyait bien à sa figure : il n’y avait pas d’ironie dans la voix, pas de malice dans les yeux. Quelque part, elle sentait bien qu’il la mettait au défi de le faire, de prendre la voiture d’un inconnu. Il se mit à sourire, d’un sourire qui voulait tout dire, d’un sourire qui lui montrait qu’elle n’avait pas le choix. Si elle ne faisait pas ça maintenant, alors jamais il ne la respecterait. Elle ne voulait pas l’admettre, mais elle voulait obtenir ce respect de la part de Richard.

« Ce n’est pas bien, murmura Pierce. J’ai pas le droit de faire ça, quelqu’un se retrouvera à notre place sans pouvoir rentrer chez lui…

- Ou chez elle, répliqua Richie, la voix soudain pleine de malice.

- Comment ça ?

- Regardez par vous-même. »

D’un mouvement de tête, Richard désigna du menton une jeune femme en tenue plus qu’osée qui avançait vers son petit vaisseau. De là où ils se trouvaient, Magalie pouvait voir sans problème qu’il y avait quatre place à l’intérieur. Pile quatre place. Comme s’il s’agissait d’un signe du destin. Le cliquetis de la portière résonna dans tout le parking. C’était le moment ou jamais. Magalie se leva, épousseta sa jupe, remit correctement ses talons puis redressa l’insigne sur sa poitrine. Là, elle était plus présentable. Elle s’avança vers la jeune femme dont les cheveux blonds voletaient dans son dos, tout comme la jupe qui laissait ainsi entrapercevoir les atouts. Trop loin pour faire demi-tour, mais toujours assez près de lui, Magalie put ainsi entre Richard dire :

« Ce sera bien fait pour ta grande gueule de salope, Rosie. »

Le doute assailli une nouvelle fois le lieutenant : si elle continuait à avancer et qu’elle réquisitionnait le véhicule de cette fameuse Rosie qui, manifestement, avait connu Richard par le passé, alors elle risquait d’assouvir le désir de vengeance personnel de son consultant. Au contraire, si elle n’allait pas la voir, alors ils seraient tous bloqués sur ce parking sordide à cause d’elle. Magalie se résolut à l’idée de rencontrer la jeune femme. Avec un peu de chance, elle ne ferait pas de scène. Et avec un peu plus de chance, Magalie n’aurait jamais besoin de faire remonter toute cette histoire à Gaston Francis. Si le chef n’était pas mis au courant de la situation, alors tout irait bien. Gonflée à bloc, elle avança d’un pas déterminé vers Rosie qui ouvrait la portière du petit vaisseau. Une fois arrivée à son niveau, Magalie lança :

« Bonsoir mademoiselle, police interstellaire. »

En prononçant ces quelques mots, qu’elle espérait convaincants, Magalie montra son tout-nouvel-insigne-qui-brille. Rosie devint blême. Pour cacher le tremblement de ses mains, Pierce les croisa dans son dos. Devant elle, la jeune femme n’en menait pas large non plus. Cet échange ne serait qu’une histoire de conviction : si Magalie croyait en elle et en ce qu’elle dirait, alors Rosie la croirait aussi. Elle n’avait qu’une seule chance de réussir, il ne fallait pas tout rater. A cette pensée, son cœur se mit à battre un peu plus fort dans sa poitrine. Elle déglutit et continua :

« Lieutenant Pierce, Magalie Pierce, se présenta-t-elle.

- Bonsoir Lieutenant, répondit Rosie la voix tremblante, visiblement dans l’incompréhension totale. J’ai fait quelque chose ?

- Non, vous n’avez rien fait de mal, la rassura-t-elle. Voyez-vous, il va falloir que mon équipe et moi-même réquisitionnons votre véhicule dans le cadre d’une enquête.

- Quel genre d’enquête ?

- Je n’ai pas le droit d’en parler à un civil, mademoiselle.

- Un meurtre ? Un vol ? Une disparition ?

- Je ne suis pas en mesure de vous répondre, mademoiselle, réitéra Pierce en espérant ne pas laisser paraître son désarroi : sans le vouloir, Rosie venait de donner toutes les raisons qui obligeaient Magalie à – tenter de – réquisitionner son vaisseau.

- Vous pouvez bien me donner un petit indice, non ? »

Magalie soupira. Si elle ne donnait pas à Rosie un petit quelque chose à se mettre sous la dent, alors elle n’aurait pas le vaisseau. Elle sentait bien que la jeune femme la faisait marcher, mais elle ne pouvait pas faire autrement que lui donner une réponse. Elle se résolut alors à lui dire qu’il s’agissait bien de l’un de motifs dont Rosie avait parlé auparavant – sans pour autant ni lui dire lequel ni lui dire qu’il s’agissait en réalité de tout cela à la fois. Visiblement satisfaite – et ignorante de la loi en vigueur – Rosie tendit les clés à Magalie :

« Tenez, lieutenant. Je vous fais confiance pour ne pas trop l’abîmer d’accord ?

- Bien évidemment mademoiselle. »

En farfouillant dans ses poches, Magalie sortit un billet tout froissé qu’elle mit dans la main de la jeune femme.

« Pour le taxi, se justifia-t-elle. »

Rosie s’éloigna jusqu’à retourner dans la boite de nuit pour passer un coup de fil et commander un taxi. Soulagée de ne pas avoir eu plus d’ennuis, et étonnée d’avoir réussi à relever le défi de Richard, Magalie fit signe aux trois garçons qui attendaient toujours de l’autre côté du parking de la rejoindre. Une fois tous réunis, ils entrèrent rapidement dans le vaisseau par peur que Rosie ne se rende compte de son manque avéré de jugeote. Une fois la bulle refermée autour d’eux et le vaisseau dans les airs, loin du Club Illusion, Magalie souffla et Richard éclata de rire. Le lieutenant lui jeta un regard de travers.

« Qu’est-ce qui vous fait rire ?

- Eh bien, vous, lieutenant.

- Moi, je vous fais rire ?

- Exactement, c’est ce que je viens de dire.

- Et pourquoi, monsieur MacHolland, je vous fais rire ? demanda Magalie, de plus en plus énervée par le comportement de l’architecte qui la défiait à la moindre occasion. Je vous écoute.

- Mais parce que je ne vous aurai jamais cru capable de le faire, chère lieutenant. »

Tout en parlant, Richard sortit une cigarette de sa poche. Il ne lui en restait plus que deux, il faudrait bientôt qu’il en rachète s’il voulait survivre à cette aventure. Il alluma l’embout de la clope qu’il porta aussitôt à ses lèvres. Il tira une longue taffe, soufflant la fumée par ses narines. En faisant cela, Richard venait d’enfumer l’habitacle du vaisseau tout entier, provoquant l’étouffement de Léopold qui toussait à s’en arracher les poumons. Pour autant, Richard n’éteignit pas la cigarette : non, il la porta une nouvelle fois à ses lèvres et expira lentement la fumée qui lui emplissait les poumons.

« Aucun membre d’équipage n’est… commença Magalie, rapidement coupée par MacHolland.

- Autorisé à fumer dans le vaisseau, je sais bien lieutenant.

- Alors pourquoi le faîtes-vous ?

- Parce que, voyez-vous très chère lieutenant, ici, nous ne sommes pas dans votre vaisseau, déclara Richard en insistant particulièrement sur le « votre ». De ce fait, votre règlement ne s’applique pas ici. Alors, je fume.

- Monsieur MacHolland… grogna Maggie sans savoir quoi dire de plus.

- Oui, lieutenant Pierce ? »

Les lèvres étirées au maximum de chaque côté de son visage, Richard détenait encore cet air de défi dans les yeux.

« Lieutenant, où est-ce qu’on va ? demanda le pilote.

- Je… Je…

- Lieutenant Pierce, vous disiez ? demanda Richard, toujours souriant.

- Je…

- Il me faut vos ordres, lieutenant, insista le pilote.

- Je… Magalie soupira. Bon, elle ne pouvait pas tout faire en même temps. Le plus important, c’était de retrouver le vaisseau de la brigade interstellaire, pas de répondre aux intimidations de Richard MacHolland. Dirigez-vous vers Saturne, il y a une casse géante sur la route, avec un peu de chance ils ont simplement volé l’électronique qui était à bord et l’ont laissé là-bas contre un peu d’argent, ordonna-t-elle. »

Grégoire hocha la tête, visiblement content d’avoir une mission précise. Ainsi aux commandes d’un petit vaisseau, il n’avait pas l’air à son aise : ses coudes tapaient sans cesse Léopold qui s’était assis à ses côtés, il appuyait sur tous les boutons à la fois sans le vouloir, il tournait le volant dans tous les sens sans résultat. Pour l’un des meilleurs pilotes de la brigade interstellaire, il n’était pas si bon, pensa Richard en le voyant faire.

« Direction Saturne ! s’exclama Léopold tel un enfant qu’on emmenait dans un magasin de jouets. Ou plutôt de bonbons, dans son cas. »

Magalie se renfonça dans son siège. Elle vérifia une, puis deux, et enfin trois fois qu’elle était bien attachée. Elle tira sur la ceinture pour s’assurer de sa solidité. Ensuite, elle tourna la tête vers les étoiles sans se préoccuper du provocateur assit à ses côtés. Maintenant, le lieutenant pouvait se concentrer sur son enquête, du moins sur ce qu’il en restait. Parce que sans vaisseau et sans dossier, elle ne pourrait pas aller bien loin. Il ne lui restait que ses intuitions et ses maigres souvenirs de la lecture du dossier Grassier le matin-même alors qu’elle n’avait pas pu boire son deuxième café tranquillement. Elle avait l’impression que tout cela s’était déroulé des siècles plus tôt. Elle n’avait même pas eu le temps d’appeler son père pour lui annoncer sa promotion… Il aurait été fier d’elle, mais désormais il le prendrait mal qu’elle ne lui en ait pas parlé aussitôt. Elle sentait déjà les reproches arriver : « oui, mais moi quand j’ai été promu, je l’ai tout de suite annoncé à mes proches, je n’ai pas attendu d’avoir risqué ma vie pour le faire, et gnagnagna et gnagnagna ».

« Lieutenant ?

- Mh.

- Lieutenant ? insista Richie.

- Mh ?

- Lieutenant !

- Mhhh ? »

Le cours de ses pensées dérangé par MacHolland, Magalie tourna la tête.

« Quoi ?

- Regardez.

- « Regardez » quoi ?

- Là !

- Où ?

- Mais là ! »

Un véritable dialogue de sourds venait d’être entamé entre le lieutenant et l’architecte. Magalie n’avait qu’une hâte : finir l’enquête et se débarrasser de Richard. Elle n’en pouvait plus d’être dérangée dans son travail par un homme tel que lui. Quelle connerie elle avait fait de le prendre comme consultant sur l’affaire… Il ne lui attirait que des ennuis depuis qu’il était arrivé dans le vaisseau ! La preuve : même le vaisseau en avait eu marre et avait disparu.

« Regardez, lieutenant. Je ne rigole pas, ajouta-t-il dans l’espoir – vain – de la rassurer.

- Mais où ça, Richard ?

- Juste là, là-bas, regardez. »

Richard pointait quelque chose dans l’espace de l’autre côté du vaisseau. Afin de discerner la forme qu’il montrait, Magalie dû se pencher sur Richard. Malgré elle, la proximité avec cet individu la fit rougir. Elle était gênée. Le malaise ne dura pas longtemps, rapidement estompé par ce qu’elle venait de voir.

« Bordel de merde, murmura-t-elle sans se rendre compte de la flopée de jurons qui venait de lui échapper.

- Lieutenant ! fit mine de s’indigner Richard.

- Désolé, désolé, maugréa Maggie. Grégoire ! appela-t-elle. A gauche, tout de suite ! »

Le pilote qui commençait peu à peu à s’habituer à la petitesse du vaisseau dû tout de même s’y prendre à deux fois pour tourner tout à fait dans la direction demandée par Pierce.

« Oh merde ! s’exclama Léopold en ayant vu ce que Richard montrait depuis dix minutes déjà.

- Merde, ça oui ! jura à son tour le pilote. »

Pour le moment, seul Richard n’avait pas utilisé le gros mot. Situation à laquelle il ne tarda pas à mettre fin :

« Merde, ouais merde ! Vous avez vu ça un peu !

- Bien joué l’architecte ! applaudit Léopold avant de taper dans la main de Richie. Tu gères !

- Oui, bien joué Richard, affirma Magalie Pierce bien plus calmement. »

En réalité, le calme de Pierce n’était qu’une apparence. Au fond, elle trépignait d’impatience et d’excitation. Le vaisseau ! Ils avaient retrouvé le vaisseau ! Bon, d’accord, tout n’était pas encore gagné. Vu la vitesse à laquelle Grégoire conduisait, ils réussiraient à rattraper leur vaisseau assez rapidement, en espérant qu’il soit abandonné. Or, Maggie se doutait bien que ça ne serait pas le cas. Les pirates – nom qu’elle donnait aux voleurs de vaisseaux – devaient simplement économiser les ressources du véhicule. La partie n’était pas encore gagnée, mais au moins ils avaient une chance de les rattraper et de reprendre l’enquête sur Sindy sans que Francis fut mis au courant de toute cette histoire. Une petite chance d’y arriver, c’était la seule chose qui redonnait espoir à Magalie Pierce.

« A fond Grégoire ! ordonna Maggie. »

Le pilote mit les gaz. Le vaisseau fit un bon en avant, les faisant se cogner aux sièges, aux portières et aux autres dans un même mouvement. Grégoire grimaça :

« Oups. J’ai oublié de changer de vitesse. »

Magalie pinça les lèvres. Si l’instant n’avait pas été aussi important, pour ne pas dire grave, elle aurait bien ri. Oui, même si cette enquête commençait mal et que la journée avait été pire que mauvaise, au moins l’équipe n’était pas trop nulle. Enfin, si, par ses capacités. Entre elle qui n’avait pas confiance en elle, son brigadier qui ne savait rien faire de ses dix doigts, son pilote qui était tête en l’air et son consultant qui ne servait à rien, l’équipe était absolument nullissime. Pourtant, Magalie ne la trouvait pas si mal grâce à l’ambiance qui régnait entre eux tous : depuis que les choses avaient été mises au clair entre Léopold et Richard pendant le jeu, les tensions étaient redescendues et ils s’entendaient tous plus ou moins bien. Au moins, c’était toujours cordial, c’était le principal.

« Combien de temps avant de les rattraper ? demanda le lieutenant qui n’avait pas accès au tableau de bord du véhicule.

- 3 minutes et 18 secondes, lieutenant, répondit Léopold qui avait retrouvé son entier sérieux.

- Bien. Grégoire, reste à cette vitesse et prépare-toi à la possibilité qu’ils redémarrent devant, d’accord ?

- Oui, lieutenant, bien, lieutenant.

- Et moi ? demanda Richard.

- Vous, Richard ? Mais, vous, vous restez là, vous ne bougez pas et vous ne parlez surtout pas, insista Maggie.

- Un « merci » pour avoir retrouvé le vaisseau aurait suffi, chère lieutenant.

- Vous avez fait votre travail, je n’ai pas à vous remercier pour ça. »

Volontairement, Maggie redevenait froide avec l’architecte. D’accord, il les avait surpris en repérant le vaisseau. D’accord, il les avait agréablement surpris. Mais ce n’était pas une raison pour en oublier tout ce dont il était capable : Richard n’était qu’un inconscient, un insouciant, qui ne faisait rien d’autre que de courir après les conquêtes. Non mais, et puis quoi encore ? Il voulait qu’on lui décerne une médaille pour quelque chose que n’importe qui aurait pu faire à sa place ? Bah bien sûr. Il pouvait toujours rêver.

« Combien de temps ?

- 2 minutes et 36 secondes.

- Bien. »

Grégoire poussa encore un peu plus le vaisseau. Ils allaient aussi vite qu’ils le pouvaient et se rapprochaient à une allure considérable. Bientôt, ils pourraient aborder le vaisseau tenu par les pirates. Magalie attendit que Léopold lui annonça qu’il restait moins d’une minute pour se redresser. Les coudes appuyés sur les cuisses, Magalie se concentra. Si elle avait cru en une divinité supérieure, elle aurait prié pour qu’elle empêche les pirates de repartir. Peut-être aurait-elle dû tout de même prier…

« Lieutenant, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Grégoire dont la voix trahissait l’affolement lorsqu’il vit leur vaisseau reprendre la route à toute vitesse.

- Bon dieu mais suivez-lez ! Allez !

- Ou…Oui, lieutenant. »

Le vaisseau vira tout à fait à droite, suivant de près les pirates qui accéléraient encore. Ils commençaient à creuser la distance entre les deux véhicules. Magalie se mordit les lèvres. Elle porta la main à la bouche et commença à se ronger les ongles, les uns après les autres. Elle était stressée. Profondément stressée. A partir de là, n’importe quoi pouvait se passer. Ils pouvaient avoir un accident. Les pirates pouvaient leur échapper. Ils pouvaient tomber en panne. La seule chose bien qui pouvait se passer, c’était de rattraper le vaisseau de la brigade interstellaire, son vaisseau. Mais Magalie était pessimiste quant à ses chances d’y parvenir. Alors elle demandait toutes les trente secondes :

« Combien de temps ? »

« Combien de temps ? »

« Combien de temps ? »

Et plus elle posait la question, moins la réponse de Léopold lui plaisait. Ils perdaient du temps. Elle perdait du temps. Les pirates conduisaient vraiment bien. Ils zigzaguaient entre les quelques astéroïdes qu’ils croisaient sans problème. Ils évitaient les autres véhicules spatiaux au dernier moment sans jamais risquer l’accident fatal. Ils ne faisaient rien de mal. A part qu’ils avaient volé son vaisseau. Et plus ça allait, plus le temps passait, plus Magalie se sentait mal. Enervée. Angoissée.

« Combien de temps ?

- On a perdu huit secondes. »

« Combien de temps ?

- On a gagné deux secondes. »

« Combien de temps ?

- Sauf votre respect, vous venez juste de le demander, lieutenant.

- Ah… »

Bientôt, Magalie n’eut plus d’ongles à ronger. Richard faillit bien lui proposer ses ongles de pieds qu’il n’avait pas coupé depuis quelques temps, mais il s’en retint. Lui aussi n’en menait pas large quant à la situation. D’un côté, il était mal pour Magalie qui risquait gros s’ils ne parvenaient pas à rattraper l’autre vaisseau. De l’autre, il était bien heureux de ce qui se passait : non mais, ils faisaient une course poursuite ! Une vraie course poursuite ! Dans l’espace ! Comme dans les films ! Après avoir réquisitionné un véhicule sans même en avoir le droit ! Quelle belle soirée…

« Combien de temps ?

- On vient de gagner dix-sept secondes lieutenant ! Ils ralentissent ! »

Le cerveau de Magalie Pierce tournait à toute allure dans sa tête. Elle réfléchissait à toutes les options qu’ils avaient, calculait les probabilités, définissait leurs chances d’en arriver à leurs fins. Elle eut un hoquet de surprise lorsque le vaisseau, celui dans lequel elle se trouvait, cahota. Une fois. Deux fois.

« Lieutenant…

- On va tomber en panne c’est ça ? »

Grégoire acquiesça d’un mouvement de tête.

« Eux aussi, fit remarquer Richard qui était resté silencieux jusqu’alors.

- Il suffit qu’ils tombent en panne avant nous, souffla Magalie. »

Comme s’il s’agissait d’un miracle, de celui qu’elle attendait depuis le début de toute cette histoire, le vaisseau floqué du logo de la brigade interstellaire s’arrêta d’un seul coup. Magalie faillit s’étouffer avec sa salive. Elle toussa.

« Ils… Ils sont vraiment arrêtés ? demanda-t-elle, en proie au doute.

- Apparemment oui, lieutenant. »

Grégoire était tout aussi étonné qu’elle. En vérité, ils l’étaient tous. Pour la première fois de la soirée, de la journée même, la chance leur souriait enfin un peu. Magalie se tint alors tout à fait droite et ordonna :

« Grégoire, approche-toi au maximum de la trappe. Léopold, quand on y sera, tu forceras l’ouverture. Fais attention, ajouta-t-elle plus doucement, ils pourraient être armés et attendre à l’entrée. 

- Bien lieutenant.

- Oui lieutenant. »

Le pilote avança encore un peu plus près le vaisseau jusqu’à se trouver parfaitement en dessous de l’autre. Une fois cela de fait, Léopold se glissa à l’extérieur : par ses gènes, il n’avait absolument pas besoin d’oxygène pour respirer. Il s’agrippa au bord du vaisseau de la brigade interstellaire et trouva la poignée permettant d’actionner l’ouverture manuelle de la trappe depuis l’extérieur. Pendant ce temps, Maggie souleva sa jupe le long de ses cuisses sous l’œil aiguisé de Richard qui ne manquait pas une seule miette du spectacle. Pierce portait une jarretelle bleu marine, assortie à sa jupe. Sous cette jarretelle, un Glock 22 taquinait sa cuisse. Richard se passa la langue sur les dents. Magalie sortit le pistolet de sa cachette, remit doucement en place sa jupe et sortit du véhicule. Sans que Richard ne s’en fut rendu compte, Léopold avait ouvert la trappe et Grégoire avait posé le vaisseau dans la soute du plus grand.

« Richard, sortez du vaisseau. Cachez-vous derrière les escaliers et ne bougez surtout pas, lui ordonna-t-elle. »

Sentant qu’il n’avait pas vraiment le choix – et qu’il le valait mieux pour sa vie – Richard obéit le plus silencieusement possible. D’un mouvement de tête entendu, Magalie Pierce fit signe à son brigadier et à son pilote de la suivre. Richard, lui, attendit patiemment qu’ils viennent le chercher. Une minute. Deux minutes. Cinq. Dix. Un quart d’heure. Après plus d’une vingtaine de minutes à attendre dans son coin, Richard finit par sortir de sa cachette : aucun coup de feu n’avait retenti et il entendait des voix qui discutaient de l’autre côté, sur la passerelle.

« Lieutenant ? appela-t-il, hésitant.

- Ah ! Richard ! Désolé, je vous avais complètement oublié, avoua-t-elle. Venez, venez, il n’y a aucun risque. »

Richard s’approcha. Dans la passerelle, le lieutenant, Léopold et Grégoire se tenaient aux côtés de deux hommes maigrichons. L’architecte ne comprit pas de quoi il en retournait. Il ne se rapprocha donc pas plus que nécessaire, préférant se mettre contre la fenêtre comme à son habitude. Il capta cependant quelques bribes de la conversation.

« Qui êtes-vous ? demanda Pierce. Vous venez d’où ? Pourquoi vous avez pris notre vaisseau ?

- Je m’appelle Léon, répondit le plus âgé des deux. Et voici mon fils, Kay. On vient de Mars.

- Kay ? Mars ? releva le lieutenant qui semblait de plus en plus intéressée par la tournure que prenaient les choses.

- Euh… Lieutenant ?

- Pas maintenant MacHolland.

- Vous devriez pourtant regarder ça… »

Magalie soupira, excédée par le comportement de son consultant. Elle était certaine de connaître le nom de ce Kay, mais elle ne savait pas d’où. Elle se retourna et avança vers la fenêtre où se tenait Richard.

« Quoi ? réitéra-t-elle, froidement.

- Juste là, en bas. Regardez. »

Magalie grogna. Elle fronça les sourcils. Là, en bas, le vaisseau qu’elle avait réquisitionné au nom de la police interstellaire dégringolait dans l’espace. Grégoire et Léopold s’approchèrent.

« J’ai dû oublier de mettre le frein, supposa le premier.

- Et moi de fermer la trappe, ajouta le second. »

Quelques secondes plus tard, un autre véhicule arrivait à toute allure. Le choc était inévitable. Les deux vaisseaux se rentrèrent dedans avec une puissance phénoménale créant une grosse explosion les réduisant en miettes.

En cendres.

« Vous aviez pas promis à cette fille de lui ramener son vaisseau sans une égratignure ? releva MacHolland. »

 

 

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Alice_Lath
Posté le 22/10/2020
Mmmh, eh bien... Je sais pas comment ils les recrutent, leurs pilotes, mais c'est... compliqué, surtout qu'ils ont un système solaire entier à disposition pour ça Oo et question bête, mais comment Léopold fait pour sortir du petit vaisseau sans tuer tout le monde ? Et pour se déplacer dans l'espace ? Parce que ça m'a l'air un peu galère toute cette histoire quand même haha
Jsuis un poil plus dubitative sur ce chapitre, genre le passage des ongles de pied, ça m'a pas fait spécialement rire ^^" Autant le précédent était très cool, autant jsuis pas forcément fan de celui-ci, je lui trouve un côté peu vraisemblable sur certains aspects.
Genre, que suite à une embardée, la trappe s'ouvre et le vaisseau tombe, jpeux l'entendre. Mais là, c'est tendu haha. Surtout que si la trappe était ouverte, jamais Richard aurait pu quitter le vaisseau et avec l'apesanteur, ils auraient très très vite remarqué le problème. Et je ne parle même pas des températures spatiales hahaha
Melau
Posté le 22/10/2020
Oui je comprends tout ce qui te gêne ici, et ce n'est absolument pas vraisemblable (et ce n'était pas le but, si ça peut te rassurer un minimum !). J'essaie vraiment de jouer sur un comique de caractère et de situation, l'invraisemblable intervient nécessairement dans ce cas. Mais trop, ça perturbe, normal :')
haroldthelord
Posté le 13/10/2020
Coucou,

j’ai repéré une petite coquille à la fin du cinquième gros paragraphe entre ( entendre) richard dire
deuxième coquille Bon dieu mais suivez-lez (les)
Je suis d’accord avec le Saltimbanque c’est une belle bande de bras-cassés, la fin c’est vidéo gag.
Alors sans aucune piste il retrouve miraculeusement leur vaisseau, j’aurais plutôt pensé que Rosie avait fait le coup mais vu qu’elle était toujours là, ça ne tenait pas.
Enfin, pourquoi n’ont-ils pas fait appel à un taxi ou carrément voler une voiture ?
Melau
Posté le 13/10/2020
Salut !

J'ai noté les coquilles, merci d'avoir pris le temps de les relever !
Il n'y a pas nécessairement d'explication ;) Ici (de mémoire, ce chapitre a été écrit il y a plusieurs semaines), Maggie suppose bien que le vaisseau a dû être embarqué pour pièces ou quelque chose comme ça, c'est comme les vols de voiture si tu veux, au bout d'un moment les forces de l'ordre on l'habitude et savent où commencer à chercher. Après, comme je l'ai dit à Saltimbanque, j'avoue que j'ai bien forcé le trait sur tout ce qui se passe dans ce chapitre.
Et puis, pour ta dernière remarque, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? (je rigole, bien évidemment).

En tous cas, merci pour tes commentaire, comme toujours, et j'espère que la suite te plaira tout de même :)
Le Saltimbanque
Posté le 12/10/2020
J'avais qualifié cette équipe d'une "belle bande de bras-cassés", mais je me trompais. On est en présence d'une belle bande d'incapables, me faisant beaucoup questionner sur leurs compétences ordinaires en tant que policier.

En tout cas, on est en face du chapitre qui mérite le plus la mention "action", mais bizarrement, ce n'est pas l'action qui est particulièrement intéressante ici. Plus les interactions entre les personnages et leurs conneries respectives.

Pierce se lamente BEAUCOUP dans ce chapitre, et ne fait pas beaucoup avancer le schmilblick. Dès qu'elle fait quelque chose d'utile, c'est souvent parce qu'elle suit les conseils des autres (surtout Richard) ou reposent sur leurs compétences (de conduite de Grégoire surtout). Je n'ai pas compris pourquoi elle est autant énervée que Richard aperçoit le vaisseau en premier... jalousie ? la goutte qui fait déborder le vase ?

Point de vue de Pierce qui commente en détail tout ce qui se passe, explique méticuleusement les tenants et aboutissants de toutes ses actions, ce qui ma souvent donné une impression de lourdeur. EX : la négociation pour avoir la voiture de Rosie, à chaque réplique, Pierce explique en détail ce que j'avais déjà compris par le dialogue (car très bien écrit de base). Autre exemple: quand Pierce commente les relations actuelles entre les membres de son groupe, elle ne fait que platement présenter ce que j'avais parfaitement compris (encore une fois, par les dialogues et interactions).

Donc oui, au final, je donnerais plutôt un avis mitigé sur ce chapitre. Les personnages atteignent un niveau de bouffonnerie à la limite du crédible (non mais sérieusement, oublier de mettre le frein ?? pour un pilote professionnel ????), Pierce qui se plaint et est assez souvent insupportable (alors que c'est un peu de SA faute si SON vaisseau avait été laissé sans surveillance sur le parking), et trop d'abus de surexplication qui ralentissent ma lecture.

Continue, toujours. Je suis toujours friand de ces personnages, l'univers est encore vaste et inexploré, et bordel je me demande vraiment ce qui est arrivé à cette pauvre Sindy !
Melau
Posté le 13/10/2020
Hey !

Bon, je vais essayer de tout reprendre dans l'ordre du coup !

Pour ce qui est de Pierce, je suis partie du principe qu'il s'était passé beaucoup de choses dans sa vie en quelques heures : promotion, se retrouver avec une affaire comme celle-ci, être en pleine redescente suite à l'alcool ingéré, et la fatigue. Après, je l'ai peut-être beaucoup calquée sur ma manière d'être et sur mon entourage. La susceptibilité vient de là ! Et oui, elle est jalouse de Richard : lui, alors que c'est loin d'être son boulot, il retrouve le vaisseau au petit bonheur la chance, alors qu'elle, elle en est incapable.

Par contre, je te remercie de pointer du doigt encore une fois ce problème que j'ai de toujours vouloir TOUT expliquer. J'ai peur de perdre mon lecteur. Les dialogues, c'est clairement pas mon fort, alors je réexplique derrière. En tous cas, c'est noté et j'y retravaillerai ! Un axe d'amélioration, merci !

J'avoue aussi que j'ai ENORMEMENT forcé le trait sur Grégoire et Léopold... Ce ne sera ni la première, ni la dernière fois, je le crains (au moins dans les chapitres qui sont déjà écrits).

J'espère que la suite te plaira tout de même ! Et promis, la deuxième partie du roman sera plus centrée sur l'affaire !
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