Chapitre 8 — Ben

Parmi les choses que je détestais le plus dans cette entreprise, cette salle de réunion en faisait. Cette salle était tellement blanche qu'elle en brûlait les yeux et on se retrouvait à fermer une grande partie des volets. Évidemment, c'était tout ce qu'il y avait de blanc par ici. Parce qu'à chaque fois que je me retrouvais dans cette salle, c'était pour une histoire tout aussi horrible que la précédente.

A chaque fois, je retrouvais des clients, des actionnaires et tout un tas de personnes qui usaient à outrance des services de l'entreprise ou faisaient pression pour obtenir quelque chose sans grand intérêt parfois.

Cette après-midi encore, on recevait un énième client qui avait eu un conflit dans sa famille. Un conflit d'une telle ampleur qu'il avait perdu le contact avec un de ses proches et tentait désespérément de le recontacter. Comme toujours, ce conflit n'était pas à propos d'une futilité mais probablement d'une sale affaire qu'il omettait volontairement.

— Je vais transmettre le dossier à notre affaire, annonça Trilla après conclusion d'un accord.

Alors que le client s'apprêtait à se lever et quitter les lieux, je le retins :

— Ne pensez-vous pas que votre sœur ait pu vouloir couper les ponts et, par conséquent, que vous ne cherchiez pas à la recontacter ?

Trilla se tourna vers moi en fronçant les sourcils et la lèvre inférieure légèrement tombante, tandis que notre client était plus prompt à afficher un brin de colère sur son visage.

— Je vous paie, vous faites votre travail, c'est tout ce que je vous demande, me répondit-il, l'air grave.

Ses mains se posèrent sur la table et je voyais qu'il le faisait uniquement pour ne pas serrer son poing inconsciemment, ce qui trahirait ses émotions. Je croisai mes mains et posai mes coudes sur la table pour m'approcher légèrement de lui. J'eus comme la sensation qu'il prit ce geste comme une attaque quand ses doigts — qu'il se forçait à maintenir immobile — tremblèrent un bref instant.

— Vous avez signé un contrat avec nous. Parmi les clauses, nous avons un droit de regard sur le travail demandé, et il y a toujours possibilité de rompre ce contrat à tout moment.

Un sourire narquois — et peut-être aussi un peu nerveux — se dessina sur son visage. Il croisa les bras et s'affala dans son dossier, s'appuyant sur son dossier avec nonchalance, ce qui contrastait beaucoup avec son costard soigné et son attitude qui se voulait distinguée en apparence.

— Kylo Ren... Je te connais à peine espèce de petite merde. Mais je te rappelle que t'as beau détenir cette entreprise qui vaut, certes, des milliards, tu n'es qu'un opportuniste. Un petit fils de pute qui s'est pointé le bon jour quand son patron est mort. Ou qui l'a peut-être tué, qui sait ? De toute manière, tu n'as aucune idée d'à qui tu parles. Parce que moi, les milliards, je les ai eu de moi-même et je ne me gênerai pas pour t'écraser si tu refuses de me donner ce que je veux.

Il décroisa ses bras et posa son index sur la table comme pour renforcer ses propos. Même si j'avais terriblement envie de le gifler, je me contentais de prendre une longue inspiration.

— À ta place, je prendrais l'argent et je fermerais ma gueule. Parce que tu pourrais partir tout aussi vite que tu es venu.

Malheureusement, je devais lui reconnaître ce point, contrairement à sa fortune. Tout le monde savait qu'Andrew Blaese avait hérité une grande partie de sa fortune et avait créé son empire de suite d'hôtelleries à partir de celle-ci. Il n'avait pas plus de mérite que moi. Mais lui, il avait bien plus de pouvoir que moi et en aurait toujours.

Trilla ne cessait de me fixer et son regard était menaçant, pour m'alarmer de ne pas déconner, surtout pas avec un de nos plus gros clients.

Je décroisai mes mains et me redressai tout en ajoutant :

— Je vous prie de m'excuser pour cette question indiscrète. Ce n'était qu'une information pour mieux préparer nos recherches futures. Mais nous ferons sans.

Ma collègue fronça de nouveau les sourcils, mais plutôt pour exprimer à quel point mes propos venaient de la perdre. Puis elle reprit son sérieux — ou son masque — et se tourna vers notre client :

— En effet, ce que monsieur Ren voulait mettre en évidence, c'est que certaines personnes ne laisseront pas le même type d'informations derrière en fonction de ceci. Certaines personnes préparent déjà en amont de supprimer leur trace tandis que d'autres vont laisser des tas d'indices à cause de failles humaines que nous avons tous.

S'il y avait bien quelque chose que Trilla maîtrisait à la perfection, c'était de pouvoir perdre son interlocuteur à base de longs discours usant de nombreuses argumentations fallacieuses que peu étaient capables de remarquer. Elle savait perdre son auditoire à sa guise, que ce soit pour une bonne cause ou non.

— Excusez mon comportement dans ce cas, reprit-il en se redressant à son tour. Je suis un peu sur les nerfs depuis ma dernière discussion avec elle et je veux juste lui parler, ce qui est important pour notre famille. La famille est une valeur extrêmement importante à mes yeux et si vitale que je ne veux pas la perdre.

Ce discours, je l'avais entendu des dizaines et des dizaines de fois. Au début, j'y croyais naïvement, parce que Snoke m'avait poussé à croire que nous n'étions pas des infâmes connards aidant d'autres infâmes connards. Malheureusement, maintenant, je savais que ce n'était qu'une illusion. Une manière de détourner le problème et de se faire passer pour une victime.

Je me levai et m'approchai de lui. Il se leva à son tour et je lui tendis ma main :

— Ne vous en faites pas, on retrouvera votre sœur et vous pourrez alors avoir cette discussion que vous espérez tant avoir avec elle.

— Merci bien.

Je m'attendais à ce qu'il me serre brièvement la main, mais il l'empoigna violemment et la secoua à plusieurs reprises. Il voulait me montrer qu'il menait cette danse, qu'il était le roi dans cette situation. Je ne faillis pas et me contentais de lui sourire. Ce sourire complaisant qui provenait de mon meilleur masque.

Il finit par lâcher ma main endolorie. Il salua brièvement Trilla — qui devait probablement l'effrayer, puis quitta la pièce.

Je soupirai longuement et me tournai vers mon associée. Elle posa un coude sur la table et sa tête prit appui sur sa main d'un air las.

— T'as quand même failli foutre en l'air ce contrat...

— À ton avis, il la recherche pour quoi ? Pour s'en prendre physiquement à elle, lui soutirer de l'argent ?

— Je sais que la morale est très compliquée dans notre entreprise... Mais tu viens quand même d'apercevoir le semblant de réputation que tu commences à avoir. Celle d'un tueur. Tu ferais mieux de te calmer avant que quelqu'un décide de t'éliminer...

Je passai mes mains sur mon visage. Elle n'avait pas tort. Ma vie était aussi en jeu, ce que j'avais tendance à négliger par moment, comme si je me fichais de disparaître du jour au lendemain.

— J'aurais mieux fait de trouver un moyen de me débarrasser de cette entreprise dès que j'ai appris la mort de Snoke au lieu de vouloir essayer de changer les choses.

— Tu sais très bien que tu n'aurais rien pu faire dès le jour J. C'était déjà foutu. Notre destin était déjà tout tracé par Snoke. Si on refusait de reprendre cette entreprise et tout ce que ça implique, des gros clients comme Blaese nous auraient mis la pression pour qu'on la reprenne, quitte à nous torturer.

— Et ils auraient fait quoi ? Concrètement, ils auraient fait quoi ?

— T'as oublié ce que Snoke t'a fait. Regarde ton père... Et la prochaine sur la liste, ç'aurait été Rey. Tu le savais qu'elle allait être la prochaine victime, c'est bien pour ça que tu l'as quitté.

Je ne pouvais m'empêcher de repenser à mes dernières interactions avec Rey. Je revoyais son doux visage dans mes souvenirs. Son sourire rayonnant, ses yeux débordants de joie quand on était ensemble. Dès le moment où Snoke avait enclenché son foutu plan, je savais que je la perdrais d'une manière ou d'une autre...

— Je ne l'ai pas quitté. Elle m'a quitté.

— T'as fait en sorte qu'elle te quitte. C'est tout comme. Tu as poussé cette relation à sa chute.

Je pris un temps de pause. Je n'arrivais même pas à me dire qu'elle avait tort ou raison. De toute manière, je ne comprenais plus grand-chose à cette situation, juste que j'étais dans la merde, impuissant, et que j'avais envie que tout cela cesse...

— Peut-être qu'on devrait en discuter un autre jour. Ça te dit de passer la soirée chez moi autour d'un verre juste pour te détendre avant le week-end ?

— J'avoue que je ne serais pas contre un petit remontant ! lança-t-elle, toute joie.

Un grand sourire s'était dessiné sur son visage et c'était assez rare de la voir aussi détendue. Peut-être que ce n'était qu'un masque — encore une fois.

 

*

 

Le simple remontant se transforma rapidement en plusieurs verres au cours de la soirée, ce qui était bien prévisible. Nous étions complètement dans un état second et Trilla avait fini par s'asseoir par terre, le dos contre le canapé. Ça lui permettait notamment d'avoir un meilleur accès au paquet de chips sur la table basse en face. De mon côté, je m'étais allongé dans le canapé pour fixer le plafond, l'air vide.

— Tu penses encore à elle ? me demanda-t-elle en se tournant vers moi.

Mon regard se posa de nouveau sur la brune. D'habitude, elle était prête à me faire la morale et à me dire qu'il valait mieux que je passe à autre chose, peu importe les raisons apparentes. Mais cette fois-ci, il y avait de la douceur dans son regard, elle était prête à mettre de côté le travail pendant un court moment.

— Bien évidemment... Et je me sens un peu con parce que c'était une relation assez courte quand on y pense.

— Ça ne veut rien dire...

Elle baissa son regard un instant et je compris que quelque chose de profond venait de ressortir de son côté, suffisamment pour que ses yeux s'humidifièrent. Je me levai pour m'asseoir à ses côtés, prêt à l'écouter.

— Avant Snoke... J'avais quelqu'un. Un homme formidable qui ne me prenait pas pour un monstre et qui respectait mes limites.

Elle évita mon regard et je l'écoutais attentivement. Parce que, pour la première fois, elle s'ouvrait vraiment à moi. Elle avait toujours ce masque de personne extrêmement froide, mais elle avait tout aussi morflé que moi.

— Mais il y avait Snoke et il m'a fait subir la même chose que toi... Et j'arrivais plus à me contrôler. Alors mon copain s'est retrouvé à subir mes sautes d'humeur et comme j'avais vraiment trop peur qu'il découvre tout, je l'ai quitté. Et je m'en veux...

Elle mordit ses lèvres comme pour retenir un sanglot.

— Snoke n'est plus là, on ne devrait pas s'interdire de renouer le contact que ce soit avec ton copain pour toi, ou Rey pour moi, lançai-je impulsivement.

— Devrais-je te rappeler qu'on est même plus maîtres de nos vies, même après sa mort ?

On craignait tous les deux de se faire rattraper par les évènements, des évènements qu'on était incapable de mesurer. Certes, je commençais à avoir une réputation de meurtrier... Mais était-ce si grave ? Probablement pas pour ce point. Mais les autres...

— Regarde le nombre d'ennemis qu'on a et qu'on ne peut rien faire contre, imagine s'ils s'en prennent à Rey !

— Il y a forcément un moyen pour qu'on puisse jouer avec leurs règles et retourner tout ça contre eux, et que, même si cette boîte coule, ils ne chercheront pas à se venger.

— On a des clients bien plus puissants que nous.

— Tu n'as donc pas d'espoir que ça puisse s'arranger ?

Elle me regarda, l'air peiné, puis après une longue inspiration, elle me répondit :

— Pas vraiment non. On est foutu.

— On est capable de trouver des tas d'informations à la demande de nos clients, on pourrait tellement retourner ça contre eux d'une manière ou d'une autre.

— Et tu seras une cible à abattre...

Malheureusement, Trilla était bien plus réaliste que moi. Elle savait qu'il n'y avait plus de lumière au fond du tunnel, et ce, depuis longtemps. De mon côté, j'avais encore ce peu d'espoir qui était lentement en train de mourir...

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Jess Swann
Posté le 01/12/2020
Ah mais comment Snoke fait-il donc pour maintenir une telle pression même après sa mort ? j'aime de plus en plus Trilla, je suis même surprise que Ben ne succombe pas un petit peu lol
MissRedInHell
Posté le 02/12/2020
Je vais détailler de plus en plus dans les prochains chapitres. J'avais un peu écrit certains éléments avec une ligne directrice, mais pas tous les détails. Ça s'affine petit à petit ^^

J'avoue que j'hésite à faire quelque chose entre eux, mais j'aime bien aussi l'idée qu'il n'y ait rien. Toujours un dilemme quand même :')
ManonSeguin
Posté le 24/11/2020
"Ben" pour espoir. Il faut qu'il en ait ;___; Sinon je pleure, je crie et je me roule en boule pendant trois mois.
Le plus terrible c'est qu'ils se savent condamnés, comme les deux rats à bord d'un navire coulant...Ils savent que y'a de l'eau partout et que c'est la fin et pourtant... Je ne sais pas ce qui fait le plus mal à ce stade de leur vie : Leur grande solitude qu'ils comblent en illusions en se disant qu'il y a l'un ou l'autre ou bien justement ce mensonge qui se serve sur un plateau d'argent en mode "ça va aller" alors que non, ça ne va pas aller :(
MissRedInHell
Posté le 24/11/2020
Désoléééééée ! Pour le moment, c'est clairement pas joyeux et j'ai bien foutu le bordel /o/
En même temps, je suis douée pour foutre du bordel, donc je n'allais pas m'en priver hihi :3
Mais il y aura de l'espoir, t'inquiète ! :D
ManonSeguin
Posté le 24/11/2020
BEN IS HOPE !!!!!
MissRedInHell
Posté le 24/11/2020
I KNOOOOWWWWW
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