Chapitre 8

Par Bow

J’avais vérifié au moins quinze fois que ma chambre était présentable. J’avais scruté chaque objet qui s’y trouvait, anticipant chaque réaction que tu pourrais avoir à sa vue, enlevant tous ceux qui pourraient potentiellement provoquer chez toi un jugement négatif. J’avais rangé, dépoussiéré, passé l’aspirateur. J’avais seulement laissé trainer quelques papiers sur mon bureau, pour que tu ne t’imagines pas que j’aie fait trop d’efforts à ton égard – bien que c’eût été le cas-. Je m’étais préparé moi aussi, vérifiant sans cesse dans le miroir que mes cheveux étaient bien en place, que je n’avais aucune tâche sur mes habits ni aucun bouton qui serait apparu soudainement. Là encore, j’avais peur de trop en faire. Pas plus de parfum que d’habitude ni plus de gel, mes habits préférés mais pas ceux qui sortaient de l’ordinaire. Il fallait rester simple. Tout était prêt bien avant que tu n’arrives. J’attendais, assis sur mon lit que j’avais bien fait, sans oser trop bouger par peur de le défaire. Je voulais que le temps passe plus vite, et en même temps j’avais peur que le moment fatidique arrive. Je me sentais stressé et impatient.

Après un long moment passé à attendre, le bruit assourdissant de la sonnerie faillit m’infliger un arrêt cardiaque. J’avais beau m’y être attendu, je me sentis pris au dépourvu. Ma mère m’appela d’en bas.

— Je te laisse ouvrir ?

— Oui ! criai-je en sortant de ma chambre.

Je dévalai les marches quatre à quatre et me précipitai vers la porte pour appuyer sur le bouton. Ma mère était dans la cuisine, une tasse de café à la main.

— Je vous laisse, je vais dans le bureau.

Elle avait dit ça en souriant, comme s’il y avait un sous-entendu. Elle s’imaginait que sa présence nous gênerait. J’aurais voulu lui dire que ce n’était pas ce qu’elle croyait, que tu n’étais pas ma copine, mais mon esprit fut déconcentré par un sms que tu venais de m’envoyer.

« C’est quel étage déjà ? »

J’écrivis aussi vite que je le pus, comme si tout dépendait de la rapidité de ma réponse. J’avais peur que tu ne changes d’avis, ne sachant pas à quel étage aller, que tu te dises que ça n’en valait finalement pas la peine et rebrousses chemin. J’avais l’impression que ta venue ne tenait qu’à un fil alors même que tu étais en bas de chez moi.

« 4ème »

Le message était envoyé, dans quelques secondes tu serais là. Je respirai un grand coup. J’entrouvris la porte pour que tu n’aies pas besoin de chercher laquelle était la mienne. Je ne savais pas où me mettre, je trouvais ça idiot d’attendre comme ça devant la porte. Je fis quelques pas à travers la pièce. Quand j’entendis enfin l’ascenseur arriver, je me précipitai vers le couloir. Au moment où tu m’aperçus, tu te mis à sourire.

— Ah, salut.

— Salut, répondis-je. Viens entre.

Tu me suivis à l’intérieur et enlevas tes chaussures dans l’entrée.

— Je vais ranger ton manteau, proposai-je.

Tu enlevas celui-ci ainsi que ton écharpe et me les tendis. Pendant que je mettais le tout sur un cintre, tu avanças dans l’appartement et t’éblouis face à la fenêtre de la cuisine. Nous étions en février, et le soleil préparait son coucher en donnant tout ce qu’il pouvait de son éclat. Moi je te regardais toi, tu portais un pull cerise à grosses mailles et tes cheveux étaient comme toujours ondulés mais ordonnés. Je te trouvais jolie, et je n’en revenais pas que tu sois actuellement chez moi.

— On peut aller dans ma chambre si tu veux, dis-je timidement.

Tu hochas la tête.

— Ok, je te suis.

Je me dirigeai alors vers les escaliers et tu marchas derrière moi. Je fis chaque pas en me demandant ce que tu pouvais bien penser, si tu trouvais que c’était joli chez moi, comment tu allais juger les photos qu’il y avait dans les escaliers. Mais je ne me retournai pas, ne sachant même pas où se posait ton regard. J’ouvris finalement la porte de ma chambre et m’arrêtai pour te laisser y entrer.

— Voilà, dis-je sans vraiment savoir pourquoi.

Lorsque tu entras dans ce qui était ma pièce à moi, tu laissas rapidement ton regard se promener d’un bout à l’autre. Puis tu avanças vers la fenêtre.

— Oh, tu as une belle vue, remarquas-tu.

J’en étais moins convaincu que toi, mais il était vrai que les immeubles voisins n’étaient pas les plus laids de la ville.

— Oui c’est vrai.

Tu te retournas vers moi, attendant la suite. Je désignai le bureau. J’étais exprès allé chercher une chaise en bas pour la mettre à côté de la mienne.

— On peut s’asseoir si tu veux.

 

Je n’étais pas très à l’aise. Je sentais ma faiblesse dans chaque mot, dans chaque tonalité de voix qui sortait de ma bouche. Moi qui voulais faire bonne impression, te donner l’image d’un mec cool et sûr de lui, je devais avoir l’air d’un garçon timide et fragile. De toute manière, tu ne semblais pas te soucier beaucoup de moi. Tes yeux parcouraient en boucle la même phrase de l’énoncé de l’exercice que nous devions rendre le lendemain.

— Ça ne veut rien dire, murmuras-tu.

— Mais si, c’est moins compliqué que ça en a l’air.

Tout était si clair dans ma tête que je n’arrivais pas à trouver les mots pour t’expliquer ce que tu ne comprenais pas. J’essayai alors de faire l’exercice moi-même, en t’expliquant chaque étape. Tu lâchas une série de petits « ok », dont certains paraissaient plus francs que d’autres, à chacun de mes procédés. Mais quand je te proposai de faire toi-même la question qui suivait, je vis ton visage virer au blanc. Tu pris néanmoins ton stylo sans broncher et écrivis sur ton cahier « 4. » car c’était le numéro de la question. Passée cette étape élémentaire, plus rien ne se passa. Je vis se dessiner sur ta figure une expression que je vois encore très bien aujourd’hui. Tu étais concentrée à chercher au plus profond de ton esprit la manière de résoudre ce problème, et toutes tes idées avaient l’air de se brouiller entre elles. Tes sourcils étaient légèrement froncés et tes lèvres pincées, et de petits éclairs semblaient traverser régulièrement tes yeux à chaque fois qu’il te venait un fragment de réponse, pour ensuite s’évanouir sur le papier blanc à carreaux. Je ne pouvais m’empêcher de contempler ton visage, je le trouvais fascinant. J’avais presque envie que tu ne trouves jamais la solution, pour continuer à regarder ces petits éclairs de génie qui révélaient la tempête qui bouillonnait dans ton esprit.

D’un geste brusque, tu lâchas soudain ton stylo et te jeta en arrière pour reposer ton dos sur le dossier de la chaise.

— De toute façon il y a une faute d’orthographe dans la question, on n’a qu’à dire qu’elle n’est pas valable et qu’on n’a pas besoin de la faire.

Ma réponse fût un rire. J’étais content que tu l’aies provoqué, tu venais de détendre un peu cette atmosphère de gêne.

— Malheureusement ça ne marche pas comme ça.

Tu te redressas à nouveau et posa la tête dans tes mains.

— Bon je m’avoue vaincue. Cette question est trop dure pour moi.

Je compris alors que te montrer comment je faisais les exercices et attendre ensuite que tu y arrives à ton tour n’était pas la bonne méthode. Il me fallait autre chose. Il fallait que je puisse t’expliquer les concepts pour que tu les comprennes de ta manière à toi, mais je n’avais aucune idée de comment m’y prendre.

Je balayai mon regard à travers la pièce, quand mes yeux se posèrent sur une boîte de dominos posée sur mon étagère. Il me vint alors une idée, et je me levai pour aller chercher le jeu. Tu me regardas ouvrir la boîte et en déverser le contenu sur le bureau avec un air intrigué.

— Regarde, dis-je. Je vais essayer de te faire comprendre le principe des suites avec des dominos.

— D’accord, répondis-tu. Ça a l’air marrant.

Je m’appliquai alors à disposer chaque domino à la verticale, les uns à la suite des autres, sur quelques centimètres. Quand une belle ligne fût formée, je préparai mon explication dans ma tête avant de te la soumettre.

— Si je fais tomber le premier domino, qu’est-ce qui va se passer ?

Tu me regardas en plissant les yeux.

— Il y a un piège ?

— Non, répondis-je en riant.

— Il va faire tomber le deuxième domino, affirmas-tu.

— Et quand le deuxième domino tombera ?

— Il fera tomber le troisième, qui fera tomber le quatrième, et ainsi de suite.

J’étais heureux. La limpidité de ton explication laissait supposer que tu étais toute prête à comprendre.

— Exactement. Eh bien les suites, comme tu viens de le dire, c’est la même chose. C’est un enchainement d’évènements dont chacun conditionne le suivant. Et en partant du premier domino tu peux arriver à la chute du dernier domino.

Tu hochas la tête avec un sourire au coin des lèvres.

— Et maintenant, repris-je, mise en application.

Ton sourire disparut pour laisser place à une expression inquiète.

— Oh non, pas les exercices…

— Ah non j’allais juste te proposer de faire tomber le premier domino.

Ta surprise se traduit par un rire sincère.

— Ah, si ce n’est que ça, ça me va.

— Alors à toi l’honneur, dis-je en désignant la ligne de plastique avec ma main.

Tout en souriant, tu poussas délicatement du doigt le domino, celui-là même que j’ai entre mes mains aujourd’hui. Nous regardâmes tous deux l’enchaînement de ces chutes jusqu’à la dernière, profitant de la satisfaction qu’elles nous apportaient. Quand le dernier domino fût à terre, un court silence se forma, comme si ce jeu enfantin nous avait pris nos voix. Puis tu te redressas et déclaras :

— Si les cours de maths au lycée pouvaient être aussi bien…

Flatté par ta réponse, j’en réclamai davantage.

— Ça t’a tellement plu cette histoire de dominos ?

Tu hochas la tête tout en haussant les épaules.

— Oui, c’est toujours plus sympa d’appliquer les maths à des choses concrètes, des choses de la vie, c’est tellement plus parlant que ces chiffres tristes et sans âme.

Ta vision des choses me surprît. J’avais du mal à la comprendre et voulais en savoir plus.

— C’est vraiment comme ça que tu le ressens ?

— Oui, pas toi ? Tu trouves que les chiffres ont une essence incroyable ?

Tu avais dit ça sur le ton de l’ironie, néanmoins je voulais trouver une réponse à ta question.

— Non, bien sûr que non, mais ils n’ont pas besoin d’en avoir une. Ce n’est pas ce qu’on leur demande.

— Comment peut-on avoir envie de les utiliser alors ?

— Je ne sais pas, dis-je en haussant les épaules. Ça n’a rien à voir avec une histoire d’âme ou de vie, c’est juste… mécanique.

— Mécanique ? répetas-tu, remettant en question le terme que je venais de trouver.

— Oui, les chiffres peuvent te servir à faire des tas d’opérations, toutes plus logiques les unes que les autres, et rien ne peut contredire ça. A chaque problème il n’y a qu’une seule solution, c’est comme ça. C’est la loi des maths, qui n’a même pas été inventée par les hommes. C’est une loi qui sort d’on ne sait où. Et à partir d’elle, tu peux enchaîner autant d’opérations que tu veux, il suffit de savoir y faire. Ça te permet d’arriver à des résultats universels, que personne ne peut remettre en question.

Sentant que je m’étais un peu emballé, je cherchai ta réaction avec appréhension. Et à mon grand étonnement, dans tes yeux, je crus voir une forme d’admiration.

— Ton explication fait sens, reconnus-tu. Merci de m’avoir donné ta vision des choses, c’était intéressant.

Un silence suivit. Lorsqu’il commença à devenir embarrassant, je me décidai à le rompre et lâchai un léger rire.

— Je ne pensais pas que ce cours de maths partirait en débat philosophique.

Tu ris à ton tour en baissant le regard.

— C’est de ma faute. Je ne peux pas m’empêcher de philosopher tout le temps, pour tout et rien.

Cet aveu m’interpella. Je n’aurais pas pensé que tu puisses avoir ce trait de caractère, mais j’étais heureux de l’apprendre. J’avais l’impression d’être privilégié, d’avoir le droit d’en connaître encore plus sur toi. J’aurais voulu en demander encore, des aveux sur ta personnalité, mais je savais qu’il fallait les laisser venir, un par un, sans les brusquer. Nous avions encore bien le temps.

— Ce n’est pas un défaut, tu sais…

— Ça dépend avec qui, répondis-tu en haussant les épaules. Il y en a à qui ça ne plaît pas.

— Ah et qui par exemple ?

— Eh bien, les gens fermés d’esprit.

Fermé d’esprit. Combien de fois m’avait-on fait cette remarque au cours de ma vie. Je pris ta réponse comme un affront, j’avais l’impression que c’était moi que tu visais. Mais je me rappelai que tu parlais de ceux à qui tes discussions ne plaisaient pas. Moi j’aimais tout ce que tu pouvais avoir à me dire. Ce n’était pas moi le fermé d’esprit. Un grand soulagement me saisit, et se transforma en frustration quand je te vis regarder l’heure sur ton téléphone.

— Bon, il commence à être tard. Je vais rentrer.

— Oui bien sûr, répondis-je pour ne pas montrer que je n’en avais pas la moindre envie.

Tu rangeas tes affaires dans ton sac, emportant une à une chaque chose de toi qui étais sur mon bureau, vidant progressivement ma chambre de ta présence. Lorsque tout fût regroupé sur ton dos, je te raccompagnai vers la porte d’entrée.

— En tout cas merci Nicolas, je ne suis pas sûre d’être devenue forte en maths mais tu m’as quand même bien aidée.

— De rien, c’est normal.

Je n’avais pas su quoi répondre d’autre. La discussion était finie, nous arrivions à la porte, bientôt il ne resterait plus rien de toi ici. Dans quelques secondes, je me retrouverais seul à nouveau. Dans quelques secondes, cette entrevue que j’avais tant attendue prendrait fin.

— Allez salut, à demain, dis-tu en collant tes joues contre les miennes, dans cette habitude si étrange qu’est la bise.

— Salut.

Tu te dirigeas vers l’ascenseur. Il me fallait ajouter quelque chose, je ne pouvais pas en rester là.

— Pauline ?

Tu te retournas pour m’écouter.

— Si jamais l’année prochaine je galère en philo, ce qui risque probablement d’arriver, tu me donneras des cours toi aussi ?

Un grand sourire se dessina sur ton visage.

— Bien sûr, j’y manquerai pas.

L’ascenseur ouvrit ses portes, tu me fis un dernier signe de la main et t’engouffras dedans. Je refermai la porte d’entrée, un sourire toujours pendu à mes lèvres. J’étais content de ce dernier échange. J’avais bien fait d’ajouter quelque chose avant que tu ne t’en ailles.

— Le repas sera prêt dans trois quarts d’heure.

La voix de ma mère me ramena sur terre. Je lui lançai un « ok » et remontai dans ma chambre. Celle-ci m’apparaissait sous un jour nouveau. Je restai une bonne dizaine de minutes debout, au milieu de la pièce, le regard fixé sur mon bureau. Essayant de t’imaginer assise, là, sur la chaise. Revoyant encore chacun de tes gestes. Entendant encore tes mots, ta voix si douce. Puis mon esprit divagua, se mit à ajouter à la trame des scènes qui n’avaient jamais eu lieu. Je nous vis nous, tous les deux, en train de nous embrasser, assis comme nous l’avions été quelques instants auparavant. Mais je me ravisai vite, presque en colère contre mon cerveau de m’infliger cette vision. « Ce n’est jamais arrivé, pensai-je. Et ça n’arrivera sûrement jamais ».

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